vendredi 25 août 2017

DANS LE PORT DU HAVRE



Dans une nuit sans lune de septembre, une forme sombre se déplaçait en longeant les murs des habitations.
A bien regarder, il s’agissait d’une femme, emmitouflée dans un large châle qu’elle serrait contre sa poitrine de ses deux bras repliés.
Se dirigeant vers le port par la rue Saint-Julien, elle s’approcha du bord du quai et regarda l’eau clapoter, comme hypnotisée. Sortant de sa torpeur, elle jeta un regard alentour.
Personne !

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Le port du havre fourmillait d’activités, dès l’aube.
Bien sûr, il y avait les navires en partance, lourds de marchandises qu’il avait fallu charger à bras d’hommes. Des  Costauds, ces portefaix, qui soulevaient des charges avec une aisance incroyable.
Il y avait des navires qui jetaient l’ancre, après des mois de navigation, rapportant d’au-delà des mers des cargaisons odorantes, odeurs exotiques du bout du monde, mais également des nouvelles des autres ports, des autres contrées et les récits de leurs avaries.
Départs et arrivées annoncés par la presse locale, amenaient, non seulement, les armateurs  et négociants inquiets du résultat des négoces et des profits effectués, mais aussi des curieux. Ils venaient admirer les hauts bâtiments qui manœuvraient, toutes voiles dehors aux commandements impératifs des quartiers-maîtres.  Un spectacle à ne pas manquer !

Tout un monde de petites gens effectuant divers métiers s’activaient sur le port. Une vraie ruche un jour de printemps ensoleillé.

Départs et arrivées généraient également leur lot d’émotions.
Larmes et gestes de mains en direction de ceux qui prenaient le large pour d’interminables mois, avec cette incertitude de  ne pas se revoir. L’océan engloutissait souvent  ceux qui l’aimaient.
Larmes de joie, celles-là, et embrassades, au retour des navigateurs après une longue, bien trop longue absence.

Mais, ce matin-là, 9 septembre, le silence régnait. Le port semblait figé.

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A la pointe du jour, les gendarmes avaient été appelés par des portefaix qui venaient d’embaucher.

« Un tas de chiffons ! C’est c’que j’ai cru tout d’abord, précisa l’un d’eux, alors j’ai voulu l’ramasser, pensant qu’ ça pouvait encore servir. C’est là qu’ j’ai senti qu’ c’était ben lourd. J’ai ouvert l’ paquet et dedans y avait ça ! »
Et l’homme montra aux  forces de l’ordre, le cadavre d’un nouveau-né.
Ce brave homme en était encore tout retourné. Il avait appelé un autre gars qui travaillait à côté, pour lui faire part de son horrible découverte !
« Sacrebleu ! s’était écrié l’autre, faut appeler la police ! »

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Dans le quartier du port, et notamment dans les multiples tavernes qui y faisaient commerce, la conversation ne tournait qu’autour de l’évènement. Et les femmes, surtout, expertes en matière de maternité, réfléchissaient sur la provenance du bébé.
De quel ventre  sortait-il ?
Qui dernièrement, dans leur entourage, avaient été grosses ?
Qui avait osé un acte aussi barbare ?

Bien sûr, les grossesses se succédaient et la plupart d’entre elles mettaient au  monde des enfants trop souvent non désirés.
« Encore une bouche à nourrir ! » était la phrase montrant leur lassitude et la misère au foyer.
Et puis, leur corps, déjà fatigué par le labeur et les nombreuses maternités, aspirait au repos.
Mais là, à tuer, de sang froid, le petit qu’elle avait porté et mis au monde !
Si la solidarité féminine les faisait s’entraider et se soutenir dans les durs moments, il y avait des limites.

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Les tours de taille des femmes  étaient donc examiné, autant par les mégères et marâtres du quartier que par l’appariteur de justice, que le commissaire de police du Havre avait chargé de l’enquête.
Premier point à éclaircir : recenser les diverses grossesses des derniers mois et constater leur aboutissement.
Le sieur Desvarieux, c’était là le nom de l’appariteur, ne ménagea pas sa peine.
Il enquêta avec un zèle remarquable.
Chaque femme ou jeune fille enceinte, interpellée, montra à cet homme le fruit de leur  gestation. Rien à signaler !
Jusqu’au jour où lui vint aux oreilles qu’une certaine raccommodeuse de parapluies vivant dans une chambre au cinquième étage du 77 rue de Paris, avait pris quelque embonpoint ces derniers temps. Un embonpoint bien situé qui laisserait à penser…..
Enfin, c’était une certitude pour plusieurs personnes qui étaient prêtes à le jurer.

L’appariteur pensa qu’il avait enfin une piste et que celle-ci semblait être incontestable.
En effet, l’enfant nouveau-né était mort par strangulation et ce dont l’assassin s’était servi, pour effectuer son horrible méfait, était un morceau de soie, tissu dont on se servait pour fabriquer les parapluies, justement.

Le sieur Desvarieux se rendit, d’un bon pas, au 77 de la rue de Paris, grimpa les cinq étages de la maison et frappa à la porte de la demoiselle en question.
La porte s’ouvrit sur une femme d’une quarantaine d’années au visage fatigué.
« Mademoiselle Lenourichel, Marie Françoise, je suppose ? demanda-t-il en guise de salutations.
-          Oui. C’est pourquoi ? répondit la femme en soupirant. Visiblement, cette visite l’importunait.

L’homme se présenta. A l’énoncée de la fonction du visiteur, la femme le fit entrer.
La chambre qu’occupait Marie-Françoise Lenourichel était petite, propre et sobrement meublée d’une armoire, d’un lit, de deux chaises et d’une table sur laquelle était étalé l’ouvrage sur lequel cette ouvrière travaillait.
La conversation  démarra tout de suite sur l’objet de la visite.

« Avez-vous été enceinte, dernièrement ? demanda, sans ménagement, l’appariteur de justice.
-          Je ne suis pas enceinte, Dieu merci, répondit la femme d’un air offensé.

Pendant la conversation, l’appariteur aperçut, dans un coin de la pièce, un morceau d’étoffe qui lui parut semblable à celui trouvé sur le petit cadavre.
« Puis-je regarder cette étoffe, je pense que c’est la même que celle de mon parapluie qui a, malheureusement, un accroc ?
-          Si vous voulez !
-          Oui, en effet, quelle chance ! lança d’une voix joyeuse l’homme de justice, afin de montrer son enthousiasme. Puis-je vous en acheter un morceau ?
-          Prenez-le s’il vous convient, répliqua la raccommodeuse de parapluies, ce chiffon n’est d’aucune valeur !

Le sieur Desvarieux se confondit en remerciement et, muni de sa précieuse trouvaille, prit congé.

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Bonne prise ! Le bout de tissu se révéla être identique à celui avec lequel on avait étranglé le nourrisson.
Cette confirmation fit que l’appariteur réapparut au logis de la demoiselle Lenourichel, afin de la questionner à nouveau.
Non ! Jamais elle n’avait été enceinte ! Non !
Elle tenait  tête, démentait cette accusation.
Peu à peu, sa résistance céda…… Et, elle avoua…..
Elle avait bien accouché, le dimanche 6 septembre, entre neuf heures et dix heures du soir.

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Marie-Françoise Lenourichel avait vu le jour le mardi 19 février 1788 à Campigny, dans le Calvados, où elle avait grandi.

Acte de baptême – Février 1788 – Campigny.
Le mercredy vingtième jour de février mil sept cent quatre vingt huit jai vicaire de cette paroisse soussigné, Baptisé une fille née d’hier du légitime mariage de Michel Le Nourrichel journalier et de françoise Hamel son epouse de cette paroisse laquelle a été nommee Marie Françoise par Marie Piperel assistée de Louis Guillot son epoux parein et mareine qui ont signes avec nous…….


Elle ne s’était jamais mariée.

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Le procès de Marie-Françoise Lenourichel, pour infanticide, s’ouvrit à la cour d’assises de la Seine-Inférieure, le 20 mars 1830.

Les chefs d’accusation énoncés,  Monsieur Delot, docteur en médecine, vint à la barre.
Il précisa que c’était lui qui avait eu la charge d’examiner le petit corps du défunt et que celui-ci présentait des signes de strangulation faits à l’aide du morceau de soie retrouvé autour de son cou. Le cadavre présentait aussi quelques contusions sur le crâne.

« Je peux affirmer que l’enfant était né à terme et viable et qu’il avait respiré quelques temps », affirma ce médecin.

Il y avait donc bien eu meurtre.

Vint aussi déposer, la femme Gosselin, une voisine de la condamnée.
Celle-ci s’était inquiétée un jour de la santé de la demoiselle Lenourichel, et lui avait demandé :
« Alors, comment allez-vous ? Il est pour quand, ce petiot ? »

La femme Gosselin précisa au juge :
« Bah, m’sieur l’ juge, c’est qu’à ma question elle m’a répondu : « C’est que je ne suis pas enceinte ». Alors, M’sieur l’ juge, vous savez, faut pas me l’ faire à moi, j’ voyais ben qu’elle était enceinte. Alors j’ lui ai lancé : « Que voulez vous faire de votre enfant ? ». J’ voyais ben qu’ c’était étrange tout ça. Faut pas me l’ faire à moi, M’sieur l’ juge ! »

Il n’y avait pas besoin de beaucoup plus de preuves. L’infanticide était évident.

L’accusée fut entendue également.

« J’ai accouché dans la soirée du dimanche. J’avais peur qu’on entende les cris du bébé. J’en voulais pas d’ cet enfant. J’ai pas allumé la lumière. J’étais dans le noir. Après la naissance, j’ai maintenu le petit entre mes genoux et je lui ai ôté la vie. Après, j’ l’ai enveloppé dans un linge et suis allée sur le port. En rentrant, je me suis tout de suite couchée. Le lendemain, j’ai nettoyé pour effacer toutes les traces.
-          Pendant votre grossesse, aviez-vous déjà le projet de détruire cet enfant ? demanda le juge.
-          Oui, répondit l’accusée.
-          Etait-ce votre premier enfant ? questionna encore le juge.
-          Non, murmura Marie-Françoise Lenourichel.
-          Où sont vos autres enfants ? Où sont-ils nés ?
-          J’ai accouché à Bayeux en 1810, et  encore, y a six années à Caen.
-          Que sont devenus ces enfants ? insista le juge.
-          Je ne me souviens pas.
-          Vous ne vous souvenez pas, ou vous ne voulez pas vous souvenir ? lança le juge en haussant le ton Les jurés, ici présents, en tireront les conclusions.

Une enquête fut entreprise, concernant les deux naissances avouées par l’accusée.
A Bayeux, aucune trace d’une quelconque naissance.
Quant à l’autre petit, un garçon, il naquit à Caen chez la femme Laville. Il fut enregistré sous le nom de sa mère. Il ne vécut pas.
Je n’ai pu trouver l’acte de naissance, ni de décès de l’enfant né à Caen. Mais naquit-il à Caen ou dans une localité voisine.


Les délibérations furent brèves.
Marie-Françoise Lenourichel fut déclarée coupable et condamnée à la peine capitale. Elle entendit l’arrêt, avec une froide impassibilité.

Le journal « Le courrier des tribunaux » du 28 avril 1830, annonça le rejet du pourvoi la concertnant, en ces termes :
La cour de cassation (Chambre criminelle) a rejeté les pourvois de Marie Françoise Lenourichel condamnée à la peine capitale par les assises de la Seine-Inférieure pour crime d’infanticide.

La sentence fut exécutée le 18 mai 1830, sur la place du Vieux Marché de Rouen.
Le « Journal de Rouen » titrait le lendemain :
Exécution de la fille nourichel
Deux aides du bourreau la saisissent ; elle est déjà morte ; ils enlèvent son corps ; redressent sa tête ballante pour l’introduire dans le guichet qui se referme ; le couteau tombe et je ne vois  plus que l’échafaud inondé de sang que la foule s’empresse d’escalader.


Acte de décès – avril 1830  - Rouen.
Du lundi vingt quatre mai mil huit cent trente après midi Devant nous soussigné…… sont comparus les sieurs nicolas Joseph Mullot, âgé de soixante deux ans employé à la perception de cette ville y domicilié place du vieux marché n° 48 et Gabriel Cheron age de cinquante deux ans aussi employé au même endroit domicilié en cette ville rue de la prison n° 10, lesquels nous ont déclaré que marie françoise Lenourichel celibataire, racommodeuse de parapluies et femme de ménage domiciliee en la ville du Havre de ce departement agee de quarante un ans née à Campigny canton de Balleroy arrondissement de Bayeux (calvados) est decedee le dix huit de ce mois, en cette ville, à midi un quart……


Pourtant Marie-Françoise Lenourichel aurait pu élever son petit, elle ne manquait assurément de rien, car on retrouva, dans un tiroir de l’armoire de sa chambre, une somme de deux cent quatre vingt francs, ainsi que beaucoup de linges et vêtements.

Mais voilà, dès la confirmation de son état de grossesse, elle fut bien déterminer à se débarrasser de ce « fardeau »…… et pour preuve…… aucun petit vêtement n’avait été préparé.






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