les empoisonneuses
L’AFFAIRE
BODIN - BOURSIER
CHAPITRE 6
Audience du 29 novembre 1823.
Les témoignages se succédaient, sans apporter,
toutefois, un éclaircissement probant de
l’affaire.
Beaucoup trop de contradictions.
Ce matin-là, peut-être qu’enfin......
Le sieur Donzel, employé à l’administration de la
maison du roi, était venu spontanément faire une déclaration.
Pourquoi ? Qu’avait-il à voir dans cette affaire
de mort suspecte ?
Bah voilà !
Tout simplement parce que Bailly, après le décès de
Boursier, était entré au service de Mme Donzel qui tenait une épicerie.
Voilà la déclaration de ce monsieur :
« Après la mort de Boursier, Bailly est entré au
service de mon épouse qui, un jour, s’enquit du ressenti de son nouvel employé,
concernant la mort de son ancien patron. Bailly sembla troublé et sa réponse
fut :
« L’opinion
publique regarde la femme Boursier comme l’auteur de la mort de son mari ».
Mon épouse s’offusqua de cette réplique, considérant
que l’on ne pouvait accuser sans preuves, surtout en pareil cas. Ne
s’agissait-il pas de la mort d’un homme ?
Pas une mince affaire tout de même ! Suite à cette conversation,
Bailly fit de nombreuses visites à la femme Boursier, son ancienne patronne, et
plusieurs personnes de la maison Boursier lui rendirent visite. Ce fut à partir
de ce moment que s’opéra un revirement dans le discours de Bailly, justifiant
son ancienne maîtresse. Il sembla, tout à coup, très au fait des tragiques événements.
Pourquoi ce changement ? Je trouvais cela très suspect, dangereux
même. »
Puis, le sieur Donzel, qui déposait au nom de son
épouse, mais aussi en son propre nom, expliqua que ses soupçons concernant
Bailly se confirmèrent et augmentèrent, lorsqu’il découvrit, un jour, dans la
caisse de l’épicerie, une pièce d’un louis. Son étonnement fut immense, car ce
n’était pas « monnaie courante ».
Il avait demandé qui l’avait déposée. On lui avait répondu :
« Bailly. »
En complément de cette réponse, il fut ajouté : « Ce
n’est pas le seul louis, bah non ! Il y en a eu d’autres, beaucoup
d’autres !!! »
Beaucoup d’autres ?
Quelque temps après, Bailly avait demandé un congé
pour se rendre chez l’avocat de son ancienne patronne, maître Couture.
Que trafiquait-il ?
La question était vraiment d’importance, car le sieur
Donzel avait aperçu l’employé de sa femme, dans la rue de Bourgogne, en pleine
conversation avec un des garçons de la dame Boursier. Sous le bras de
Bailly...... un sac d’argent !!!
Enfin un sac, ceux dont on se servait habituellement
pour transporter des fonds.
Cela ne sentait-il pas la magouille ?
Le sieur Donzel ne voulant pas garder sous son toit un
employé malhonnête, avait posé quelques questions à Bailly. Ce dernier, avec
aplomb, avait rétorqué :
« Je me suis rendu rue de Varennes, chez un client de l’épicerie ! »
Mais qu’en était-il réellement de cette présumée
course ? Il s’avéra que c’était faux !! Le commis Bailly n’avait été
chargé d’aucune mission commerciale.
« Devant toutes ces cachotteries malsaines et ces
diverses contradictions, poursuivit le sieur Donzel, je me suis permis de
conseiller paternellement à Bailly de dire la vérité. Sachant qu’il n’en ferait
rien, je pris la décision, pénible mais nécessaire, de remercier Bailly et
également la demoiselle de boutique avec laquelle il avait, apparemment,
quelque intimité. »
Le sieur Donzel conclut sa déposition par :
« Je n’aime pas
prendre position en affaire de justice, mais il m’a semblé être de mon devoir
de venir faire cette déclaration à la cour. »
Interrogée sur ce témoignage, plus que complet, Mme
veuve Boursier déclara ne rien savoir de tout cela, affirmant uniquement :
« Bailly était
sorti depuis longtemps de chez moi, il avait été renvoyé par M. Boursier pour
des causes graves sans doute. »
Voilà qui commençait à devenir intéressant et
titillait fortement l’attention des personnes présentes dans la salle
d’audition.
Bailly fut de nouveau appelé à la barre.
Devant un nouveau flux de questions, il déclara avoir
rencontré, quelques fois, certains de ses anciens collègues ou encore, reçu de
temps à autre, leurs visites.
Rien de préjudiciable !
Il lui avait été demandé s’il ne souhaitait pas
reprendre du service dans son ancienne place.
En réalité, c’était Kostolo qui souhaitait le voir
revenir rue de la Paix.
Pas tout à fait du reste, car ce désir de réembaucher
Bailly venait de Mme Boursier, via Kostolo.
Mais en fait, cette décision de Marie Adélaïde Bodin,
veuve Boursier, lui avait été soufflée par sa tante, la veuve Flamand, qui
avait plaidé la cause de Bailly.
Et c’était reparti !!!
Qui croire ?
Le président de séance, circonspect, s’adressant à la
veuve Boursier :
« Pourtant, ne venez-vous pas de dire que cet
ancien employé avait été renvoyé pour fautes graves ?
-
Graves ! s’exclama la veuve, quelques étourderies et peu
d’assiduité !
-
Pourtant, il venait fréquemment chez vous depuis le décès de votre
époux ?
-
Pas chez moi ! A la boutique tenue par la fille Reine.
-
Certes, mais on a tout de même essayé de faire entrer ce jeune homme chez
vous.
Se retournant vers Bailly, toujours à la barre, le
président poursuivit :
« Pourquoi avez-vous formulé des accusations
contre la veuve Boursier ?
-
Je n’ai fait que répéter ce que j’entendais.
-
Concernant l’arsenic, là aussi, vos changements de dépositions étaient en
fonction de ce que vous entendiez ? De ce qu’on vous disait de
révéler ?
-
Je ne savais pas que c’était important.
-
Et en ce qui concerne la visite chez l’avocat de la veuve Boursier. Qu’avez-vous
à répondre ?
-
J’en ai eu la demande par un des fils de Mme Boursier. M. Couture
souhaitait me rencontrer. Je me suis rendu chez lui, mais il était absent.
-
Et ce paquet, contenant de l’argent ?
-
Ce paquet ne contenait pas d’argent, mais du sel gris.
Etonnant tout cela !!!
Maitre Couture qui avait suivi avec intérêt les
questions et réponses souhaita s’expliquer sur sa demande de rencontrer le
témoin. Car, c’était bien, en effet, une demande de sa part.
En fait, c’était sur la sollicitation de la belle-sœur
de sa cliente, que Maître Couture avait souhaitait rencontrer Bailly, afin d’éclaircir
les différentes dépositions de celui-ci.
Mais, juridiquement, un avocat à le devoir de ne pas
entrer en communication avec les témoins, aussi, le jour du rendez-vous, il
avait préféré s’absenter.
Oui, car les dépositions de Bailly, depuis de début de
l’enquête n’étaient pas réellement claires, troublantes même, notamment en ce
qui concernait l’arsenic et la mort-aux-rats.
Pour se donner une idée de toutes les contradictions,
il faut revenir un peu en arrière......
C’est ce que nous allons faire grâce aux explications
de Maître Couture.
Suite à une première perquisition, dans la maison
Boursier, que ce fut dans le logis, le commerce ou les caves, aucun poison
n’avait été découvert. Bailly l’avait d’ailleurs affirmé !
Puis, Bailly était revenu sur cette déclaration. Il y
avait bien de la mort-aux-rats et de l’arsenic, les deux poisons bien rangés
dans un casier. Bien cachés. Comme l’avait préconisé le sieur Boursier.
Suite à cet aveu, pourquoi le juge d’instruction
n’avait-il pas fait procéder à une nouvelle visite des lieux ?
Maître Couture, voulant en avoir le cœur net, avait,
de lui-même, pris cette initiative bien que la loi ne l’y autorisait pas.
Accompagné de Bailly, il s’était rendu rue de la Paix où Bailly s’était dirigé
directement à un endroit précis, sans la moindre hésitation.
Pour quelqu’un qui ne savait pas, qui ne savait
plus... sa mémoire lui était revenue bien facilement !!
Bailly, donc, à croupetons, passa le bras dans un
casier et en ressortit deux paquets, l’un contenant de la mort-aux-rats et un
second, de papier gris, plein de poudre d’arsenic.
Après ce constat, l’avocat avait fait remettre cette
découverte à l’endroit même où elle se trouvait quelques minutes plus tôt. Il
avait ensuite cloué une planche devant les casiers, pour marquer l’emplacement,
mais surtout éviter que cette trouvaille ne changeât de place.
Bailly devant la confession de l’avocat de Mme
Boursier ne sut que répondre. Il bafouillait et bredouillait de vagues explications sans queue ni tête, et surtout,
que si il n’avait pas précisé sa visite avec maître Couture, c’était parce
qu’il ne s’en était pas souvenu.
Bah voyons !!
Cette petite escapade en catimini, dans un lieu
présumé « scène de crime », était-elle légale ?
Pas certain !
Vice de procédure, assurément, qui aurait pu remettre
en cause la validité de ce procès !
Mais, rappelez-vous que cela se passait en 1823 .....