lundi 29 décembre 2014

"A VOS PLUMES" - COMPTE-RENDU SUR LE SUJET DE NOEL




Vous n’avez pas osé mettre quelques lignes sur ce blog.
Pas facile, il est vrai, de se livrer ainsi au fil de ses écrits.
Pourtant, ce blog n’a  pas été créé pour juger de la qualité des textes déposés, mais se veut un lieu d’échanges.

Avant de vous proposer un autre « sujet » pour le mois de janvier, je souhaite clore ce chapitre sur Noël par un écrit.
Beaucoup de contes de Noël ont fait rêver des générations d’enfants, voire d’adultes.
Je pourrais citer, entre autres :

« La petite fille aux allumettes » de Hans Christian Andersen.

Ou encore 

« Casse noisette » un ballet-féerique de Piotr Ilitch Tchaïkovski sur un livret de Ivan Vsevolojski.

Loin de tout cela, j’ai choisi un passage épistolaire d’un de nos plus grands écrivains et poètes, Victor Hugo.
Vous connaissez tous, « Les Misérables », œuvre magistrale, reprise de nombreuses fois, en dessins animés ou au cinéma.
L’extrait ci-dessous parle de Noël, évidemment ! Il décrit la dure existence de la petite Cosette. Il montre ses yeux émerveillés d’enfant, passant devant la baraque de bimbeloterie dans la vitrine de laquelle trône, majestueuse, la plus merveilleuse des poupées. Cette poupée est un rêve pour l’enfant, car elle ne pourrait jamais prétendre la posséder. D’ailleurs, ce jouet n’avait pu être acheté par quiconque, en raison de son prix excessif.




Entrée en scène d’une poupée

La file de boutique en plein vent qui partait de l’église se développait, on s’en souvient, jusqu’à l’auberge Thénardier. Ces boutiques, à cause du passage prochain des bourgeois allant à la messe de minuit, étaient toutes illuminées de chandelles brûlant dans des entonnoirs de papier, ce qui, comme le disait le maître d’école de Montfermeil attablait en ce moment chez Thénardier, faisait « un effet magique ». En revanche, on ne voyait pas une étoile au ciel.

La dernière de ces baraques, établie précisément en face de la porte des Thénardier, était une boutique de bimbeloterie, toute reluisante de clinquants, de verroteries et de choses magnifiques en fer-blanc. Au premier rang, et en avant, le marchand avait placé, sur un fond de serviettes blanches, une immense poupée haute de près de deux pieds qui étaient vêtue d’une robe de crêpe rose avec des épis d’or sur la tête et qui avait de vrais cheveux et des yeux en émail. Tout le jour, cette merveille avait été étalée à l’ébahissement des passants de moins de dix ans, sans qu’il ne fût trouvé à Montfermeil une mère assez riche, ou assez prodigue, pour la donner à son enfant. Eponine et Azelma avaient passé des heures à la contempler, et Cosette elle-même, furtivement, il est vrai, avait osé la regarder.

Au moment où Cosette sortit, son seau à la main, si morne et si accablée qu’elle fût, elle ne put s’empêcher de lever les yeux sur cette prodigieuse poupée, vers la dame, comme elle l’appelait. La pauvre enfant s’arrêta pétrifiée. Elle n’avait pas encore vu cette poupée de près. Toute cette boutique lui semblait un palais ; cette poupée n’était pas une poupée, c’était une vision. C’étaient la joie, la splendeur, la richesse, le bonheur, qui apparaissaient dans une sorte de rayonnement chimérique à ce malheureux petit être englouti si profondément dans la misère funèbre et froide. Cosette mesurait  avec cette sagacité naïve et triste de l’enfance l’abîme qui la séparait de cette poupée. Elle se disait qu’il fallait être reine ou au moins princesse pour avoir une « chose » comme cela. Elle considérait cette belle robe rose, ces cheveux lisses, et elle pensait : Comme elle doit être heureuse cette poupée-là ! Ses yeux ne pouvaient se détacher de cette boutique fantastique. Plus elle regardait, plus elle s’éblouissait. Elle croyait voir le paradis. Il y avait d’autres poupées derrière la grande qui lui paraissaient des fées et des génies. Le marchand qui allait et venait au fond de sa baraque  lui faisait un peu l’effet d’être le Père éternel.

………………………

Cosette leva les yeux, elle avait vu venir l’homme à elle avec cette poupée comme elle eût vu venir le soleil, elle entendu ces paroles inouïes : c’est pour toit, elle le regarda, elle regarda la poupée, puis elle recula lentement, et s’alla cacher tout au fond sous la table dans le coin du mur.
Elle ne pleurait plus, elle ne criait plus, elle avait l’air de ne plus oser respirer.
La Thénardier, Eponine, Azelma étaient autant de statues. Les buveurs eux-mêmes s’étaient arrêtés. Il s’était fait un silence solennel dans tout le cabaret.

………………………

« Eh bien, Cosette, dit la Thénardier d’une voix qui voulait être douce et qui était toute composée de ce miel aigre des méchantes femmes, est-ce que tu ne prends pas ta poupée ? »
Cosette se hasarda à sortir de son trou.
« Ma petite Cosette, reprit la Thénardier d’un aire caressant, monsieur te donne une poupée. Prends-la. Elle est à toi.

Cosette considérait la poupée merveilleuse avec une sorte de terreur. Son visage était encore inondé de larmes, mais ses yeux commençaient à s’emplir, comme le ciel au crépuscule du matin, des rayonnements étranges de la joie. Ce qu’elle éprouvait en ce moment-là était un peu pareil à ce qu’elle eût ressenti si on eût dit brusquement : Petite, vous êtes la reine de France.

Extrait des « Misérables » de Victor Hugo





J’espère que vous aurez pris plaisir à lire ces quelques lignes.

Je vous souhaite, à tous,   
une bonne année 2015 
et espère que vous visiterez ce blog de nombreuses fois 
et que nous pourrons échanger à de multiples reprises.

dimanche 28 décembre 2014

XIAO CHE ZHU - chapitre 7



Ce matin-là, ce fut la chaleur des rayons du soleil sur son visage qui éveilla Xiao Ché Zhù. Allongé, les yeux clos, il prolongea paresseusement ce bien-être.
« Encore un peu, avant d’ouvrir les paupières ! » pensa-t-il.

Quelle heure était-il donc ?

Peu importait, puisque le dragon du grand fleuve ne l’avait pas encore rappelé à l’ordre, il pouvait encore paresser à loisir.
Le silence un peu trop pesant l’alerta tout à coup. Il ne sentait aucune présence près de lui. S’asseyant sur sa natte, il s’étira tout en parcourant du regard l’unique pièce de son foyer.

Sur la petite basse se trouvaient encore les documents sur lesquels il avait travaillé la veille au soir. Mais, la pièce était vide. Seul, le long du mur, face à lui, trônait le cerf-volant en forme de dragon.

Xiao Ché Zhù se leva, son corps lui sembla plus lourd et chacun de ses gestes plus réels que la veille.

Que se passait-il ?

Il se remémora les dernières années passées comme en songe.

Combien de temps s’était-il écoulé depuis la mort de Lao Li ?

Tout se brouillait dans sa mémoire.

Il s’approcha du cerf-volant, l’observa, le prit dans ses mains, le retourna et le replaça contre le mur. Décontenancé, il examina les documents épars sur la petite table.

Etait-ce son œuvre ces dessins aux vives couleurs, aux traits précis ?
Etait-ce son œuvre, ces poèmes aux mots chantant comme l’eau des sources, comme le chant des oiseaux ?

Il sortit sur le pas de la porte inondé de soleil, scruta l’horizon, inspira profondément, puis rentra à nouveau dans le logis.

Il se souvint alors de son rêve de la nuit, mais était-ce un rêve ?

Il se trouvait avec le dragon du grand fleuve. Celui-ci contemplait avec satisfaction les dernières ébauches du garçon.

« Voilà, disait-il, hochant sa grosse tête, ma mission est achevée. Je t‘ai enseigné tout ce que ton père aurait pu t’enseigner. Il est temps pour toi de faire seul ton chemin. Tu sais lire, écrire et tu as dans la tête un trésor de poésie. Va, mon garçon, va à la ville, il va y avoir un concours de poètes prochainement, inscris-toi et que la chance te sourit. Mais je crois que tu as un brillant avenir devant toi. »

Xiao Ché Zhù rassembla ses affaires, ses dessins, le coffret contenant pinceaux, pierre à encre et couleurs ayant appartenu à son père. Puis, ouvrant le coffre une dernière fois, il y prit le collier et le bracelet de jade, en sortit la tunique et le pantalon qu’il déplia avec précaution les contemplant comme s’il venait de les découvrir et les revêtit. Alors, seulement après s’être retourné une dernière fois sur la vieille maison et sur ce qu’il restait de son enfance,  il s’engagea vaillamment sur le chemin menant à  la ville, sous un soleil déjà haut dans le ciel.

Il croyait à sa bonne étoile, il se sentait de taille à affronter le monde entier. Quelque chose lui disait qu’il ne pouvait échouer et qu’il deviendrait un poète à la grande renommée.

Trois papillons le suivaient, légers, et semblaient accompagner sa marche. Le jeune homme leur sourit confiant.

« Oui, dit-il tout haut en les regardant, oui, vous serez fiers de moi, je deviendrai l’enfant dont vous aviez rêvé ! »

Ces trois papillons n’étaient-ils pas les âmes de ses parents et de Lao Li, son grand-père ? Ce ne pouvaient être qu’eux de toute évidence pour l’accompagner de la sorte vers sa vie d’homme.

Xiao Ché Zhù allait vers son destin d’un pas décidé, et, tout là-bas, au loin, sous le soleil, se perdit sa silhouette, frêle silhouette, qui diminua progressivement avant de disparaître à l’horizon.

mercredi 24 décembre 2014

LA LOI, C'EST LA LOI !




Ce 18 brumaire an XI était un grand jour pour Anne L et elle n’était pas peu fière en pénétrant dans la grande salle de la Maison Commune, afin de s’unir en mariage à Jacques H.
Monsieur le maire les accueillit avec un large sourire et les fit asseoir, l’un à côté de l’autre, afin de procéder à cette cérémonie que la Révolution avait voulue civile.
Mais le sourire de monsieur le maire s’estompa rapidement lorsqu’il apprit que les promis, là devant lui, venaient de passer, juste avant, devant monsieur le curé pour une bénédiction nuptiale.

« Mais ce n’est pas légal ! s’exclama-t-il d’un ton ferme et péremptoire.

L’atmosphère  festive, quelques instants auparavant, s’assombrit d’un coup et un murmure interrogateur parcourut  l’assemblée des invités présents. Que voulait dire le maire ?
N’allait-il pas refuser de marier les jeunes gens ?

Anne L, soudain d’une pâleur à faire peur, regarda son futur d’un air affolé. Celui-ci essaya de la rassurer en lui adressant un léger sourire, mais le cœur n’y était pas.

« C’est que, risqua Jacques H, avec toutes ces nouvelles lois ! C’est qu’on s’y perd un peu, nous autres !
-          Lorsque vous êtes venus publier la date de votre mariage, il vous a été dit que, seul le mariage en mairie était valable. Libre à vous de vous rendre ensuite à l’église. De plus, le citoyen  M, curé, aurait dû vous demander si vous étiez passés, avant, par la mairie.
-          C’est qu’il a rin dit, avança timidement Anne L qui sentait ses jambes se dérober sous elle.
-          Bon, conclut le maire, je vais tout de même vous unir, mais, je suis en droit de reporter la date de cette cérémonie !

Et il procéda, Monsieur Lambard, citoyen maire, n’omettant aucun article, montrant ainsi que, lui, il avait tous pouvoirs républicains. Ah que oui ! On ne devait pas badiner avec le Code Civil et ses règles établies.
Il félicita tout de même les nouveaux mariés, leur souhaitant une vie heureuse et prospère. 
Mais, aussitôt après, monsieur le maire, toujours mécontent, en parla à un de ses adjoints.

« Il en prend encore à ses aises, le curé ! Il continue à célébrer les mariages avant les formalités civiles. Je ne sais plus quoi faire ! Et en plus, je crois bien que cela l’amuse !
-          Il faudrait lui envoyer un courrier, répondit l’adjoint.
-          Cela fait au moins trois, voire quatre courriers d’avertissement, que je lui écris.
-          Alors, allez le voir, ce serait sans doute plus efficace.
-          Je lui en ai parlé également à de nombreuses reprises. Non, la prochaine fois, je refuse le mariage aux couples qui ont enfreint la loi. Il verra bien, alors, le curé, si ses ouailles seront toujours aussi dociles !
Monsieur Lambart, maire en exercice, adressa une nouvelle missive au citoyen Maille, curé, lui rappelant les termes de l’article 54 de la loi sur l’organisation des cultes, interdisant de procéder à la bénédiction nuptiale de citoyens, avant que ceux-ci n’eussent contracté mariage devant l’officier public. 


Dans sa cure, le citoyen Maille, avait pris connaissance du courrier ou plutôt du « sermon » du citoyen maire. Il hochait la tête, mécontent, mais alors, très mécontent.
Etienne Marin Maille était né le 7 janvier 1741 à Brétigny dans le canton de Brionne. Il avait reçu le baptême le lendemain de sa naissance. Il avait été élevé dans une famille très pieuse et rapidement, il s’était dirigé vers la prêtrise. Il avait vécu les chamboulements dus à la Révolution de 1789 et n’avait jamais voulu prêter serment à la République. Cela lui avait valu bien des désagréments et les privations qu’il avait subies pendant de nombreuses années, en raison de sa résistance, l’avaient affaibli physiquement, mais pas moralement. Il avait tenu bon et ce n’était pas à présent qu’il allait fléchir.

Afin de se calmer, la colère étant péché capital, le citoyen curé se rendit dans son église, s’agenouilla devant l’autel et se mit à prier. Mais, son recueillement ne l’apaisa pas, loin de là. Relevant la tête vers le crucifix, il lança :

« Qu’ils aillent au diable, tous ces mécréants, avec leurs lois et leur république ! »

Il fut alors terriblement surpris d’entendre : « Oh ! Monsieur le curé ! »
Etait-ce sa conscience ?

Se ravisant, il se retourna et aperçut, une vieille femme, toute petite, toute rabougrie, toute vêtue de noir, devant l’autel de la Vierge.

Tout penaud, Etienne Marin Maille[1] se releva, sourit à la pieuse femme, et sortit en courant du saint lieu.




[1] Fils de Charles Maille et Thérèse Goislin ou Gouellin, Etienne Marin Maille décéda à Louviers le 22 septembre 1809, soit six années après les évènements racontés dans cette nouvelle, rédigée à partir d’un courrier du maire de la ville, en date du 18 brumaire an XI.