Historiques

dimanche 9 novembre 2025

Cideville – Une affaire qui a fait la une de beaucoup de journaux – chapitre 17

 


Romain Letellier[1] fut le suivant. Âgé de vingt-sept ans, il habitait Cideville où il exerçait le métier de maréchal-ferrand.

Romain Letellier commença son récit par :

«  J’ai entendu le berger Thorel dire qu’il s’était trouvé avec un homme et qu’il avait causé trois heures avec lui. Cet homme lui avait appris certaines choses et notamment le secret d’empêcher les personnes qui voudraient venir y faire du mal, d’entrer dans une ferme.  Selon les dires de Thorel, il  connaissait une personne à qui on avait fait du mal au Bois d’Auzouville. Et il savait qui l’en avait débarrassé. »

Après un moment de réflexion, le témoin précisa :

« Thorel avait dit, également, que l’homme qui lui avait appris ces choses–là était celui qui était venu chez le père Abel pour débarrasser son gendre. Ce que lui avait montré cet homme étaient des choses très fortes. »

 

Nouveau témoin, Jean Elphège Grenet[2], quatorze ans.

En raison de son jeune âge, Jean Elphège fut dispensé de prêter serment.

Voilà son témoignage :

« Mon oncle a demandé au berger Thorel si c’était lui qui troublait la paroisse. Thorel lui a répondu : « Oui, je le veux, ça me plaît comme ça ». Il a dit aussi que c’était le diable qui le tourmentait. »

 

Le diable ! Un frisson parcourut la salle.

 

Après l’audition du jeune Jean Elphège, qu’allait révéler Joseph Bernard Foulongue.

Joseph Bernard Foulongue[3], domestique, âgé de quarante-huit ans, demeurant à Cideville.

Sa déclaration fut très courte :

« Le jour de l’an, Thorel, passant par ma barrière, je lui dis : « Vous ne passez pas moins pour être sorcier et mettre le trouble dans la paroisse de Cideville. » Thorel me répondit : « Ça me plaît moi, d’être comme cela ! »

 

Frédéric Duforestel[4] fut le suivant.

Âgé  de trente-sept ans, il demeurant à Cideville où il exerçait le métier de tisserand.

« Ben voilà, commença Frédéric Duforestel, il y avait environ trois mois, étant avec Jean Baptiste Duclos demeurant à Cideville, celui-ci en voyant Thorel qui gardait ses moutons à notre barrière me dit : « Voilà l’homme qui veut nous faire voir le diable ». Monsieur Duclos[5] s’éloigna et Monsieur Duforestel s’approcha de Thorel qui le voyait lui dit : « Monsieur Duclos ne veut pas croire que je lui ferais voir le diable. Je lui ferais bien voir tout de même, mais je ne veux pas le faire voir pour rien. Monsieur Duclos a bon moyen de perdre cinq francs pour voir cela. » Et voilà que Thorel se mit à appeler le diable. »

 

Et voilà la dernière personne à être entendue.

Napoléon Lhernault[6]  cultivateur à Cideville.

Voilà sa déposition :

« Vers la Toussaint dernière, Thorel me dit que pour quatre francs, il me ferait voir le diable en personne me disant : « si tu veux nous entrerons dans un appartement ensemble et au bout de dix minutes, tu le verras répondre aux questions que nous lui ferons, par oui ou par non. »

 

Il était 23 heures après cette déclaration, Juge de paix, greffiers, témoins et personnes présentes pour entendre le procès quittèrent la salle d’audience. Les conversations tournaient en boucle autour de ce que chacun venait d’entendre. Combien cauchemardèrent la nuit suivante ?

 

Bien troublant tout cela.

Proche de ce qui se chuchotait, en ce temps-là, dans les chaumières et se signant.

Le diable n’était-il pas celui qui était accusé de chaque problème : maladies des animaux, morts par accident, mauvaises récoltes, revers de fortune et plus encore.

 

Alors que devons-nous penser des événements qui se sont produits à Cideville ?

Que va en penser le Juge de paix ?

 

La semaine prochaine, les conclusions de ce procès.

 

 

   =====

 

Cideville – Une affaire qui a fait la une de beaucoup de journaux – épilogue.

 

Le 4 février 1851, rendu du jugement.

 

Bien évidemment, il fut difficile de statuer, du moins sur les faits qui restèrent inexpliqués, et donc il fallait s’attarder sur les conséquences de ses effets.

 

Le Berger Thorel avait accusé le curé de diffamation et de coups.

Concernant la diffamation : 

Thorel n’avait-il pas lui-même fait croire qu’il était pour quelque chose dans les perpétrations des manifestations ?

Ne s’était-il pas lui-même donné une réputation de sorcier ?

Concernant certains faits :

N’était-ce pas de lui-même que Thorel s’était jeté aux pieds du curé Tinel, lui demandant « Grâce et pardon » ? Rien ne l’y obligeait.

Une scène qui s’était répétée chez monsieur le Maire.

Monsieur Tinel avait donné des coups de canne à Thorel. N’était-ce pas parce que ce dernier voulait le toucher ? Alors Tinel avait reculé, reculé et acculé dos au mur n’avait eu que cette parade pour éloigner le berger.

 

M. Tinel fut mis hors de cause de tout ce que Thorel lui reprochait :

·         Diffamation.

·         Coups de canne.

 

Thorel, par contre, fut condamné à tous les dépens taxés et liquidés à la somme de 161.48 francs, en plus des frais de contr’enquête de 53.13 francs.

 

Ce jugement, en date de février 1851, avait épargné à Thorel de finir sur le bûcher. Un siècle plus tôt la condamnation aurait été tout autre.

 

Que devint le presbytère de Cideville ?

Certains dirent qu’il fut rasé, mais aucune information concernant cette démolition.

Supposons, toutefois, qu’il ne fut, plus jamais, habité.

 

À la mort de Thorel, sa tombe reçut de nombreuses visites.

Pourquoi ? Que cherchaient les visiteurs ?

Curiosité ?

Idolâtrie ?

 

Le Cardinal de Bonnechose[7] vit cela d’un mauvais œil, aussi fit-il disparaître la sépulture.

 

Le mystère des bruits et objets volants subsiste toujours.

 

Le père Alexandre, prêtre ayant exercé son sacerdoce en Pays de Caux, évoque dans ses mémoires, « le Horsain », les événements de Cideville. Des faits constatés et inexpliqués, comme il en avait constaté aussi dans d’autres lieux de la campagne profonde et superstitieuse du Pays de Caux.

Des forces maléfiques obscures, disait-il.

« Le Horsain », un livre de toute une vie au service de l’église, écrit par Bernard Alexandre, né le 26 juin 1918 au Havre, ordonné prêtre en 1945 et décédé dans la nuit du 2 au 3 mars 1990 et dont je vous recommande la lecture.



[1] Romain Letellier, né le 6 octobre 1827 à Luneray. Mariage le 27 mai 1848 à Cideville avec Clémence Angélique Fleury.

[2] Jean Elphège Grenet – fils de Martin Grenet, décédé le 19 juin 1840 à Cideville et de Catherine Christine Baudry, veuve Grenet – né le 26 octobre 1836 à Cideville, dernier enfant d’une fratrie de huit.

[3] Joseph Bernard Foulongue, né le 11 décembre 1802 à Epinay-sur-Duclair – mariage le 11 juin 1832 avec Clotilde Emelie Baudry.

[4] Joseph Frédéric Duforestel, né le 4 septembre 1913 à Cideville – mariage le 11 mai 1840 à Auzouville-l’Esneval avec Julie Marthe Marc.

[5] Jean Baptiste Duclos, né le 9 juin 1778 à Cidetot Mesnil-Panneville (76) - mariage le 23 septembre 1809 à Cideville avec Marie Céleste Delafenestre.

[6] Napoléon Lhernault – mariage le 5 septembre 1835 à Yerville avec  Sophanie Meray.

[7] Henri Marie Gaston de Bonnechose – né le 30 mai 1800 et décédé le 28 octobre 1883 à Rouen – Archevêque de Rouen et Cardinal.

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