8
août 1777
Il y a dans tous les états
d’habiles gens ; l’Anecdote ci-après le prouve, au moins pour la dernière
classe. On sçait (sic) que le trop fameux Desrues souffrit son suplice (sic)
avec une tranquillité, au moins aparente (sic), qui paroissoit ne devoir pas se
trouver chez un scélérat (sic) de cette espéce (sic). Le peuple, qui ne
s’occupe pas toujours à réfléchir, crut y voir le calme de l’innocence. Un
fripon s’en aperçoit, forme son plan, & l’exécute. Il s’habille
positivement comme l’étoit Desrues le jour de son exécution ; il se
promène gravement la nuit sur la Grève, crie qu’il étoit innocent, & que
Dieu lui avoit permis de revenir du Purgatoire pour demander des messes. Il
nomme les saints Prêtres qu’il faut charger de les acquitter, & demande
qu’on lui jette l’argent nécessaire. (C’étoit bien-là (sic) le point
essentiel.) De bonnes gens effrayées & attendries, lui font leurs charités,
& lui jettent plus que moins, & de loin, crainte que le réchapé (sic)
du Purgatoire n’eût les mains plus chaudes que les leurs. Cet honnête homme
commençoit à faire de bonnes affaires, mais malheureusement la Police qui se
mêle si souvent des affaires d’autrui sans en être requise, informée du petit
commerce du revenant, envoya des Alguazils (sic) qui l’ont conduit à Bicêtre,
d’où il n’est point encore revenu.
Voilà
un article qui m’a fortement interpellée, simplement par ces quelques mots
« Desrues le jour de son exécution ».
Alors
j’ai fouillé. Qui était Desrues ? Quand fut-il exécuté ? Pourquoi ?
Ouah !
Je suis tombée sur une sacrée affaire……. Et bien sûr, en « bonne
commère » qui aime les cancans, je vais vous la conter.
Tout
commença pourtant de la meilleure façon du monde dans la bonne ville de
Chartres.
Un
jeune couple issu de familles de commerçants respectés et jouissant de la
meilleure des réputations s’unirent en mariage, le 24 avril 1730, en l’église
de la Paroisse de Saint-Saturnin à Chartres.
Elle,
Barbe Piau (on trouvera aussi Barbe Elisabeth Piot), fille de Marin Piau et de Elisabeth Tardineau
de la Paroisse de Saint Saturnin à Chartres. Agée de seize ans.
Lui,
Michel Desrus (on trouvera par la suite Desrues), fils de feu Pierre Desrus et
de Marie Legrand, de la Paroisse de Saint-André. Le futur était marchand et
avait 26 ans.
Le vingt quatrième jour d’avril mil
sept cens trente michel Desrus marchand âgé de vingt six ans fils de feu pierre
desrus aussi marchand et de marie legrand ses père et mere de la paroisse de St
André d’une part et barbe piau agee de seize ans fille de marin piau aussy
marchand et d’Elisabeth tardineau ses père et mere de cette paroisse d’autre
part.
En presence de marin desrues
marchand de pierre desrues aussy marchand freres du marié, de louis Lonquequine
et claude guerin ses beaux freres, d’alexandre Lulley son cousin germain et
plusieurs autres parens et amis, de marin piot son père, jean Alleaume parrain,
louis moreau maitre perruquier chez les piau son frère, charles poupril…….
Quand
on regarde les personnes présentes au mariage, on voit tout de suite que ce fut,
sans aucun doute, un beau mariage. Quand on est marchand, il faut se plier au
paraître !
Le
premier enfant du couple que j’ai découvert, ne naquit qu’en mars 1735.
Peut-être y en a-t-il eu avant, mais si ce fut le cas, ils ne furent baptisés
dans aucune des paroisses de Chartres.
Arrivèrent
donc au foyer :
·
Michel, le 18 mars 1735
Le vendredy dix huitieme jour de
mars mil sept cent trente cinq a este baptise par moy soussigne curé de cette
paroisse michel né d’hier du mariage legitime de michel Desruë marchand et de
Barbe Piot. Parain Jacques la Treille marchand mercier et épicier de la
paroisse de St Hilaire, la maraine françoise
pierre fille de cette paroisse.
·
Madeleine Victoire, le 18 mars 1737
Le lundy dix huitieme jour de mars
mil sept cens trente sept après midy jay soussigné prestre vicaire de cette
paroisse baptisé une fille née d’hier au soir du mariage legitime de michel
desrues marchand et de Barbe piot. Le parrain a esté jean antoine Duchon
Bourgeois de cette ville de la paroisse de St Michel. La maraine qui a nommé
l’enfant magdeleine victoire a été magdeleine Piot fille tante maternelle de
l’enfant.
·
Charles Michel, le 1er
juillet 1738
Le mardy premier juillet mil sept
cent trente huit je soussigne prestre vicaire de cette paroisse j’ay baptise un
fils né d’aujourd’huy du mariage legitime de Michel Desrues marchand et de
barbe piot ses père et mere de cette paroisse. le parain qui a nommé l’enfant
charles michel a esté charles piot marchand oncle maternel de l’enfant, la
maraine a este marie françoise elizabet Pasquier fille, tous deux de cette
paroisse.
·
Barbe Jeanne, le 16 septembre 1741
L’an mil sept cent quarante un
seizieme jour de septembre je soussigné prestre vicaire de cette paroisse ay
baptisé une fille née de ce soir du légitime mariage de michel desrues marchand
et de barbe piot. Le parain est denis Huard de la mare marchand de la paroisse
de St Michel, la maraine qui a nomme l’enfant barbe jeanne a esté jeanne Juon
fille aussy de St michel.
·
Marin François, le 24 septembre 1743
L’an mil sept cens quarante trois
vingt quatre septembre ay soussigné prestre vicaire de cette paroisse baptisé
un fils né d’aujourd’huy du legitime mariage de michel Desrues marchand et de
barbe Piot. Le parain qui a nomme l’enfant marin françois a este maitre
françois Jumantier notaire royal à Chartres oncle maternel de l’enfant, la
maraine a esté marie mesnou femme de philippe nicolas macé luthier royal, tous
deux de cette paroisse.
·
Antoine François, le 22 janvier 1745
L’an mil sept cens quarante cinq le
vendredy vingt deux janvier je soussigne prêtre de cette paroisse ay baptisé un
fils né de ce jour en legitime mariage de michel desrus et de barbe Piot lequel
a esté nommé par le parrain antoine françois, le parrain a esté messire antoine
devincheguere chevalier seigneur de seme noenne fils de messire antoine de
vincheguere seigneur de seme noenne et de feu dame magdeleine Badereau de cette
paroisse, la marraine a esté marie cirasse épouse de charles piot maitre de la
maison au pend pour enseigne le vert galent.
Concernant
le parrain, je ne suis absolument pas sûr de l’orthographe de son nom, ni de
celui de ses titres.
·
Charles Louis, le 18 juillet 1747
L’an mil sept cent quarante sept le
dix huitieme de juillet a été baptisé par moy prêtre curé soussigné, un fils né
ce jourd’huy du legitime mariage de michel Desrues maitre de l’auberge au pan
pour enseigne le louis d’argent et de barbe piot de cette paroisse. Le parain
qui a nommé l’enfant Charles Louis a esté monsieur Charles françois trubert des
cottes controleur du dixieme actuellement de cette paroisse, la maraine
Damoiselle Louise Vallon de Boyroger fille de monsieur Michel Vallon receveur
de cette ville de la paroisse de Ste foy.
Tous
ces enfants reçurent le baptême dans la paroisse de Saint-Saturnin à Chartres.
La
vie aurait pu se dérouler le mieux du monde si le père, Michel Desrues, n’était
pas décédé, le 29 décembre 1747.
Paroisse
Saint-Saturnin ( Chartres)
L’an mil sept cens quarante sept le
vendredy vingt neuf decembre es décédé michel Desrues age de quarante quatre
ans environ marchand aubergiste au pan pour enseigne Louis d’argent et
lendemain son corps a été inhumé dans le cimetière de cette église par moy
pretre curé en presence de Michel Charles Desrues son fils, marin Desrues
marchand mercier, pierre Desrues marchand de chevaux tous deux ses frères, de
françois Jumantier notaire Royal, de charles Piot marchand aubergiste tous deux
ses beaux frères qui ont signé avec nous excepte son fils qui a déclaré ne
savoir signer.
Et
comme un malheur n’arrive jamais seul, la pauvre Barbe Piot, quitta ce monde
également, le 20 juillet 1749, suite à une maladie et après avoir reçu les
sacrements de l’Eglise.
Paroisse
Saint-Saturnin ( Chartres)
L’an mil sept cens quarante neuf le
dimanche vingt juillet est decedée Barbe élisabeth Piot veuve de michel Desrues
marchand aubergiste au pan pour enseigne les louis d’argent age de trente six ans
environ après avoir reçu pendant la maladie les sacrements et le lendemain son
corps a esté dans le grand cimetiere de cette église par moy prestre curé de
cette paroisse soussigné en présence de Charles Michel Desrues son fils, de
Charles Piot marchant son frere, de françois jumantier notaire royal à Chartres
son beau frere coté de sa femme, de marin Desrues marchand mercier son beau
frere cote de feu michel Desrues marchant, de pierre desrues marchant son beau
frere de même cote.
Que
devinrent les enfants ?
En
1749, Michel avait 14 ans, Madeleine Victoire 12 ans, Charles Michel 11 ans,
Barbe Jeanne 8 ans, Marin François 6 ans, Antoine François 4 ans, et Charles Louis 2 ans.
Sans
doute furent-ils dispersés chez les différents oncles, tantes, parrains et
marraines. A cette époque, un enfant travaillait très tôt. Dans ces familles de
« marchands », il fallait des commissionnaires et des garçons et
filles de boutiques.
Laissons-les
là, un temps, nous reviendrons vers eux un peu plus tard.
Attardons-nous
sur l’avant dernier enfant, Antoine François.
Pour écrire ce qui
suit, je me suis appuyée sur plusieurs écrits dont vous trouverez les
références à la fin de ce document.
Pour attester mes dires,
j’ai essayé, au mieux, de trouver les actes dans les diverses archives en
ligne, sachant toutefois, dès le départ, que ce serait difficile, voire
impossible, le drame se situant à Paris.
Antoine
François fut donc, séparé de sa fratrie et fut accueilli chez un de ses oncles.
Il se révéla très vite un enfant perturbé, voir vicieux, aux dires de ses
proches.
Au
fil de mes lectures, j’ai découvert qu’il aurait été, enfant, décrété « de
la nature des Hermaphrodites » et que ce ne serait qu’à l’âge de 22 ou 23
ans, suite à une opération qu’il aurait été déclaré définitivement du sexe
masculin. Je ne peux malheureusement pas attester de cette particularité, car,
son acte de baptême, déclare bien « …un fils né….».
Était-ce
en raison de cette supposée différence qu’il était d’un caractère plus que
difficile.
L’enfant
fut vite soupçonné de vols, et un jour fut pris sur le fait.
Punition
horrible comme on savait le faire à cette époque : l’enfant fut suspendu
par les pieds, la tête en bas et fouetté. Bravant son oncle et ses cousins
après cette correction, il se mit à rire en se moquant d’eux.
N’arrivant
pas à venir à bout de ce « démon », il fut confié à deux cousines qui,
très vite dépassées, confièrent son
éducation aux bons soins d’une école chrétienne.
Une
anecdote qui fit grand bruit.
Antoine
François jouait avec quelques camarades de son âge « aux voleurs ».
L’un d’eux fut arrêté et conduit aux abords de la ville où il se vit pendu à un
arbre sur ordre de leur chef qui était justement, le jeune Desrues. Le groupe
ne le décrocha que lorsque le « pendu » gesticulant et criant fut
décroché à la hâte. La pauvre victime décéda le lendemain.
Concernant
ce drame, je me suis vue confrontée à deux textes.
Le
premier situant l’évènement alors que Antoine François était âgé de 14 ou 15
ans, soit en 1760 environ. Un autre précisant qu’il s’était produit un soir de
septembre 1751, après la classe et mentionnant le nom de Pierre Buttel ou
Bultel comme étant celui de la petite victime.
Etant
donné qu’en 1760, le jeune Desrues venait d’arriver à Paris, j’opterai pour
1751. J’ai donc, parcouru tous les actes des paroisses de Chartres à la
recherche de la mention d’un décès aux environs de cette date et concernant un
petit Pierre Buttel ou Bultel. Rien. La famille n’habitait peut-être pas
Chartres même, mais un village aux alentours.
Je
n’ai rien non plus sur les suites données à cette tragédie. Rien, si ce n’est
que Antoine François n’aurait montré aucun remord et lança même quelques
phrases désobligeantes et ironiques, allant jusqu’à dire que ce n’était qu’une
anecdote sans importance.
Mais
n’était-ce pas uniquement que bravades verbales, pour cacher des
sentiments ?
Il
fallait tout de même faire quelque chose de ce gamin, aussi fut-il mis en
apprentissage chez un nommé Legrand, ferblantier à Chartres. A la mort de ce
maître d’apprentissage, il se retrouva garçon de boutique chez la veuve Castel,
marchande de quincaillerie, toujours dans la ville de
Chartres. Mais, pour une raison qui m’est totalement inconnue, il n’y resta pas
longtemps. Etant donné la suite des évènements, je suppose qu’il avait été
surpris à voler, car son départ précipité de Chartres ne fut autre que
plusieurs vols dans la caisse d’un marchand épicier chez qui il habita peu de
temps à la suite de son renvoi de chez la veuve Castel.
Ses
parents, malgré toutes ses frasques, l’aidèrent, grâce à leurs connaissances
et, il faut bien l’avouer une bonne somme d’argent, à entrer en apprentissage,
chez un épicier de la rue de la Comtesse, dans la capitale. Là, il fut très
apprécié.
Avait-il
changé ?
Etait-ce
de l’hypocrisie, comme dirent certains ?
Le
maître d’apprentissage affirma, qu’un jour, son jeune apprenti lui avait
conseillé d’éliminer les concurrents avec de l’arsenic. « Ainsi, avait-il
ajouté, vous en aurait grands bénéfices ».
Là,
vont se succéder plusieurs évènements, mettant en scène divers personnages dont
je n’ai pu découvrir les actes de leur vie. Il n’existe plus rien des actes des
paroisses de l’état civil de Paris. Je le regrette infiniment.
A
la fin de son apprentissage, en 1767, il
entra au service d’une veuve, belle-sœur de son maître et qui tenait une
épicerie, rue Saint-Victor.
Pour
entrer dans les bonnes grâces de cette pieuse femme, il se mit à fréquenter l’église
et à prendre un, puis deux confesseurs (le père Cartault – carme et le père
Denis – cordelier). Il la convainquit également de renvoyer sa domestique, disant qu’elle lui
coûtait et qu’il pouvait, lui, se charger du ménage et de la cuisine.
Tous
le tenaient en grande estime. Il
inspirait la confiance. Il était reçu partout.
Oui,
mais ……. Que se cachait-il derrière tout cela ? Quelques
machineries ?
Un
de ses frères cabaretier à Chartres, vint le voir. Il fut reçu dans la maison de la veuve, y
resta plusieurs jours pour visiter Paris. Le jour de son départ, Antoine
François l’accusa d’avoir volé deux bonnets de coton neufs. Devant la fureur et
les injures, presque hystériques, de
Antoine François envers son frère, la pauvre dame gifla son employé pour le
calmer.
Durant
trois années, de 1767 à 1770, l’épicerie
accusa des pertes très importantes. Desrues, en bon employé, affirma que
c’était en raison d’un grand nombre de rats grouillant dans la cave ; cette
veuve émit quelques soupçons d’ailleurs, et afin de ne pas finir ruinée, elle
céda à Antoine François Desrues, son commerce pour la somme de 1200 livres.
Nous étions en février 1770. Desrues avait 25 ans.
La
veuve avait toutefois gardé un logement dans le même immeuble que l’épicerie et
y accueilli un abbé, ex jésuite. Etant seul, il lui avait légué tous ses biens
à sa mort. Desrues lui conseilla l’arsenic pour qu’elle héritât plus vite. Ironie ?
Un
des oncles de ce « charmant jeune homme », marchand de farine à
Chartres, ayant l’habitude, pour ses affaires, de venir régulièrement à Paris,
descendit dans une auberge. Il se trouva volé de 1200 livres. L’aubergiste
déclara n’avoir donné les clefs de sa chambre qu’à son neveu. Le marchand ainsi
« roulé dans la farine » ne
voulut pas porter plainte. Avait-il eu des soupçons ?
Etrangement
le feu prit dans la cave de l’épicerie dans la nuit du 22 juin 1771. Desrues
évalua la perte, pour son commerce, à 7 ou 8000 livres. Mais l’apprenti que
Desrues avait embauché avoua à ses parents qu’il n’avait rien perdu. Ce qui
avait brulé ? Rien d’autres que des friperies et des caisses à savon
vides. Après cet incident, Desrues montra une figure ravagée. Sur le pas de la
porte de son commerce, il buvait de l’eau qu’il vomissait aussitôt. Mais à
celui qui pouvait bien observer, l’homme versait une poudre blanche dans son propre
verre avant d’en avaler le contenu. Ajoutait-il ce vomitif, appelé émétique,
dans l’eau pour que chacun plaigne son état.
S’ensuivra
une multitude d’escroqueries, notamment des faux en écritures attestant
l’acquittement de sommes dues. Mais comme le sieur Desrues avait une réputation
honorable, personne ne se méfiait.
Il
était tellement pieux ! On ne pouvait que lui donner le « Bon
Dieu sans confession » !
Parmi
ces méfaits :
Un
jeune homme venu à Paris pour acquérir un fond de commerce avec en poche une
bonne somme d’argent. Vol de 12000 livres. Le jeune disparut….. Desrues
justifia tout cela en assurant aux parents que leur fils était un libertin et,
qu’aussitôt arrivé à Paris, il avait sombré dans la débauche.
Un
apprenti qu’il eut un temps dans sa boutique ? « Un
vaurien ! » avait dit Desrues aux pauvres parents, et pour appuyer
ses dires affirma qu’il lui avait dérobé 600 livres. Le père paya. L’apprenti
disparut.
Et
puis cet autre apprenti perruquier venu livrer une perruque et avait au passage
volé, soit disant, une bague d’une
valeur de 200 livres. Le maître perruquier crut Desrues et renvoya le pauvre garçon
qui n’y était pour rien.
Cet
homme fourbe et malhonnête feint trois banqueroutes. Chaque fois ses créanciers
le plaignirent et l’aidèrent, sans jamais avoir aucun soupçon.
1772
fut l’année de son mariage, célébré da ns
la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois. Antoine François Desrues épousa Marie
Louise Nicolais.
Cette
dame, née à Melun en 1745, était la fille d’un bourrelier N Nicolais et de
Thérèse Richardin qui avait épousé en secondes noces Jean-Baptiste Caron, établi
rue de la Charonne à Paris, comme
fabricant de nattes de paille. Elle était l’héritière, en partie, d’un certain
Jacques Jean Despeignes-Duplessis qui s’était attribué un titre de noblesse
bien que descendant d’un couple de commerçants de Beauvais, du nom de Bénard.
Il possédait un petit château ou plutôt une grosse ferme en grand état de
délabrement dans un endroit appelé Candeville dans le Beauvoisis, baillage de
Clermont, où il vivait seul, d’où son surnom, le « blaireau de
Candeville ». Il était détesté de ses fermiers, des habitants des environs
et des braconniers. En ce qui concernait ces derniers, c’était logique !
Quels
étaient ses rapports avec Marie Louis Nicolais ? Pas de renseignements
précis, si ce n’est qu’on la voyait souvent venir au château entre 1769 et 1770,
sans en connaître les raisons. J’ai lu qu’il aurait été son parrain. Sans
l’acte baptistaire, je ne peux l’affirmer.
Cet
homme décéda le 22 novembre 1770 dans des circonstances fort étranges. En
effet, Il fut retrouvé dans sa chambre, alors qui était seul au
« château », avec 24 gros grains de plomb de chasse dans une plaie
située à l’endroit de l’estomac.
Marie
Louise Nicolais, même si elle pouvait prétendre à une part de l’héritage du
sieur Jacques Jean Despeignes-Duplessis, non noble, ne faisait pas partie de la
noblesse. Ne s’occupait-elle pas de faire des paillassons avant son
mariage ? Pourtant, Desrues l’anoblit en modifiant légèrement
l’orthographe de son nom, noté sur leur
acte de mariage, et ce fut donc sur ce soi-disant héritage, qui se révéla par
la suite infime et dont la succession tardée à venir, que Desrues put à de
nombreuses reprises emprunter, pour lui-même prêter à de petits nobles à des
taux usuriers.
Tout
un travail de calculs astucieux ! Un vrai génie de la finance !
La
même année naquit une petite fille qui ne vécut que quelques temps. Une voisine
du couple accepta d’être la marraine de l’enfant. Elle était lingère. Elle
appréciait Desrues en raison de sa grande piété. Elle aussi !
Etait-ce
en raison de la mort de la petite fille
qu’en 1773, Antoine François Desrues vendit son fond de commerce de la
rue Saint-Victor et alla s’installer dans une maison de la rue des deux boules,
non loin de la rue Bertin Poirée, sur la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois,
paroisse dans laquelle avait été célébré son mariage.
Le
1er février 1775, (il se peut que ce soir en 1774) vint au monde un
garçon qui reçut les prénoms de André Maximien Joseph sur les fonds baptismaux,
le mardi 15 février.
L’acte
baptistaire mentionne :
André Maximien Joseph fils de
messire Antoine François Desrues seigneur de Grande-ville, Herchier Viquemont
et autres lieux, ancien marchand épicier et de dame Marie Louis Nicolais, son
épouse.
Je
n’ai pas consulté moi-même cet acte, ce qui fait que l’année de la naissance de
l’enfant n’a pu être élucidée.
Devant
les impayés de loyers, son logeur le mit dehors. La famille Desrues emménagea
alors dans une maison rue Beaubourg où il se fit appeler, Cyrano Desrues de
Bury.
Ce
fut en cette année 1775 que Desrues fit la connaissance avec le sieur de Saint
Faust de Lamotte, écuyer de la grande écurie du roi, sieur de Grange-Flandre,
Valperfond et autres lieux.
Ce sieur Pierre Etienne de Saint Faust de Lamotte avait
épousé, en 1760, à Paris, Marie Françoise Perrier, avec laquelle il avait vécu
maritalement quelques années avant, et dont il avait eu un fils, Edouard, né à
Palaiseau et baptisé sous le nom de sa mère, et qu’il avait reconnu au moment
de son mariage. Ils eurent, par la suite, deux autres enfants qui ne vécurent
pas. Edouard était donc leur seul enfant. Ils avaient fait, en 1763,
l’acquisition d’une terre seigneuriale
appelée le Buisson-Souef, à un quart de lieue de Villeneuve-le-roi-lès-Sens. (Aujourd’hui
Villeneuve-sur-Yonne).
Cette propriété, bordée par Yonne, avait beaucoup
d’allure, mais nécessitait un grand nombre de travaux dont le couple ne pouvait
supporter la charge.
Desrues souhaita acquérir ce domaine dont la valeur
fut estimée à 130 000 livres. Un contrat fut signé le 22 décembre 1775. Desrues
n’ayant pas la somme nécessaire le jour de la signature, un délai lui fut
accordé jusqu’à l’année suivante.
Desrues et les siens s’installèrent donc, sans
scrupule, à Buisson-Souef aux frais des de Lamotte, bien évidemment.
Début décembre 1776, la somme n’était toujours pas
réglée, et pour cause, Desrues n’avait pas le premier sou pour honorer le
contrat. Le sieur de Lamotte, ne pouvant quitter la propriété en raison des
travaux, signa une procuration à sa femme pour régler cette affaire. Celle-ci
partit, accompagnée de son fils, avec les Desrues pour Paris. La famille
Desrues lui offrit l’hospitalité. Elle prit le temps, à son arrivée dans la
capitale, d’aller déposer la précieuse procuration maritale chez Monsieur le Procureur.
Edouard fut mis en pension dans une école rue de l’Homme Armé, au Marais, non
loin de l’Hôtel Soubise.
Que manigançait Desrues ?
Pourquoi loua-t-il une cave, en décembre 1776, sous le
nom de Ducoudrai, rue de la Mortellerie
dans un immeuble appartenant à la dame
Masson, âgée de soixante ans et veuve de son état ?
Pour quelles raisons la dame de Lamotte et son fils ressentirent-ils
quelques malaises depuis leur arrivée à Paris ?
Le 30 Janvier 1777, Desrues prépara une médecine de sa
composition et la proposa à la dame de Lamotte. Elle serait assurément soulagée
et rapidement, avait affirmé Desrues.
Après l’absorption du remède, la dame alla se mettre
au lit. Devant les « ronflements » assez étranges, la servante,
alarmée, alla trouver Desrues. Rien de
plus normal ! Le médicament agissait !
Et l’homme envoya la domestique à la campagne en lui intimant l’ordre de ne pas revenir avant
le lundi 3 février 1777.
La dame de Lamotte fut, en effet soulagée de ses
maux, puisqu’elle décéda le 31 janvier
1777.
Le lendemain, Desrues envoya sa femme faire quelques
courses, prétextant qu’il irait diner en ville avec leur invitée.
Sa femme sortie du logis, le meurtrier mit le cadavre
dans une malle et l’ayant fait chargée sur une voiture à bras, la fit
transporter chez la dame Mouchy dont le mari avait un atelier de menuiserie au Louvre.
Aucune indication sur la personne qui aurait aidé à transporter la malle qui
fut déposée au lieu précisé ci-dessus, à 10 h du matin. La malle resta là deux
jours.
Pourquoi direz-vous ?
Tout simplement pour laisser à l’homme Desrues, le
temps d’aller embaucher, place de Grève, un manœuvre pour creuser une
fosse de trois pieds de profondeur sur
cinq pieds de longueur, sous l’escalier,
dans la cave qu’il avait louée.
Une fois la malle arrivée dans l’endroit, il s’était
avéré que le trou n’était pas assez grand.
Que faire ?
Il retourna donc place de Grève, espérant retrouver le
manœuvre, embauché précédemment, pour le
charger d’agrandir la fosse. Ne le trouvant pas, il demanda à un maçon, très
heureux de gagner quelques sous.
Oui mais, ce maçon fut plus curieux que le manœuvre.
Pourquoi cette fosse ?
Pour mettre des bouteilles de vin, lui avait-on
répondu.
C’était bien la première fois qu’on lui parlait d’une
telle recette pour faire vieillir du vin.
Et cette malle ?
Les bouteilles étaient dedans, bien évidemment.
Mais cette malle sentait bien mauvais pour contenir du
vin. On dirait qu’une vieille charogne y est entreposée !
Il fallut à Desrues ouvrir la malle. Il était
découvert ! Mais habile, comme à son habitude, il dit qu’il s’agissait
d’une dame avec laquelle il était arrivé à Paris. Cette dame était morte
subitement dans la chambre et il craignait qu’on l’accusât de meurtre. Alors, il avait trouvé cette
solution… Il pleurait le pauvre assassin……. Constatant que le cadavre ne
portait aucun signe de violence, le maçon crut à la fable de Desrues contre
deux louis d’or que ce dernier lui avait glissés dans la main.
La machination était en route, Desrues ne pouvait plus
reculer. Il fallait qu’il règle, à présent, le sort du jeune Edouard de
Lamotte.
Il prévint celui-ci que sa mère était partie pour
Versailles et qu’elle lui enverra it de
ses nouvelles.
Onze février 1777, rien. Aucune nouvelle !
Desrues vint chercher, le mardi gras 11 février, le
jeune homme à la pension où il faisait des études de philosophie, pour,
avait-il dit au maître de pension, l’emmener au bal. Comme la soirée risquait
de s’éterniser, il le garderait à coucher. Au jeune homme, il annonça qu’il
était venu le chercher pour rejoindre sa mère à Versailles.
Le lendemain matin, après un bon bol de chocolat, les
deux hommes partirent.
La suite me donnera raison : on ne se méfie pas
assez du chocolat !
Pendant le trajet le jeune Edouard fut prit de
vomissements.
A Versailles, ils descendirent à l’hostellerie de la Fleur
de Lys, mais devant l’état du jeune homme, l’aubergiste refusa de leur louer
une chambre. Un tonnelier, ayant boutique au coin des rues Saint-Honoré et de
l’Orangerie, leur proposa une chambre pour 30 sols par jour. La chambre fut
prise au nom de Beaupré. Desrues se déclara être l’oncle du malade.
La valse des médecines recommença. Le vendredi 14
février au soir, Edouard agonisait. On fit venir un prêtre qui administra
l’Extrême Onction au moribond A neuf heures du soir, le pauvre garçon avait
quitté ce monde.
Ce fut un terrible déchirement pour Desrues ! Il
aimait tant son neveu ! Il ne put d’ailleurs assister aux funérailles.
J’ai retrouvé l’acte d’inhumation du jeune de
Lamotte :
Versailles – paroisse Saint Louis - L’an mil sept cent
soixante dix sept le seize février Louis Antoine Beaupré fils de jacques
Beaupré bourgeois de commercy en Lorraine et de marie helene Maigny decede
d’hier age de vingt deux ans et demi a
été inhumé par nous soussigné prêtre habitue en cette paroisse en presence de
Gabriel Pecquet tonnelier et jean Bidou garçon d’église qui ont signe avec
nous.
En marge de l’acte, cette mention en diagonal :
« assassiné par desrues »
Le tonnelier se nommait donc Gabriel Pecquet.
Revenant chez lui, à Paris, Desrues annonça qu’il
revenait de Chartres. Il était tout joyeux !
Il retourna à la pension, affirma que tout allait
bien, Edouard de Lamotte avait reçu une lettre de sa mère lui demandant de la
rejoindre à Versailles. La femme du maître de pension émit quelques doutes…..
Desrues alla ensuite, le 27 février 1777, voir le procureur
pour reprendre la procuration que le sieur de Lamotte avait fait en faveur de son
épouse. Le procureur refusa net. Il n’avait pas été informé. Desrues deposa
alors une plainte au lieutenant civil, sous
le nom de Cyrano Desrues-de-Bury, afin d’obtenir la dite procuration.
En fait, il ne doutait de rien, ce brave
Desrues !
Il est vrai que plus les escroqueries sont
incroyables, moins elles sont contestées !
Après
plusieurs refus du procureur et plusieurs autres démarches de Desrues, la
procuration fut déposée au greffe du Châtelet par ordre de M. le lieutenant
criminel.
Desrues
se rendit sur la terre de Buisson-Souef, et annonça au sieur de Lamotte que
tout était arrangé. Un acte avait été passé le 12 février 1777, annulant le
précédent et que la somme de 100 000 livres avait été remise à son épouse
qui était, de plus, en parfaite santé. Elle s’occupait d’affaires à Versailles,
mais attendait que celles-ci se concrétisent pour lui en faire part. Son
fils ? Ah oui ! il n’avait pas de goût pour les études, sa mère
l’avait retiré de la pension. Il était à Versailles avec sa mère qui pensait à
le mettre comme page, à la cour du roi.
En
effet, tous ces dires furent confirmés par lettres que le sieur de Lamotte
reçut de son épouse pendant le séjour de Desrues.
C’en
était trop !
Le
sieur de Lamotte, au plus fort de son angoisse, se résolut à se rendre à Paris.
Coïncidence, il descendit dans un hôtel non loin de la rue de la Mortellerie où
dans une cave ……..
Il mena une enquête, bien sûr. Desrues avait fait
courir des bruits entachant la réputation de la dame, mais le mari ne pouvait y
croire.
Concernant la somme de 100 000 livres, elle avait
bien été actée devant notaire, le 6 février 1777. L’acte avait été annulé le
jour même. Desrues n’avait pas mentionné ce détail.
Un commissaire du nom de Mutel fut chargé de
l’affaire. Il se rendit chez Desrues.
La perquisition effectuée ne donna rien. Quant à la femme Desrues, elle
n’était au courant de rien.
Desrues porta plainte pour cette perquisition qu’il qualifia
d’abusive.
Mais trop de soupçons ! Il fallait tirer cette
affaire au clair.
Desrues fut donc emprisonné le 12 mars 1777 au
Fort-l’Evêque où il fut interrogé à de nombreuses reprises.
On soupçonna la complicité de la femme Desrues.
Quant à la servante, elle cria, haut et fort, qu’elle
n’avait fait que servir sa maîtresse.
On venait de découvrir que, dans le linge sale,
Desrues envoyait des messages à son épouse et que celle-ci se chargeait de
faire parvenir des courriers à diverses personnes. Courriers signés de Madame
de Lamotte, pour attester que celle-ci était bien vivante. Une morte ne pouvant
pas écrire !
La femme Desrues fut alors enfermée au Fort-l’Evêque,
alors que son époux était transféré au Grand-Chatelet.
Mais voilà, il suffit parfois de peu de choses pour
que tout soit dévoilé !
La dame Masson, n’ayant pas revu le locataire depuis
début février, confia à une amie ses craintes de ne pas toucher le montant du
second terme de sa cave. Tiens, justement, c’était le jour où il avait apporté
une malle qui, selon ses dires, contenait des bouteilles de vin ! Il lui
en avait, d’ailleurs, donné deux bouteilles. C’était un vin de Malaga.
Comme le monde est petit !
Cette dame en parla à un officier qui était justement
un ami des de Lamotte. Cet homme se rendit à la police qui ordonna une
perquisition dans la cave de la brave dame Masson.
Dans cette cave, le commissaire Mutel découvrit un
tonneau vide et quelques bouteilles de vin. Mais le regard vigilent de ce
policier se porta sur le sol au-dessous de l’escalier. Il tâtonna.
Etrange, la terre était molle !
Le commissaire alla quérir un ordre chez le juge et revint accompagné de
deux hommes et du sieur de Lamotte.
Oh horreur ! Le sieur de Lamotte poussa un cri de
terreur en découvrant son épouse dont le visage était resté intacte.
Nous étions le 18 avril 1777.
Le lendemain, lors d’une confrontation, la femme Masson
reconnut Desrues comme étant celui qui lui avait loué la cave dans laquelle le
corps venait d’être découvert. Bien sûr, Desrues démentit.
Je suppose que cette pauvre femme avait dû se demander
si quelqu’un, à présent, accepterait de louer le lieu, en raison des évènements
qui venaient de s’y dérouler. Un tel acte dans une maison honnête, on allait
jaser, c’était certain ! Et si elle ne pouvait plus louer ? Cela allait
être un manque à gagner !
L’autopsie pratiquée sur le corps de la dame de Lamotte,
confirma une mort par empoisonnement.
Desrues confessa alors que le jeune Edouard était
décédé à Versailles des suites d’une indigestion et d’une maladie vénérienne.
Le 22 avril 1777, le corps fut découvert dans le cimetière, mais Desrues
affirma ne pas reconnaitre le corps du jeune homme.
Il cria que lui et son épouse étaient de braves gens
et demanda que la justice fasse une enquête de bonne moralité.
L’autopsie pratiquée sur Edouard de Lamotte fit
apparaître que les causes du décès étaient bien les mêmes que celles de sa
mère.
Et les interrogatoires se poursuivirent.
La femme Desrues déclara avoir rencontré son époux,
avec la malle dans une charrette à bras, rue Saint-Germain-L’auxerrois. A sa
question de la contenance de celle-ci, il lui avait répondu que ce n’était que
de la faïence qu’il souhaitait emporter sur leur terre de Buisson-Souëf.
Dans sa cellule, Desrues passait son temps en prières
et à jouer aux cartes avec ses gardes. Il affichait le visage de la parfaite innocence.
Le procès fut instruit par le Châtelet, le 30 avril
1777. La sentence fut confirmée le 5 mai par le Parlement.
…. Condamné à faire amende honorable, nu en chemise,
la corde au cou, tenant en ses mains une torche du poids de deux livres, au
devant de la principale porte et entrée de l’église métropolitaine de
Notre-Dame de Paris où il sera conduit dans un tombereau par l’exécuteur de Haute
Justice ; cela fait, mené dans la place de Grève pour sur un échaffaud qui
y sera dressé à cet effet, avoir les bras, jambes, cuisses et reins rompus vifs
et à l’instant jeté dans un bûcher ardent qui serait placé au pied dudit
échaffaud pour y être son corps réduit en cendres, et ses cendres jetées au
vent………..
Desrues fut exécuté le 6 mai 1777 à sept heures du
soir.
Sur le trajet le menant au supplice, Desrues montra
une grande quiétude, saluant les personnes qu’il connaissait, leur adressant
quelques cordialités.
Lors de son supplice. il ne poussa aucune plainte.
Juste une petite précision : j’ ai découvert ce qu’était le supplice dit
« de la roue », uniquement pour information :
Le condamne recevait deux coups à chaque bras, l’un au
dessus du poignet, l’autre au dessus de la saignée. Un coup à chaque jambe et
un à chaque cuisse. Le neuvième, appelé coup de grâce, était frappé au creux de
l’estomac.
La foule était immense sur la place de grève. Un
spectacle qu’il ne fallait pas manquer. Les distractions n’étaient pas si
courantes. Les spectateurs tapaient dans leurs mains pour rythmer les coups
assenés au condamné.
Lorsque ce dernier ne parut plus réagir et qu’il
n’était plus animé que par un faible souffle de vie, il fut détaché et son
corps placé dans le foyer, face contre les braises.
Lorsque le corps fut presque brûlé, certains se
précipitèrent sous l’échafaud, afin de
récupérer un morceau d’os ou quelques cendres. Quelques uns se rouèrent aussitôt
pour miser à la Loterie Nationale. Trophée en mains, .ils ne pouvaient que
gagner le gros lot. Leur relique n’avait-elle pas le même pouvoir de donner de
la chance que la corde de pendu ?
La femme Desrues n’eut pas un meilleur sort.
Voilà la sentence la concernant :
…. La cour condamne ladite Marie Louise Nicolais veuve
d’Antoine François Desrues à être, ayant la corde au col, battue et fustigée
nue de verges et flétrie d’un fer chaud en forme de V sur les deux épaules par
l’exécuteur de la Haute Justice, au devant de la porte des prisons de la
conciergerie du palais, ce fait, menée et conduite en la Maison de force de l’Hôpital
Général de la Salpêtrière de cette ville de Paris, pour y être détenue et
renfermée à perpétuité – déclare tous les biens de ladite veuve Desrues acquis
et confisqués sur iceux préalablement pris la somme de deux cents livres
d’amendes ……
Fait en Parlement le 9 mars 1779
Signé Le Cousturier
Les voleurs et les voleuses se voyaient couramment,
après jugement, marqués au fer rouge de la lettre « V », initiale de
« Voleur ».
La femme Desrues fut donc emprisonnée. Elle mit au
monde un enfant, né deux mois après la condamnation de son père. J’ai lu qu’il
avait été déclaré « né idiot », mais n’était-ce pas normal avec les
évènements que sa mère avait vécu tout au long de sa grossesse. A-t-il
vécu ? Combien de temps ? Je ne peux rien vous dire.
Mes recherches ont abouti également à une autre
naissance, celle de Louis Alexandre Nicolais qui serait né en 1779, le 23 mai à
la Salpêtrière. Il serait décédé le 7
juin 1779 à l’hôpital des Enfants trouvés à Paris, à l’âge de quinze jours. Il
aurait été le fils de « N N » deux initiales découvertes dans un
texte. Ce « N N » était-il un garde qui aurait abusé de la
détenue ? Cet enfant a-t-il été conçu pour donner une chance à la femme
Desrues de ne pas être exécutée, lui accordant, au moins, encore quelques mois
à vivre jusqu’à la naissance de l’enfant
à venir ? C’était fréquent dans les prisons, certains geôliers « arrondissaient »
leurs revenus en « arrondissant » le ventre des femmes emprisonnées.
Du moins celles qui pouvaient payer !
Marie Louise Nicolais, veuve Desrues, resta
emprisonnée treize années.
Jusqu’à ce triste jour d’automne 1792, où une bande
d’égorgeurs investit la Salpêtrière et massacra les quatre-vingt-sept femmes
encore captives. C’était le 4
septembre 1792.
De tous les enfants nés de Marie Louise Nicolais, ne
vécut que André Maximilien Joseph Desrues, né le 1774 ou 1775 (je vous rappelle
que j’ai trouvé la mention des deux années sur les différents documents que
j’ai consultés).
Qu’est-il devenu ? Je ne sais pas. Je suppose
que, comme beaucoup des membres de la famille de Desrues, sœurs, frères, neveu,
nièces, cousins et cousines, il a demandé à changer de nom. Ce fut le cas pour Magdeleine Victoire Desrues, sœur de
Antoine François, comme l’atteste la mention en marge de son acte de
naissance :
Par jugement du tribunal de
Chartres du 15 fevrier mille huit cent treize transférés sur nos registres ce
jourd’hier vingt six juillet autorisant la suppression du nom de Desrues et
ordonne qu’on y substitue celui de Orée.
Comment cette affaire a-t-elle pu faire tant de
bruit ? Suscité autant d’ouvrages ?
Les meurtres, les vols et les actes de brigandages n’étaient-ils
pas très courants à cette époque ? Rien d’extraordinaire en fait !
Il se fait que toutes les phases importantes de la vie
de Desrues furent dessinées et commentées dans les 39 gravures de Esnaut et
Rapilly.
On y voit Desrues enfant, battu par ses cousines,
Desrues épicier préparant des fioles de poisons dans sa boutique… et tous les
moments de la terrible affaire qui le mena à la mort.
Desrues apparait beau, grand, musclé, alors que son
physique n’était nullement avantageux.
En effet, il était :
Faible
de constitution et de très petite taille
(quatre pieds dix pouces). Son visage
allongé, pâle, délicat et maigre n’avait
presque pas de barbe. Il possédait une bouche enfoncée, un regard
perfide, des yeux ronds creux et perçants. Il parlait d’un ton affectueux,
mielleux, et possédait le rire d’un satyre
Il
s’était fait un plan combiné des plus horribles forfaits. La soif insatiable
des richesses le dévorait. C’était son unique ambition.
Alors,
la légende s’est emparée de l’histoire.
Ce
meurtrier a marqué son époque, tel un héros à la grande intelligence, et est
entré dans l’histoire où je viens de le ressortir en m’aidant de différents
ouvrages :
·
Alexandre Dumas : « les crimes
célèbres » volume 7
Ecrivain
français – né le 24 juillet 1802 et décédé le 5 décembre 1870.
André
Charles Cailleau : « Vie privée et criminelle d’Antoine-François Desrues »
Né
le 17 juin 1731 en Touraine, il décéda le 12 juin 1798 à Paris. Libraire, il
publia certaines de ses œuvres.
·
Georges
Claretie : « Derues
l’empoisonneur, une cause célèbre au xviiie siècle »
Né le 5 juillet 1875, décédé le 9 octobre 1936, il fut
docteur en droit, avocat et journaliste.
Voilà
une belle affaire comme je les aime, non
en raison de son côté macabre, mais dans le fait que je peux raconter, raconter….
Et encore raconter.
Je
suis désolée de n’avoir pu trouver
·
L’acte
de mariage des Desrues
·
L’acte
de mariage des de Lamotte et ceux des baptêmes de leurs enfants
·
L’acte
de décès du terrible « blaireau de Candeville »
·
Etc……
Si
quelquefois, aux détours de quelque autre recherche, je le découvrais, je vous
en ferai part.
Petit
complément à l’histoire :
J’ai
fouillé, et vous pouvez me croire, pour retrouver la trace des frères et sœurs
de ce personnage.
Charles
Louis, son dernier frère, né le 18 juillet 1747, a épousé le 12 juin 1775 à
Chartres – paroisse St Hilaire, Marie Madeleine David.
L’an mil sept cens soixante quinze
le douze juin après les fiançailles et la publication de trois bans ……..je curé
de cette paroisse soussigné ai procédé a la célébration du mariage de Charles
Louis Desrues Me Traiteur agé de vingt huit ans fils de feu Michel Desrues
vivant Me aubergiste et de feue Barbe Piot son epouse domicilié cy devant sur
la paroisse de St André et maintenant sur celle de St Aignan d’une part et
Madeleine David agée de vingt quatre ans fille de Louis David Me Parcheminier
et de feue Anne Besnard son epouse de cette paroisse d’autre part……. en
presence du côté de l’époux de Pierre Desrues son oncle Bourgeois de cette
paroisse de Pierre Bureau Md de Bar de la paroisse de St Aignan son cousin. Du
côté de l’épouse en presence Louis Besnard Bourgeois de la paroisse de St
Michel son oncle de Gabriel Besnard Me Boullanger de cette paroisse aussi son
oncle de Louis David Md Tanneur de la paroisse de St Pierre de Dreux son frere
de Pierre michel Anne David, Jean Réné David et Pierre David aussi ses freres,
de François Bellanger son beau-frere……..
Je
suppose que Charles Louis demanda à changer de nom, car sur un acte de décés en
date du 5 septembre 1848 à Chartres, un de ses fils se voit nommé Jean René
Orée dit Chonette :
Jeans René Orée dit Chonette ancien
boulanger âgé de soixante huit ans natif de Chartres époux de Mélanie flore
Blot, domicilié à Chartres rue porte Drouaise n° 7, fils de défunt Charles
Louis Orée et Marie Madeleine David sa femme, décédé hier à deux heures du soir
en son domicile…….
Magdeleine
Victoire qui était née le 18 mars 1737 prit également le même nom, comme nous
l’avons vu plus haut. Par contre, en ce Qui concerne Jeanne Barbe, née le 16
septembre 1741, elle garda le nom de son père, comme l’atteste son acte de
décès :
Aujourd’hui vingt quatre germinal
an quatre de la république en la maison commune de Chartres……est comparu
Geneviève foy Cochereau épouse d’Etienne Louis Chapelin mégissier demeurant au
dit Chartres porte Cendreux laquelle attestée et jean adrien marchand géomètre
en cette commune tous deux majeurs m’a déclaré que aujourd’hui sur les cinq
heures du matin en son domicile (adresse illisible) est décédée Jeanne Barbe
Desrues ex religieuse de la cidevant maison de la visitation de Chartres agee
de cinquante six ans, fille de deffunts Michel Desrues aubergiste au dit
Chartres et de Barbe Piau son épouse d’après laquelle déclaration je me suis
assuré du dit décès…….
Rien
d’autre à vous soumettre, je suppose que
tous les membres de la famille ont fait profil bas, un voleur et un assassin,
ça entache la réputation d’une famille entière, surtout quand celle-ci est
composée en sa quasi-totalité de commerçants. Dans ce cas, mieux vaut aller
voir ailleurs !
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