Tous
les habitants de Beuzeville-la-Grenier, village situé dans le pays de Caux, étaient
sous le choc !
« C’est-y
pas possible ! s’exclamait-on, horrifiés.
-
Pauvre père Mallet, finir sa vie
ainsi ! répondait-on.
-
C’est qui, celui qu’à fait ça ?
s’interrogeait-on de toute part.
Et
chacun disait son ressenti devant l’évènement.
La
nouvelle se répandit à une vitesse fulgurante et fut étalée, le surlendemain, en
première page du journal de Rouen.
Il
fut donc possible d’en connaitre tous les détails.
Journal
de Rouen – 29 novembre 1837.
On écrit de Beuzeville-la-Grenière,
près Bolbec, au journal du Havre le 27 novembre :
« Un crime épouvantable vient
de jeter la consternation dans nos environs. Le nommé Jacques Mallet, vieillard
de 86 ans, habitant le hameau du Froc, a
été trouvé assassiné hier à deux heures de l’après-midi, dans la maison qu’il
occupait. Des marques de doigts, que
l’on a remarqué sur son cou, font supposer que la victime a été étranglée par
ses assassins, et tout porte à croire que la cupidité a été le motif de ce
meurtre, dont les auteurs sont inconnus, car Jacques Mallet passait dans le
pays pour avoir amassé une assez forte somme d’argent.
Ce vieillard était veuf, sans
enfans et habitait seul la maison dans laquelle il a été trouvé mort.
Monsieur le juge de paix de Bolbec
s’est rendu immédiatement sur les lieux.
A la nouvelle de ce déplorable
événement le procureur du roi et le juge d’instruction du Havre se sont
transportés au hameau du Froc, pour tâcher de découvrir les traces d’un
attentat qui rappelle d’une manière si effrayante celui qui vient de se
commettre, avec des circonstances trop semblables, dans la malheureuse commune
de Douvrend, près de Dieppe.
Jacques
Mallet avait donc trouvé la mort dans des circonstances tragiques.
Une
enquête fut diligentée par les hautes
autorités de la justice pour retrouver, promptement, l’auteur ou les auteurs de
cet acte inqualifiable, mais aussi pour rassurer les habitants qui ne se
sentaient plus en sécurité.
N’y-avait-il
pas, depuis quelques temps déjà, des actes de ce genre dans les environs ?
Et maintenant, il se produisait la même chose, dans leur village, non loin de
leur porte !
Jacques
Mallet étant un homme pacifique et aimé de tous, l’église fut comble le jour de
ses obsèques.
Acte
de décès - novembre 1837 – Beuzeville-la-Grenier.
Du vingt sixieme jour du mois de
novembre l’an mil huit cent trente sept a six heures du soir.
Acte de decés de jacques augustin
Mallet décédé hier à huit heures du soir dans sa maison sise cette commune,
profession de cultivateur âgé de quatre vingt six ans né en cette commune et y
demeurant, fils de feu jacques Mallet et de feue suzanne Langlois époux de feue
anne Rosalie Lenud avec laquelle il avait contracté mariage en la commune de
Moiville en l’année mil sept cent soixante dix neuf. Sur la déclaration à nous
faite par Augustin Bunouf profession de cultivateur âgé de cinquante neuf ans
qui a dit être cousin du défunt et par Eleonor Auguste Bellet profession instituteur
age de trente six ans qui a dit être ami du defunt tous deux demeurant en cette commune.......
Jacques
Mallet avait bien épousé, dans la ville de Moiville, Anne Rosalie Lenud, en
1779, et, plus précisément, le lundi 27 septembre.
Bénédiction
nuptiale – septembre 1779 – Moiville.
Ce jourd’huy lundy vingt septieme
jour du mois de septembre l’an mil sept cent soixante dix neuf après la
publication des bans du future mariage entre jacques augustin mallet marchand
de fil de cette paroisse fils aine de jacques et de suzanne Langlois ses père
et mere de la paroisse de beuzeville la grenier d’une part et anne Rosalie
Lenud fille puisnée de jean et de feu marie anne catherine Lecarpentier aussy
ses père et mere d’autre part de la paroisse de breauté faite en cette eglise
et en celle de breauté....... en presence de jacques mallet pere de l’epoux, de
jean Lenud pere de l’epouse, jean Lenud garçon menuisier et de Charles louis
Lenud boulanger freres de l’epouse de la paroisse de Breauté qui ont signés
avec l’epoux agé de vingt huit ans et l’epouse agee aussi de viron vingt huit
ans.............
Ils
avaient vécu, ensemble, une vie de labeur et depuis cinq années déjà, Anne
Rosalie Lenud s’en était allée, laissant son mari veuf et inconsolable.
Acte
de décès – décembre 1832 – Beuzeville-la-Grenier.
Du vingt troisieme jour du mois de
decembre l’an mil huit cent trente deux à huit heures du matin. Acte de deces
de Anne Rosalie Lenud décédée en cette commune dans sa maison le jour precedent
à onze heures du soir profession de cultivatrice nee en la commune de Breauté
agee de quatre vingt trois ans demeurant en cette dite commune fille de feu
Jean Le nud et de feue marie anne Le Carpentier epouse de Jacques mallet avec
lequel elle avait été mariée en la commune de Mirville vers l’an mil sept cent
quatre vingt Sur la declaration à nous
faites par le dit jacques mallet profession de cultivateur age de quatre
vingt ans qui a dit être epoux de la defunte et par Silvain Lassade profession
d’instituteur âgé de quarante ans qui a dit être voisin de la defunte tous deux
demeurant en cette commune.......
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Sur
la route, menant à Rouen, un homme légèrement courbé en raison du sac qu’il
portait sur son dos, avançait péniblement. Fourbu, les jambes lourdes, il trainait
les pieds en maugréant.
Il
en avait connu des misères, cet homme ! Il en voulait au monde entier, cet
homme !
Au
fil de ses pas, des images de sa vie lui revenaient en mémoire. Et d’abord son
enfance, à Limpiguet, lieu-dit dépendant du gros bourg de Loudéac en
Côtes-d’Armor où il avait vu le jour le 19 mars 1805 (28 ventose an XIII).
Acte
de naissance – mars 1805 – Loudéac.
Mairie de Loudeac cote d’armor Du
vingt neuf jour du mois de ventose l’an treize. Acte de naissance de Ollivier
Gainche né le vingt huit à onze heures du soir fils legitime de Jean marie
Gainche age de quarante ans profession journalier et de perrine Le maux agée
des trente ans profession menagere demeurant à Loudeac.
L’enfant presente à l’officier de
l’état civil a été reconnu être de sexe masculin. La déclaration de la
naissance a été faite par le père de l’enfant agé de quarante ans profession
journalier demeurant à Lempiguet.
Premier temoin Ollivier Cadoret age
de quarante sept ans profession laboureur demeurant à Lempiguet. Second temoin
Julien Lemeur age de cinquante ans profession de laboureur demeurant à
Lempiguet........
Et
puis, sa condamnation pour vol et son emprisonnement à Gaillon. Un épisode de
sa vie qui l’avait surtout conforté dans ses rancœurs, car loin du repentir apparent,
il criait vengeance contre la société « des riches », «des bourgeois »,
de tous ceux qui possédaient argent, droit et pouvoir.
Oui,
il avait écopé de treize mois par le tribunal de police correctionnel du Havre.
Treize mois !
Il
avait fait appel et ce fut la cour de Rouen qui, par indulgence, réduisit le
temps de peine à un an et un jour !
Il
sortit de prison, fin juillet, mais bénéficiait d’une liberté restreinte. Sous
surveillance ! Il n’était donc pas libre de ses mouvements, ne pouvait
donc pas se déplacer à sa guise.
Même
pour venir à Rouen, il avait fait viser son passeport à Fécamp.
Et
tous ces ressentiments, tournant en boucle, dans sa tête augmentaient sa
hargne.
-=-=-=-=-=-=-
Pendant
qu’Olivier Gainche cheminait. (On trouvera aussi Ollivier et Guinche).
Pendant
que la justice enquêtait sur le meurtre de ce pauvre Jacques Mallet.
Le
26 novembre, suite à une perquisition au domicile d’un certain Gainche à
Bolbec, pour vol de blé et n’ayant pas trouvé cet individu qui avait pris la
fuite, les autorités lançaient dans les cantons voisins des mandants contre lui.
Nous
allons voir que les événements s’enchainèrent très vite !
-=-=-=-=-=-=-
Rouen,
ville aux multiples clochers, traversée par la Seine, était connue pour sa
grande activité portuaire et fluviale, ses nombreuses manufactures, ses foires
et marchés......
Olivier
Guinche arriva dans cette ville, exténué. Il avait bien besoin de repos, aussi
s’était-il présenté à l’hôtel du commerce, où sa mine blafarde, ses yeux creux
et cernés effrayèrent la logeuse.
Le
lendemain, après une bonne nuit de repos, ayant récupéré ses forces, Olivier
Gainche quitta l’hôtel et erra dans la ville, cherchant quelque lieu de plaisir
et de débauche. Il en trouva un, rue du Petit Mouton, non loin de la rue Eau de
Robec. Dans cet endroit sordide, sentant la sueur, le tabac, le mauvais alcool
et le parfum bon-marché, il lia connaissance avec un nommé Cadet Voisin, un
forçat libéré, et bien évidemment, avec quelques filles publiques, charmantes
demoiselles répondant aux doux noms de Sophie Labiche, Reine Lepage et Divine
Chouquet. Devant les dépenses excessives, réglées par Gainche, cette gente
féminine, devint fort intéressée, d’autant plus intéressée que l’homme
possédait, sur lui, une assez grosse fortune. Gainche et Voisin, devenus
copains de beuveries, se firent quelques confidences, entre deux hoquets de
soulards.
Olivier
Gainche, sans entrer dans trop de détails, déclara avoir besoin de se faire
oublier. Oui, mais pour disparaitre, il lui fallait un passeport validé par la
police. Mais, si il se présentait à la gendarmerie, il risquait de ne pas en
sortir. Cadet Voisin possédait la solution. Quelle chance !
En
effet, il avait un ami qui avait un ami..... Enfin, pour faire plus court, il
pouvait, sans aucun souci, contre une somme d’argent, lui faire établir un faux
passeport, plus vrai que le vrai !
Pour
aller où, le passeport ? Amiens.
Le
lundi 4 décembre 1837, Gainche, muni du précieux document, s’apprêtait à se
rendre rue de Fontenelle, afin de prendre la voiture d’Amiens qui devait partir
à cinq heures du soir. Oui, mais, en rassemblant ses affaires, il s’aperçut
qu’on lui avait dérobé la totalité de son argent.
Au
propriétaire de l’établissement de la rue du Petit Mouton, le pauvre Gainche
conta son infortune. Infortune, c’était le cas de le dire !
Furieux,
qu’il était Gainche ! Tellement furieux qu’il lança une phrase qui le
compromettait au plus haut point :
« Je
sais bien que ma tête y passera, mais celle de Voisin y passera
aussi ! »
Et
vous n’allez pas vouloir me croire, ça c’est certain. Et pourtant ........
-=-=-=-=-=-=-
Le
lendemain, Olivier Gainche, d’un pas décidé, se rendit au parquet du procureur
du roi, et déclara au substitut Pierre Grand, qu’il venait d’être victime d’un
vol considérable.
« A combien se monte la
somme volée ?
-
Quatre mille francs
-
Quatre mille francs ! Mais comment
se fait-il que vous aviez, sur vous, une pareille somme ?
Et
voilà notre plaignant se lançant dans une explication des plus scabreuses.
« C’est
que sur le chemin, au haut de la côte de Fécamp, y avait un homme qui dormait
dans le fossé. Visiblement, il était abruti d’alcool. A la selle de son cheval,
y avait une sacoche, pleine d’argent. Des écus ! Alors, vous comprenez
...... »
Le
substitut hocha la tête tout au long du récit de cet homme qui lui paraissait
de plus en plus suspect. Lorsque le récit rocambolesque fut achevé, le
substitut s’enquit de l’identité du plaignant qui dit s’appeler Olivier
Gainche, être âgé de quarante six ans et demeurer à Bolbec.
Gainche
ne ressortit pas du cabinet du substitut, non. Celui-ci lui demanda d’attendre.
Il allait de suite s’occuper de son affaire. Je devrais dire plutôt, qu’il
allait lui « faire son affaire », car il lui fut aisé, en raison du
mandat lancé contre Gainche, de faire rapidement le rapprochement avec
l’individu de la perquisition du 26 novembre, perquisition qui, de plus, avait
eu lieu le lendemain du meurtre de Beuzeville-la-Grenier.
Trop
de coïncidences !
Une
instruction fut, de suite, ouverte et Gainche fut immédiatement entendu par un
juge auquel il répéta ce qu’il venait de dire :
On
lui avait volé son argent. Enfin, celui qu’il avait lui-même dérobé à un homme
pris de boisson, sur la route, en haut de la côte de Fécamp. Ensuite, il
s’était rendu à Fécamp, portant les quatre mille francs, sommes en pièces de
cinq francs qu’il avait mis dans un sac de toile. Puis, il était parti pour
Rouen. En chemin, il s’était arrêté dans diverses auberges pour prendre un peu
de repos ou manger. Arrivé à Rouen, il avait demandé à un individu où il
pourrait « faire changer des
écus en billets ». Cet homme, fort aimable, le conduisit chez un
banquier de Rouen où on lui remit quatorze billets de deux cent cinquante
francs, en échange de trois mille sept cents francs en écus.
« Eh
ben, monsieur le juge, conclut Olivier Gainche, c’est ben là le vol, mes
quatorze billets de deux cent cinquante francs. Et j’peux même vous dire qui a
fait l’coup.
- Dites toujours, demanda le juge, non sans
intérêt.
- C’est l’Cadet Voisin et les trois filles, la
Sophie Labiche, la Lepage, la Canteloup et puis la Divine Chouquet. Ça pour
sûr !
Monsieur
de Stabenrath, juge d’instruction, fit mettre sous les verrous le sieur Gainche
et le samedi suivant, vers cinq heures,
se rendit rue du Petit Mouton pour procéder à l’arrestation des personnes
dénoncées par Gainche.
Dans
le journal de Rouen, en date du 7 décembre 1837, on pouvait lire :
Olivier Guinche, de l’arrestation
duquel nous avons rendu compte dans notre numéro de mardi, ainsi que de toutes
les circonstances qui s’y rattachent a été extrait des prisons de Rouen et
conduit par la gendarmerie au Havre où se poursuit l’instruction du procès
relatif à l’assassinat commis à Beuzeville-la-Grenier.
Il parait que les 4000 francs
qu’Olivier Guinche avait apportés à Rouen n’étaient pas tout ce qu’il aurait volé ; on dit
qu’il a confié à un individu qu’il avait enfoui une somme importante dans un endroit
qu’il a désigné. Ce fait sera du reste bientôt éclairci, car les magistrats
saisis de l’affaire vont sans doute ordonner que des fouilles soient faites.
L’instruction
s’annonçait ardue, en raison des différentes versions des faits, données par
Gainche, et par toutes les incohérences qu’elles comportaient.
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