mercredi 1 mai 2024

Recours en grâce.

 

Louis Auguste Semelaigne et Édouard Le Roy retournèrent en cellule jusqu’à ce que la sentence fût exécutée.

Le 2 mars 1884, le Président de la République, Jules Grévy, commua la peine de mort en travaux forcés à perpétuité.

 

Ce fut le 6 juin 1884 que les deux complices embarquèrent sur le Navarrin en direction de la Nouvelle-Calédonie.           

 

Voici les fiches de bagne des deux condamnés. 


 Louis Auguste Semelaigne

Fils naturel de Victoire Rosalie Semelaigne.

Né à Conches-en-Ouche, le 26 octobre 1858.

25 ans.

Sans domicile fixe.

Ouvrier maréchal-ferrant.

Condamné le 21 janvier 1884 par la Cour d’assises de l’Eure (Evreux) pour complicité de tentatives d’assassinat commises le 21 novembre 1883.

Peine commuée en travaux forcés à perpétuité (décret présidentiel du 25 janvier 1884).

 

1 m 70 – cheveux châtains – front large – yeux bleus – nez moyen – bouche moyenne – menton rond – visage ovale – teint coloré.

Tatoué d’une pensée et d’une ancre sur le bras gauche. Autres tatouages : un poignard – un laurier – un trophée de sabres.

De confession catholique.

Sait lire et écrire.

Au bagne, il exerçait le métier de  fabricant de sacs en papier.

 

La fiche de bagne apprend également que  Louis Auguste Semelaigne avait été condamné :

·         Le 6 juin 1886, à cinq années de double-chaîne pour évasion.

En effet, il avait pris la poudre d’escampette le 11 avril 1886. Il fut repris presque aussitôt, le 14 avril 1886.

Par décision présidentielle en date du 7 octobre 1890, remise du reste de la peine de la double-chaîne.

·         Le 8 mars 1901, à cinq années de réclusion cellulaire pour assassinat et vol.

Par décret présidentiel en date du 9 octobre 1906, remise de la peine de réclusion cellulaire.

 

Sa fiche porte les mentions de : ivrogne – libertin – débauché.

 

Louis Auguste Semelaigne décéda à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), le 27 avril 1918.

 

Entre le 10 septembre 1881 et le 25 mai 1883, Louis Auguste Semelaigne avait été condamné sept fois. Il avait effectué 16 mois et demi de prison et avait payé 47 francs d’amende.

Les motifs d’incarcération furent toujours les mêmes, des délits mineurs de : outrage à agent – ivresse – vagabondage – vol, et surtout filouterie d’aliments.

 


 Édouard Le Roy

Fils de Germain Leroy et Renée Lotin.

Né à Lambézellec – près de Brest - le 23 mars 1859.

Sans domicile fixe.

Journalier – se dit « ajusteur ».

 

Condamné le 21 janvier 1884 par la Cour d’assises de l’Eure (Evreux) pour complicité de tentatives d’assassinat commises le 21 novembre 1883.

Peine commuée en travaux forcés à perpétuité (décret présidentiel du 25 janvier 1884).

 

1 m 54 – cheveux blonds – front large – yeux gris bleus – nez moyen – bouche petite – menton à fossette – visage rond – teint coloré.

Tatoué d’une étoile sur la main droite et d’un bracelet autour de chaque poignet.

Estropié de la jambe droite.

 

Sait lire et écrire.

Au bagne, il exerçait le métier d’effilocheur. Il est d’ailleurs noté : travailleur par excellence.

 

Édouard Le Roy effectua une tentative d’évasion le 12 novembre 1890 qui faillit bien réussir totalement, mais il fut repris le 16 mars 1892.

Par contre, il récidiva le 21 janvier 1897, et là, il ne fut pas repris.

 

Tout comme son compère Louis Auguste Semelaigne, Édouard Le Roy avait, avant l’agression au Carmel, effectué plusieurs courts séjours en prison et écopé d’amendes de faibles montants. Des condamnations pour : vol – vagabondage – ivresse........

 

Des délinquants, et non des grands bandits.......

 

Quel patelin !!

 

 


Un patelin, mot un peu péjoratif, désignant un village de peu d’importance.

Un mot dont l’orthographe a évolué dans le temps.

·         Poguelin – 1628.

·         Pasguelin – 1634

·         Pasquelin - 1660

 

Patelin, mot dérivé de l’ancien français : pastis ou pâtis.

Un pâtis désigne encore de nos jours un petit pâturage ou un foyer domestique.

 


À partir du XIXème, ce terme prit sa forme définitive en patelin, qui dans le langage familier prit le sens que nous lui connaissons encore aujourd’hui, celui de petit village ou petite localité de peu d’importance.

Je connais des tas de petits patelins, bien loin des grandes villes, où il fait bon vivre.

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 24 avril 2024

Le procès

 


Louis Auguste Semelaigne et Edouard Le Roy comparurent au tribunal d’Evreux, le 21 janvier 1884.

Semelaigne était défendu par maître Bagot. Le Roy avait comme défenseur, maître Lautour.

 

Sœur Saint-Joseph malgré les recommandations du docteur souhaita être présente. Sœur Saint-Barthélemy se trouvait à ses côtés.

 

Les deux accusés expliquèrent tout d’abord qu’ils ne se souvenaient de rien, puis au fil des témoignages, comme par miracle la mémoire leur revint, contestant les dépositions et injuriant les témoins.

Semelaigne s’insurgea lorsque le jardinier Gendron déposa à la barre :

« Le témoin Gendron est un menteur, il n’a rien vu, et la preuve c’est que c’est moi qui ai donné les deux premiers coups de couteau ! »

Pourquoi Semelaigne s’accusait-il alors que la sœur Saint-Barthélemy venait de rapporter sous serment que c’était bien Le Roy qui l’avait  frappée avec le couteau ?

 

Plus tard, les deux hommes déclarèrent :

« Nous sommes désolés d’avoir frappé les deux femmes, mais au désespoir d’avoir manqué le nommé Gendron. »

Et Le Roy d’ajouter en criant :

«  C’est un lâche, il nous a attaqués par derrière ! »

 

Monsieur Pain, Procureur de la République, prononça son réquisitoire. Il ne fut pas tendre, traitant les accusés de lâches pour s’être attaqué à des femmes.

« Si vous vouliez être des héros de Cour d’assises, il fallait vous attaquer à des hommes. Quand vous saviez n’avoir rien à craindre, vous êtes forts et terribles et vous ne redevenez doux que lorsque vous vous trouvez devant des gens énergiques ! »

 

La part de la défense fut très ardue.

Comment les deux avocats pouvaient-ils éviter une lourde peine à leurs clients ? Difficile !

 

En ce 21 janvier 1884, vers six heures du soir, les membres du jury se retirèrent pour délibérer. Il ne leur fallut que quelques minutes pour rendre le verdict.

 

Accusés de tentative d’assassinat,

les deux hommes furent condamnés à la peine capitale.

 

Pendant que la salle d’audience retentissait d’applaudissements, Semelaigne et Le Roy restèrent impassible à l’annonce de cette sentence.

 

Chemineau et cheminot, allant sur les chemins.

 


Un mot très ancien que ce « chemin » parcouru de nombreuse fois au cours des siècles.

Un nom masculin qui fit son chemin dans toutes les langues.

·         Latin populaire                : camminus

·         Italien                                 : cammino

·         Espagnol                            : camino

·         Portugais                           : caminho

·         Et bien d’autres encore......

 

Un chemin, une voie tracée dans la campagne à l’opposé de la rue qui, elle, se situe dans une cité.

Cheminer, c’est marcher, faire du chemin, mais aussi, au sens figuré, faire des progrès (1693) ou encore en langage militaire, progresser vers les positions ennemies (1863).

Et puis, il y a :

·         Le chemineau

·         Le cheminot

 

Au commencement, la différence est bien menue.

Un chemineau était un ouvrier des voies ferrées, identifié à l’ouvrier terrassier itinérant.

La comtesse de Ségur, en 1868, dans son écrit « Diloy, le chemineau » précise : « On appelle chemineaux les ouvriers ambulants qui travaillent aux chemins de fer. »

Du fait des nombreux déplacements de ces chemineaux sur les chemins pour trouver de l’embauche, le terme s’appliqua aux vagabonds.

 

Est-ce pour différencier les deux mots que « cheminot » fut formé pour nommer les travailleurs du chemin de fer ?

 

Et le savez-vous ? En 1896, on trouve le mot féminin : cheminaude.

Cette cheminaude était-elle une employée des chemins de fer ?

Que nenni, elle n’était qu’une vagabonde, une gueuse, pauvre femme allant de village en village par les chemins, quémandant de quoi ne pas mourir de faim.

 

Chemin, cheminer, acheminer, acheminé(e), acheminement.

Être en chemin ou à mi-chemin.... et toutes sortes de locutions... un chemin qui fait du chemin !

 


Après avoir pris le chemin de fer, le voleur de grand chemin se mit en chemin. À mi-chemin, il entra dans un château dont il parcourut le chemin de ronde. Puis, chemin faisant, après une halte au bord du chemin, il se dirigea vers un chemin de traverse.

Avait-il un méfait en tête ?

 

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

mercredi 17 avril 2024

Agression au Carmel

 

 


Sœur Saint-Barthélemy, devant les deux hommes à l’attitude fort peu amène,  chercha à fuir en se réfugiant dans la buanderie, mais ils la suivirent.

Semelaigne tendit une lettre à la carmélite qui lui prit des mains en le suppliant :

« Laissez-moi ! »

Mais, en lui montrant le couteau qu’il tenait dans sa main, Semelaigne répliqua :

« Si tu t’en vas, je te tue ! »

Le couteau brillait dans la main du malfaiteur.

Cette arme n’avait-elle pas été affûtée dans la matinée par un rémouleur rencontré sur le chemin ?

Ainsi remis à neuf, le couteau s’avérerait être d’une grande efficacité.

 

Tremblante, sœur Saint-Barthélemy, vit par la petite fenêtre de la buanderie approchée sœur Saint-Joseph qui inquiète de son absence prolongée venait à sa rencontre. Désirant la prévenir du danger, elle lui fit un signe qui, malheureusement, ne fut pas compris.

Lorsque sœur Saint-Joseph arriva près de la porte de la buanderie, Le Roy qui s’était muni d’une bûche, lui en asséna un coup violent à la tête. La pauvre femme s’effondra sous le choc.

Sœur Saint-Barthélemy voulut se précipiter pour lui porter secours, mais elle fut interceptée par Semelaigne qui la saisit par le bras, lui mettant la pointe de son couteau sur le cœur.

« Fais ta prière ! hurla-t-il.

     Oui, répondit calmement sœur Saint-Barthélemy, reprenant un peu de détermination, je vais prier le Bon Dieu pour vous. Seulement, laissez-moi ! 

 

Le couteau changea de main, car Le Roy l’avait arraché de la main de son complice et aussitôt en sa possession, il renversa la sœur et, la maintenant au sol à l’aide d’un de ses genoux, abattit la lame sur la religieuse qui essayait de parer autant qu’elle le pouvait les coups, les bras en avant. Blessée, elle se sentit défaillir et perdit connaissance, alors que chancelante, sœur Saint-Joseph se relevait, la tête ensanglantée.

 

Par miracle, Gendron, un des jardiniers employé au Carmel, alerté par des bruits de voix et de bagarre arriva sur les lieux. Il ne perdit pas son sang-froid, et malgré son grand âge, empoigna Semelaigne, le renversa violemment, avant d’attraper Le Roy au collet.

Devant la force décuplée par la colère du vieil homme, les deux voyous demandèrent grâce et s’enfuirent par où ils étaient arrivés.

Gendron venait de sauver les deux carmélites, laissant filer les voleurs, n’ayant plus l’âge de les poursuivre.

N’était-il pas préférable de porter secours aux deux blessées ?

Lui-même avait une plaie à un bras, œuvre de la lame du couteau utilisée par Le Roy et terriblement bien affûtée par le rémouleur qui avait assurément fait, hélas, de la belle ouvrage.


Le docteur Bidaut, appelé d’urgence constata que sœur Saint-Barthélemy présentait six entailles aux bras. Une chance que la carmélite avait eu la présence d’esprit de se protéger à l’aide de ses bras, car si la lame avait atteint la poitrine, elle n’aurait pas survécu.

L’état de sœur Saint-Joseph était plus inquiétant en raison du coup violent qu’elle avait reçu à la tête et qui l’obligea à garder le lit plusieurs. Vertiges et douleurs l’assaillaient sans répit.

 

Aussitôt prévenu de l’agression au Carmel, Monseigneur l’Evêque d’Evreux se rendit immédiatement sur place.

 

Quant aux deux brigands, ils avaient filé, mais pas bien loin. La police ne mit pas longtemps à les retrouver dans un des cabarets du faubourg Saint-Léger. Ils n’opposèrent aucune résistance face aux forces de l’ordre, car Semelaigne et Le Roy étaient fin saouls.

Direction la prison d’Evreux où ils purent dessoûler au calme et au frais dans une cellule.

Un héraut ou un héros, lequel choisir ?

 


Chrétien de Troyes écrivaient : un hyraut d’armes.

Mais quelle est l’origine de ce mot, héraut ?

Il est issu du francique Heriwald = chef d’armée.

·         Hari : armée

·         Wald : qui règne

 

On retrouve le mot dans le langage gallo-romain sous la forme : heriwald

Et aussi :

·         En italien            : araldo

·         En espagnol      : heraldo

·         En allemand      : herold

·         En anglais           : herald

 

Au moyen-âge, un héraut était un officier chargé de transmettre des messages importants, de régler les cérémonies et de s’occuper des blasons.

Au XVème siècle, ce hérault prit une toute autre fonction. Il était seulement chargé d’annoncer la venue de quelqu’un, notamment dans les grandes cérémonies.

 

De héraut découle une hérauderie, mot qui n’est plus de tout usité.



 

Et le héros alors ?

Ce mot vient

·         Du latin classique, heros      : demi-dieu, homme de grande valeur.

·         Du grec hêrôs                       : chef militaire de la guerre de Troie tels Ulysse,     

                                                    Agamemnon....

 



Et ce nom masculin possède un féminin, une héroïne.

·         Une héroïne est une femme qui s’est distinguée par une grande action (Ronsard – 1578).

·         Un héros est un homme de grande valeur (Ronsard – 1555).

 

Un héros est un homme de grande valeur, digne de l’estime publique, un homme au-dessus du commun ou un personnage principal dans une œuvre littéraire (Scarron – 1651) d’où l’expression : un héros de roman.

 

Par extension, on trouve :

·         Le héros d’une aventure (1734)

·         Le héros de la fête (1734)

·         Le héros du jour (Mallarmé – 1874).

Des valeurs, des qualités qui s’appliquent aussi aux héroïnes.

 

Les héros, êtres d’exception, envahissent les romans, les BD et les films.

 

Si il existe des héros, en 1940, apparaît l’antihéros. En clair, monsieur tout-le-monde.

L’antihéros n’a pas de féminin, normal les femmes sont toutes des héroïnes.

 

1968, les super-héros pullulent, mais aussi les super-héroïnes (superwoman, wonder woman...)

 

   

Le héros a évolué dans ses capacités, devenant de plus en plus invincibles grâce à des pouvoirs surnaturels, alors que le héraut s’est vu attribuer des tâches de moindre importance. Mais pourtant ce héraut dut, un temps, être un véritable héros.

 


Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

vendredi 12 avril 2024

Intrusion au carmel

 


Le chemin de nos deux compères ne se fit pas sans petites haltes, arrêts nombreux dans divers débits de boissons ou cabarets, où pour quelques sous ils se soûlaient avec du mauvais vin. Les nuits se passaient à la belle étoile, dans des granges ou encore dans quelques maisons de tolérance.

Inutile de préciser que les deux hommes émergés rarement des brumes de l’alcool.

 

À l’approche du Carmel de Gravigny, en fin de matinée du 21 novembre 1883, les deux malfaiteurs se dirent que s’il y avait de l’argent quelque part, c’était bien dans ce lieu. De l’argent et aussi quelques objets précieux à dérober. Mais, il fallait pouvoir pénétrer l’endroit.

Pourquoi ne pas demander l’hospitalité jusqu’au lendemain ?

Ce serait assurément l’idéal, car dans le silence du sommeil des religieuses, Le Roy et Semelaigne auraient tout loisir de se servir sans être dérangés.

Mais à leur demande de rencontrer la Supérieure du Carmel, la sœur-portière refusa de leur ouvrir.

Les deux hommes furent terriblement ulcérés du refus qu’ils venaient de subir.

Un saint lieu ne se devait-il pas être hospitalier ?

 

Alors, ils firent le tour du Carmel et après avoir escaladé un mur, se retrouvèrent dans une cour.

 

Dans le calme de ce début d’après-midi, sœur Saint-Barthélemy s’affairait au lavoir. Entendant des pas derrière elle, elle se retourna pensant que ce ne pouvait être que les ouvriers embauchés pour divers travaux.

La règle imposait qu’aucune sœur ne devait se présenter à quiconque sans voile. Étant tête nue, sœur Saint-Barthélemy s’apprêta à se réfugier dans la buanderie.

Que ne fut pas sa surprise de se retrouver face à deux étrangers au regard menaçant.