Romain Letellier commença son récit par :
« J’ai entendu le berger Thorel
dire qu’il s’était trouvé avec un homme et qu’il avait causé trois heures avec
lui. Cet homme lui avait appris certaines choses et notamment le secret
d’empêcher les personnes qui voudraient venir y faire du mal, d’entrer dans une
ferme. Selon les dires de Thorel, il connaissait une personne à qui on avait fait
du mal au Bois d’Auzouville. Et il savait qui l’en avait débarrassé. »
Après un moment de réflexion, le témoin
précisa :
« Thorel avait dit, également, que
l’homme qui lui avait appris ces choses–là était celui qui était venu chez le
père Abel pour débarrasser son gendre. Ce que lui avait montré cet homme
étaient des choses très fortes. »
Nouveau témoin, Jean Elphège Grenet[2],
quatorze ans.
En raison de son jeune âge, Jean Elphège fut
dispensé de prêter serment.
Voilà son témoignage :
« Mon oncle a demandé au berger
Thorel si c’était lui qui troublait la paroisse. Thorel lui a répondu :
« Oui, je le veux, ça me plaît comme ça ». Il a dit aussi que c’était
le diable qui le tourmentait. »
Le diable ! Un frisson parcourut la salle.
Après l’audition du jeune Jean Elphège, qu’allait
révéler Joseph Bernard Foulongue.
Joseph Bernard Foulongue[3],
domestique, âgé de quarante-huit ans, demeurant à Cideville.
Sa déclaration fut très courte :
« Le jour de l’an, Thorel, passant
par ma barrière, je lui dis : « Vous ne passez pas moins pour
être sorcier et mettre le trouble dans la paroisse de Cideville. » Thorel
me répondit : « Ça me plaît moi, d’être comme cela ! »
Frédéric Duforestel[4] fut le
suivant.
Âgé de
trente-sept ans, il demeurant à Cideville où il exerçait le métier de
tisserand.
« Ben voilà, commença Frédéric
Duforestel, il y avait environ trois mois, étant avec Jean Baptiste Duclos
demeurant à Cideville, celui-ci en voyant Thorel qui gardait ses moutons à
notre barrière me dit : « Voilà l’homme qui veut nous faire voir le
diable ». Monsieur Duclos[5]
s’éloigna et Monsieur Duforestel s’approcha de Thorel qui le voyait lui dit : « Monsieur
Duclos ne veut pas croire que je lui ferais voir le diable. Je lui ferais bien
voir tout de même, mais je ne veux pas le faire voir pour rien. Monsieur Duclos
a bon moyen de perdre cinq francs pour voir cela. » Et voilà que Thorel se
mit à appeler le diable. »
Et voilà la dernière personne à être entendue.
Napoléon Lhernault[6] – cultivateur à Cideville.
Voilà sa déposition :
« Vers la Toussaint dernière,
Thorel me dit que pour quatre francs, il me ferait voir le diable en personne
me disant : « si tu veux nous entrerons dans un appartement ensemble
et au bout de dix minutes, tu le verras répondre aux questions que nous lui
ferons, par oui ou par non. »
Il était 23 heures après cette déclaration, Juge de
paix, greffiers, témoins et personnes présentes pour entendre le procès
quittèrent la salle d’audience. Les conversations tournaient en boucle autour
de ce que chacun venait d’entendre. Combien cauchemardèrent la nuit
suivante ?
Bien troublant tout cela.
Proche de ce qui se chuchotait, en ce temps-là, dans
les chaumières et se signant.
Le diable n’était-il pas celui qui était accusé de chaque
problème : maladies des animaux, morts par accident, mauvaises récoltes,
revers de fortune et plus encore.
Alors que devons-nous penser des événements qui
se sont produits à Cideville ?
Que va en penser le Juge de paix ?
La semaine prochaine, les conclusions de ce procès.
=====
Cideville – Une affaire qui a fait la une de
beaucoup de journaux – épilogue.
Le 4 février 1851, rendu du jugement.
Bien évidemment, il fut difficile de statuer, du
moins sur les faits qui restèrent inexpliqués, et donc il fallait s’attarder sur les conséquences de ses
effets.
Le Berger Thorel avait accusé le curé de diffamation
et de coups.
Concernant la diffamation :
Thorel n’avait-il pas lui-même fait croire qu’il
était pour quelque chose dans les perpétrations des manifestations ?
Ne s’était-il pas lui-même donné une réputation de
sorcier ?
Concernant certains faits :
N’était-ce pas de lui-même que Thorel s’était jeté
aux pieds du curé Tinel, lui demandant « Grâce et pardon » ?
Rien ne l’y obligeait.
Une scène qui s’était répétée chez monsieur le
Maire.
Monsieur Tinel avait donné des coups de canne à
Thorel. N’était-ce pas parce que ce dernier voulait le toucher ? Alors
Tinel avait reculé, reculé et acculé dos au mur n’avait eu que cette parade
pour éloigner le berger.
M. Tinel fut mis hors de cause de tout ce que Thorel
lui reprochait :
·
Diffamation.
·
Coups de canne.
Thorel, par contre, fut condamné à tous les dépens taxés et liquidés à la somme de 161.48
francs, en plus des frais de contr’enquête de 53.13 francs.
Ce jugement, en date de février 1851, avait épargné
à Thorel de finir sur le bûcher. Un siècle plus tôt la condamnation aurait été
tout autre.
Que devint le presbytère de Cideville ?
Certains dirent qu’il fut rasé, mais aucune
information concernant cette démolition.
Supposons, toutefois, qu’il ne fut, plus jamais,
habité.
À la mort de Thorel, sa tombe reçut de nombreuses
visites.
Pourquoi ? Que cherchaient les visiteurs ?
Curiosité ?
Idolâtrie ?
Le mystère des bruits et objets volants subsiste
toujours.
Le père Alexandre, prêtre ayant exercé son sacerdoce
en Pays de Caux, évoque dans ses mémoires, « le Horsain », les
événements de Cideville. Des faits constatés et inexpliqués, comme il en avait constaté
aussi dans d’autres lieux de la campagne profonde et superstitieuse du Pays de
Caux.
Des forces maléfiques obscures, disait-il.
« Le Horsain », un livre de toute une vie
au service de l’église, écrit par Bernard Alexandre, né le 26 juin 1918 au
Havre, ordonné prêtre en 1945 et décédé dans la nuit du 2 au 3 mars 1990 et
dont je vous recommande la lecture.
[1] Romain Letellier, né le 6 octobre 1827 à Luneray.
Mariage le 27 mai 1848 à Cideville avec Clémence Angélique Fleury.
[2] Jean Elphège Grenet – fils de Martin Grenet, décédé le
19 juin 1840 à Cideville et de Catherine Christine Baudry, veuve Grenet – né le
26 octobre 1836 à Cideville, dernier enfant d’une fratrie de huit.
[3] Joseph Bernard Foulongue, né le 11 décembre 1802 à Epinay-sur-Duclair
– mariage le 11 juin 1832 avec Clotilde Emelie Baudry.
[4] Joseph Frédéric Duforestel, né le 4 septembre 1913 à
Cideville – mariage le 11 mai 1840 à Auzouville-l’Esneval avec Julie Marthe
Marc.
[5] Jean Baptiste Duclos, né le 9 juin 1778 à Cidetot
Mesnil-Panneville (76) - mariage le 23 septembre 1809 à Cideville avec Marie
Céleste Delafenestre.
[6] Napoléon Lhernault – mariage le 5 septembre 1835 à
Yerville avec Sophanie Meray.
[7] Henri Marie Gaston de Bonnechose – né le 30 mai 1800
et décédé le 28 octobre 1883 à Rouen – Archevêque de Rouen et Cardinal.


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