dimanche 29 mars 2015

ANDANTINO, LE PETIT ESCARGOT - Chapitre 12



 
La soi-disant sorcière ballottait des cornes, ne sachant si elle devait se raconter à ces petits escargots-vagabonds, adorables certes, courageux à n’en pas douter, téméraires certainement pour avoir osé pénétrer dans son domaine.

« Pourquoi pas, se dit-elle tout bas."
Puis, haussant le ton :
« Mais avant, dites-moi ce que vous êtes venus faire ici ?"

Mis en confiance, nous nous étions rapprochés d’elle.
Sorcière, non assurément, elle ne l’était pas. Sa voix s’était adoucie  et elle n’avait plus, dans le regard, la dureté des premiers instants.

-          -   Bah ! commença Mégo, c’est à cause d’Andantino.
-         -  Ah ! fit la sorcière, et que s’est-il passé, Andantino, demanda-t-elle en tournant ses cornes dans ma direction.
-          -  J’ai voulu grimper très haut sur le mur….
-       -   C’est parce qu’il aime la musique, coupa Griotte qui arborait un joli rose framboise, comme pour m’excuser.
-       -   Ah ! fit la sorcière, et alors ?
-      -    Alors, y’a l’Ancêtre ! lança Mégo dont le naturel spontané avait repris le dessus.
-      -    L’Ancêtre ? interrogea la sorcière.
-     -     Bah oui ! C’est le vieil escargot qui veille sur la colonie, ai-je poursuivi.
-   -       Cascado !! murmura la sorcière avec un éclair de mélancolie dans le regard.
-     -     Cascado ? avons-nous interrogé en chœur.
-   -       Oui, poursuivit-elle, rêveuse, c’est le nom de celui que vous appelez « l’Ancêtre ».
-    -      Alors ? avons-nous ajouté dans un souffle.

Nous étions suspendus à ses paroles. Elle connaissait l’Ancêtre qui prenait, de ce fait, une toute autre importance à nos yeux. Il n’avait donc pas toujours été « l’Ancêtre ».

-       -   Oui, je l’ai bien connu. C’est un peu à cause de lui que je suis là à présent. ça s’est passé il y a très longtemps, mais ce n’est pas à moi de tout vous raconter.

Puis, s’adressant à moi plus particulièrement, elle ajouta :
-        -    Andantino, mon petit, je crois qu’il ne faut pas fuir. Retourne avec tes amis vers la colonie, elle est là ta place. Pense à ta maman, pense à tous ceux qui doivent être inquiets.

Elle fit une pause, puis :
-      -    Je pense que tu dois avoir une conversation avec Cascado, enfin « l’Ancêtre ». Vas le voir et dis-lui que tu m’as rencontrée. Dis-lui aussi que je ne regrette rien, même si j’ai dû fuir. Dis-lui, enfin, que je suis heureuse qu’il soit en vie.

S’adressant alors à nous trois, elle poursuivit :
-       -   Allez, mes enfants, bonne route ! N’ébruitez pas que je ne suis pas une sorcière. Je suis vieille, à présent, et j’ai fini par aimer ma solitude. Adieu !

Et elle disparut, très vite, bien trop vite pour une limace, dans les feuilles du fourré en lançant des «Hé! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! » d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre rauque et sarcastique. 
Ne devait-elle pas jouer le rôle de sorcière qu’on lui avait, bien malgré elle, attribué ?

A cet instant, le vent se leva et s’engouffra dans les feuillages. L’éclairage des lieux s’assombrit soudain. Une atmosphère lourde s’installa.
Elle disait pourtant ne pas être une sorcière !

Il ne nous restait rien d’autre à faire qu’à regagner la colonie.






jeudi 26 mars 2015

QUAND AVEZ-VOUS TAILLE UNE BAVETTE POUR LA DERNIERE FOIS ?



 
Tailler une bavette !
Rien à voir avec le commerce de boucherie.

Quoique, rien n’empêche de tailler une bavette avec son boucher, pendant que celui-ci, muni d’un grand couteau bien affûté, tranche un morceau dans la  bavette !

Cette locution familière remonte à 1690.

De baver «  user de la bave », « user de la salive » en discutions, en bavardages : « tailler une bavette », c’est discuter calmement de choses très anodines, comme de la pluie et du beau temps.

Le verbe « baver » qui veut dire :
Laisser couler de la bave comme les bébés lorsque leurs dents poussent et auxquels on met un bavoir, n’est pas une expression glorieuse lorsqu’il est employé dans « Baver sur quelqu’un ». La « bave » dans ce cas-là serait plutôt du venin !



Entre le milieu du XVème siècle et la fin du XVIIème siècle, une « baverie » était une causerie, un bavardage.
« Bavasser » était employé dans le sens de bavarder.
En Normandie du côté de Rouen, on « bavachait » !

On dit de celui qui bavarde d’une manière ininterrompue et hardie et « saoule » de paroles son entourage qu’il a du bagout.  Ce terme implique une petite idée de duperie pour ne pas dire d’escroquerie.

Mais que toutes ces considérations ne vous empêchent, nullement, de « tailler une petite bavette », en toute tranquillité, avec qui vous voulez.



Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » (Le Robert)
100 expressions à sauver de Bernard Pivot (Albin Michel)

mercredi 25 mars 2015

PRESUME AUX ARMEES




A qui pouvait-elle se confier ? Surtout depuis le décès de sa mère.
Qui lui avait prodigué amour et soutien ?
Il n’y en avait qu’une qui l’avait toujours accueillie, bras ouverts, sans reproche, sans jugement : sa tante, sœur cadette de sa mère, Catherine Félicité S.

Aussi, lorsque Marie Marianne M, épouse de Jacques Tranquille C eut la certitude que la vie poussait en elle, elle alla confier son malheur à celle qui saurait l’épauler.
Pourtant, à l’approche de la quarantaine, qu’avait-elle à redouter ? Une grossesse ? Quoi de plus naturel !
Pourtant, elle savait que cet enfant-là la ferait montrer du doigt et que les commérages fuseraient méchamment.
Elle les devinait déjà :

« C’est-i’ pas honteux !
-          Ah, pour sûr, il manqu’rait plus qu’ le mari r’vienne !
-          C’est l’ démon qu’elle a eu sous ses jupons, la Marianne !
-          Mais qui c’est son galant ? J’ savais point moi qu’elle en avait un !

Et chacune de ces langues de vipère ne manquerait pas d’épier tous ses faits et gestes, pour découvrir et raconter avec des détails inventés, bien entendu.

Pourtant, elle ne se sentait pas fautive. Loin de là.
N’avait-elle pas attendu ? Oh, que oui !
Des années et des années à espérer.
Des années et des années à pleurer à s’en user les yeux.
Des années et des années à attendre une lettre qui n’est jamais venue.
Des années et des années à guetter la moindre silhouette, au loin, sur le chemin.
Des années et des années à élever, seule, les deux petits nés de l’union avec ce mari qui, un matin, était parti aux armées. Oui, aux armées !

« Et puis, ‘l est point r’venu, pensa-telle, en passant une main sur son ventre.

Aucune nouvelle depuis onze ans ! Onze années !
Alors l’espoir avait beau être solide, il s’amenuisa peu à peu et elle avait bien été obligée de se faire une raison !

« C’est qui s’rait mort ! Autrement, i’ s’rait r’venu ! en avait conclu la pauvre Marie Marianne.

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Pourtant, la vie paraissait si belle en ce jour ensoleillé et plein de félicité de juillet 1810.
Les deux nouveaux mariés, Jacques Tranquille C, vingt-et-un ans et Marie Marianne M, dix-neuf ans, venaient d’échanger leurs anneaux et, autour d’eux, famille et amis leur souhaitaient le meilleur.
Tous deux ne pensaient qu’au bonheur d’être ensemble et leur amour donna, dix mois plus tard, naissance à un petit Jacques Tranquille Désiré que l’heureux papa alla fièrement déclarer à la maison commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon, lieu de leur domicile.

Quand Jacques Tranquille reçut sa feuille de route pour les armées, son épouse ne savait pas encore qu’elle était grosse. Lorsqu’elle l’apprit, elle fit des démarches afin que son mari soit renvoyé dans ses foyers.
Son argument : « J’ peux point, tout’ seul’. J’ai besoin de mon mari ! »

Des recherches furent entreprises par le Ministère des Armées Guerre. Dans un premier temps, elles se révélèrent vaines. Il fallait attendre, car, le soldat en question pouvait avoir été affecté dans une autre unité.

La mention « présumé aux armées » figurant sur l’acte de naissance du second enfant, Jean Baptiste Eugène[1], né à Louviers en 1819, prouvait que le père n’avait toujours pas reparu et cela ne faisait pas du tout l’affaire de la pauvre mère.
Bien sûr, son soldat de mari, était peut-être décédé, mais on lui avait expliqué que sans cadavre, pas de certitude. Sans certitude, pas de pension !

L’attente, toujours l’attente……. Rien d’autre !

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Marie Marianne fut fidèle pendant très longtemps. Elle aimait toujours « son homme ». Elle respectait trop le sacrement du mariage.
Oui, mais, la solitude lui pesait. Elle se disait avoir aussi le droit de vivre.
Alors, quand cet homme lui sourit, lui parla et surtout l’embrassa !

Elle prit conscience de ce que la vie l’avait privée depuis tout ce temps.
Les regards échangés, les rendez-vous amoureux, les visites coquines, la nuit, lorsque le hameau de Malassis[2] dormait.
Elle se sentait jeune, à nouveau, pleine de cette force permettant de tout affronter.

Bien sûr, le « qu’en-dira-t-on » obligeait que leur liaison restât secrète.

Tout cela, elle le conta à sa chère tante qui comprendrait ! Elle comprenait, en effet, silencieuse à l’écoute de cette confession.
« Que veux-tu ? conclut Marie Marianne à sa tante. J’ai résisté, bah ça oui ! Mais y’a des limites ! »

Cette phrase qui achevait le récit de Marie Marianne déclencha le fou rire de la tante qu’elle communiqua à la « coupable ». Ce qui dédramatisa tout à fait la situation.

« C’est point grave tout ça ! Mais y’a l’ petiot ! Et le père ?
-          Bah, c’est qu’on voudrait ben s’marier, mais, je l’suis toujours, moi, mariée, et pas qu’un peu. Sauf qu’il est où, l’ mari ! On l’a pas r’trouvé l’ Jacques Tranquille, alors pour l’armée, il est point mort !
-          Quelle affaire !


En plein mois d’août 1830, vit le jour, chez sa grand-tante Catherine Félicité, un garçon qui fut prénommé Paul Prosper[3]. Sa maman, étant toujours considérée comme la femme de Jacques Tranquille C, il fut noté sur l’acte de naissance du nouveau-né : « fils de Jacques Tranquille C, militaire présumé aux armées ».


A peine neuf ans plus tard, Marie Marianne Morel quittait ce monde, seulement âgée de quarante-neuf ans et cinq mois. Son acte de décès porte la mention de « veuve ». Etait-ce une complaisance de l’officier d’Etat civil, considérant que l’absent ne reviendrait plus et qu’il fallait remettre les choses dans l’ordre ?

« Présumé aux armées » figure pourtant encore, trois ans plus tard,  sur l’acte du second mariage de  Jacques Tranquille Désiré C, fils aîné de la fratrie, en 1833,

Jamais personne n’a su ce qu’il était advenu de Jacques Tranquille, parti un jour portant fusil au service de la Patrie, sans jamais en revenir. 
Est-il mort lors d’un combat sans avoir pu être identifié ?
A-t-il souffert, après blessure, d’une amnésie qui l’a isolé du monde ?

Tout est possible ! Ce qui est certain, c’est qu’à ce jour, il peut être, enfin, déclaré, « décédé » !






[1] Chose curieuse, aucune trace de Baptiste Eugène après sa naissance, ni sur Louviers, ni dans les alentours de Gaillon, ni sur Hennezis où vivaient ses grands-parents paternels, alors que les deux autres frères sont restés unis jusqu’a leur mort, apparaissant l’un et l’autre sur les différents actes d’était-civil.
[2] Hameau de Saint-Aubin-sur-Gaillon où vivait Marie Marianne.
[3]  Rien sur l’identité de « l’amoureux » de Marie Marianne, mais les prénoms choisis pour l’enfant peuvent laisser à penser qu’ils étaient ceux de son père biologique.