mercredi 27 août 2025

Cideville – Une affaire qui a fait la une de beaucoup de journaux – chapitre 14

 


Ensuite, vint témoigner Raoul Robert de Saint-Victor[1], le fils de Marie Françoise Radulphine Deschamps de Boishébert. Âgé de trente-trois ans, il était propriétaire et demeurait à Huyleville-sur-Scie.

« Je ne peux expliquer, commença-t-il, ce qui s’est passé au presbytère. J’ai entendu des coups frappés, semblables à ceux d’un maillet. Des bruits violents tels que les enfants n’auraient pas pu produire. Je mis l’oreille contre le lambris, je sentais très distinctement les vibrations à l’endroit de ces coups. Il est impossible pour moi que M. le curé put les produire, souvent, il n’était pas dans le presbytère. Étant dans l’appartement du haut, je vis le pupitre d’un des enfants arriver vers moi sans qu’aucune force visible l’eût ainsi poussé. Je suis convaincu que les enfants n’étaient pour rien dans ce fait, étant immobiles dans la pièce. »

Le juge de paix posa alors cette question :

« Pensez-vous qu’il fut possible que le berger fût l’auteur de ces faits ?

   Non, je ne connais pas ce berger.

 

Athanase Bouffay[2], âgé de trente ans, vicaire à Saint-Maclou de Rouen succéda à Raoul Robert de Saint-Victor.

«  Je me suis rendu plusieurs fois au presbytère de Cideville. La première fois, ce bruit était continuel et uniquement dans les appartements où se trouvaient les enfants, aussi bien à l’église que dans le presbytère. Ce bruit était intelligent et obéissant. Lors de ma première visite, le bruit était si fort que j’ai cru que le plancher allait s’écrouler. Un autre jour, il nous prit l’idée d’enfoncer des clous à l’endroit où ce bruit frappait et à ce moment, nous entendîmes une voix plaintive. J’ai vu aussi, en haut et en bas, la table parfaitement isolée se remuer. J’ai vu aussi une sorte de vapeur, de fantôme, se diriger de la porte de la cuisine avec une très grande rapidité vers la chambre où se trouvaient les enfants. »

 

Après ce récit quelque peu troublant, une autre personne vint raconter ce qu’elle avait observé d’insolite. Il s’agissait d’Adalbert Hororé Gobert[3], trente-et-un ans, lui aussi vicaire de Saint-Maclou de Rouen.

Il affirma ce qui suit :

« J’ai entendu les bruits qui résonnaient au presbytère. L’abbé Tinel est venu chez moi à Rouen avec ses deux élèves et, en leur présence, j’entendis dans le plafond et le plancher de mon appartement des bruits tout à fait analogues. »

 

Fut entendu ensuite, Louis Aimable Bréard, âgé de cinquante-quatre ans, exerçant le métier de commis dans une maison de commerce de Rouen, ville où il demeurait au numéro 12 du boulevard Cauchoise.

Voici ce qu’il déclara :

« Dans le courant de décembre, venu au presbytère de Cideville, j’y passais deux nuits. La première, j’entendis un bruit agaçant pendant une partie de la nuit et qui m’empêchait de dormir. Le lendemain au déjeuner, au moment où j’étais à table en compagnie de M. Tinel et de l’abbé Bouffay, j’entendis un coup effrayant qui frappa le plancher sous la table. J’ai la certitude que ce n’était point les enfants qui faisaient ceci, ni M. Tinel, non plus que le berger que je ne connais pas. »

 

Dans ces témoignages, il est surtout question du bruit, tantôt lancinant, tantôt bruyant voire plus encore en intensité car qualifié de violent. Un bruit qui poursuivait les enfants dans l’église et même à Rouen.

Un bruit nuit et jour.....

Un bruit intelligent et obéissant ! Obéissant, sauf quand on lui demandait de se taire !

Une nouveauté toutefois, cette vapeur, sorte de fantôme vaporeux qui suivait les enfants.

 

Que se passait-il donc à Cideville ?

Qui était l’auteur de cette folie ?

 

Il reste peu de personnes à être encore entendues. Leurs dires permettront-ils enfin d’éclaircir le mystère du presbytère ?



[1] Marie Léon Raoul Robert de Saint-Victor, né le 11 mai 1827 à Offranville. Il décéda le 1er juin 1875 à Heugleville-sur-Scie.

[2] Jean Athanase Hospice Bouffay naquit le 13 septembre 1820 à Yébleron. Rien d’autre le concernant.

[3] Adalbert Honoré Gobert né à Nolléval (76) le 15 avril 1819.

Une geôle

 


Ce nom féminin passa par plusieurs orthographes :

·         Gaiole en 1101-1106.

·         Jaiole – à la fin du XIIe siècle.

·         Geôle - depuis la fin du XIVe siècle.

Ce mot puise ses origines dans le bas latin, caveole, désignant une cage.

 

Le sens de geôle

·         En 1101-1106 : une prison.

·         En 1580 : tout lieu dans lequel on est comme dans une prison.

Geôle prit aussi le sens d’asservissement moral :

·         Fin XIIe siècle : en ma jaiole (en mon pouvoir).

 

Quelques mots dérivés de geôle :

·         Le geôlier ou la geôlière avec bien évidemment des orthographes ayant évoluées :

o   Gaiolier ou jaiolier vers 1225

o   Jeolier vers 1298

 

De jaiole reste aujourd’hui le verbe enjôler (enjaoler début XIIIe siècle) qui de emprisonner signifia (au sens figuré) : abuser par de belles paroles.

Enjôler donna le nom enjôleur (enjôleuse) vers 1585, un terme utilisé dans le langage de la séduction.

Enjôleur (euse) est utilisé comme nom et adjectif.

 

Attention !!

Ne pas se laisser enjôler par des belles promesses, un enjôleur (euse) peut parfois devenir un geôlier (ière).

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

jeudi 21 août 2025

Cideville – Une affaire qui a fait la une de beaucoup de journaux – chapitre 13

 


 

Marie Françoise Radulphine Deschamps de Boishébert[1] fut la personne suivante à être entendue.

Âgée de quarante-huit ans, propriétaire vivant de ses revenus, elle était veuve  d’André Hippolyte de Saint-Victor[2] et demeurait à Heugleville-sur-Scie.

 

Elle révéla avoir entendu des bruits, frapper avec intelligence, par une chose, mais quelle chose ?

Elle entama un long discours :

 

« Je lui ai demandé de frapper la mesure de l’angélus lorsque celui-ci sonna à l’église, ce que cette chose fit. Elle frappa aussi le rythme de chansons connues. Le 8 décembre, avant la messe de Cideville, j’ai entendu le jeune enfant qui disait avoir reçu un soufflet d’une main invisible et l’enfant avait la joue toute rouge. Ce même jour, après vêpres, étant au presbytère et tout à fait éloignée des personnes qui se trouvaient là, j’ai senti une force invisible me saisir par ma mante et me donner une forte secousse. Le même jour, j’ai vu trois personnes, assises sur une petite table, et tandis que deux la retenaient, cette table s’en allait malgré leurs efforts. Une de ces personnes était ma femme de chambre, mais je ne connaissais pas les autres.

Un autre jour, j’ai vu l’enfant assis sur une chaise les pieds en l’air et le dos non appuyé sur le dossier de la chaise. La chaise s’agitait par un mouvement que l’enfant ne pouvait lui donner. Puis, ce fut la chute l’enfant d’un côté et la chaise de l’autre. L’enfant était très effrayé de ceci.

Il y a huit jours aujourd’hui, étant seule avec les enfants, j’ai vu les deux pupitres sur lesquels ils travaillaient se renverser par terre et la table par dessus. Le même jour, j’ai porté aux enfants des médailles de saint Benoist auquel j’ai confiance et chaque fois que les médailles étaient posées sur les pupitres, pas le moindre bruit ne se faisait entendre, mais sitôt  les médailles retirées des pupitres, le bruit se faisait entendre.

Hier encore, j’ai vu un chandelier partir de dessus la cheminée de la cuisine et aller frapper dans le dos de ma femme de chambre. Une clef qui était sur la table est arrivée à l’oreille de l’enfant.

Il n’était pas possible que les enfants faisaient ceci, j’observais leurs pieds, leurs mains et pouvais voir tous leurs mouvements.

Je pense que le berger Thorel ne pouvait faire ceci qu’à moins qu’il eût fait un pacte  avec le diable.

Ma mère, Madame de Boishébert, n’a jamais donné l’ordre d’apporter chez elle l’orgue de Cideville.

La première fois que je fus au presbytère de Cideville, j’y arrivais avec un grand sentiment d’incrédulité et avec la conviction que je découvrirai la cause des choses qui s’y passait. »

 

Intarissable, Madame Deschamps de Boishébert !

Elle expliqua bien, par le menu, ce qu’elle avait vu, mais aucune explication à tous ces faits.

 

Elle n’avait pas peur, non, elle pensait à une supercherie, un canular, mais visiblement aucun trucage.

La « chose » était même dotée, selon elle, d’une intelligence.

Les enfants, elle les mettait hors de cause.

Le berger n’aurait pu faire de telles prouesses, à moins que.....

Et voilà que les mots sont lâchés : un pacte avec le diable !!

 



[1] Marie Françoise Radulphine  - née le 19 juillet 1801 à Cideville et décédée le 14 juin 1893 à Rouen – mariage le 10 janvier 1826 à Offranville.

[2] André Hyppolite de Saint Victor – né le 1er décembre 1789 à Ancretiéville-Saint-Victor – décédé le 8 novembre 1857 à Heugleville-sur-Scie.

mercredi 20 août 2025

Famé(ée)



Un adjectif provenant de l’ancien français fame (du latin fama et le rapprochant du verbe fari : parler), employé à partir de 1160 et signifiant :

·         Bruit qui court.

·         Renommée.

·         Réputation.

 

Un adjectif employé avec les adverbes :

·         Bien (XVème siècle).

·         Mal (1690).

 

Seul persiste depuis 1831 (et encore aujourd’hui), mal famé(ée) ou malfamé(ée), pour désigner un lieu.

 



Les mots découlant de famé (ée) :

·         Fameux (euse) – début XIVème siècle : connu – renommé, que ce soit en bien comme en mal.

Remarquable (1730) : toujours en bien comme en mal.

·         Fameusement (adverbe – 1642).

·         Une famosité (1488) : nom complètement oublié et heureusement, car il n’est pas fameux !

 

Et puis, il y a cette expression :

·         Un remède de bonne fame.

Eh oui ! Au tout début, il était, ce remède, d’excellente réputation.


Au fil du temps, il devint : un remède de bonne femme, une femme tellement « bonne » qu’elle prodiguait des soins et des médecines efficaces et réputés.

Et voilà comment les mots évoluent... Une oreille peu attentive qui modifie un mot ou une langue qui fourche et écorche les termes !! Le principal étant toutefois que le remède guérisse.

 

 


Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 13 août 2025

Être coriace

 



Coriace, adjectif s’orthographiant  corias (1531), avant de s’écrire  coriace, vers 1549.

Ce mot provient du bas latin coriaceus, de cuir.

 

Initialement, en raison de la souplesse des lanières de cuir, il était utilisé pour : souple, flexible.

Il prit le sens de : dur, résistant, notamment pour qualifier la viande.

Doit-on y voir une ressemblance « viande trop cuite-cuir », par la couleur et la résistance  des objets réalisés en cuir : selles, sacoches, bottes.....


 



À la fin du XVIIème siècle, cet adjectif s’attribuait à une personne tenace, inflexible et aussi avare. S’agrippant, sans doute tel Harpagon, à sa cassette.

 



Quelques dérivés de coriace :

·         Coriacement : adverbe

·         Une coriacité ou encore une coriacete (1844) : deux termes devenus rares.

 

Un homme coriace possède une certaine coriacité. Son humeur devient très maussade devant un beefsteak coriace !

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

Cideville – Une affaire qui a fait la une de beaucoup de journaux – chapitre 12

Ce fut au tour de Rosalie Faucillon de venir témoigner. Domiciliée à Mesnil-Panneville et épouse de Pierre Eléonord Levaillant[1], elle avait quarante-huit ans, s’occupait de son ménage,

Marie Anne Rosalie Faucillon naquit le 21 brumaire de l’an XI. Fille de Louis Charles Faucillon et de Marie Louise Bonne Marais, elle avait épousé le 21 décembre 1843, Pierre Eléonor Levaillant au Mesnil-Panneville.

 

Rosalie Faucillon déclara que les ramoneurs qui avaient travaillé à Cideville étaient venus chez eux et en présence des domestiques avaient raconté avoir vu un des enfants du presbytère casser les carreaux avec un morceau de savon et un couteau.

Chez l’épicier Varin, tenant boutique à Cideville non loin du presbytère, la servante de M. Tinel avait dit, avec satisfaction, que M. Tinel était absent pour la journée avec les deux élèves. Elle allait être tranquille. Elle précisa en parlant des deux garçons et du prêtre :

« Ces messieurs du presbytère ayant le dos, l’un contre la cheminée, l’autre contre une porte et l’autre encore à un autre endroit, j’ai vu une brosse et une clé se culbuter dans la maison ainsi qu’un couteau qui était sur la table passer à travers un carreau. J’ai repris le couteau dans le jardin et reposé sur la table et ce couteau était retourné une seconde fois dans le jardin. À ce moment, je l’ai laissé en disant : « Va au diable, si tu veux ! ». »

 

Ces messieurs du presbytère, c’étaient donc des élèves et du curé dont il s’agissait.

Cette brave servante soupçonnait-elle ces messieurs d’être à l’origine des faits qui hantaient les lieux ?

 

 

Qu’allons-nous découvrir au cours de l’audition de Charles Jules de Mirville, quarante-huit ans, propriétaire domicilié à Gommerville, canton de Saint-Romain-de-Colbosc ?

Charles Jules Eudes de Catteville de Mirville[2], marquis de Mirville, auteurs d’ouvrages sur le spiritisme.

Voici le récit qu’il fit :

« Mercredi dernier, je me suis rendu au presbytère de Cideville. Je me suis prêté à un jeu, parlant à haute voix à l’entité censée hanter les lieux :

      Lorsque tu voudras répondre affirmativement, tu frapperas un coup. Lorsque tu voudras répondre négativement, tu en frapperas deux.

Immédiatement, un coup s’est fait entendre. »

 

Dans la salle des « oh ! » de stupéfaction montèrent crescendo. Le juge de paix fut obligé de demander le silence. Le calme revenu, Charles Jules de Mirville reprit la parole.

«  Ce fut alors que s’instaura un dialogue. Combien y a-t-il de lettres composant mon nom ?

      Huit coups. (Mirville)

      Mon nom de baptême ?

      Cinq coups. (Eudes)[3]

      Maintenant mon prénom qui ne figure que sur le registre de l’État-civil et que personne ne m’a donné           jusqu’à présent ?

      Immédiatement sept coups. (Charles)[4]

      Maintenant le nom de mes enfants. L’aînée ?

      Cinq coups. (Aline)

      Celui de la plus jeune ?

      Neuf coups, rapidement rectifiés en sept. (Blanche)

      Maintenant, passons à mon âge. Frappe autant de coups que d’années.

      Quarante-huit coups.

      Combien de mois compteras-tu entre le premier janvier de cette année et le moment où je prendrai la          quarante-neuvième ?

      Trois coups très forts et un très faible. (Sûrement le coup faible marquait un demi-mois.)

     Ce n’est pas complet, combien de jours   à présent entre ce demi-mois et l’anniversaire de ma                          naissance ?

      Neuf coups.

 

C’était parfaitement juste, j’aurai quarante-neuf ans le 24 avril de cette année.

L’interrogatoire se poursuivit, sur mon lieu d’habitation. Des questions sur la musique et notamment la suite, airs et paroles, des chansons que cette « chose » avait l’habitude de chanter et également sur la « valse du Guillaume Tell ». Tout fut parfait, aucune erreur.

Pendant ce temps, les deux élèves poursuivaient leur travail, M. le Curé n’est pas venu dans l’appartement pendant tout ce temps. »


 

Le juge demanda alors si le témoin avait envisagé que ce fut M. Tinel qui avait frappé les coups. M. de Mirville répondit qu’il ne le pensait pas.

« Pensez-vous que ce serait le berger Thorel ?

-       Je ne pense pas qu’il puisse le produire par lui seul, mais bien avec l’assistance d’une cause occulte et surnaturelle.

 

Le témoin précisa qu’il était l’auteur d’ouvrages dont l’un s’intitulait : « Les peuples et les savants en matière de religion ».

 

À la dernière question :

« Connaissiez-vous le curé de Cideville ?

      Je n’avais jamais vu M. le curé de Cideville avant mercredi dernier et j’ignorais complètement qu’il existait une commune du nom de Cideville. »

 

Un silence lourd avait envahi la salle tout le temps où le marquis de Mirville avait parlé.

Ces dires laissaient à penser que les esprits existaient et qu’ils connaissaient tout des vivants.

C’était aussi une époque où l’on faisait tourner les tables pour entrer en communication avec l’au-delà, parler avec un être cher disparu trop tôt et qui manquait terriblement.

Une époque aussi où les charlatans, profitant de la douleur du deuil, soutiraient de l’argent en vendant de l’espoir.

 

Alors, qui frappait les coups répondant au marquis ?

Un esprit ?

Un charlatan connaissant bien l’homme à qui il répondait ?



[1] Pierre Eléonor (ou

Léonor) Levaillant dont je vous avais affirmé ne rien avoir sur lui. Eh bien, mes recherches à la suite du dernier chapitre ont été plus efficaces. Il est né le 11 messidor an 3 à Criquetot, du mariage d’Etienne Nicolas Levaillant et Marie Victoire Halle.

[2] Charles Jules né le 24 avril 1802 au château de Filières – Gommerville (76). Décédé au même endroit, le 11 septembre 1873. Mariage avec Louise Marguerite de la Pallu le 7 mars 1831 à Paris. Son épouse décéda le 13 mars 1842 à Pise en Utalie.

[3] Pour tous, son nom était Mirville.

[4] Tous ne le connaissaient que sous le prénom de Jules.