L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 7
La première audience[1],
pour « vol », devait se dérouler au Tribunal Correctionnel de Brives-la-Gaillarde,
le 9 juillet 1840.
L’audience avait été annoncée pour onze heures.
Déjà depuis la veille, voire l’avant-veille, tous les hôtels
affichaient complet, et le matin même, dès trois heures, de nombreux curieux
s’étaient déjà amassés devant le nouveau palais de justice.
A dix heures, la salle était déjà comble.
Pour accéder aux places des trois premiers rangs, il fallait posséder
un carton de réservation, comme au théâtre. N’avaient eu droit à ce privilège
que les « femmes du monde ». Elles étaient là toilettées comme aux
grands jours, venues pour voir, mais aussi pour être vues.
Les plaignants, également présents, se trouvaient auprès de leurs
défenseurs.
Tous les regards étaient tournés vers eux. Il y avait, drapés dans
leur dignité et leur bon droit :
·
Madame Marie Leautaud, née de Nicolaï,
constituée partie civile représentée par Maître Coralli, avocat, assisté de
Maître Miallet, avoué. Elle était accompagnée de son mari. Une jeune femme
belle et distinguée, habillée avec élégance. Elle paraissait souffrante, mais
n’était-ce pas en raison de son état de grossesse arrivant à son terme ?
·
Monsieur et madame de Leautaud – père et mère.
·
La famille Nicolaï.
·
Madame Lafarge-mère, le visage sévère, l’œil
noir.
A onze heures et dix minutes, Marie Lafarge, apparaissait entre deux
gendarmes. Elle s’installa sur le banc des accusés juste au-dessus du banc des
avocats où déjà, Maître Théodore Bac et Maître Lachaud, ses deux avocats,
assistés de Maître Peyredieu, avoué, avaient pris place.
Puis, arrivèrent les magistrats.
·
M. Lavialle de Masmorel, Président.
·
M. Dumont de Saint-Priest, du ministère public.
·
M. Rivet, procureur du roi.
Ce jour-là, rien.
Les débats et plaidoiries tournèrent autour d’une seule
question :
« L’accusation pour vol, ne devait-elle pas être jugée, après
l’accusation pour empoisonnement ?
A la fin des débats, Maître Peyredieu déposa une demande de sursis qui
fut rejetée, après une courte délibération d’une demi-heure.
Les raisons étant que le vol était antérieur à l’empoisonnement et que
les deux affaires ne dépendaient pas de la même juridiction.
M. le Président déclara que le prononcé du jugement était renvoyé au
samedi 11 juillet.
Fin de l’audience.
Madame Lafarge, par la voix de son avocat, fit appel.
Audience du 11 juillet 1840
Un peu moins de monde que l’avant-veille, un tout petit peu moins....
Sauf du côté des « dames du grand monde » qui, endimanchées
de plus belle, affichaient toilettes aux teintes roses et blanches et chapeaux
volumineux.
L’atmosphère était palpable dans l’enceinte de la salle d’audience. Une
bagarre s’engagea, une dame se trouva mal et il fallut l’intervention des forces
de l’ordre pour que le calme revînt......
Onze heures, quarante-cinq minutes, l’audience commença.
Il fut question de la demande d’appel effectué lors de
la précédente audience.
L’appel fut rejeté pour les mêmes raisons.
L’audience fut renvoyée au surlendemain.
Audience du 13 juillet
1840
Une journée qui s’annonçait lourde, car vingt-deux
témoins devaient être appelés à déposer sous la foi du serment dont, entre
autres :
·
M. Lecointe, bijoutier à Paris
·
M. Fauveau Commis de M. Lecointe
·
Mme la vicomtesse de Leautaud
·
M. le vicomte de Leautaud
·
Mme la baronne de Montbreton, sœur de Mme la
vicomtesse de Leautaud
·
Mme la marquise de Nicolaï
·
M. le marquis de Nicolaï
·
Melle Delvaux, gouvernante de Mme Leautaud
·
M. Allard, chef de police à Paris
·
Mme la comtesse de Nieuwerkerke
·
M. le comte de Nieuwerkerke
·
M. de Lapeyriere, ami de M Clavé
·
M. Coulboeuf
·
M. Manceaux
·
Mme Lafarge-mère
·
Mme Buffières, fille de Mme Lafarge-mère
·
M. Buffières
·
M. Denis, commis des Forges au Glandier
·
M. Sigisbert Mariot Thiery, ancien domestique de
M. de Nicolaï
Maître Bac demanda dès le début de l’audience la possibilité que, sa
cliente, Marie Lafarge, se retire. En effet, d’une pâleur extrême, elle ne
paraissait pas en bonne forme, déjà l’avant-veille elle avait une toux
persistante et sèche.
La partie adverse, ainsi que les magistrats, n’opposèrent aucun refus
et Marie Lafarge se retira.
Ce fut donc en l’absence de l’accusée que M. le substitut du procureur
du Roi exposa les faits. L’auditoire buvait ses paroles.
Puis ce fut au tour de maître Coralli de prendre la parole remontant
son exposé au mois de janvier 1836, date du début des relations de la famille
de Nicolaï avec Marie Capelle. C’était Madame de Montbreton, sœur de Marie de
Nicolaï qui, à cette époque, n’était pas
encore la vicomtesse de Léautaud qui avait présenté la jeune Marie à ses
parents comme une jeune orpheline, d’une éducation distinguée, d’une famille
honorable. Très vite, Marie Capelle et Marie de Nicolaï était devenu
inséparable......
Bien évidemment, il en vint à la rencontre des deux jeunes filles avec
le jeune Félix Clavé qui entretint, par la suite, par l’intermédiaire de Marie
Capelle, une correspondance avec Marie de Nicolaï dont il était amoureux. Mais
Marie Capelle échangeait également des courriers avec le jeune homme, échanges
plus amicaux.
Maître Coralli précisa que ces lettres étaient bien innocentes et
qu’il apparaissait à leur lecture que M. Clavé ne recevait pas en retour
l’amour qu’il portait à la demoiselle de Nicolaï. Malgré tout, Marie de Nicolaï
prit peur, cette peur que ressentaient les jeunes filles de bonne éducation,
celle d’être compromise. Aussi cessa-t-elle toute relation.
Quant à Marie Capelle, elle poursuivit avec insistance sa
correspondance au point que Félix Clavé pensa que cette jeune femme était
amoureuse de lui. Il s’en ouvrit d’ailleurs à un ami.
Maître Coralli passa un long moment à lire les courriers échangés, à
les analyser, puis conclut :
« Selon Marie Capelle, son amie, Marie de Nicolaï avait peur que
Félix Clavé révèle leurs échanges épistolaires, bien innocents cependant, et
voulut le faire taire en achetant son silence. Les diamants de la parure devaient
servir de monnaie d’échange ! Nous verrons à l’audition des témoins que la
vérité était bien autre ....... »
Audience du 15 juillet 1840
Dehors, une pluie battante avait rebuté un grand nombre de personnes à
se déplacer.
Juste avant que l’audience ne commence, le garçon de salle fit une
petite annonce, après avoir salué le public rassemblé.
« .......vous savez sans
doute que notre Palais de Justice n’étant pas fini, nous n’avons pas encore un
meublier assorti pour les besoins du public. Or donc, les chaises que vous
occupez ne sont pas à nous. Elles ont des droits à payer à la paroisse, comme
de juste. Vous êtes donc priés de laisser un souvenir pour la récompensation de
celles qui auraient été abîmées. »
En clair, faites attention ou payez !!!!
Puis la séance commença avec l’appel des témoins[2].
Madame veuve Garat ne se
présenta pas. Son absence fut excusée par un certificat médical.
Puis ce fut M. Joseph Moronet
qui se présenta à la barre.
« Quel est votre état,
demanda le Président.
-
Commissaire
exploitateur à Paris.
-
Faites
votre déclaration.
-
Je suis en
relation d’affaires avec M. Zalayetta du Mexique qui est un homme de bonne
réputation. Il partit en février dernier pour ce pays avec femme et enfants,
ses beaux-parents une tante et son beau-frère Félix Clavé. Je connais très peu
M. Clavé, mais je sais qu’il est instruit et très distingué. J’ai toujours ouï
dire que c’était un homme honorable, un cœur noble et généreux et avec des
principes.
-
Avait-il
des moyens d’existence ?
-
Oui, il
s’en faisait de très avantageux avec sa plume, ses travaux littéraires.
D’ailleurs, ses parents pouvaient subvenir sans problème à ses besoins.
-
Menait-il
une conduite régulière ?
-
Jamais on
n’a rien eu à lui reprocher. C’était un jeune homme comme il faut.
-
Vous ne
savez rien de relatif au procès ?
-
Non,
absolument rien, Monsieur le Président.
Lui succéda, M. Eloi Joachim
Lecointe, bijoutier – 12, rue Castiglione
« Les diamants saisis au
Glandier, commença M. Lecointe, m’ont été présentés à Paris par M. le juge
d’instruction. Parmi ces diamants, il s’en trouvait qui avaient été fournis par
moi. Je n’ai pu reconnaître que quelques fragments qui étaient restés montés,
et une pierre d’une couleur et d’une forme très particulières. Une partie de la
monture était restée dans le double-fond de l’écrin. Dans l’écrin, il y avait
aussi sept à huit perles.
-
Tous les
diamants saisis représentaient-ils la quantité des diamants fournis par
vous-même ? s’enquit le Président.
-
Ils
représentaient à peu près le même poids. La facture est aux pièces, il y en a
environ 25 carats.
-
Comment
fait-on pour démonter des diamants ?
-
On les
pousse avec un outil pointu en arrière de la monture.
-
Avec un
canif ?
-
Non,
monsieur, c’est un instrument trop faible.
-
Avec des
ciseaux ?
-
Oui,
monsieur.
-
Avez-vous
fourni quelque chose à Mme Lafarge ?
-
Oui,
monsieur, à l’époque de son mariage, je lui ai fourni, du moins, j’ai fourni à
Mme Garat, pour elle, des parures entièrement neuves.
Un écrin fut alors présenté à M. Lecointe. Dedans des perles et des
diamants. Certaines pierres furent reconnues par le bijoutier comme appartenant
à la parure de Marie de Nicolaï.
Puis ce fut à M. Pierre Allard
de venir déposer à la barre. Agé de 49 ans, il était chef du service de sûreté
à Paris.
« J’ai été, Monsieur le
Président, appelé par la justice à donner dans cette affaire les renseignements
qui sont parvenus à la police.
-
Parlez-nous
d’abords des vols faits au préjudice de Mme veuve Garat, demanda le
Président.
-
Je fus
averti de plusieurs vols commis dans la maison de cette dame, et notamment,
récemment on lui avait pris un billet de 500 fr. Je me suis rendu chez cette
dame et examiné attentivement le logement. Je fis une attention particulière
aux meubles, surtout celui où le billet pris avait été renfermé. Aucune trace
d’effraction, ce qui aurait été le cas si ce fut un voleur de profession. J’en
conclus que le vol avait été commis par quelqu’un de la maison. Une
surveillance fut effectuée, sans résultat. Mme Garat m’apprit alors que ce
n’était pas la première fois que des sommes d’argent disparaissaient. Ce fut 40
fr, puis une autre fois 80 fr, et puis d’autres sommes plus petites, 5 fr
par-ci, 5 fr par-là. Un an plus tard, M. le préfet de police me fit savoir
qu’un vol de diamants avait été fait au préjudice de M. de Leautaud. Ce dernier
vint me voir accompagné de M. de Nicolaï. Selon eux, le vol n’avait pu être
commis que par quelqu’un qui se trouvait au château. Après plusieurs entrevues,
il me dit que ce ne pouvait être un des domestiques qui avaient tous sa
confiance, mais qu’il y avait bien une personne sur laquelle des propos avaient
été tenus ; mais qu’il n’osait pas se prononcer affirmativement. La
personne en question devait se marier et partir bien loin de Paris, difficile
de poursuivre, dans ces conditions, une surveillance rapprochée. Lorsque M. de
Leautaud me révéla le nom et l’adresse de la jeune personne, je fis tout de
suite le rapprochement avec la disparition des 500 fr. Voilà pourquoi après
l’empoisonnement du mari de la personne en question, M. de Leautaud est revenu
me voir pour demander une perquisition au domicile de cette dame.
Le Président posa d’autres questions, toutes concernant d’autres vols
chez Mme Garat : une boîte à portrait, un jonc à pomme d’or, trois pièces
d’or. Monsieur Allard n’avait pas été informé de ces autres vols.
Maitre Coralli demanda à interroger le témoin :
« M. Allard, lorsque vous
vous êtes rendu chez Mme Garat pour le vol du billet de 500 fr, Mlle Capelle
demeurait-elle chez sa tante ?
-
Je ne sais
pas. Il y avait avec Mme Garat deux jeunes femmes. L’une d’elle était très
brune, avec un visage fort pâle.
-
A votre
avis, était-ce Marie Capelle.
-
Je le
pense, mais ne peux l’affirmer.
Antoine Nicolas Fauveau,
commis chez M. Fossin, bijoutier à Paris, rue Richelieu, au n° 62.
« Mme Lafarge m’a apporté
plusieurs perles dans un panier pour les faire monter. J’en ai fait pour elle
deux petites épingles réunies entre elles par une petite chaîne, une bague
chevalière et deux bracelets. Ce n’était pas des perles de grande qualité.
-
Avez-vous
eu plusieurs perles à monter ?
-
Sept, huit
ou neuf.
-
Est-elle
venue seule ?
-
Elle était
accompagnée d’une femme qui est restée dehors.
-
Avez-vous
reconnu Mme veuve Garat ?
-
Non. J’ai
demandé à Mlle Capelle si elle avait des diamants pour mettre à la place des
perles, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas de diamants.
Laissons le tribunal prendre une petite pause avant de poursuivre
l’audition des témoins........
[1]
Sources : « Les poisons »
de Arthur Mangin – Le journal de Rouen, juillet 1840.
[2] En
italique, uniquement les grandes lignes des questions et réponses ont été
recopiées..... et parfois légèrement modifiées, tout en gardant le ton, le sens
et la véracité des propos.