mardi 31 décembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


DES SIÈCLES  D'EMPOISONNEUSES

L'AFFAIRE LAFARGE





Chapitre 11

Audience du 3 septembre 1840

Pas besoin de préciser que la salle d’audience  était pleine à craquer.
La « voleuse », condamnée lors d’un précédent procès, comparaissait à présent sous l’inculpation d’homicide volontaire sur la personne de son époux.

Le président de Gaujal interrogea l’accusée, lui demandant de décliner son état-civil, puis sans autre préambule demanda des précisions sur l’achat de poudre d’arsenic.
Mairie Fortunée Capelle ne nia pas, précisant que c’était pour se débarrasser des rats qui pullulaient au Glandier.
Le président en vint aussitôt après à la fabrication des gâteaux préparés et envoyés à son mari, Charles Lafarge, en déplacement à Paris :
«  Ne préparâtes-vous pas un gâteau que vous adressâtes à M. Lafarge qui se trouvait à Paris ?
-          Non, je me rappelle seulement qu’au moment où je m’occupais de faire un envoi à mon mari, on me remit quatre à cinq petits gâteaux  qu’on appelle choux, qui avaient été préparés par Mme Lafarge, ma belle-mère. Je plaçai ces gâteaux dans le caisson.
-          Ne plaçates-vous pas dans cette même caisse un gâteau de la grandeur d’une assiette ?
-          Je suis assurée de n’avoir placé dans cette caisse que quatre ou cinq petits gâteaux, ayant la forme d’une orange.
-          Lorsque vous fîtes cet envoi, n’engageâtes-vous pas votre belle-mère à écrire un billet à son fils, dans lequel elle lui disait que c’était elle-même qui avait préparé les gâteaux ?
-          Non, je n’ai jamais demandé cela.

Le président de Gaujal mentionna également que Marie Fortunée Capelle aurait eu quelques mauvais pressentiments et craignait de recevoir une lettre annonciatrice de mauvaise nouvelle. Marie Fortunée Capelle démentit formellement.
Et puis, le Président parla du soir où Charles Lafarge revint au Glandier.
« Je me rappelle, répondit l’inculpée, que le soir de l’arrivée de M. Lafarge, il se mit immédiatement dans son lit ; que je pris mon repas à côté de lui. Je ne lui ai rien proposé à manger, sachant qu’il avait vomi toute la journée. Les vomissements violents ne reprirent que le lendemain et ce fut à ce moment que nous avons fait appeler M. Bardou. Ce médecin arriva dans la nuit. »
Le président reprit :
« Pendant  que votre mari était dans cet état, ne vous opposiez-vous pas à ce que d’autres personnes que vous lui donnassent des soins, et notamment votre belle-mère, avec laquelle vous eûtes, à ce sujet,  une querelle assez vive en présence de M. Bardou ?
-          C’est ma belle-mère et les personnes de la maison qui donnaient leurs soins à M. Lafarge ; ce ne fut que lorsque je m’aperçus que ma belle-mère, qui déjà avait passé plusieurs nuits auprès de son fils, voulait continuer, que je l’engageai à aller se reposer. Au reste, dans les soins que j’ai donnés à M. Lafarge, j’ai toujours été assistée par une ou deux personnes.

Madame veuve Lafarge démentit avoir demandé au médecin de lui faire une ordonnance afin qu’elle puisse obtenir de l’arsenic chez le pharmacien. Elle confirma, cependant, avoir demandé au sieur Denis, employé dans l’usine, de lui rapporter de Brives de l’arsenic et des ratières, mais que ce ne fut nullement sous le sceau du secret.

Autre demande :
« Après avoir reçu cet arsenic, ne fîtes-vous faire un lait de poule pour vous, et ne le partageâtes-vous pas, ou n’en donnâtes-vous pas une partie à votre mari ?
-          Voici ce que je me rappelle ; je me suis mise dans mon lit, étant très fatiguée ; ma belle-mère me sollicita pour prendre un lait de poule, ma belle-mère ne voulut pas que ma femme de chambre le fit, et c’est ma belle-mère qui le prépara ; on me le porta dans mon lit. Je pris ce lait de poule, dans lequel j’avais mis de la gomme ; mon mari manifesta le désir de prendre une partie de ce lait de poule. Je l’avais déjà achevé ou pris entier, lorsque mon mari en fit la demande ; on en fit un autre, c'est-à-dire ma belle-sœur en prépara un autre ; elle me le porta auprès de mon lit pour faire en sorte de persuader  M. Lafarge que c’était une partie de celui qu’on avait préparé pour moi. J’y mis de la gomme, comme j’avais fait dans celui que j’avais pris.
-          Ne vous rappelez-vous pas que ce même jour, c’est-à-dire le 11 janvier, on prépara une boisson pour M. Lafarge, dans laquelle on avait mêlé un peu de vin, que vous prîtes le verre dans lequel était cette boisson ? Ne vous souvenez-vous pas avoir ouvert le tiroir de votre commode, d’en avoir retiré une substance quelconque et de l’avoir mise dans cette boisson en la mêlant avec une cuiller ?
-          Je ne me rappelle pas avoir vu préparer, ni avoir préparé aucune boisson pour M. Lafarge dans laquelle on eut mêlé du vin.
-          Vous rappelez-vous avoir donné cette boisson à M. Lafarge, et qu’en la buvant, il vous ait observé que cela lui brûlait le gosier ?
-          Je ne me rappelle pas avoir donné cette boisson à M. Lafarge ; tout ce que je me rappelle, c’est que M. Bardou soufflait de l’alun en poudre à M. Lafarge, et qu’en recevant cette espèce de poussière dans le gosier, M. Lafarge disait à M. Bardou : « Cela me brûle le gosier. »


M. de Gaujal poursuivit, évoquant un verre empli d’eau sur laquelle Mlle Brun remarqua une pellicule de poudre blanche. Devant l’insistance de Mlle Brun, Marie Fortunée aurait bu le contenu du verre. Peu de temps après, elle fut prise de coliques et de vomissements.
Marie Fortunée précisa que ce n’était que de l’eau gommée, et qu’ayant à cette époque l’estomac fragile, elle en fut incommodée.

Ce premier interrogatoire s’acheva sur les derniers moments de Charles Lafarge, entouré de sa famille, Marie Fortunée ayant quitté la chambre.


L’assistance, sur laquelle régnait un silence pesant, apprit, à la fin de l’audience, que Marie Fortunée Capelle, veuve Lafarge, avait pris comme défenseurs Maîtres Pailler, Bach et Lachaud, tous trois avocats.

Marie Fortunée Capelle, venait de faire les mêmes déclarations qu’en janvier dernier, juste après son arrestation.
Elle confirma l’exactitude de ses propos.

Une bataille allait donc se mener entre elle et sa belle-famille qui assurément ne reviendrait pas non plus sur « SA vérité ».

Ce qui va suivre risque de ne pas être inintéressant......... Mais bien malin, celui qui décèlera la vérité dans tous les propos qui vont suivre.......


Audience du 4 septembre
Le journal de Rouen du 8 septembre concernant cette audience titre :
« Audition des témoins – dépositions des médecins – Lettre de M. Orfila – Incidents. »

Toujours beaucoup de curieux, mais pas les mêmes, les billets d’entrée – comme au théâtre – ne servant que pour une seule audience. Un seul petit problème, la « pièce » jouée chaque jour n’étant pas identique à la précédente, le « spectateur » amputé d’une partie de l’histoire se sentait très frustré.
La presse, bien évidemment, palliait à ce manque, mais saisir sur le vif les répliques, les haussements de ton des parties adverses, les frémissements et murmures du public, les rappels à l’ordre du Président, avait ce petit quelque chose d’existant irremplaçable, même par le plus talentueux des journalistes.


Mme Lafarge entra encadrée par deux gendarmes. Elle semblait épuisée, toujours malade. Son visage livide et émacié faisait ressortir le noir profond de ses yeux et de ses cheveux.

Le Président de séance annonça qu’il serait auditionné les « témoins de moralité ». Il avertit que Mme Lafarge-mère souffrante, ne pouvant soutenir un interrogatoire, la concernant, celui-ci serait remis à plus tard.
Le Président appela alors à la barre, le directeur du haras de Pompadour, M. Lespinas, afin de le libérer au plus vite, ce dernier ayant quelques obligations familiales urgentes[1].
M. Lespinas était âgé de trente-cinq ans.
Il déposa, d’un ton calme et pondéré, comme un texte mûrement réfléchi, que le 12 janvier, il s’était rendu au Glandier pour prendre des nouvelles du sieur Lafarge qu’il savait malade. Introduit dans sa chambre, il était resté un quart d’heure près de lui. Charles Lafarge était très mal et ne lui avait pas parlé, juste serré la main. Son épouse lui avait paru très affectée.
Il précisa que Charles Lafarge était un homme très-bien. Très attentionné pour sa mère et sa sœur auxquelles il portait une très vive affection. Il était bon et généreux. Un ami inestimable.
Puis il ajouta :
« C’était un homme fort intelligent ; sans être homme d’esprit, il avait une certaine instruction et beaucoup de bon sens naturel. 
-          Ce n’était donc pas un homme commun et grossier. Il avait de l’intelligence et beaucoup de bon sens, ce qui vaut assurément mieux que l’esprit parfois trop abondant ; sans voir de l’élégance dans les manières, il n’en était pas moins un homme plein d’urbanité et de bonnes manières auprès d’une femme ?
A cette précision proférée par le Président, M. Lespinas répondit par l’affirmatif, avant de poursuivre :
«  Ce n’était pas un homme à user de brutalité, de procédés choquants avec les femmes. Il était, au contraire, très liant, faisant beaucoup de frais pour plaire aux dames. »

Les questions portèrent sur le Glandier et M. Lespinas répondit au Président :
« Si l’accusée, habituée, à ce qu’il parait, à la vie de château, avait cru pouvoir établir une comparaison  entre un château et le Glandier, elle a dû trouver une grande différence ; mais, en résumé, le Glandier n’avait rien, de l’extérieur ou de l’intérieur, qui fût repoussant à la vue. L’appartement était très convenablement et agréablement  meublé. M. Lafarge y avait fait faire quelques travaux avant l’installation de son épouse. »

Mettant en avant les accusations de Marie Fortunée Capelle-Lafarge de brutalité lorsque son mari s’enivrait, M. Lespinas répliqua :
« J’ai beaucoup reçu M. Lafarge chez moi, j’ai été chez lui, et je l’ai toujours connu pour un homme très sobre. »
Avant de quitter la barre, M. Lespinas acheva sa déposition par :
«  Je suis retourné chez M. Charles Lafarge quelques jours après ma visite. Il venait de mourir. Sa mère très affectée me manifesta ses craintes d’un empoisonnement, me montrant certains vases supposés contenir de l’arsenic. Melle Brun fit de même avec un verre contenant un restant de lait de poule. »



Fin de la déposition de M. Lespinas qui par ses propos nous a révélé un Charles Lafarge bien différent.........

Nous allons entendre maintenant le témoignage de M. Bardou, médecin de la famille Lafarge.



[1] L’épouse de M. Lespinas était très malade et il devait retourner auprès d’elle au plus vite.

Bientôt 2020 !!!






Que pourrais-je dire, à l’aube de cette nouvelle année, qui serait un peu original, hors des clignés « Bonne année – bonne santé » très classique et impersonnel, sans toutefois être clinquant-et-j’en-fait-trop ?

Me voilà un peu comme Monsieur Jourdain étudiant la meilleure façon de manier la rhétorique, de poser les mots dans le bon ordre, pour qu’ils sonnent bien et résonnent surtout de tout ce que je vous souhaite pour 2020.
Pas facile les mots.....
Ils se dérobent souvent.
Pourquoi ?  
Parce qu’ils aiment se faire désirer ?
Parce qu’ils aiment être aimés ?
Peut-être .... Assurément ......

Mais surtout parce qu’ils aiment être utilisés avec délicatesse, avec recherche, avec les sentiments qu’ils renferment dans leurs lettres, dans leurs syllabes.

Alors quelle serait la meilleure formule ?
« Bonne année – Bonne santé » ?
Trop court, en somme, uniquement l’essentiel, le principal.

Il faudrait y ajouter un petit quelque chose .....

« Que cette année 2020 vous apporte tout ce que vous souhaitez !
Que tous vos souhaits se réalisent ! »

Et puis .....

Que 2020 nous permette encore de nous retrouver à échanger sur Face-book et sur ce blog.....

Et puis ......

Que 2020 nous permette de poursuivre, ensemble, toutes les « réunions lecture Coup de cœur », les échanges avec les auteurs et les divers ateliers du Point-Lecture......

Et puis ........

Merci pour cette année 2019 de partages que 2020, je l’espère, apportera encore, si vous le voulez bien.

.........

De tout cœur :

La meilleure des années pour vous tous. 

Françoise

En silence ...........




Que diriez-vous de finir l’année en silence ?

Oui ?
On y va....
Non attendez !!

Cela me rappelle ce jeu auquel je jouais (normal puisque c’est un jeu) avec ma grand-mère.
Un jeu très sérieux, car il était interdit de rire. Il était accompagné par cette comptine :
Je te tiens,
Tu me tiens,
Par la  barbichette
Le premier de nous deux
Qui rira .....
Aura une tapette ...

Alors bien évidemment, suivait un grand silence, rompu par les premiers rires du perdant  qui recevait « une tapette ».
Ce n’était pas du jeu, car ma grand-mère accomplissait toujours des grimaces irrésistibles, alors, celle qui recevait « la tapette », c’était toujours, MOI !!!
Très intellectuel, ce jeu ? Non ?
Demandant surtout un super « self-control des zygomatiques ».

Tout cela pour en arriver au silence et au mot qui suit.

Il y a muet et muet !!!

« Muet »
Un mot adjectif, mais aussi nom.
« Muz » en 1050, puis « mue » après 1174.
Un muet ou une muette : personne privée de l’usage de la parole.
Mais en qualité d’adjectif (il est « muet », elle est « muette »), le sens diverge quelque peu, car dans ce cas, il faut comprendre : « Qui s’abstient volontairement de parler ».

Nous voyons donc que le sens oscille entre « priver involontairement de la parole en raison d’un problème médical » (1210) ou « silencieux volontairement».

Plusieurs expressions contiennent ce mot :

  •          « Muet d’étonnement », une expression datant de 1647.
  •          « Les grandes douleurs sont muettes », autre expression (1558).
Cela dépend. A mon sens, pas après avoir reçu un coup de marteau sur les doigts !

  •          Sous le coup d’une forte émotion, un individu peut rester « sans voix ».
·         « Sortir à la muette », c’est sortir sans faire de bruit. 

  •          Le cinéma fut « muet », avant d’être sonore, puis parlant.

  •        « Muet comme une carpe », très silencieux donc !
Cette expression, datant de 1612, nous vient de Rabelais qui ne donnait, à l’époque, aucun renseignement sur l’espèce de poisson. Il disait simplement « muet comme un poisson ».
Pourquoi choisit-on la carpe par la suite ? Parce que ce poisson sort continuellement la tête de l’eau et reste bouche ouverte, sans dire un mot..... et pour cause, une carpe n’a jamais été très causante.






  •          « La Grande Muette »
Nom donné à l’armée au début de la IIIème République – 1870 – période où les officiers de l’Armée n’avaient pas le droit de vote, mais aussi en raison de leur droit de réserve sur les différentes actions menées.....



Pour clore ce texte, le dernier de l’année 2019, un seul mot : « CHUT !!! »




Si tout de même, j’espère vous retrouver lisant mes élucubrations épistolaires, dès la semaine prochaine, la première de 2020.
En attendant.......
Tous mes vœux les meilleurs pour la nouvelle année.........

Pour cette petite histoire autour d’un mot,
Je me suis aidée du
« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert


jeudi 19 décembre 2019


De pignouf à blingueur

Le dernier petit article parlait des « pignoufs ».
Suite à celui-ci, une lectrice assidue m’a laissé ce message :
« Mon grand-père disait « blingueur » ! »

Blingueur ?
Quelle est l’origine de ce mot ?

Je me suis donc plongée dans mes dictionnaires, multiples et variés.
Aucun blingueur ! Ce mot doit être issu du patois, et sûrement d’un patois déformé.

Je précise toutefois que cette lectrice est Bretonne, ce qui a dirigé mes recherches vers le « pays » cher à mon cœur, celui de mon grand-père, la Bretagne !

Francis Yards, dans son dictionnaire « le parler Normand », mentionne le mot :
·         Blin – nom masculin – Bélier – Terme de mépris, injure pour dire un garçon peu intelligent.

Dans mon dictionnaire Français/Breton et inversement Breton/Français, j’ai découvert le même mot :
·         « Blin » qui au pays breton est un adjectif désignant quelqu’un de « pâle – faible – débile ».

Ma grand-mère maternelle, Normande, a épousé un Breton, mon grand-père. De ce « mélange » est née ma mère...

Alors pour ces deux « blin »,  je peux, peut-être, oser une fusion linguistique qui donnerait :
·         Un blin blin.

Entendez par là :
·         Un garçon peu intelligent, pâle, faible et débile.

En ajoutant un soupçon de « pignouf », je pourrais même écrire :
·         Un garçon peu intelligent, pâle, faible, débile et pleurnicheur.

La totale !!


mercredi 18 décembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


LES EMPOISONNEUSES


L'AFFAIRE LAFARGE





Chapitre 10

Le procès et la condamnation de Marie Fortunée Capelle pour vol n’étaient qu’une petite mise en bouche.
Le plat de résistance était à venir et il ne tarda pas en effet.
Huit mois s’étaient écoulés depuis la mort de Charles Lafarge.
Huit mois que Marie Fortunée Capelle, veuve Lafarge, était emprisonnée et dont la santé déjà fragile s’aggravait, d’autant plus qu’elle ne s’alimentait que de bouillon aux herbes, refusant tout aliment solide et souffrait d’insomnie. Certains jours, elle ne pouvait se lever qu’avec l’aide d’une domestique qui avait, depuis l’arrestation de sa maîtresse, partagé avec elle cette captivité.
Huit mois que l’intérêt du public n’avait pas faibli.

Un nouveau procès allait s’ouvrir, et pas des moindres.
La salle d’audience du Palais de Justice de Tulle allait devenir, pendant plusieurs jours, le théâtre de tous les débats devant faire toute la lumière sur la mort du sieur Lafarge et de déterminer si la coupable était bien son épouse, Marie Fortunée Capelle.
Les témoignages des quatre-vingt-dix témoins allaient être entendus, pesés, analysés, vérifiés afin que les jurés puissent se faire leur propre opinion, en « leur âme et conscience ».

Par l’intermédiaire de ses avocats, Marie Fortunée Capelle avait pris connaissance des quatre-vingt-dix noms composant la liste des témoins à charge. Certaines dépositions s’annonçaient virulentes, comme celles très attendues de Mme Lafarge-mère, Mlle Brun et Jean Denis.

Pour contrebalancer ces accusations déferlantes, uniquement trente témoins à décharge. 


Tulle était fébrile.
Tulle ne possédait plus une seule chambre d’hôtel disponible.
Tulle, dont le temps semblait suspendu, attendait le 3 septembre 1840.

Et ce 3 septembre 1840 allait arriver bien vite, avec une salle d’audience pleine à craquer et on allait y voir du beau monde :

Dans le public :
·         Plusieurs magistrats de Tulle dont M. Laviale de Masmorel, leur président.
·         M. Meunier, Préfet de Corrèze.
·         Toutes les dames de la haute société de Tulles.

Présidant les séances :
·         M. Barny Président et M. de Gaujal, Vice-Président du Tribunal assistés de la cour :
·         MM. de Lamirande et de Grèze, juges assesseurs.
·         M. Decoux, avocat général, du ministère public.

Au banc de la défense
·         Maître Paillet et son secrétaire et Maître Desmonts, tous deux avocats à la Cour royale de Paris
·         Maître Peyredieu, avoué de Mme Lafarge devant le tribunal de Brives.

Au banc de l’accusation
·         Maître Bac, représentant la famille Lafarge.

L’avocat de la partie civile, Maître Coralli.


Il va falloir, dès à présent, être très attentifs aux dires des uns et des autres, la vie d’une femme est en jeu !

jeudi 12 décembre 2019

EN VOILA UNE QUESTION !!!


Qu’est-ce qu’un pignouf ?

Pignouf : nom masculin.
Ouf ! Apparemment, pas de féminin.

Ce mot n’est pas très vieux, car il n’apparut qu’au milieu du XIXème siècle.
Il prendrait corps à partir du verbe « pigner » =   pleurer, pleurnicher.
« Pigner », mot dialectique de l’ouest de la France, mais ayant des variantes dans d’autres régions :
·         Pignoter = geindre beaucoup (Maine-et-Loire).
·         Pignocher = pleurnicher (Ille-et-Vilaine).

Mais, il serait possible que ce mot provienne du provençal « pignate » = marmite, avec ce petit quelque chose de « se pigna » = se remplir la panse, qui prit plus tard la signification de « devenir arrogant, orgueilleux ».

Alors ?

Un pignouf n’est autre qu’une personne grossière, mal embouchée.....

On retrouve aussi notre pignouf chez les cordonniers.
Vous allez me dire qu’il y a des gens mal éduqués un peu partout, donc pourquoi pas chez les cordonniers !
Oui, mais le « pignouf cordonnier » peut, lui, être d’une grande amabilité.
Eh oui !
Le « Pignouf » dans le domaine de la chaussure et du cuir en général, est le « commis cordonnier », et cela, depuis 1862.

De « Pignouf » découle d’autres mots populaires et familiers, dont certains  nous sont parvenus via la plume de Flaubert Gustave, comme
·         Une pignouferie ou pignouflerie (1865)
·         Un pignouffisme ou un pignouflisme (1873)

Nous venons d’appendre que « pigner » était employé dans l’ouest de la France.
Assûrement en Normandie, puisque ma grand-mère (je vous en parle encore pour que vous ne l’oubliiez pas) l’employait très souvent, et notamment à mon encontre.

 
« Arrête de pigner ! » me disait-elle lorsque je me plaignais des mots fraternels blessants[1], surtout lorsque je gagnais à certains jeux de société.
Elle employait aussi le verbe « chouiner » !!

Je pignais donc !
Je pleurnichais ?
Ah !!!

Bon d’accord, j’avoue.
Mais le pignouf, ce n’était pas moi !!


[1] Entre nous, je peux vous le confier, il me traitait de « sorcière » !!! Vous imaginez l’insulte ! Sorcière, moi qui ressemblais à une princesse !!!!

mercredi 11 décembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES EMPOISONNEUSES


Des siècles d’empoisonneuses....................


L'AFFAIRE LAFARGE


Chapitre 9

L’audience du 14 juillet 1840

Toujours beaucoup de monde dans la salle d’audience, d’autant plus, que la conclusion des débats ne tarderait pas.
Marie Lafarge, en raison d’une mauvaise toux la rendant très faible et Marie de Leautaud, presque au terme d’une grossesse difficile, malgré leur rôle important dans cette affaire, avaient annoncé ne pouvoir assister à l’audience.
La séance débuta à onze heures et demie. Elle devait permettre aux derniers témoins de s’exprimer.

Le brouhaha s’estompa doucement et ce fut dans un silence presque religieux qu’apparut Marie Bellac-Devienne, limonadière à Pontoise.
Elle déclara que la bonne de Mlle Capelle avait été envoyée consoler Etienne Sigisbert soupçonné lors du vol des diamants. Ce garçon suite à cette malheureuse affaire avait préféré quitter son emploi.
« La bonne de Mlle Capelle a-t-elle dit que sa maîtresse eût volé les diamants ? demanda le Président.
-          Je l’ai entendu dire, mais pas par elle, répondit la limonadière.

Il est vrai que les langues se délient, à tort ou à raison, dans ces cas-là..... Chacun ayant SA vérité !!

Denis Jean, commis de M. Lafarge.
Cet homme narra qu’au mois de novembre dernier, M. Lafarge lui dit avoir demandé à sa femme si elle avait des diamants, car il devait couper un morceau de verre. Celle-ci lui avait répondu affirmativement et qu’elle les tenait de son père qui lui en avait fait don à l’insu de ses sœurs.
« Mon maître me dit également que son épouse lui avait demandé à plusieurs reprises  de les vendre, ce qu’il refusa à chaque fois, ne voulant pas la priver de cet héritage. Il me confia également qu’avant son départ pour Paris, sa femme venait de lui remettre un billet de 500 F. Il me montra le billet qui portait, je crois, le numéro 1614 ou 1416. »

Quelle mémoire !!!

Philippe Magnanse, maître des forges, vint ensuite.
Son maître l’avait appelé juste avant son départ pour Paris, afin de lui donner quelques instructions. Ne devait-il pas s’absenter un mois au minimum ?
« J’appris alors que sa femme possédait des diamants, car il me dit : « J’ai eu une bienheureuse surprise, je demandais un diamant pour couper du verre, quand ma femme s’écria « Charles, j’en ai ! ». Eh bien, c’était vrai, et pas qu’un seul et d’une valeur pouvait aller jusqu’à 30 000 fr. Mon épouse m’a proposé de les vendre. »
Selon Philippe Magnanse, Madame Lafarge avait même insisté pour que son mari les vende.
Avant de retourner s’asseoir sur le banc des témoins, Philippe Magnanse confirma les dires de Denis Jean concernant le billet de 500 fr.

Curieux tout de même qu’un patron parle de ce qu’il possède. Une confiance en ses employés qui aurait pu lui attirer quelques déconvenues.

Monsieur le Président rappela alors, à la barre, M. Lapeyrière, ami de M. Clavé, déjà entendu la veille.
« Depuis combien de temps connaissez-vous la famille de Leautaud ?
-          J’ai été mis en rapport avec M. de Leautaud en janvier dernier.
-          M. de Leautaud vous a-t-il parlé des démarches faites par Mme Lafarge au sujet du vol ?
-          Oui, en effet, il me dit que l’avocat de Mme Lafarge devait venir le voir.

Maître Coralli se leva alors et lança :
« La lettre de Maître Bach, date de la fin mars. Il est donc bien constant que les relations de M. Lapeyrière et de M. de Leautaud ne datent pas du mois de janvier. »

Maître Coralli, défenseur de Marie Lafarge, poursuivit en accusant certains journaux de Paris de prendre partie et d’annoncer déjà une condamnation de sa cliente, mais pas que, non, les articles notent des faits non connus qui prouveraient une violation des dossiers.
Mais ce qui était pire, des inexactitudes pouvant influencer l’opinion publique certes, mais aussi les jurés ici présents.
« .....Mais aujourd’hui que je retrouve ces paroles adressées à la presse d’une manière anticipée et avec une publicité aussi étendue, j’ai le droit de m’indigner, de protester pour vous. Avocat, lié par ma profession à la magistrature, car le barreau et la magistrature se donnent la main, je ne saurais souffrir qu’on puisse impunément dire, écrire, imprimer qu’avant d’entendre les débats vous ayez fait connaître votre décision......... Nous sommes sans arme contre de pareilles attaques ! Cependant, je l’ai dit et je le répète : je ne plaiderai pas ; je vous atteste même tous que je n’ai pas plaidé, je vous ai présenté la vérité dans les faits, sans l’accompagner d’aucune réflexion....[1] »

Magistral ! Non ?
Quelle éloquence !

M. Dumont de Saint-Priest, avocat du Roi, prit la parole en commençant par ces mots :
«  Ainsi qu’on devait s’y attendre, la prévenue s’est retirée de ce débat, renonçant à soulever par une discussion publique le système de défense qu’elle avait adopté dans l’instruction. Dans ces circonstances, en présence de ces dépositions où la vérité vous a parlé hier un si noble, un si touchant, un si énergique langage, nous pourrions nous dispenser de tout nouveau développement, et, sûr de votre conviction, nous borner à conclure à la culpabilité de Mme Lafarge, par le motif que les diamants volés à Busagny ont été retrouvés dans ses mains sans qu’elle pût justifier de leur possession........[2] »

M. Dumont de Saint-Priest achève son exposé en demandant l’application du maximum des peines de l’article 401.
L’avoué de la partie civile lit les conclusions suivantes :
« Plaise au tribunal,
Ordonner la restitution de la parure sus-désignée
Ordonner en outre que le jugement à intervenir sera, dans l’intérêt desdits requérants et aux frais de ladite dame veuve Lafarge, imprimé dans tous les journaux de Paris ; que la copie dudit jugement sera, au nombre de mille exemplaires, affichée soit à Paris, soit dans les départements, et toujours aux frais de ladite dame veuve Lafarge, desquels frais les requérants auront le droit de se faire rembourser qu’après leur état de quittances de leur imprimeur et des huissiers qui auront procédé à l’apposition des affiches ; condamner enfin ladite dame Marie Capelle, veuve Lafarge, aux dépens pour tous dommages-intérêts.[3] »

Le tribunal remit au lendemain le prononcé du jugement.

La salle se vida lentement du public, légèrement dubitatif après ce qu’il venait d’entendre, tandis qu’un groupe s’était formé autour du banc de la partie civile.
Des discusions animées, des attaques virulentes fusaient de toute part.

Mais pour Marie Capelle, veuve Lafarge, le verdict était déjà déterminé.....

Trop de mensonges, trop de changements d’attitudes, trop d’incohérences, trop de confusions dans les dires des uns et des autres....... Et surtout dans les divers propos de Marie Fortunée Capelle.


L’audience du 15  juillet 1840

Onze heures et demie, dans la salle d’audience.......

Maître Coralli est seul sur le banc de la partie civile.
Les membres des familles de Leautaud et de Nicolaï, connaissant d’avance leur victoire, ne s’étaient pas déplacés.
Maître Bach, absent également, parti plaider une autre affaire, à Limoges.

Les accusations sont rapidement énoncées par un huissier qui acheva par :
« ..... Par ces motifs, le tribunal, donnant défaut contre Marie Capelle, veuve Lafarge, .......... la condamne à deux ans d’emprisonnement...... »

Puis bien évidemment, Marie Lafarge fut condamnée aux dépens, pour tous dommages-intérêts envers la partie civile.

L’appel demandé par Maître Peyredieu, avoué de Mme Veuve Lafarge, fut rejeté.
Il ne restait plus qu’à attendre le prochain procès, celui de l’assassinat par empoisonnement dont Marie Capelle était présumée coupable.
En attendant, de plus en plus faible, la condamnée du fond de sa prison commençait à écrire « ses mémoires »....

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Pour revenir sur le procès pour vol, il est bien évidemment impossible de refaire le procès. Beaucoup de documents pourtant à disposition.
Mais il est parfois difficile de dénouer le vrai du faux.

Attendons le prochain procès qui ne saurait tarder. Gageons toutefois que nous retrouverons parmi les témoins, grand nombre des accusateurs de celui de juillet 1840.

D’ailleurs, pour information, le journal de Rouen du 19 juillet annonçait :
« La famille de Leautaud, devant, dit-on, figurer comme témoin au procès criminel, se fixe à Brives pour trois mois : elle vient d’y louer une maison. »


..................  à  suivre ......................

[1] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[2] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[3] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.