dimanche 30 novembre 2014

XIAO CHE ZHU - chapitre 3





Les jours de marché après les récoltes étaient jours de joie.

Levés  de très bonne heure, Lao Li et son petit-fils faisait une toilette minutieuse et mettaient des vêtements propres. Il fallait faire bonne impression aux acheteurs. Puis, les paniers emplis des grains providentiels étaient chargés sur une brouette. Celle-ci possédait deux roues à l’avant, pour plus de stabilité, et des brancards pour la saisir et la soulever légèrement, afin de la pousser plus aisément.

Ainsi prêts, grand-père et petit-fils effectuaient le trajet sur des routes souvent défoncées par les intempéries.

Sur la place du marché, ces jours-là, il fallait faire sa place, car chacun voulait vendre ses récoltes au meilleur prix et pour ce faire, les emplacements étaient assaillis de bonne  heure pour éliminer la concurrence.

Les grains dans des paniers, les légumes disposés sur des nattes de bambou ou de paille de riz, résultats de la peine et du labeur, rapportaient quelques piécettes qui servaient à payer l’impôt et à acheter vêtements, nourritures, outils ou ustensiles de ménage. Tout ce que certains ne pouvaient ou ne savaient confectionner.

Cette année-là, les récoltes avaient été prospères, aussi les paysans s’apprêtaient à fêter les Dieux pour les remercier de leur grande bonté et surtout le Dieu Dragon, Dieu du fleuve, qui apportait la douce pluie bienveillante.
Des processions s’organisaient alors. On pouvait voir flotter au vent, des banderoles de tissu rouge, couleur du bonheur et de la chance, et on entendait des chants accompagnés de rythmes frappés sur divers instruments à percussion, ainsi que des rires, des cris  et  des galopades d’enfants. Quelle réjouissance !

Mais les années se suivaient et ne se ressemblaient pas.

L’année suivante, un véritable déluge s’abattit sur le pays et les eaux sortirent du lit des fleuves. Rien ne résista à ce déferlement. Tout fut emporté.

Heureusement, la pauvre masure de Lao Li, construite sur une petite colline, fut épargnée de justesse, mais sa rizière, en contrebas, fut dévastée. Tout était à refaire.
Puis, ce fut une année de sécheresse. La terre craquait sous les rayons du soleil. Un soleil qui trônait au zénith et grillait tout.

Lao Li, devant cette succession de désastres, n’en pouvait plus. Anéanti, le pauvre homme n’avait plus le courage de faire face. Qu’allaient-ils devenir lui et le jeune Xiao Ché Zhù.
Réagir, il ne le pouvait plus, d’ailleurs personne n’était de force contre la volonté des Dieux. Il était donc impuissant et ses forces le trahissaient.
Le pauvre homme se rendit alors sur les berges du Grand Fleuve et implora le Dieu Dragon :
« Mais que fais-tu donc, toi qui à tous pouvoirs ? Pourquoi es-tu sans pitié ? »
Mais toutes ses questions restèrent sans réponse.

La colère le prit soudain. Rassemblant le peu d’énergie qui lui restait, il se mit à maudire ce Dieu qu’on disait grand.

« Que fais-tu donc ? Ne vas-tu pas avoir un peu de pitié ? Pourquoi ne nous aides-tu pas, alors que tous, nous mourons de faim ? »

Toutes ses rancœurs, toute sa peine, toute sa colère furent déversées pêle-mêle en flot continu. Ce n’était plus possible …

« Sors de ta léthargie ! Bouge-toi ! Fais enfin quelque chose ! »

Le Dieu l’avait-il entendu ? Il ne put le dire. Traînant les pieds, lourd de chagrin, sa révolte passée, le vieillard regagna sa pauvre demeure les épaules affaissées plus qu’à l’accoutumée.

Ce fut cette nuit-là que Lao Li rejoignit le royaume des ancêtres.

Autour de Noël





Cette rubrique, « A vos plumes », implique votre participation.
Et j'espère que beaucoup d'entre vous, adultes ou enfants, franchiront le pas, en osant mettre quelques lignes, en toute simplicité.
Si, et je l'espère, quelques textes sont déposés, je les regrouperai en un seul écrit pour qu'ils soient lus par les visiteurs de ce  blog, souhaitant ainsi inciter ceux-ci à participer à ce modeste échange épistolaire.

Alors ? Vous êtes d'accord ?

Noël se profilant à l'horizon, le choix du premier sujet se trouve ainsi tout trouvé.

Quel est votre plus beau souvenir de Noël ? Ou le plus exécrable ?
Vous pouvez également écrire un rêve, un conte, une nouvelle, décrire les magasins illuminés, les rues décorées ou encore donner votre recette de la bûche de Noël.

Je vous laisse carte blanche, selon votre volonté ou votre inspiration, du moment que le thème reste autour de cette fête du 25 décembre.

Alors, à vos plumes et au plaisir de vous lire !

jeudi 27 novembre 2014

L'HISTOIRE DE MARIE ANNE



« Vous savez ? lança une femme en s’approchant de deux de ses voisines qui, venant de se rencontrer sur le parvis de l’église Notre-Dame à Louviers, discutaient de tout et de rien.
    -         Quoi donc ? questionna l’une d’elles.
    -          C’est la Marie ! poursuivit la première
    -          Quoi la Marie ? demandèrent d’une seule voix les deux autres.
    -          C’est qu’on vi’nt d’ la r’pêcher !
    -          D’ la r’pêcher !  répéta le duo incrédule.
    -          Ben oui, c’ matin à l’aube.

Et chacune de poursuivre commentaires et réflexions :
    -          C’est qu’elle allait pas ben !
    -          Pour sûr, pour aller pas ben, elle allait pas ben.
    -          J’ dirai même qu’elle était dérangée.
    -          Ben oui, pour en arriver là, ça c’est sûr !
    -          V’là Jean-Baptiste encore veuf !
    -          Ah, mais quelle affaire !

Des noyés, « ça pour sûr », on en repêchait et chaque fois, après enquête minutieuse de la maréchaussée afin de déterminer si il n’y avait pas là-dessous quelque acte de malveillance, la conclusion ne différait nullement d’un cas à l’autre : « suicide[1] ».
En début de XIXème siècle où la population en quasi-totalité ne savait pas nager, ce moyen était malheureusement utilisé par la plupart de ceux qui souhaitait en finir.


« La Marie » dont le corps venait d’être ramené sur la berge de la rivière Eure, et plus précisément du canal Saint-Taurin, avait eu, comme beaucoup de ses contemporains, une vie dure,  trop dure, tellement dure qu’elle n’avait pu la supporter.
Trop, c’était trop !

Native de Saint-Etienne-du-Rouvray, Marie Anne P. avait épousé, à l’automne 1796, Jean-Baptiste Michel L, jeune veuf de vingt-sept ans.
En effet, Jean-Baptiste Michel P. avait au printemps précédent perdu sa jeune épouse, Marie Anne F., tout juste âgée de vingt-quatre, des suites de couches difficiles, le laissant seul avec à charge deux fillettes à bas-âge : Désirée, vingt-et-un mois et Louise, trois mois.

Devant son désœuvrement, Marie Anne P. le prit en pitié. Une brave fille, Marie Anne, le cœur sur la main !
Se sentant écouté, l’homme s’était épanché sur cette épaule réconfortante, voyant en elle celle qui pourrait s’occuper de ses deux petites.
Alors, lorsqu’il lui avait proposé le mariage, elle n’avait osé refuser, ne voulant pas le peiner. N’avait-il pas eu assez de malheur comme cela !

Evidemment, elle le trouvait à son goût, mais elle n’éprouvait pas de réels sentiments pour lui. Elle espérait toutefois que l’amour viendrait. Ne disait-on pas qu’il se construisait au quotidien ? Mais elle garda cette pensée pour elle, on ne parlait pas de ces choses-là.
Et puis, il y avait les fillettes. De vrais angelots ! Elle aimait tant les enfants !
Ils avaient donc convolé.

Jean-Baptiste Michel L. exerçait le métier de maréchal. Homme courageux, il avait une force considérable. Il n’y avait qu’à le regarder actionner le soufflet de sa forge, frapper avec énergie sur le fer rougi, façonner les outils avec habileté et précision, ferrer les chevaux avec patience. Il jouissait d’une bonne réputation et, de ce fait, l’ouvrage ne manquait pas, au point que, certains jours, la forge ne désemplissait pas.
Quant aux prix des travaux demandés, ils se négociaient au débit de boissons non loin de là, devant un verre, puis un autre…. « Tope-là, mon gars ! » était la formule qui scellait le contrat entre l’artisan et le client. Cela suffisait, car une parole donnée ne se reprenait pas.
Il était vrai que parfois, pour ne pas dire souvent, le Jean-Baptiste n’était pas toujours très frais lorsqu’il rentrait. Marie Anne le sermonnait :
« C’est-y pas Dieu possible de s’ mett’ dans des états pareils ! Et tout c’t argent qui part en beuverie ! »


Marie Anne, elle, s’occupait de son foyer, un foyer qui vit arriver un grand nombre d’enfants.
Dix enfants en dix-neuf années de mariage.
Dix marmots dont un mourut à l’âge de trois mois et un autre né prématurément à sept mois de grossesse, naquit « sans vie ».
Dix auxquels il fallait ajouter les deux petites du premier lit de son mari dont elle prit soin avec autant d’amour que pour les siens.
Quelle vie !

Les deux décès l’avaient énormément marquée.  Pourtant, elle le savait, beaucoup de nourrissons mouraient avant leur premier anniversaire. On n’y pouvait rien, c’était ainsi !

Il lui fallut pourtant poursuivre le chemin, mais depuis lors, Marie Anne fatiguée, usée, épuisée, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Mais elle avait parfois la force de se révolter. Dans ces moments, elle piquait des colères qui finissaient en crises de larmes. Entendant les cris de la jeune femme,  le voisinage avait vite conclu que la pauvre Marie Anne avait perdu l’esprit, et bien sûr, on chuchotait derrière son dos en hochant la tête, l’air entendu et compatissant.
Conclusion facile qui évitait de se poser trop de questions. A quoi bon !

Personne ne fut donc étonné d’apprendre que la pauvre femme avait souhaité mettre fin à ses jours. C’était un acte naturel de démence auquel il fallait s’attendre.

Marie Anne quitta ce monde fin septembre 1818. Elle avait quarante-six ans. Sa dernière-née, Victoire Alexandrine, venait tout juste d’avoir trois ans.

Sur le rapport fait au Maire de la ville de Louviers, il fut noté, en parlant de la défunte : « Elle a fréquemment donné des preuves de démences depuis seize ans ».
Seize ans !! Non, pas seize ans de démence ! Seize ans de chagrin d’avoir perdu deux bébés !


Nouvelle écrite suite à la lecture d’un rapport de quelques lignes
trouvé dans les documents des archives de Louviers.
Les personnages ont réellement existé, mais cette histoire est romancée.


[1] Mais il était souvent noté « accident », afin que le défunt puisse bénéficier d’un enterrement religieux.

dimanche 23 novembre 2014

XIAO CHE ZHU - chapitre 2


« Grand-père, puis-je t’aider ? cria une voix flûtée.

Lao Li se retourna et contempla, avec bonheur, un petit garçon qui se dirigeait vers lui en sautillant.

- Non, Xiao Ché Zhù, va courir après les papillons, va leur chanter des chansons, ils sont les âmes de tes parents qui te suivent et te protègent. 
- Mais Grand-père, je suis en âge de pouvoir prendre en charge une partie de ta peine.

Lao Li se retourna, grommela et continua sa besogne.

Les cris, les rires et les chants de son petit-fils l’emplirent de joie et lui redonnèrent du cœur à l’ouvrage. C’était uniquement pour lui qu’il s’accrochait autant à la vie.

Son fils, le père de Xiao Ché Zhù, lui avait été enlevé, il y a quelques lunes déjà des suites d’une mauvaise fièvre, à moins que ce ne fût en raison du chagrin de la perte de son épouse lors de la naissance de Xiao Ché Zhù.
Depuis la venue au monde de cet enfant, il n’avait plus été qu’une ombre. Ne négligeant pas le bébé pour autant, car il s’occupait de lui le mieux possible, mais, il n’avait goût à rien.

Lao Li se remémora ce moment et la joie ressentie, malgré le deuil de sa belle-fille. Une jeune femme courageuse et brave. Toujours le sourire aux lèvres malgré la vie éprouvante. Toujours chantonnant malgré les épuisants travaux quotidiens. Elle formait avec son fils un couple uni. La marieuse du village l’avait conseillée à Lao Li pour son fils lorsqu’elle n’avait encore que sept ans, et elle avait fait le bon choix.

Lao Li se souvint du jour où il avait fait sa demande à la famille de la jeune enfant, ainsi que des négociations sur la dot qui lui serait donnée, et enfin du jour où il alla la chercher pour les noces.
Elle s’était bien accoutumée à sa nouvelle demeure et avait mené, un moment, la maisonnée de bonne grâce, avec sa belle-mère, malgré les sautes d’humeur de celle-ci dont elle devait subir les exigeantes directives.

Lao Li sourit un moment au souvenir de son épouse, une sacrée maîtresse femme qui avait su diriger dignement son foyer.

Xiao Ché Zhù avait failli accompagner sa mère au royaume des ancêtres, car sa santé était fragile. Mais de bonne nature, il s’accrocha à la vie qui lui avait joué le mauvais tour de lui ravir sa maman.

Le chaman, interrogé sur le choix d’un prénom pour l’enfant, après avoir consulté les oracles, annonça :
« Il portera le nom de Xiao Ché Zhù, en raison de sa taille frêle et de son léger babil qui rappelle le bruit du vent dans les roseaux. »

L’enfant, d’un caractère enjoué, avait grandi. Aussi, devant son insouciance et considérant les malheurs que ce petit être avait déjà subis, Lao Li, en grand-père aimant, souhaitait que l’enfant vive sans travailler, tant que lui pourrait assumer le labeur seul.

Voilà pourquoi, lorsque l’enfant insistait pour l’aider, répondait-il :
« Il sera bien temps de te mettre au travail. »
Ou encore :
« Le temps n’est pas venu, Enfant. »

Les jours succédaient donc aux jours, sous un soleil asséchant la terre, quand ce n’était pas des pluies diluviennes noyant tout, emportant les eaux du grand fleuve hors de son lit, dans un immense tourbillon dévastateur.
Rien ne résistait aux sautes d’humeur du temps. Les Dieux étaient intraitables. Pourquoi s’amusaient-ils à torturer les humains de la sorte ?

Quand le ciel était clément, Lao Li arborait un grand sourire, malgré sa fatigue et les tâches quotidiennes.

Quant à Xiao Ché Zhù, il gambadait dans les collines proches, posant des collets dans l’espoir d’attraper quelques petits gibiers. Il passait aussi son temps au bord du grand fleuve pour y prendre quelques poissons ou cueillait, dans la prairie environnante, des baies ou fruits sauvages.
Gibiers, poissons et baies de toutes sortes amélioraient ainsi les repas faits essentiellement de riz, de quelques grains de riz prélevés sur les récoltes avant la vente de celles-ci au marché de la ville toute proche.

Mais,  la plupart du temps, il le passait à rêver et observer la nature.

jeudi 20 novembre 2014

LE JEU DES CHIQUENAUDES



Connaissez-vous le jeu des « chiquenaudes » ?

Avez-vous une idée ? Non !

Revenons en arrière au temps de Napoléon Bonaparte. Au temps, où il ne s’était pas encore proclamé « Empereur des Français ».

Le soir, entre deux batailles, les soldats reprenaient souffle.
Certains préparaient la soupe, d’autres lisaient le journal, d’autres encore fumaient la pipe en laissant vagabonder leur esprit vers leur vie d’avant ou dormaient tout simplement.
Des groupes se formaient ici et là, et ça discutait et se disputait.
Les jeux n’étaient  pas absents de ces longues soirées. Jeux de cartes, jeux de dés où l’argent était de mise.
Mais ils arrivaient que les soldats n’aient pas d’argent.
Les soldes n’étaient pas toujours payées en temps et heure. Les caisses de l’état n’étaient-elles pas vides ? La guerre coûtait chère.
Et puis, une fois perçue, cette maigre solde partait très vite, d’abord en nourriture, pour améliorer l’ordinaire, et en alcool pour se donner du courage.

Alors, il fut inventé ce jeu de la « chiquenaude » qui ne nécessitait  par d’argent.
En effet, la règle stipulait que le gagnant avait le droit, et il le prenait, de gifler le perdant !

Imaginez la surprise du « bleu », fraîchement enrôlé qui, moins chanceux que son partenaire, se prenait une gifle magistrale.
Gageons que cette règle de jeu a provoqué bien des bagarres.

Aujourd’hui, le mot « chiquenaude » ne désigne plus une gifle, mais un léger coup donné par la brusque détente du doigt médian. (Définition du dictionnaire Le Robert)


Saviez-vous également que Napoléon Bonaparte aimait les jeux et que, souvent, il se mêlait aux soldats pour une ou deux parties.
Ses soldats le laissaient-ils gagner, par respect ?
A-t-il joué aux jeux des « chiquenaudes » ? Rien ne permet de le dire,  mais si ce fut le cas et qu’il avait perdu, le gagnant aurait-il osé le gifler ?

Les jeux d’argent furent interdits dans les bivouacs. Trop de bagarres en raison des tricheurs ou des mauvais perdants.
Alors, on misait avec des cailloux ou …… des haricots !!

« La fin des haricots », expression bien connue encore de nos jours, s’imposa peu à peu dans le langage courant pour désigner la « mise hors jeu » de celui qui ne possédait plus de haricots.

Anecdote puisait en partie à partir du livre
 « Des soldats de la Révolution » de Jean-Paul Bertaud

A bientôt pour une autre « question du jour ».