Les témoins se succédaient.
Vint alors Victor François Bourrienne – 34 ans –
gendarme à Yvetot.
Il avait enquêté avec son collègue, Constant Masson.
Voici son témoignage :
« M.
Tinel m’a déclaré qu’on lui avait dit que Thorel propageait dans le public que
lui, M. Tinel, n’était pas quitte de tout ce qui se passait dans son
presbytère. »
Le gendarme Bourrienne affirma aussi avoir vu sur la
figure d’un des élèves du curé, la marque des cinq doigts de la main qui
l’avait frappé et qui selon le jeune homme était noire et s’était enlevée par
la cheminée. Il avait aussi constaté les carreaux cassés aux fenêtres. Aucune
manifestation n’avait eu lieu dans la demeure – bruits, lévitation d’objets...
– pendant sa présence de cinq quarts d’heure dans la demeure du curé.
Rien en vérité de bien nouveau.
Par contre les déclarations suivantes furent plus
explicites.
Déposition de Gustave Lemonnier – 12
ans – étudiant chez M. le Curé de Cideville.
« Le mardi 26 novembre dernier,
vers 5 heures après-midi étant à étudier dans un appartement d’en haut au
presbytère, j’ai entendu un petit bruit comme celui de coups de marteau. Ces
bruits reprirent les jours suivants à la même heure.
Le dimanche à midi le bruit s’est
reproduit. M. Tinel eut l’idée de dire « plus fort, plus fort » et le
bruit s’est reproduit plus fort toute la journée.
Le lundi, mon camarade demanda que ce
bruit joue « maître corbeau » et « maître corbeau » a été
parfaitement reproduit ainsi que d’autres airs demandés.
Le mardi, la table d’en haut s’est
ébranlée et tout ce qui se trouvait sur cette table.
Le bruit a frappé plus fort pendant toute
la semaine. On avait peine à tenir dans l’appartement.
Un couteau poussé par une force
invisible est parti de dessus la table de la cuisine dans un carreau qu’il a
traversé pour aller dans le jardin. On a été le chercher et reposé sur la table
et j’ai vu qu’il s’était relancé dans un autre carreau. J’ai vu aussi les
brosses partir dans les carreaux, puis une boite, le bréviaire de M. Tinel partit
dans la cuisine et s’enfuit par une porte de l’appartement y attenant et
traverser un carreau. La broche à rôtir s’enfuit par un autre carreau. Le gril
tomba sur le pavé de la cuisine. Les fers à repasser, placés devant le foyer
d’une chambre en haut, s’enfuirent dans l’appartement. Le feu en fit autant et
s’avança sur le plancher sans rien brûler, il fallut le remettre dans la
cheminée. Un soulier dessous la table est venu me frapper au visage tandis que
j’écrivais à cette table. Un chandelier de même me fit mal à la figure.
J’ai eu aussi un soufflet sur la joue
droite. Je n’ai vu qu’une main, seule sans aucun corps sauf une sorte de forme
humaine vêtue d’une blouse, un spectre, qui me poursuivit pendant quinze jours
partout où j’allais. Il n’y avait que moi qui pouvais la voir.
Une force invisible me tira par la
jambe, mon camarade a répandu de l’eau bénite et cette force a lâché prise.
Une voix d’enfant se faisait entendre
disant : « pardon », « grâce ».
À chaque fois, où se produisaient ces
manifestations, M. Tinel était absent. Je lui en ai fait part et M. Tinel me
répondit : « Ceci est bien drôle ! ».
La main qui m’a frappé était noire et je
la vis aller par-dessous la cheminée. J’étais effrayé, mais je n’ai jamais
voulu quitter le presbytère, jamais voulu rentrer chez mes parents.
Lorsque M. Thorel s’est présenté au
presbytère sous prétexte de porter l’orgue au château, M. Tinel lui mettant la
main sur l’épaule lui dit : « demandez pardon à cet enfant-là »,
et se jetant à genoux, il m’a demandé pardon.
Sitôt que je vis le berger Thorel, je
reconnus en lui le spectre qui m’avait suivi pendant quinze jours et je dis à
M. Tinel : « Voilà l’homme qui me poursuit depuis quinze
jours ! »
Pendant toute la déclaration du jeune Gustave
Lemonnier, le silence était palpable parmi le public, seuls quelques
« ah ! » et « oh ! » ponctuaient le récit.
Un récit étonnant, surréaliste.
Un récit à donner des frissons.