mercredi 27 février 2019

HISTOIRE VRAIE - ROUEN A LA FIN DU XIXème SIECLE




Chapitre 8

L’avocat général, maître Petitier, prononça son réquisitoire. Il fut bref, finissant par :
«Roy doit expier son crime ! »

Puis, ce fut au tour de l’avocat de l’accusé, maître Goujon, qui se lança, avec éloquence, dans sa plaidoirie, se démenant comme un pauvre bougre, tel un animal pris au piège.
Il savait la cause perdue, déjà jugée avant même le commencement du procès. Mais, il fallait tout de même essayer de convaincre les jurés.
Mais comment convaincre les autres, quand soi-même, on ne l’était pas ?
Convaincre, tout simplement afin d’obtenir, au moins, les circonstances atténuantes.
Mais comment faire admettre cette notion, lorsque tous les témoignages prouvaient la préméditation ?
L’accusé n’avait-il pas été aperçu surveillant le magasin, chaque soir ?
Tout se léguait donc contre Constant Roy.
Le manque d’argent ?
Pas vraiment ! Roy n’avait-il pas dit à Thonon fils qu’il avait un livret de Caisse d’Epargne sur lequel il possédait quelques sous ?
D’autre part, Roy n’attendait-il pas une somme de sa sœur pour l’aider ?
Oui, mais si il avait de l’argent, pourquoi accumulait-il les dettes, et la liste en était longue :

·         A sa logeuse du Havre                                 200 francs
·         A Mme veuve David, logeuse à Rouen         40 francs
·         A Auvray, garçon de café à Rouen                20 francs
·         A boivin, garçon de café à Saint-Sever           5 francs
·         A Mme Boivin, blanchisseuse                        5 francs
·         A Solivaux                                                     20 francs
·         A Baillache                                                    11 francs
·         A Julien                                                           6 francs
Sans oublier les diverses ardoises, en attente de règlement, dans plusieurs cafés de Rouen.
Ce qui faisait, tout de même, près de quatre-cents francs.

Et cette somme de cent-quarante-sept francs retrouvée sur lui, le 6 mai 1890 au matin.
Cent-quarante-sept francs ?
N’était-ce pas l’argent qu’il devait aller chercher ce même soir, comme il l’avait annoncé à sa logeuse ?
Oui, possible, mais il y avait tout de même cette petite pièce grecque. Saisissant tout de même !
Ce genre de pièce ne devait pas être monnaie courante, bien que Rouen soit un port, accueillant des navires en provenance de bien des pays.
« Coïncidence ! avait hurlé Roy à l’évocation de cette monnaie.
Coïncidence bien troublante toutefois !

Les égratignures sur les mains et sur les bras ?
Roy les avait expliquées. Il était tombé, sur les bords de la Seine, lors de sa promenade du 6 mai, en revenant de Saint-Adrien.

Et le sang sous les ongles, constaté au moment de son arrestation, juste après le meurtre.
Et les taches de sang lavées hâtivement dans la chambre.
Saignements de nez ?
Oui, assurément, mais pourquoi ne pas avoir donné son linge maculé à la laveuse comme l’accusé le faisait pour ses mouchoirs ?
Tentative de camouflages ?
Les ongles plein de sang ?
Réponse de Constant Roy : « Je mets mes doigts dans mon nez quand je saigne. »
A cette répartie, le président ne s’était-il pas exclamé : « Tous les cinq doigts ! »

Et puis, il y avait cette animosité contre ses anciens patrons en raison des licenciements successifs, sans réels motifs selon lui, licenciements qui l’avaient plongé dans la misère et surtout contre Dubuc qu’il trouvait trop dur avec ses garçons. Pour ce dernier, on pouvait parler de haine !

Et pour en finir, le tire-bouchon. L’outil de travail de l’accusé, brandi sous le nez de plusieurs personnes, comme un objet pouvant donner la mort.
Ce ne fut pas une fois, mais plusieurs fois qu’il en fit étalage avec de la haine dans la voix et des éclairs dans le regard. 
Rahier, garçon de café, Maurice d’Ayrens, négociant et le fils Thonon l’ont confirmé.
Ce tire-bouchon, court à manche en corne, retrouvé sur les lieux du crime, justement.
« Ce n’est pas le mien ! avait affirmé l’accusé
-          Où est le vôtre, alors ? avait demandé le président.
-          Je l’ai perdu !
-          Oui, en effet, sur les lieux du meurtre. N’a-t-il pas un air de ressemblance avec le vôtre ? N’est-il pas le vôtre justement ? Les témoins l’on reconnu comme tel.
-          Coïncidence ! avait encore hurlé Contant Roy. Ce tire-bouchon n’est pas un modèle unique, mais très courant dans la profession.

Ce même mot, « coïncidence », maître Goujon le répéta mille fois au cours de son plaidoyer, avec des effets de manches et des intonations de voix.
Présent en sa mémoire tous les arguments allant en faveur de la culpabilité de son client, il essayait, tant bien que mal, et plutôt mal que bien d’ailleurs, de les contrecarrer.
Mais souvent, ses arguments tombaient à plat, car peu crédibles.
Il se démenait maître Goujon, transpirait, s’essoufflait, tout en étant conscient que c’était en pure perte.
Aussi, dans un dernier effet verbal, se tournant vers les jurés, il cria :
« Tour cela n’est que coïncidences ! Messieurs les jurés ! Coïncidences ! Et c’est sur des coïncidences que vous allez condamner Constant Roy ? C’est sur des coïncidences que vous allez faire monter un innocent à l’échafaud ! »

Ce fut sur cette dernière tirade, lancée comme une bouteille à la mer, que maître Goujon, acheva sa longue plaidoirie qui, toutefois, ne manquait pas de panache. Alors, le visage las, il sortit un mouchoir à carreaux de sa poche et, se laissant tomber sur le banc juste devant le box des accusés, il s’essuya le front. Sachant la partie perdue, il n’eut aucun regard pour Constant Roy qui semblait totalement indifférent à tout ce qui venait de se dérouler.

Comme il avait raison le pauvre avocat de ne pas y croire.
En effet, il ne fallut pas plus de trente minutes aux jurés pour rendre leur verdict.
La sentence tomba alors :
Constant Roy reconnu coupable fut condamné à la peine de mort.

Maître Goujon fut atterré, il venait de perdre le procès.
Constant Roy, l’air totalement absent, fut reconduit à la prison de Bonne Nouvelle, dans l’attente de son exécution.
Quelle importance, cette condamnation, il pouvait encore faire appel et, en ultime recours, il pouvait demander la clémence du Président de la République.
Alors...... Qui vivra verra !




..................  A suivre ...............

Il y a Saupiquet et saupiquet.



Saupiquet, une marque connue depuis bien des décennies, depuis 1891 plus exactement.

Car ce fut, en effet, en 1891, que Arsène Saupiquet fonda, à Nantes, cette société de conserves, conserverie spécialisée à ses débuts,  dans la sardine.
Une entreprise familiale très prospère qui posséda rapidement sa propre flotte de thoniers.

Pierre Géraud Arsène Saupiquet, le fondateur, était né le 24 février 1849 à Jussac, dans le Cantal.  Il était le fils de Pierre Saupiquet et Marie Rougier.
Le 29 novembre 1876, il épousa à Nantes Berthe Athénaïs Muneret, née en octobre 1853.
Leur fils, Arsène Pierre André, né le 10 octobre 1877 à Nantes, prit la suite de son père à la tête de la conserverie.
Il décéda le 30 juin 1962, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Aujourd’hui, la société  ne possède plus qu'une usine, à Quimper, dans le quartier du Moulin Vert.  Son activité n’a pas changé, la conserverie fabrique toujours des filets de maquereau ou de sardine.
En raison de la concurrence, entre 1987 et 2010, l'entreprise est passée de dix à un seul site de production.


Saupiquet n’est pas uniquement un nom de famille.
Non !
Saupiquet est également le nom d’une sauce que certains cuisiniers connaissent bien.
Une sauce qui assaisonnait déjà les plats en 1380.

Le nom vient du verbe « saupiquer », venant lui-même de l’ancien provençal « salpicar » : piquer avec du sel.
Voilà donc un terme culinaire plein de soleil et ayant un goût fort relevé, car sauce piquante  et épaisse accompagnant gibiers et viandes rôties.

A travers les âges, l’orthographe du mot subit quelques modifications, la recette également sans doute au grès des inventions des divers chefs, voilà pourquoi on trouvait :
·         Saulpicquet, au début du XVème siècle
·         Sopicquet, en 1490.

Ah, les mots et leur évolution, les mots et leurs détournements !
Un sopicquet pouvait aussi désigner (1460) un homme  subtil, sûrement en raison de son esprit piquant, mais aussi un mauvais tour.
Un sopicquet effectuait donc des sopicquets ! 


La cuisinière saupiquetait un mets, en lui donnant un goût piquant.
Alors, dans l’idée de donner du piquant, pouvait-on aussi saupiqueter une conversation, afin d’attiser la curiosité des auditeurs ?







mercredi 20 février 2019

HISTOIRE VRAIE - ROUEN A LA FIN DU XIXème SIECLE


Chapitre 7

La salle d’audience résonnait de commentaires et réflexions, en attendant la reprise de l’audition des témoins. Chacun s’était déjà fait son opinion, mais il n’appartenait à personne d’établir la culpabilité, ni de prononcer la sentence.
Beaucoup, d’ailleurs, auraient réclamé la mort, sans autre forme de procès.
Constant Roy fut introduit dans le box des accusés quelques minutes avant l’arrivée des jurés et de la cour.
Le silence se fit peu à peu, tout allait se jouer à présent.


Devant l’attitude indifférente et froide de Constant Roy, allaient, à présent, se succéder à la barre, tous ceux[1] qui de près ou de loin le connaissaient et qui pour certains avaient passé avec lui les quelques jours ou heures ayant précédé la nuit du crime.

Jean Hiaa, dit Victor, fut le premier.
Garçon de café chez le sieur Dubuc, il avait toute la confiance de son patron.
Il était un des derniers à avoir vu le limonadier en vie.
« Si je connais bien l’accusé, ça j’peux l’dire ! Je l’ai vu rôder vers minuit ces derniers jours, autour du café et c’était pas la première fois. D’ailleurs, c’est ce que j’ai dit lorsqu’on est venu me réveiller vers les quatre heures du matin, le 6 mai. 
-          Aviez-vous eu affaire directement à lui, avant cela ? demanda le président.
-          Début mai, j’ai reçu une carte de lui par laquelle il m’ demandait si j’ pouvais lui prêter vingt francs. Il disait que c’était parce qu’il était dans la misère et qu’il avait faim.
-          Vous étiez donc proches pour qu’il vous fasse cette demande ?
-          Je l’ connaissais comme ça, il avait travaillé chez l’ patron et venait boire un godet de temps en temps. Rien de plus.
-          Qu’avez-vous fait ? Vous lui avez prêté cet argent ?
-          J’avais montré la carte au patron et il m’avait dit, ça j’ m’en souviens comme si c’était hier :  « Ne prête pas d’argent à une pareille crapule. Tu sais, Roy finira en cour d’assises». Si il avait su l’ patron qu’ c’est pour sa mort que Roy serait en cour d’assisses !

Puis, les questions se poursuivirent sur la nuit du crime. Et là, Victor Hiaa confirma ses précédentes déclarations : les 48 000 francs de titres dans le coffre, la recette du jour d’un montant de 180 francs et la petite pièce grecque......


Maurice d’Ayrens, négociant de son état, expliqua avec beaucoup de précisions :
« J’étais à Graville, le surlendemain du crime. Deux amis m’accompagnaient. Pensez, monsieur le président, que l’évènement m’avait mis sens dessus-dessous, et que l’ayant toujours à l’esprit, me revenaient en mémoire des évènements bien antérieurs au crime. Vous savez, toutes ces petites choses, qui paraissent insignifiantes et qui, tout compte fait, s’avèrent ayant de l’importance. C’est comme ça que je me souvins que, environ trois mois avant le crime, ce devait être fin janvier oui, c’est cela, ou début février, mais dans ces jours-là..... Roy, enfin l’accusé, m’avait dit être en colère contre son patron. Il disait que celui-ci était trop dur avec ses garçons. Et c’est là, monsieur le président, qu’il sortit son tire-bouchon de sa poche et qu’il ajouta, avec un regard noir et une crispation des lèvres : « Il l’aura dans le ventre, sûr qu’il aura son affaire. Avec ça, on tue, mais ça ne fait pas couler le sang ». J’avais pris ça pour une bravade, occasionné par un abus d’alcool, car il avait une bonne descente le Roy. Mais, malgré tout, j’avais prévenu Dubuc qui n’avait pas paru plus inquiet que cela. Il m’avait répond : « C’est une canaille, mais ces hommes-là n’attaquent pas en face ». Si j’avais su, monsieur le président, c’est que j’aurais insisté !
-          Ce témoin ne dit pas la vérité ! hurla Roy, en se levant de son siège.

Le président ne fit pas cas de cette intervention, pensant simplement, avec satisfaction, que le flegme de l’accusé commençait à être ébranlé.

Quand un huissier montra le tire-bouchon, pièce à conviction, au témoin, celui-ci s’écria :
«  C’est bien celui de Roy ! Ça, j’ peux l’ jurer ! »


Edmond Henri, garçon de café au « café de Paris », déposa ensuite, précisant :
« J’ai une chambre, rue du Petit Salut, juste à côté de celle de Roy. Dans la nuit du 6 mai, je rentrai chez moi, Roy m’interpella, me demandant de la bougie. Sa demande ne me surprit pas, je savais qu’il avait de gros problèmes d’argent. Je m’apprêtai à lui en céder une, et voilà qu’il m’invite à dîner. « On va aller chez Salles, qu’il me dit, c’est moi qui paie ! » J’étais bien étonné, pardi, vu que le  matin-même, il n’avait pas le sou. Devant mon air ahuri, il m’a dit que sa famille lui avait envoyé de l’argent. Au cours du repas,  il a été très gai. Moi, j’avais surtout envie d’aller m’ coucher. En rentrant, il a voulu passer par la rue des Charrettes. Quelle idée que j’ lui ai dit, c’est bien plus court par les quais. Mais il en a pas démordu. J’ crois savoir pourquoi, maintenant !


Madame veuve Salles, limonadière.
Elle expliqua qu’elle avait employé Constant Roy pendant cinq mois et qu’elle s’en était séparé parce qu’il ne plaisait pas à la clientèle.
« Un seul client me trouvait antipathique ! s’insurgea Roy, pas toute la clientèle !
Sans faire attention à cette réflexion, elle poursuivit son discours, confirmant que le 6 mai,  Constant Roy était venu souper dans son café avec un ami et qu’il avait commandé un bon repas.
« C’est que je l’ai regardé de travers, pour sûr, lorsqu’il m’a dit que c’était lui qui payait. Bizarre, même, vu que ces derniers temps, il avait des ardoises un peu partout et qu’on disait même qu’il allait se retrouver à la rue, vu qu’il payait plus sa logeuse.
-          Pour reprendre votre déclaration, vous avez renvoyé l’accusé parce que l’accusé ne plaisait pas à la clientèle. 
-          Oui, mais aussi parce qu’il était mal soigné !

Maitre Goujon, l’avocat de Constant Roy, qui jusqu’à présent écoutait en prenant des notes intervint.
«  Si je peux me permettre, mon client n’était pas « mal soigné » par sa volonté, mais souffrait de saignements de nez qui survenaient sans prévenir.


Monsieur Letourneau, garçon de café chez Madame veuve Salles.
Sa déclaration n’apporta que peu de précisions, en réalité.
Seulement que .....
«  La nuit du 6 mai, Roy est bien venu au café pour dîner. Il était même très gai, parlant fort, très fort, comme s’il voulait se faire remarquer. »


Monsieur Boivin, garçon de café à Rouen, quartier Saint-Sever.
« Cinq ou six semaines avant le 6 mai, Roy est venu me taper de cinq francs. Il était si pressent que, pour m’en défaire, je lui ai prêté la somme. En pure perte d’ailleurs, car j’ai jamais revu mon argent, et  le reverrai jamais ! »


Monsieur Auvray, également garçon de café à Rouen.
Lui aussi avait prêté de l’argent à l’accusé. Vingt francs, quinze jours avant le crime.
« Il m’a dit qu’il me rembourserait rapidement. Il était, soi-disant, en attente d’une rentrée d’argent. Sauf que moi, j’attends toujours ! Il m’a  jamais rendu mon bien.


Monsieur Rahier, garçon de café.
« Je connais bien Roy, on se fréquente tous les jours depuis trois ans. Quinze jours avant le crime, il partit vers dix heures du soir, au lieu de minuit, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Je crois que c’est ce jour-là qu’il m’a montré son tire-bouchon, affirmant que cet objet était une arme efficace. Il avait, en disant ça, une étincelle méchante dans le regard.

Lorsqu’un huissier montra  au sieur Rahier le tire-bouchon trouvé sur les lieux du crime, celui-ci le reconnut  comme étant bien l’objet brandi par l’accusé ce soir-là.


Monsieur Huet, marchand de bière.
Son témoignage concorda en tous points avec les précédents. Il reconnut également le tire-bouchon comme appartenant à Roy.


Mademoiselle Jardin
Lorsqu’on lui montra le tire-bouchon, elle haussa les épaules avec une moue dubitative.
« Bah ! A vrai dire, je n’en sais rien. Tous ces accessoires de garçons de café sont bien identiques. Alors dire si celui-là est bien celui de l’accusé. »
Cette réflexion attira lazzis et petits rires de quelques hommes présents. Une femme était-elle, en effet, capable en ce domaine, purement masculin ?

Elle expliqua que le 6 mai, elle était partie en même temps que Roy, après la partie de dominos. Ils avaient fait route ensemble. Elle se souvenait très bien que Constant Roy avait une mise propre et une chemise blanche. Pas de taches de sang.


Madame veuve David, propriétaire rue du Petit Salut à Rouen, logeuse de Constant Roy.
« C’est qui me devait quarante francs, monsieur le président. Deux mois de loyer ! C’est une somme, pardi ! Il promettait toujours de m’ payer, mais rien venait.  Alors le 2 mai, j’ lui ai remis une lettre, le menaçant de l’ mettre dehors si je touchais pas mes loyers. Il attendait de l’argent de sa sœur, qui disait. D’ailleurs vers les quatre heures après midi, le 6 mai, il m’a dit : « j’ vais chercher de l’argent vers dix heures ce soir » - « Ah l que j’ y ai dit, à c’  t’heure ? Mais, où on peut avoir de l’argent à pareille heure ? «  C’est là qui s’est lancé dans une explication à vous donner la migraine. J’ai ben essayé d’ comprendre, mais moi, c’ que j’voulais c’étaient mes loyers. Mais d’agent, eh ben,  rien du tout ! »


Monsieur Pillon, employé de banque et ami de Jules Adolphe Dubuc.
Son témoignage fut bref. D’ailleurs, il ne connaissait l’accusé qu’au travers les dires de son ami Dubuc et ces dires n’étaient nullement flatteurs. Le limonadier ne gardait cet employé uniquement en raison de ses compétences professionnelles.


Madame Boursier, Blanchisseuse.
« L’accusé, dit-elle, en désignant l’homme dans le box des accusés d’un geste du menton, me doit cinq francs depuis le mois de mars. Et c’est pas cher payé, car ses mouchoirs souvent tachés de sang, je dois les frotter dur. Oui, car l’accusé saigne souvent du nez. Mais je n’ai jamais lavé de taches de sang sur ses chemises. »


Madame Dupray, cafetière.
« Le lundi 5 mai, Roy n’avait pas d’argent. Il devait effacer son ardoise le lendemain. Mais, ce jour-là, il avala très vite son bock. Lui qui d’habitude prenait son temps, ça a étonné. Roy les regarda de travers en disant : « Il ne faut pas m’ faire chier, tas de cons, je vous tuerais comme une merde ». Désolée, monsieur le président, mais je ne fais que répéter les propos de l’accusé.
-          Je vous en prie, répliqua le président, vous faites bien.

Constant Roy se dressa alors, furieux, traitant la femme de menteuse.

Dernier témoin, à présent, en la personne de Monsieur Thonon-fils, ouvrier tourneur.


« On allait boire souvent un pot avec Roy. Surtout au Tivoli. Roy cherchait une place et il devait être employé au café du « Grand Balcon ». Tout le monde savait qu’il était dans la misère, mais il disait qu’il ne voulait pas toucher à son livret de Caisse d’Epargne. Il préférait attendre les fonds que sa sœur lui avait promis.  Les soirs précédents le 6 mai, il partait à vingt-deux heures.
-          Vous disait-il pourquoi ? s’enquit le président.
-          Il disait qu’une femme l’attendait.
-          Lui connaissiez-vous une liaison ?
-          A vrai dire, nous n’en savions rien. Sur le sujet, il restait secret. Il avait parfois des réactions étranges, d’ailleurs ces derniers temps, il lui arrivait souvent de sortir son tire-bouchon de sa poche, disant, qu’avec, il pouvait tuer un homme. Dans ces moments-là, il avait une expression étrange, et même si on ne le prenait pas au sérieux, ça faisait froid dans le dos.
-          Qu’avez-vous fait la veille du meurtre ?
-          Le 5 mai, avec Roy, on est allé à Saint-Adrien, par les berges de la Seine. A six heures du matin, on était en route. On a mangé dans un café. C’est moi qu’ai payé. Nous sommes revenus à Rouen vers huit heures après midi. Sur le retour, sur les bords de la Seine, Roy s’est mis à saigner du nez,  très abondamment.
-          Il saignait fréquemment du nez ?
-          Oui, ça lui arrivait souvent.
-          Ensuite, qu’avez-vous fait ?
-          Le 6 mai au soir, on a joué aux dominos. Il a perdu. La mise n’était pas bien grande, mais il a affirmé qu’il aurait de l’argent le lendemain.
-          Ce fut ce soir-là qu’il est parti en même temps que Mademoiselle Jardin ?
-          Oui, ils sont partis en même temps.


Ce fut donc la dernière personne venue déposer à la barre.


Laissons le temps aux jurés de « digérer » toutes ces informations...........
Nous reprendrons, un peu plus tard.




................................. A  suivre  .......................

[1] A mon grand regret je n’ai trouvé aucune information sur les protagonistes de cette affaire : aucune date de naissance – date de décès – description physique .......  rien à me mettre sous la dent !!!!

Se débiner !!


Il va encore se débiner !

Voilà encore une expression qu’utilisait ma grand-mère lorsqu’elle parlait de quelqu’un qui s’éclipsait face à une situation inconfortable.

Et de fait, si je regarde la définition de ce verbe dans « Le parler Rouennais » de Gérard Larchevêque, (ma grand-mère étant d’à Rouen....), je trouve :
« Se débiner »  : Eluder – éviter une conversation embarrassante.
« Débiner » : médire de quelqu’un.

Le dictionnaire « Robert », lui  donne cette définition :
« Débiner », mot d’usage familier (1790) – d’origine incertaine -  pourrait être composé de « biner », dire du mal de quelqu’un.
Mais, « débiner » fut d’abord employé au sens de « passer aux aveux, cesser de se défendre », en parlant d’un accusé.
1821 : « Débiner » retrouve son sens de « dénigrer quelqu’un ».
1867 : « Débiner » dérive vers « délivrer le secret de quelqu’un ».
Il faut donc éviter de se confier à un débineur !!

Comme l’origine semble bien floue, il se pourrait que le mot vienne de l’ancien français « se biner » (1771) ou encore de « s’en binner », qui lui-même provient de  «  bignier » désignant l’action de s’en aller secrètement....... en catimini !!
Alors, pour en avoir le cœur net, j’ai feuilleté le « Larousse de l’ancien français », et en effet, j’y ai découvert le verbe « bignier » : s’esquiver.
C’est magique, tout se recoupe.

Se débiner correspond bien à s’esquiver physiquement et débiner à esquiver un affrontement verbal.

·         Un débineur (1875) débine un débinage  (1836).
En français moderne, cela pourrait donner :
Un accusé (ou un indic) dénigre quelqu’un (révèle des secrets ou passe aux aveux).

Mais, vous savez que les mots évoluent selon le contexte, voilà pourquoi il faut toujours faire attention à leur interprétation et donc, comme disait ma grand-mère, « à tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler ».

Débiner (1808) – verbe intransitif : être dans la misère.
Une débine (1808  - nom féminin :  la misère.
Etre en pleine débine, c’est être dans la misère, être dans la mouise !

Des questions ?......... Dites les vite avant que je me débine !

mercredi 13 février 2019

HISTOIRE VRAIE - ROUEN A LA FIN DU XIXème SIECLE


DANS LE PALAIS DE JUSTICE DE ROUEN



Chapitre 6 





Nous allons maintenant assister au défilé des témoins ;
Tout d’abord, ce fut Jeanne Lemaitre, domiciliée au Havre.
Elle avait rencontré Auguste Constant Roy, le frère de l’accusé, en 1887. Une bien triste histoire, d’ailleurs, car celui-ci était tombé amoureux fou de la jeune femme qui ne partageait pas ses sentiments. Voyant ses espoirs amoureux privés d’avenir, le jeune homme s’était donné la mort.
Il avait été retrouvé pendu dans sa chambre au numéro 15 de la rue de Chillou.

Acte de décès  -  Le Havre
Roy Auguste Constant, âgé de vingt-et-un ans, cinq mois, garçon de café,  décédé le 13 février 1888 en son domicile à une heure du soir, 5 rue de Chilou.
Né à Agiez, canton de Vaud (Suisse), le 20 septembre 1866, fils de feu Louis Auguste Roy et feue Charlotte Boulier, célibataire.

La déclaration du décès avait été faite par Constant Roy, le frère du défunt et Auguste Eternod, ami du défunt. Tous deux garçons de café, demeurant à Rouen et âgés de vingt-trois ans.
Quelques lignes dans le « journal de Rouen », en date du 15 février 1888, sur ce fait banal à l’époque, car ce n’était pas le seul suicide annoncé, si l’on poursuivait la lecture du petit encadré.

Le jour de l’inhumation, Constant Roy, présent, n’avait pas caché ses souhaits de vengeance, envers celle qu’il considérait comme la « meurtrière ».
Ce ne fut donc pas sans appréhension que Jeanne Lemaitre revit Constant Roy peu de temps après. A son grand soulagement, il fut très aimable. Il l’invita même à souper chez Evrard, puis à l’Alcazar.
A chaque fois, ils se quittèrent vers une heure du matin et Constant Roy était toujours très éméché.
« Comment se montrait Roy à votre égard ? demanda le président.
-          Charmant, sans aucune animosité.  Il ne semblait pas triste, même lorsqu’on parlait de son frère.

Elle évoqua aussi ce moment où, au cours d’un des repas, il lui avait offert un morceau de tissu, provenant du mouchoir avec lequel son frère s’était pendu.
« Je suis restée sans voix, terrorisée à la vue de ce tissu. Je n’osais le prendre.
-          Que vous a dit-il alors ?
-          Il m’a dit simplement, c’est pour vous porter chance et surtout gardez-le bien sur vous quand vous aller jouer à Deauville, ainsi vous gagnerez. Il m’a confié qu’il en avait gardé un aussi pour lui, car il lui arrivait souvent d’aller au casino.

A l’évocation de « ce mouchoir de pendu », se fit sentir dans la salle un frisson d’effroi, d’autant plus qu’interrogé sur le sujet, l’accusé répliqua :
« C’était pour lui porter chance, rien de plus.
-          Mais, il s’agissait de votre frère, s’insurgea le président.
-          Un pendu est un pendu !.....

Un « oh » de protestation s’éleva alors. Voilà bien une réflexion nullement en faveur de Constant Roy.
Sans tenir compte de cette marque de désapprobation venant du public, le président poursuivit, s’adressant à Roy :
« Vous jouiez donc régulièrement ? Vos gains au jeu étaient-ils importants ?
-          Lorsqu’il m’arrivait de gagner, je reperdais tout aussitôt.




Puis, se présenta à la barre, Monsieur Davoust, cafetier à Rouen.
Son témoignage n’apporta pas de grandes précisions sur l’affaire, si ce n’était la confirmation que Constant Roy fut à son service pendant six mois, embauché sur la recommandation de Monsieur Souchard.
« Souchard m’avait dit que c’était un bon garçon de café et qu’il connaissait bien son métier. De fait, je n’ai pas eu à me plaindre de son travail.
-          Alors pourquoi ne pas l’avoir gardé  à votre service ? s’enquit le président.
-          C’est que je l’ai surpris à voler dans la caisse. Alors je l’ai congédié.


Monsieur Legrand, maître d’hôtel à Rouen ne témoigna pas, non plus, en faveur de Constant Roy.
« Six semaines à mon service, oui, monsieur le président. Je m’en suis séparé. Trop familier avec les clients. Faut du respect avec la clientèle dans le métier, c’est une règle professionnelle.»


Charles Thouroude, en sa qualité de client, fut servi par Constant Roy. Il déposa sous serment avoir payé une consommation douze francs, alors qu’elle ne valait que six francs.
« Je me demande toujours, conclut-il, où est passée la différence. Dans la poche de ce voleur, ou dans la caisse de son patron. 
-          Pourquoi n’avez-vous pas protesté ?  interrogea le président.
-          Il avait un tel aplomb et un regard terrible. Je n’ai pas voulu faire d’histoire. Mais, six francs, tout de même, c’est une somme.

Madame Molière[1], la dernière personne à avoir vu Jules Alphonse Dubuc vivant, vint ensuite à la barre.
« J’ai vu Monsieur Dubuc vers 11 h 45 du soir, environ. Chaque soir, il m’apporte un bol de bouillon. On bavarde cinq à dix minutes. Il me demande si je vais bien et comment va le bébé. C’est qu’il faut vous dire, monsieur le juge, que mon mari i’ part toute la semaine et que je viens d’accoucher. Un brave homme monsieur Dubuc. Serviable et attentif aux autres. Pauvre homme, finir comme ça !
Dix minutes après son départ, j’ai entendu « au voleur, à l’assassin », alors je me suis mise à ma fenêtre et j’ai aussi appelé à l’aide mes voisins. Monsieur et madame Volits[2] se sont levés et sont descendus dans la cour. Ce n’est qu’après que j’ai appris l’horrible nouvelle. Vous parlez d’un choc. C’est-y pas possible une chose pareille ! »



Ensuite, Madame Lemercière, couturière de son état, vint prêter serment avant d’expliquer ce qu’elle avait vu.
« C’est la femme Molière qui est allée réveiller Monsieur Volits. Moi, j’avais entendu un bruit de lutte et des cris. C’est ce qui m’a fait me lever et m’habiller rapidement. C’est comme ça que j’ai rejoint monsieur Volits dans la cour intérieure. Ensemble, on a cherché monsieur Dubuc, mais il faisait très noir, comme dans un four. Pas de lumière.  Alors, c’était bien compliqué. C’est comme ça qu’on est allé chercher les gendarmes. Pauvre monsieur Dubuc ! C’est là qu’on l’a vu. Mais le voleur, pensez donc, il avait bel et bien déguerpi !


Dans le café de la rue des Charrettes, il y avait une caissière. Elle était là pour noter les sommes que lui rapportait le garçon de café. Plus facile ensuite pour s’y retrouver au moment de faire la caisse.
Cette caissière se nommait madame Merle.
Elle était là, toute endimanchée, afin de porter témoignage, elle aussi. Elle précisa :
« Je connaissais bien Constant Roy du temps qu’il travaillait au café. Après son départ, il venait de temps en temps pour consommer. Le  6 mai, le patron était resté seul avec le garçon de café et le garçon d’office. Souvent, monsieur Dubuc me laissait partir aussitôt le café fermé. Ce jour-là, je m’en souviens très bien, dans le paiement d’une consommation, il y avait une petite pièce grecque. »

A l’évocation de cette pièce étrangère, le juge s’adressa à Roy :
« N’était-ce pas la petite pièce retrouvée sur vous ?
-          Coïncidence ! lança l’accusé, sans autre commentaire.
-          Coïncidence ! s’exclama le président. Pour vous, tout est donc coïncidence ! La petite pièce grecque. Le sang sur votre chemise dû à un saignement de nez, justement ce soir-là ! Et aussi le tire-bouchon, retrouvé sur les lieux du crime ! Mais nous reviendrons sur ces divers points au cours des autres dépositions.

Faisons à présent une petite pause, avant les auditions suivantes, celles des personnes qui établiront l’emploi du temps exact de Constant Roy, les jours précédents le meurtre.


                                                                                       
..........................  à suivre .......................


[1] Je n’ai pas trouvé la naissance d’un petit « Molière » ou orthographe apparentée dans les mois précédant le drame.
[2] Plusieurs orthographes pour le nom de ce couple. Quelle est la bonne ? Encore un mystère !!