mercredi 27 décembre 2017

Mise en nourrice




Marie Thérèse Dumont était venue voir sa petite Marie Adélaïde.
Habitant Paris, au 286 rue Saint-Honoré, elle avait choisi de mettre son enfant en nourrice, à la campagne.
Le grand air ne pouvait que lui faire du bien.

Le nourrisson avait donc été confié à Eléonore Duvivier, habitant Saint-Aubin-d’Ecrosville. Nourrice que lui avait fortement recommandée par une agence de placement.

Lorsque Marie Thérèse Dumont arriva aux abords de la petite chaumière, son estomac se serra. La cour n’avait rien d’accueillant.
Bien sûr, en cette fin février, maussade et frisquette, le paysage n’était pas des plus rayonnants, mais tout de même !
Elle frappa à la porte. De l’intérieur lui provenaient des cris et pleurs d’enfants.
Etait-ce sa petite qu’elle entendait ?

Le rideau de la fenêtre sur le devant de la maison se souleva, puis quelque temps après, la porte s’ouvrit.
«  c’est pourquoi ? demanda une femme dans l’entrebâillement de la porte.
-          Je souhaiterais voir ma fille, la petite Marie Adélaïde.
-          Oui, mais c’est qu’ j’ai pas encore fait la toilette des enfants ! grogna la femme.
-          Je pourrais peut-être entrer ? demanda timidement Marie Thérèse Dumont. C’est qu’il ne fait pas très chaud.
-          Ça pour sûr ! C’est point la grande chaleur !

La femme Duvivier ouvrit, de mauvaise grâce, plus largement la porte et laissa entrer la visiteuse.
Dans la grande pièce commune, régnait une forte odeur d’urine et de vomi qui prenait à la gorge, ainsi qu’un désordre inqualifiable.
Plusieurs enfants dans des berceaux ou assis dans des parcs à même le sol de terre battue.

Après s’être adaptée à la pénombre de la pièce, la maman chercha des yeux sa fille. Elle la découvrit à l’écart dans le fond de la pièce, couchée dans un berceau. Le nourrisson somnolait, un pouce dans la bouche. Son visage blême, aux petits yeux cernés de noir, alerta la jeune femme. Prenant son enfant dans les bras, elle constata que ses langes étaient souillés.

«  Vous ne la changez jamais ! s’exclama-t-elle, indignée.
-          C’est qu’elle vient de refaire ! j’ peux point êt’ partout.
-          Elle n’a pas l’air d’être bien. Quand lui avez-vous donné à manger ?

La femme Duvivier parut embarrassée. Elle répliqua alors :
« Est-ce que j’ sais, moi ! Vous croyez qu’ j’ai ça à faire, d’ m’occuper d’un seul ! Avec tous ces marmots, c’est qu’il y a d’ l’ouvrage !

Furieuse, la dame Dumont enveloppa sa fille dans une couverture à la propreté douteuse et l’emporta, illico presto, à la maison commune, afin de faire constater l’état dans lequel se trouvait sa petite.

L’adjoint qui la reçut convint sans peine après examen que l’enfant d’une apparence chétive et souffreteuse, était dans une grande malpropreté. De plus, la petite Marie Adélaïde  avait des ulcères sur les fesses. Ce qui prouvait qu’elle restait très longtemps à macérer dans ses déjections.

«  A voir l’état de cet enfant, il est évident qu’elle ne reçoit pas les soins nécessaires. Pauvre petite ! déclara le maire.
-          Vous comprenez que je ne peux pas confier à nouveau mon bébé à cette femme. Elle n’est pas digne de confiance.
-          Je vais établir un procès verbal, constatant les faits et l’incapacité de la femme Duvivier à s’occuper d’enfants.
-          Je ne peux laisser l’enfant entre les mains de cette nourrice, se lamenta la mère. Pouvez-vous  me conseiller quelqu’un qui pourrait prendre réellement soin de Marie Adélaïde ?
-          Il y a bien la Marie Suzanne. Une brave femme. Chez elle, votre fillette sera bien.

Voilà comment la petite Marie Adélaïde arriva dans le foyer du couple Dubos. Marie Suzanne Echard étant l’épouse de Louis François Dubos.


Les autorités de Saint-Aubin-d’Ecrosville se rendirent chez Eléonore Duvivier, afin de reprendre la layette du nourrisson et lui signifier que tous les petits dont elle avait la charge lui seraient repris.
Le maire essaya de comprendre pourquoi cette femme ne s’occupait pas mieux des petits.

« Vous savez combien j’en ai à moi des marmots, sans compter les autres ? Hein ? Et ça vous crie dans les oreilles à longueur de temps. Nuit et jour !
-          Mais, Eléonore, répondit le maire, vous le saviez que les enfants crient et pleurent.  Alors, pourquoi en prenez-vous autant en nourrice ?
-          Faut ben vivre ! Surtout qu’on est payé une misère, en plus ! ça, j’ vous dis !
-          Et la petite, pourquoi ne vous lui donniez pas les soins nécessaires ?
-          Ah, celle-là ! C’est la seule qui criait point, alors j’ pensais qu’elle avait besoin de ren !


-=-=-=-=-=-=-

Un enfant tous les deux ans venait au monde dans la quasi-totalité des foyers.
Lorsque les femmes avaient beaucoup de lait, elle allaitait un autre enfant avec le sien. Frères ou sœurs de lait, un lien qui unissait les bébés souvent très fortement, tout au long de leur vie, malgré souvent la différence de classe sociale.

Lorsqu’une maman perdait son enfant, alors qu’il était encore au sein, cette femme prenait un bébé en nourrice. Cela lui procurait un petit revenu et peut-être aussi, compensé la perte de son petit, surtout s’il était l’aîné.

Une « nourrice au sein » était payée plus cher qu’une « nourrice au biberon ».

Le lait des biberons !
Parlons-en !
Pour faire des économies, il était coupé avec de l’eau.... l’eau du puits.... l’eau de la mare......
Hé oui ! Un enfant fort et bien membré résistait aux bactéries.
Les autres mourraient.....
Toutes les nourrices n’étaient pas comme Eléonore, heureusement, mais il ne faut pas se voiler la face, il y en avait...... ça, pour sûr !

La mortalité infantile était très importante.
Voilà pourquoi, avant le XXème siècle, on ne s’attachait pas trop aux petits.

A la fin du XIXème siècle, les médecins s’inquiétèrent de la mortalité infantile trop importante due, en particulier, à la nutrition des bébés.
Aussi, afin que le lait ne soit plus « coupé », ni souillé de bactéries, des organisations nommées « Goutte de lait » furent créées dans les communes à partir de 1894.
Leur but était de distribuer, gratuitement, des biberons contenant du lait stérilisé aux mamans n’allaitant pas leur nourrisson.
Une évolution importante, prenant en compte la maternité, les femmes et  les nourrissons, qui se poursuivit tout au long de la première partie du XXème siècle.


Saint-Aubin-d’Ecrosville, janvier 1843.
Procès verbal contre ce que l’on
nommerait, aujourd’hui, « maltraitance ».




mardi 26 décembre 2017

LE PETIT RAMONEUR



Jacques, âgé de  dix ans, gardait les chèvres toute la journée. Sa besogne n’était pas aisée, car il devait partir de bon matin, juste après la traite,  puis mener paître le petit troupeau de cinq bêtes dans des herbages près du ruisseau où il devait redoubler de vigilance afin qu’aucune ne s’éloigne. En fin d’après-midi, les chèvres repues d’herbe tendre, les mamelles lourdes, il les ramenait à la bergerie pour la traite du soir.
Et ceci, sept jours par semaine.
Il avait pour le seconder, Gardien, un bon chien de berger, aide précieuse lorsque le jeune garçon s’assoupissait en début d’après-midi ou lorsqu’il coupait quelque roseau pour en faire un flûtiau.
Il aimait cette vie au grand air et ne demandait rien d’autre. 

A la maison, sa mère confectionnait des fromages qu’elle vendait au marché de la ville et son père, en plus de quelques tâches journalières dans diverses fermes des environs, cultivait un lopin de mauvaise terre qui donnait de quoi vivre chichement.

Une vie rude, mais dans son foyer, il faisait bon vivre car, il se sentait protégé par ses parents.

Cette année-là, après un hiver glacial et fort long, retardant les labours et les semailles, des pluies diluviennes recouvrirent les champs. Les moissons dans toute la contrée ne permirent pas, à la plupart des fermiers, de payer taxes et impôts et encore moins de se nourrir.
Les herbages détrempés  ne purent fournir l’herbe nécessaire aux chèvres qui donnèrent moins de lait.
L’humidité pénétrait tout, les chaumières, les dépendances, les réserves, et même le cœur des hommes.
Le regard de la maman de Jacques était teinté d’inquiétudes. Quant à son papa, il marchait le dos voûté malgré son jeune âge comme s’il portait une charge invisible trop lourde pour lui.
Dans la cheminée, les bûches qui ne pouvaient sécher craquaient moins joyeusement,  respectant ainsi l’ambiance chagrine et quand le jeune garçon allait au lit, le froid des draps moites l’angoissait. Pourtant, ses parents se faisaient rassurants, mais leur pâle sourire, leurs joues creuses et leur regard cerné confirmaient une situation tragique.
Ce soir-là de début d’automne, alors que la pénombre avait envahi pâtures et chemins, Jacques revenait vers la masure paternelle, menant ses cinq chèvres. A quelques mètres de la bâtisse, la fenêtre faiblement éclairée le rassura et il pressa le pas impatient de retrouver les siens.
Après avoir barré la porte de la bergerie, non sans avoir auparavant  remis un peu de foin frais sur le sol de terre battue, il courut vers la porte du logis et l’ouvrit en hâte. 

Son étonnement fut immense de découvrir attablé devant son père, un homme aux cheveux gris et hirsutes et au visage antipathique.
Sa mère, elle, ne se retourna pas, à son arrivée, comme à l’accoutumée ; elle restait figée face à la cheminée.
« Voilà Jacques, mon fils », fit le père d’une voix presque inaudible.
L’étranger dévisagea le petit berger.
« Pas bien costaud, marmonna-t-il. Enfin, il vaut mieux qu’il soit maigrichon. »
Après cette réflexion, il se leva et se tournant vers le pauvre père lança en lui tendant la main :
« Tope là, c’est entendu ! Je lui ferai son apprentissage. »
Il fouilla dans sa poche et en sortit quelques pièces qu’il posa sur la table.
« Voilà ce qui est convenu. Je le nourris, je le loge, je lui apprends un métier. Il aura le droit de garder les piécettes qu’il recevra dans les grandes maisons. J’entame avec lui ma tournée et l’an prochain,  au début de l’été, je repasserai et vous donnerai la même somme. Le gamin pourra rester quelques jours avec vous, pour les moissons. Cela vous donnera deux bras de plus. »

Les jambes de Jacques se mirent à trembler. Il venait de comprendre qu’il était l’objet de ce marché. Ses parents venaient de le vendre à cet horrible bonhomme qui aurait main sur son avenir. Lui apprendre un métier ? Quel métier ?  N’était-il pas bien ici ?
Sa gorge se noua. Ses yeux le piquèrent. Quelques grosses  larmes roulèrent sur ses joues. Il se sentait trahi.
Son père, la tête baissée, semblait atterré.
Cherchant secours, il regarda sa mère qui toujours de dos, était secouée de sanglots.
Soudain, elle se retourna, le visage inondé de larmes. C’était le signe que l’enfant attendait. Elle allait le défendre, empêcher cet homme de l’emmener.
Jacques s’élança vers elle, mais une main ferme l’attrapa par l’épaule, l’arrêtant net dans son élan.
« Allons jeune homme, une affaire conclue est une affaire conclue ! »

Sans autre commentaire, il l’entraîna dehors sur le chemin allant au village et la nuit se referma sur eux, glaciale.

......... à suivre.......

vendredi 22 décembre 2017

Vous est-il arrivé de prendre une bûche à Noël ?




La bûche !
« Buska », au XIème siècle, désignait le bois de chauffage.
Puis, vers 1130, on retrouva ce mot orthographié « busche », et encore plus tard, en 1459 « buche ».
Enfin, ce mot se coiffa d’un accent circonflexe, en 1669, et prit ainsi sa forme définitive, encore utilisée aujourd’hui, « bûche ».

Toutefois, quelle que soit son orthographe, ce mot ne désignait que du petit-bois de chauffage, de différentes grosseurs.

Ce ne fut qu’au début du XVIIIème siècle, que l’on attribua le mot à un gros morceau de bois que l’on mettait dans la cheminée lors de la veillée de Noël.

Une pâtisserie, du même nom et de la même forme, arriva dans les assiettes en 1920.
Gâteau de Savoie enrobée de crème pâtissière de différents parfums, souvent agrémenté, sur  le dessus, d’un petit champignon en sucre et d’un petit lutin. Reproduction fidèle d’un lutin du Père Noël.


Mais cela ne s’arrête pas là.....

Le mot « Bûche », en 1640, qualifiait une personne à l’esprit lourd, d’où l’expression peu flatteuse de : «  Il ne se remue pas plus qu’une bûche ».

« Ramasser une bûche » ne veut nullement dire, ramasser un gros morceau de bois. Non !
Cela veut dire « être étalé par terre » et se retrouver, ainsi sur le sol, comme une bûche.
En fait, la même expression que « se ramasser une gamelle » !
Tomber, quoi !!
« Ramasser une bûche » se dit depuis 1895. Qui l’eut cru !
J’aurais pourtant mis ma main au feu (avec la bûche) que cette expression était bien plus récente.

Je termine là mon petit exposé sur ce mot, mot sur lequel nous reviendrons d’ailleurs pour l’étudier plus amplement, en vous souhaitant de bonnes fêtes de fin d’année.

-=-=-=-=-=-

En vous racontant l’histoire de « la bûche », je ne pouvais m’empêcher de penser aux veillées de Noël des siècles passés  où l’on se réunissait en famille ou entre voisins autour de l’âtre,  source de chaleur et de lumière.

Moment convivial où les anciens contaient des légendes parlant du diable, du loup-garou et de revenants, enflant les moments dramatiques pour le seul plaisir de faire frémir de peur les enfants présents et au cours duquel les chants étaient très présents.
On partageait alors, châtaignes grillées ou noix, ainsi que  quelques  pâtisseries cuisinées à cet effet. Chacun apportait quelque chose selon ses moyens, le principal résidant dans le partage.

La nuit était longue, très longue ! Le bois était cher, très cher !

Alors chacun apportait une bûche afin d’alimenter le feu jusqu’au petit matin.

Joyeux Noël à vous tous   !
  


mercredi 20 décembre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - Menaces à Saint-Aubin !



En ce 29 novembre 1842, Aimable Gibert, après avoir pris une collation, afin de tenir jusqu’au soir, était à cultiver une pièce de terre à Ecauville, au triège du Moulin de Cêne.
Son souffle, sous l’effort, lançait des nuages de vapeur blanche, dans le froid de ce tout début d’après-midi.
Bientôt décembre !
Il s’activait Aimable Gibert. La nuit tomberait tôt, et il fallait avancer l’ouvrage.
Sur le chemin, à l’horizon, une silhouette se dessina. Elle s’avançait vers lui. Tout en poursuivant le travail, il l’observait, afin de savoir qui cela pouvait bien être. Lorsque la forme sombre fut plus proche, Aimable Gilbert reconnut la démarche de Pierre Henri Lefebvre qui, marchant d’un bon pas, portant un louchet dont le manche reposait sur son épaule, se dirigeait vers lui. A quelques pas de Gibert, l’homme stoppa, posa son louchet tête sur le sol et s’appuya sur le manche.
Après un moment de silence, il demanda :
« Vous v’là à labourer, maît’ Aimable !
-          Oui, répondit le laboureur.
-          ça s’ laboure bien ? questionna le visiteur.

Gibert poursuivait son labeur. Ce qui lui importait, c’était de finir son champ avant la tombée de la nuit. Alors pas de temps à perdre, et surtout en bavachant.
Lefebvre, lui regardait l’étendue de la parcelle, évaluant le bien et mesurant le travail effectué. Puis, il reprit, d’un ton légèrement agressif :
« Vous êtes pas v’nu, dimanche, à notre opération d’ plantage de bornes.
-          J’y avais pas besoin.
-          T’es pas v’nu ! ça m’ suffit. T’es une  canaille !

Le ton de Lefebvre avait encore monté d’un ton, tout comme le louchet qui, à présent, se dressait devant la poitrine de Gibert. Désignant l’outil, Lefebvre hurla :
« Faut que j’ te l’ passe dans l’ ventre ! ».                

Ne perdant pas son calme, malgré l’agressivité de l’homme face à lui, Aimable Gibert répondit :
«  T’oserais point, car quoi que tu as une bêche, t’es pas assez hardi ! »

N’était-ce pas une provocation ?
Comment allait réagir l’agresseur dont on venait de mettre en doute le courage ?
Peut-être pas hardi, Pierre André Lefebvre, mais pas bête !
Il voulait bien insulter, agresser, mais surtout sans témoin. Aussi, jeta-t-il un regard vers le moulin à vent qui se situait à deux cent cinquante mètres à l’ouest de l’endroit où les deux hommes se trouvaient. Il y aperçut le meunier, Pierre Auguste Broc, ainsi que sa femme, Madeleine Désirée, qui, dans leur jardin, observaient par-dessus la haie, dans leur direction.
Et puis, non loin de là, vers le sud, Delaunay, le charretier de Pierre Ambroise Dumontier s’activait au labourage du champ de son maître.
Lefebvre abaissa son louchet. Il venait de se raviser. Menaçant, il lança :
« Y’ a trop d’yeux qui nous r’gardent, car je te fendrais la tête !

Puis, il ajouta, ne voulant pas en rester là, sur ce qu’il ressentait comme une défaite :
« T’es un escroqueur comm’ Auzoux, ton maire. Tu vis que d’escroqueries. Tous les deux. Tu mérit’rais être brûlé. 
-          Laisse Auzoux, il est point là pour répondre, rétorqua Gibert, avec sagesse. I’ s’occupe pas d’ gens comme toi ! Et j’en ai point envie non plus ! »

Cette phrase achevée, Aimable Gibert se remit vaillamment au travail, sans prêter attention à Lefebvre qui le suivit, pas à pas, jusqu’à l’extrémité de la pièce de terre, en continuant de l’abreuver de menaces.

Il aurait aimé voir « maître Aimable », comme il l’avait appelé, sortir de ses gonds, se jeter sur lui et le frapper le premier. Il aurait eu alors, lui Lefebvre, la possibilité de l’estourbir. Plaidant ainsi la légitime défense.
Mais, Gibert resta de marbre.
Lefebvre, voyant que ses efforts n’auraient aucun effet, tourna les talons et quitta les lieux, mais pas sans proférer une dernière menace :
« J’ te brûl’rai la cervelle ! Va ! Escroc ! »

Après sa journée de travail, en ce 29 novembre 1842, vers les cinq heures du soir, alors que le soleil s’enfonçait à l’horizon et que du sol s’élevait une légère brume, aimable Gibert se rendit à la mairie de Saint-Aubin-d’Ecrosville où il relata les faits ci-dessus exposés, les certifiant conformes à la réalité, au sieur Jean Baptiste  Dubos, adjoint au maire de la commune.


Les différends dans les villages étaient nombreux. On ne pouvait toujours avoir les mêmes idées, les divergences d’opinion politiques, notamment, échauffaient fortement les esprits.
Pas facile, non plus, de contenter tout le monde, et quand quelqu’un se sentait lésé, « ça tournait vinaigre », et comme chacun le sait, trop de vinaigre, c’est mauvais pour l’estomac !
Et, un mal d’estomac, c’est tenace !

Mais concernant cette affaire, je suis certaine qu’elle avait un rapport avec un bornage qui ne fut pas du tout à l’avantage de Pierre Henri Lefebvre ;
Et pourquoi me direz-vous ?
Parce que, peut-être, le sieur Lefebvre avait dû redonner un bout de terrain.

Avec le temps, intentionnellement ou non, les cultivateurs rognaient sur des espaces communaux ou des sentiers qui, peu à peu, disparaissaient. Ces sentes ou terrains devenaient cultures au profit du cultivateur.
Cela fit à coup sûr des mécontents qui, pour la plupart, avaient hérité des champs et les avaient toujours connus  ainsi. Pour eux, ce n’était pas juste. La commune les volait !
La terre ! Un bien inestimable que l’on défendait avec acharnement !


Comment procédait-on au bornage ?
Se référant à d’anciens plans de leur commune, les maires durent effectuer, dans la décennie 1835-1845, le relevé des routes et chemins vicinaux.
Si les tracés étaient différends, il fallait en connaitre la raison. Le maire faisait alors appel à la mémoire des anciens.
Si il y avait contestation. Par exemple une route qui s’avérait plus courte ou moins large par rapport aux anciens plans, les témoignages apportés étaient capitaux.

Sur convocation de la mairie, tous les habitants du quartier ou du hameau incriminé étaient conviés sur le lieu devant faire l’objet du bornage, afin de témoigner sur ce qu’ils avaient connu. Si tous étaient d’accord, il était placé des bornes à des distances notées avec précision, délimitant le nouvel espace. Ces modifications, envoyées en Préfecture, étaient alors arrêtées et enregistrées.


Que prenait-on pour marquer les emplacements ?
Les bornes étaient, tout simplement, un gros caillou, un morceau de faïence, enfouis dans le sol. Rien de plus.



Saint-Aubin-d’Escroville, dans les registres.
Ne soyez pas offusqués......
les injures étaient, et sont toujours, très courantes.
On portait plainte,

uniquement au cas où « ça tournerait vinaigre » !

lundi 18 décembre 2017

Boule-de-Neige



Boule-de-Neige est né au printemps, alors que les jonquilles fleurissaient dans les jardins, que les arbres laissaient éclater leurs bourgeons, que les chenilles se transformaient en papillons, que la nature s’éveillait après son sommeil hivernal.

Boule-de-Neige avait un petit nez rose qu’il faisait bouger sans cesse.
Boule-de-Neige avait deux grands yeux étonnés, ouverts avec curiosité sur le vaste monde.
Boule-de-Neige avait de grandes oreilles, dressées sur le dessus de sa tête.
Boule-de-Neige avait deux longues dents, juste sur le devant, qui lui servaient à grignoter
Mais surtout, Boule-de-Neige avec une petite queue, toute ronde et d’un blanc éclatant……


Boule-de-Neige se demandait d’où lui venait son nom.
Il avait entendu dire que c’était en raison, justement, de sa petite queue.
Alors, il lui arrivait fréquemment de regarder sa petite queue, en se posant cette question :
« Pourquoi, Boule-de-Neige ? »

Alors réfléchissant à s’en faire mal à la tête, Boule-de-Neige pensa :
« Boule ! Je sais parce que ma queue est toute ronde comme les aigrettes du pissenlit que l’on fait s’envoler en soufflant dessus ! »

Mais quand il pensait au mot neige, il ne comprenait pas.
Il ne comprenait d’autant moins que tous les animaux de la forêt, ceux qui étaient plus âgés que lui, faisaient mine d’avoir très froid lorsqu’il les croisait.
Ce n’était alors que :
« Brrrrrr !  Boule-de-Neige ! Il fait drôlement frisquette ! »

Alors, Boule-de-Neige les voyait détaler en riant, le laissant seul, avec ses questions.
Questions qui le taraudaient tout de même, car le temps était clément et qu’il ne faisait absolument pas froid !

Le printemps passa. Arriva l’été avec son soleil éclatant. Puis ce fut l’automne avec ses couleurs chatoyantes.
Peu à peu, le ciel s’assombrit de nuages noirs et menaçants. La pluie se déversa de plus en plus souvent accompagnée de rafales de vent. Les arbres se dénudèrent et un matin……..

Ce matin-là, Boule-de-Neige sortit son petit nez tout rose, du terrier où il vivait avec sa maman. Dehors, le sol était recouvert d’un gros tapis blanc. Posant sa patte dessus, celle-ci s’enfonça et Boule-de-neige sentit de gros frissons le parcourir.
« Brrrrr ! C’est froid !, s’écria-t-il.
-          C’est de la neige, lui répondit sa maman.

Alors, en un instant, Boule-de-Neige comprit les moqueries de ses amis, car, en effet : Brrrrrr !!! Que c’était froid !
Il comprit également la raison de son nom, sa queue était aussi blanche que la neige, enfin…..


Sauf quand il avait couru dans la boue, bien évidemment !

mercredi 13 décembre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - Dépôts de plaintes


  
Etre maire d’un village, pas aisé !
Car mis à part la paperasse à tenir, les chiffres à équilibrer, les célébrations à présider, il faut accueillir les dépôts de plaintes et essayer de les régler  à l’amiable, sans prendre partie, bien évidemment. Dans un conflit, il faut que chaque partie pense avoir « gagné » au détriment de l’autre !
Quel boulot !

-=-=-=-=-=-=-=-

Il était environ neuf heures du soir, en ce début de juin 1814, lorsque Marie Victoire Madeleine Morice, femme de Germain L’Ecot se présenta à la mairie de Marbeuf. Quel choc pour le maire, en la voyant maculée de sang ! Elle en avait tant sur les cheveux que ceux-ci en étaient tout collés, et puis ses vêtements en été également couverts.
Monsieur le maire fit asseoir la pauvre femme qui tremblait de tous ses membres, autant de rage que de douleur, et qui était prête à défaillir.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? s’inquiéta-t-il alors.
-         -  C’est l’ père ! j’ viens déposer une plainte. C’est l’ père ! Il m’a frappée !

Sous l’emprise d’une forte émotion la plaignante hoquetait et manquait de souffle.

« Mais pourquoi t’a-t-il frappée ? s’enquit le maire qui connaissait bien la plaignante.
-          Si j’ savais ! ça l’a pris comme ça.
-     -  Tu sais bien qu’il n’a pas toute sa tête, le pauvre homme. Faut pas porter plainte. Cela va vous amener devant la justice. Et puis, ça va entraîner des frais.
-          - J’porte plainte. J’ veux réparation, comme on dit ! ça oui, alors !
-        -  Alors, raconte-moi comment ça s’est passé. Y a-t-il eu des témoins ?
-          - Pour sûr ! Joseph et Eloi, les cousins.

Un peu en retrait, Eloi et Joseph Collet affirmèrent avoir assisté à la scène. Ils étaient bien les cousins de la femme L’Ecot, leur mère étant la sœur de son père, l’agresseur contre lequel une plainte allait être déposée.
Le maire trempa sa plume dans un encrier et commença, sous la dictée des faits exposés par Marie  Victoire Madeleine Morice, à écrire le récit de l’agression, en commençant par la déclinaison de l’identité de la plaignante, à savoir :

Marie Victoire Madeleine Morice, fille de Placide Morice et Marie Le Roy, née et domiciliée à Marbeuf, épouse de Germain François L’Ecot et exerçant la profession de fileuse.

« Venons-en aux faits, à présent, demanda le maire. Et voici ce qu’il apprit :

Marie Victoire Madeleine prenait le frais sur le pas de sa porte, après une journée bien remplie. Joseph Collet revenant des champs s’arrêta, un instant, histoire de souffler, histoire de faire un brin de causette.
« C’est à ce moment, expliqua Marie Victoire Madeleine que mon père s’approcha de nous. J’y prêtais pas attention, le vieux i’ fait souvent son p’tit tour par chez nous. Mais, c’ soir, j’ sais point pourquoi, il m’a frappée. Alors, ben sûr, je m’ suis mise à crier. Vous pouvez l’ voir, dans quel était i’ m’a mis’. »

En effet, la pauvre femme avait les cheveux collés par le sang qui avait coulé sur ses vêtements. De plus, elle avait un teint plutôt verdâtre, signe qu’elle n’allait pas bien, mais pas bien du tout ! Pensez donc, prendre des coups sur la tête ça n’arrange pas la santé !

Pendant le récit de sa cousine, Joseph Collet avait hoché la tête, confirmation muette des dires énoncés. Il prit alors la parole :
« Comme la Victoire vi’nt de l’dire, on parlait d’vant sa maison, sur le chemin. Le Placide est venu près d’ nous et pis il a frappé plusieurs fois sa fille sur la tête. Il criait qu’il voulait la tuer ! Je m’ suis précipité pour l’arrêter, mais c’est qu’il a encore d’ la force le vieux Placide. Nom de d’là !
-         - Vous savez pourquoi il voulait tuer sa fille ? demanda le maire. Il s’était passé un autre évènement qui aurait pu déclencher celui-là ?

Ce fut à ce moment qu’intervint Eloi Collet, le second cousin.
« J’étais avec mon frère pendant qu’il parlait avec la cousine. J’ai vu le vieux Placide s’approcher d’eux en marmonnant. Il s’est avancé vers sa fille en lui demandant  si elle avait enfin tué sa mère. Victoire lui a répondu qu’elle n’avait rien fait à sa mère, puis elle a repris sa conversation avec le frère. C’est là qu’ le Placide il a commencé à la frapper à la tête. Joseph a essayé d’arrêter le vieux, mais il avait du mal, j’ suis v’nu l’aider. Victoire était couverte de sang, ça lui coulait sur l’ visage !
-         - Quelle affaire ! pensa la maire. Puis, s’adressant à la plaignante, il essaya d’arranger les choses. « Bon, alors cette plainte ? On laisse tomber, Victoire ? Tu ne vas pas traîner ton père devant les tribunaux, tout de même ? »

Mais, la femme L’Ecot restait sur ses positions. Facile à dire tout cela, hein, mais qui est-ce qui avait eu le crâne fracassé ? Pas le maire, avec tous ses conseils, mais bien elle !
Et puis, quelle migraine elle avait, à présent ! Sûr qu’elle va être malade ! Et qui va payer le médecin ?
En boucle que ça tournait dans sa tête, cette rancœur, au point que la douleur en était décuplée. 

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Le soir venu, l’agression et le dépôt de plainte se trouvèrent au centre des conversations, au foyer des époux L’Ecot.

« J’ va l’trainer devant la justice, répétaient à n’en plus finir Marie Victoire Madeleine.
-         -  Et comment tu vas aller à la ville, d’vant le juge ? rétorqua son mari,

Marie Victoire Madeleine n’avait pas pensé à cela, mais souhaitant avoir le dernier mot, elle lança :
« J’ trouv’rai ben quelqu’un pour m’y emmener, un jour de marché.
-          - Et si tu dois rester plusieurs jours, on sait jamais ?

Alors là la femme n’y avait nullement réfléchi. Prendre une chambre à la ville pour y dormir. Jamais elle n’avait imaginé le faire, et puis, cela allait coûter !
«  J’ me débrouillerai ben, lança-t-elle, comme un défit à la face de son époux.
-          - Et les frais de justice, t’ y a pensé ?
-        -  Quels frais, puisque j’va gagner !
-          - Même si tu gagnes, y a des frais ! Et d’ailleurs, le juge, i’ dira qu’ c’est ton père et qu’une fille ça doit pas envoyer son père à la justice. Et puis, vu son âge au père, le juge i’ dira qu’ il a plus toute sa tête. T’auras pas gain d’ cause !
-          - Et les coups, hein ? Qui les a pris, les coups ?
-        -  Laisse, t’auras à payer, j te dis ! Et pis, c’est ton père. On fait pas un procès à son père !
-       -   Et pourquoi donc ?  C’est pas la justice ça ! Tu vas voir, si on fait pas un procès à son père. On va voir ! Moi, j’ te l’ dis !

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Toute la nuit, Marie Victoire Madeleine tourna et retourna la situation dans sa tête déjà terriblement douloureuse, ce qui n’arrangea rien.

Elle se voyait partir à la ville, revêtue de ses plus beaux habits, ceux réservés aux jours de fêtes, pour faire bonne impression. 
Elle se voyait intimidée devant un juge sévère. Jaugée, jugée, par celui-ci.
Elle se voyait attaquée la nuit, pendant son sommeil, dans l’auberge qu’elle avait choisie pour son séjour.
Elle se voyait dépouillée par des frais de justice exorbitants.
Si bien qu’au réveil, chancelante après un sommeil agité,  elle ne savait plus où elle en était.

Ce qu’elle savait toutefois, Marie Victoire Madeleine, c’était que depuis son mariage avec Germain L’Ecot, le 2 octobre 1797, ils avaient vécu une vie de labeur. Bien sûr, ils avaient mis un peu de côté, oh très peu, mais suffisamment pour voir venir. Alors, pourquoi risquer de tout perdre ?

Alors, attrapant un châle qu’elle jeta sur ses épaules, elle se rendit à la mairie et retira sa plainte.


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Les fileuses et tisserands, travaillant à domicile dans les campagnes, furent les premiers touchés par la construction de manufactures, immenses bâtiments regroupant en un seul lieu tous les métiers de la fabrication du drap.
Voilà sans doute la raison pour laquelle  quelques mois plus tard, le couple L’Ecot/Morice alla vivre à Elbeuf où ils trouvèrent à loger dans la rue des trois corneilles.
Elbeuf possédant de nombreuses filatures et usines de tissage, l’un et l’autre n’eurent pas de mal à trouver de l’embauche. Un changement de vie radical, car ils quittaient le calme de la campagne pour le bruit et l’agitation de la ville.
Beaucoup d’ouvriers, tout comme eux, pensaient, ainsi, gagner plus et vivre plus heureux..... Mais, ce n’était qu’un leurre !
Ce fut ainsi que Germain L’Ecot exerça comme teinturier et Marie Victoire Madeleine comme mécanicienne.

Marie Victoire Madeleine Morice, femme L’Ecot décéda à l’hospice général de Rouen, le 29 juin 1820.
Germain décéda quatre années plus tard, à l’hospice d’Elbeuf, le 21 juin 1824.





Les registres de délibérations du Conseil municipal sont riches
de tous ces faits divers qui montrent avec exactitude la vie au quotidien.
Il suffit après de « fouiller un peu », pour faire plus ample connaissance

avec les protagonistes malgré eux des tranches de vie relatées.