dimanche 28 juin 2015

UNE ALLERGIE PEU ORDINAIRE - Chapitre 3



Le lendemain matin, alors que le soleil pointait lentement ses rayons à l’horizon, le prestigieux magicien fit son apparition, muni d’un curieux paquet.
S’approchant du jeune lion qui éternuait encore et toujours, il projeta sa langue vers la tête du « petit allergique » avec une rapidité telle qu’il fallut au petit groupe, attentif pourtant, un certain temps pour comprendre l’opération entreprise.

En effet, à chaque fois que Khameyléonnus lançait sa langue, il arrachait un des poils de la crinière naissante. Au fur et à mesure de cette épilation, les éternuements s’apaisèrent jusqu’à cesser totalement, à l’extraction du dernier poil.

L’hyène n’en pouvait plus de rire, projetant son analyse très loin dans l’avenir :
« Un roi lion sans crinière, quel manque de dignité ! » hurlait-elle de rire.

« En effet, larmoyait la pauvre Maman lionne, mon fils n’aura jamais aucune autorité sans cet attribut majestueux.
-      Il faut choisir, rétorqua l’éléphant avec sagesse. Réfléchissez, un Roi Lion éternuant sans arrêt n’en aura pas plus !
-      Ca c’est bien vrai ! conclut l’hippopotame qui ne rêvait, en ce début de matinée, que d’un bon bain de boue tonifiant.



Ce fut alors que se produisit la chose la plus extraordinaire de mémoire de savane. Khameyléonnus sortit de l’étrange paquet qu’il avait momentanément déposé près du lionceau, une fourrure informe, couronne velue aux couleurs artificielles et qui brillait sous les premiers rayons du soleil. Il positionna cette couronne poilue, presque royale, autour de la tête du jeune lion.

« Oh ! firent-ils tous d’une seule voix, à l’exception de l’hyène qui, n’en pouvant plus de rire, au bord du malaise, suffoquait littéralement et du singe qui toujours accroché à la branche de l’arbre avait cessé tout balancement, l’œil allumé de malice en direction du postiche royal.

Le magicien, ayant mené à bien sa mission, disparut, on ne sait comment. Mais, n’était-il pas magicien ?

Le jeune lion, majestueux et empli de fierté, redressa la tête, la tourna à droite et à gauche, pour se faire admirer.

Maman lionne avait retrouvé son regard attendri devant la nouvelle apparence de son royal rejeton, pensant que cette solution était un moindre mal.

Tout à coup, lâchant la branche où il était suspendu, le singe atterrit souplement sur l’herbe, sauta sur le dos du jeune lion, s’empara de la royale toison qui posa légèrement de travers sur sa propre tête et s’enfuit à toute allure.

Tous interdits ne purent réagir. L’hyène, elle, se tenait les côtes et étouffait de rire. Cet état d’hilarité ne lui permit aucun commentaire. D’ailleurs, à quoi bon ? Les faits parlaient d’eux-mêmes.



La suite de l’histoire n’est pas parvenue jusqu’à nous, mais, supposons que le singe ne fut jamais retrouvé, supposons que la petite troupe revint à son point de départ reprenant ainsi le cours de la vie.

Le jeune lion régna-t-il dignement sur la savane, sans crinière ?

Çà, nous ne le saurons jamais !

mercredi 24 juin 2015

QUI PEUT-ON QUALIFIER DE "JOYEUX DRILLE" ?



 Le mot « drille » dont les origines restent quelque peu obscures, apparaît en 1628 dans l'argot militaire.
Il se rattache peut-être à l’ancien français « drille » (chiffon, guenille) ou « soudrille » (soudard).
Ce qui fait penser, tout de même,  à un soldat vêtu de guenilles.

Ce mot désigna, depuis son origine jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, un soldat vagabond, un soudard pillant sur son chemin pour se nourrir.
Un triste individu !

Aimant la bonne chair et le vin, aimant faire la fête entre camarades, peu à peu, le côté négatif du personnage s’atténua.

Il devint  "bon drille" (1680) avant de prendre le qualificatif de « joyeux », avec malgré tout une nuance de  libertinage et de débauche qui disparut avec le temps.

Aujourd’hui, « Joyeux drille » désigne une personne aimant faire la fête et s’amuser. On le désigne aussi par l’expression de  « joyeux luron ». 



Voilà quelques expressions dans lesquelles on retrouve le nom « drille » qui ne sont plus employées de nos jours :
  • Un bon drille est un bon compagnon, un homme jovial.
  • Un pauvre drille est un pauvre diable, un pauvre malheureux.
  • Un vieux drille se dit d’un vieux libertin, et quelquefois d’un homme vieux et rusé.


  Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mardi 23 juin 2015

EN FEUILLETANT LA GAZETTE - JOURNAL DE ROUEN - 17 JUIN 1789



Journal de Rouen -  17 juin 1789


Vous souhaitez exploiter une belle ferme ?
L’offre qui suit est pour vous !

En effet, en page 6,  une annonce fait état « qu’une belle ferme, sur l’Ile de la Croix, face à la porte Guillaume-Lion, en la paroisse de Saint-Maclou est à louer pour la Saint-Jean 1790 »

Bien évidemment, c’est un peu tard !
Que reste-t-il de cette exploitation « composée d’herbage, d’oseraie et de fruits de différentes espèces » qualifiée de « très facile »  qui contenait «des bâtiments, magasin et pressoir en bon état ».

Une petite précision toutefois et pas la moindre, « le fermier sortant, le sieur Gautier, laissera à son successeur, la récolte des foins et des fruits ».

Vous êtes intéressés ? Un seul nom, une seule adresse :
M. Brémontier, négociant, rue Sénécaux.


La rue Sénécaux se trouvait non loin de la rue des Bons enfants et de la rue de la Renelle-des-Maroquiniers, rues qui ont disparu lors de la construction de la rue Jeanne d’Arc, percée en 1860 et inaugurée en 1862 et qui a cette époque se nommait « rue de l’impératrice ».

En ce qui concerne cette ferme, elle se situait à la pointe de l’île en aval de la Seine, face à elle, sur la berge rive droite, quai de Paris, on pouvait voir la « Porte Guillaume-Lion ». Cette porte Guillaume-Lion construite en 1454 a pris le nom d’une ancienne tour construite par une « Guillaume Lyon » dont nous ne savons rien. Reconstruite, telle qu’on peut le voir actuellement, au XVIIIème siècle, elle est le dernier vestige des remparts de Rouen donnant sur le port. Elle a été légèrement déplacée en 1948-1950 au moment de la surélévation des quais.

Non loin de cette porte se trouvait la chapelle des Augustins datant du XIVème siècle. Détruite pendant l’incendie de Rouen (9 juin 1940). La fontaine adossée à cette chapelle fut remontée en 1955. On peut encore la voir dans le square proche de la porte Guillaume Lion.



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Avez-vous aperçu, par hasard, « un chien de chasse chocolat et blanc avec une queue longue, portant un colier de cuir fermant à cadenas », avec cette précision : «J’appartiens à M. le Marquis de Vienne à Pont-de-l’Arche en Normandie ou à l’Hôtel de la première Présidence à Rouen ».

Ce chien a été perdu le 12 juin vers 6 heures du soir.

Une récompense est promise à la bonne âme qui rapportera l’animal à son maître éploré.
Un bon chien de chasse est irremplaçable !

L’Hôtel de la Première Présidence de Rouen  fut construit de 1717 à 1721 par l’architecte Martinet, il accueillit les bureaux de la mairie de janvier 1791 à mai 1800. Devenu ensuite l’hôtel des Sociétés Savantes, il fut détruit le 25 août 1944. Il ne subsiste aujourd’hui de cet hôtel que  le portail rue Saint-Lô, qui donne accès à la terrasse de l’espace du Palais.

Qui était le Marquis de Vienne ? Pour le moment, uniquement le maître d’un chien de chasse. Possédant peu d’éléments, je ne pus rien découvrir sur lui.
 A-t-il retrouvé son chien ? Rien ne l’affirme !!!


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Dépêchez-vous ! Nous venons d’apprendre qu’un assortiment de plumes d’autruches « rondes, plates, panaches et foletes » venait d’arriver.
Il est donc  possible, dés à présent de s’approvisionner « chez M Maille, rue des carmes ».


Les chapeaux à large bord, étaient emplumés, mais, les plumes d’autruche servaient aussi à orner les éventails des femmes. Elles provenaient d’Afrique.

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Vous aimez les voyages, mais n’avez pas un budget important ?
Cette offre est pour vous :

« On offre une place dans une chaise de poste pour aller, à frais communs, à Paris du 18 au 20 ou 21 juin ».

Intéressé ? Alors contactez vite : « M. Le Noir des Perrières, chez Blin, au Petit-Pelican – rue Malpalu ».

Le co-voiturage n’est donc nullement une invention moderne. La preuve ? Cette annonce confirme bien qu’il existait déjà en 1789 et peut-être même avant…..

La rue Malpalu existe toujours. Vous la trouverez dans le quartier de l’église Saint-Maclou. Presque parallèle à la rue de la République, elle débouche sur le rue Alsace-Lorraine.

Quant au « Petit-Pélican », gageons qu’il s’agit d’un relais de poste ou d’une auberge.

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Se faire tirer le portait prend quelques secondes avec un bon appareil photo ou un téléphone portable.
En 1789, cela prenait une minute à l’ombre pour le premier trait, puis un quart d’heure pour finir le portait.

Cela vous tente ?

Alors, l’article précise à toute personne intéressée que : « Le sieur Gonord, le Jeune, peintre en miniature, restera encore en cette ville, quelques semaines selon le désir des personnes qui lui ont fait l’honneur de venir chez lui. »

Il ne s’agit, bien sûr, que de miniatures peintes sur « différents supports, boite, médaillon, souvenir, bague ou autres bijoux et de profil ».
Il vous en coûtera de douze à quinze livres.

Ce peintre très réputé exerce à son domicile, au « 94 rue des Carmes, au premier sur la rue. Un cadre, contenant plusieurs petits portraits, indique sa demeure ».

François Gonord, un des premiers silhouettiste professionnels et peintre de miniature, naquit en 1756 à Saint-Germain-la Campagne.
Fils de Pierre Gonord, graveur, il vint à Rouen pour y suivre des cours de dessin. Il eut pour professeur Jean-Baptiste Descamps. Ayant acquis rapidement une bonne réputation dans cette ville où il exerça son art, il vint s’installer à Paris.
Il trouva un procédé pour imprimer sur porcelaine ce qui lui permit de travailler pour la manufacture de Sèvres.
Il décéda à Paris en 1822.

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Sources :
·         Journal de Rouen
·         Dictionnaire des rues de Rouen (Pierre Périaux)
·         Base Mérimée
·         Archives

dimanche 21 juin 2015

UNE ALLERGIE PEU ORDINAIRE - Chapitre 2



Le soleil, au zénith, inondait la savane, mais malgré la chaleur écrasante, on put observer,  en ce début d’après-midi, un curieux cortège.

Maman lionne, à côté de l’éléphant, ouvrait la marche. Sur le dos de l’éléphant, le petit lion qui pour ne pas tomber à chaque éternuement se cramponnait désespérément aux larges oreilles du pachyderme.
L’hippopotame, derrière, traînait les pattes. Par solidarité, il avait accepté d’accompagner la petite troupe, ayant renoncé du même coup à son bain de boue rafraîchissant.

Quelques mètres en arrière, suivait l’hyène qui souhaitait à tout prix  connaître la tournure des évènements, surtout si ceux-ci tournaient mal. Elle ricanait sous cape en pensant :
« Un lion allergique !! Un Khameyléonnus invisible. Avec cela, on est bien parti, mais pas réellement arrivé ! »

Le singe agile sautait de l’un à l’autre à l’affût de quelque farce ou chapardage.


Ils arrivèrent tous dans un endroit ombragé, près d’un point d’eau. Non loin de là, un village peuplé d’humains sommeillait.

Maman lion, bébé lion toujours éternuant, l’éléphant, l’hippopotame prirent un peu de repos et se désaltérèrent.
L’hyène, malgré la soif, n’osait approcher. La proximité du village la rendait nerveuse et de ce fait, elle ricanait un peu moins fort.
Le singe agile sautait de l’un à l’autre à l’affût de quelque farce ou chapardage, tout en s’abreuvant malgré tout. Le chemin avait été bien long.

Le lieu semblait désert. Aucun signe de vie, que ce soit dans l’eau, sur le sol parsemé d’herbe ou sur les branches des arbres feuillus.

Dans la fraîcheur ombragée, tous prirent un repos bien mérité.
L’éléphant ne ventilait plus son entourage
Maman lionne, allongée, avait pris entre ses pattes son petit larmoyant, exténué à force d’éternuer
L’hippopotame regrettait amèrement son point d’eau et ses merveilleux bains de boue
Le singe accroché par un bras à une branche, se balançait mollement, surveillant du coin de l’œil ses compagnons de route, toujours à l’affût de quelque farce ou chapardage.
L’hyène ricanait en douce de les voir tous, là, au milieu de nulle part, pas plus avancés qu’au début de l’aventure :
« Et tout ça pour des éternuements ! » marmonnait-elle sournoisement.
Eternuements d’ailleurs que ne cessaient pas.
« Cela fait un bruit de fond, continuait-elle à mi-voix, pas très varié. Il pourrait moduler. Il manque vraiment d’imagination ! »


Maman lionne fut la première à poser la question qu’aucun ne voulait formuler :
« Et maintenant, que faisons-nous ?
-      Oui, renchérit l’hippopotame. C’était bien la peine de faire autant de kilomètres, sous un soleil de plomb.
-      C’est bien ce que je disais, ajouta sarcastique la hyène. On fait quoi maintenant ?
-      Il faut attendre, répondit l’éléphant.
-      Attendre quoi ? poursuivit l’hippopotame qui, en plus d’une folle envie d’un bain de boue, commençait à avoir faim.
-      Attendre que Khameyléonnus se manifeste.

L’hyène poussa un rire énorme : « Il faudrait d’abord qu’il sache qu’on est là ! On peut attendre longtemps ! »
-      Il s’agit d’un magicien, rétorqua l’éléphant, un tantinet vexé par la remarque de l’hyène.
-      Il va falloir une forte dose de magie pour faire apparaître le magicien ! ironisa de plus bel l’hyène.
-      Que faire alors si il ne se manifeste pas ? demanda Maman lionne angoissée.



A ce moment, sortant de dessous les feuilles, apparut un être tout à fait spécial.
Lentement, très lentement, il s’approcha de la petite troupe qui, estomaquée, restait sans voix.
Khameyléonnus était devant eux et, à n’en pas douter, il était bel et bien magicien, car il prenait la couleur du lieu où il se trouvait. De plus, il pouvait observer aussi bien devant, derrière que sur les côtés,  en raison de ses yeux complètement indépendants. Cet état oculaire les impressionna tous, sauf l’hyène qui pouffait à s’étouffer.

« Vous avez vu ses yeux ! Que c’est drôle ! Attention, je crois plutôt que ce magicien a le mauvais œil ! »


Khameyléonnus s’approcha silencieux, imperturbable, du petit lion qui lui éternua dans le nez. Il l’examina attentivement, lui grimpant sur le dos où il prit la couleur du poil, redescendant sur l’herbe dont il adopta le vert tendre, se raclant la gorge en émettant un son grave et indéfinissable.
Puis, sans autre commentaire, il regrimpa dans l’arbre arborant successivement la couleur du tronc et celle des feuilles et, ffrrrtt, disparut.

La nuit tomba alors sur la savane.
Sans un mot chacun s’assoupit, mais aucun ne put dormir, pas seulement en raison des éternuements incessants du petit lion, mais aussi à cause des ronflements sonores de l’hippopotame.

A quelques pas de là, l’hyène continuait d’ironiser :
« Tu parles d’un magicien ! Il est efficace en effet ! »

Le singe, lui, attendait la suite, toujours accroché à la branche, se balançant mollement, et même dans son demi-sommeil, toujours à l’affût de quelque farce ou chapardage.