Si
l’if pouvait parler !
Si
l’if de la place communale de Saint-Aubin-d‘Ecrosville pouvait parler, il
aurait, assurément, bien des choses à conter.
Oui,
beaucoup à dire en effet, car cet arbre veille, depuis des décennies, sur les
habitants du village, leur apportant les jours de canicules un peu d’ombre et
de fraîcheur ; pose un regard bienveillant sur les enfants des écoles
toute proches, même si ces petits garnements lui arrachent volontiers quelques aiguilles ou branches ; écoute, religieusement, le tintement de la
cloche de l’église, ceux joyeux des mariages et baptêmes, ceux respectueux et
solennels des adieux aux défunts.
L’if,
au centre du village, veille et surveille, attentif !
Dans
son immobilité, il frissonne quelquefois devant des évènements tragiques, et
parfois aussi, ébroue ses branches face aux situations comiques.
Certains
de dire que c’est le vent, mais qui peut l’affirmer ?
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Ce
jour-là, l’if de la place de Saint-Aubin-d’Ecrosville frissonnait. La nuit
avait enveloppé la commune, et déjà, des habitants étaient endormis. Au-dessus
du fait de l’if, un ciel clair, parsemé d’étoiles, annonçait de fortes gelées.
Il
y avait eu bal en ce dimanche de février, comme chaque semaine. Le « Bal
Thomas », comme on l’appelait, faisait toujours salle comble. On s’y
retrouvait pour boire un verre, deux, parfois trois, pour guincher, pour lier
connaissance avec quelque béguin entrevu dans le village, espérant par
l’entremise d’une danse, trouver le moyen de l’aborder sans l’effaroucher.
Enfin,
pour prendre du bon temps, rire et s’amuser, tout simplement.
Il
y avait, parfois, quelques débordements qui se soldaient par une bagarre. Le
maitre du lieu, vigilant à éviter la casse, sortait, manu militari, les faiseurs
de trouble, leur criant :
« Oust !
Allez régler tout cela dehors ! »
Lorsque
l’alcool coule à flot, il échauffe les esprits. Il suffit alors d’un rien, un
rire, une réflexion, pour que le conflit éclate.
C’est
bien connu, un ivrogne a la « tête près du bonnet » !
Ce
soir-là, vers les dix heures et demie, Etienne Honoré Monneaux, accompagné de
deux compères, les nommés Hervieux et Angot, avait bien arrosé la journée.
Pas
besoin de vous préciser que, tous trois étaient bien imprégnés.
En
sortant du « Bal Thomas », la température glaciale les saisit d’autant plus qu’en raison du taux
d’alcool absorbé, ils avaient bien chaud.
« Fais
frisquette, les gars ! On va s’en jeter un dernier derrière le
gosier ! »
L’idée
lancée par Etienne Honoré parut excellente aux deux autres. Aussi, se
rendirent-ils au débit de boissons tout proche pour se procurer de l’eau de
vie. Ne tenant déjà plus vraiment l’équilibre, ils décidèrent de s’installer
sous l’if de la place, pour poursuivre leur soirée de bombance et d’ivresse.
Monneaux et Hervieux déposèrent près d’eux leur fusil dont ils ne se séparaient
jamais. On ne savait jamais, une mauvaise rencontre......
Les
litres d’eau de vie coulaient à flots. Quelles descentes !
Les
paroles échangées devenaient de plus en plus inaudibles, tant les bouches se
faisaient pâteuses. L’excitation des trois hommes était de plus en plus
perceptible. Ils se querellaient pour des riens.
Hervieux
roulant à terre fit tomber son fusil que Monneaux ramassa et emporta avec le
sien.
Non
loin de là, Montreuil, couvreur de paille, observait la scène. C’était un homme
de haute taille, aimant faire la démonstration de sa force qui faisait
l’admiration.
« Ces
trois-là, pensait-il, vont finir par s’entretuer ? Ils sont ben trop
saouls pour penser avec raison. »
Voyant
Monneaux armé des deux fusils, Montreuil s’attendait au pire, alors, il voulut le
désarmer. Oui, mais un homme ivre, n’a plus de raisonnement. Apercevant
Montreuil s’approcher de lui, Monneaux posa un des fusils à terre, épaula le
second et titubant, hurla :
« N’avance
pas, hein ! N’avance pas où j’ te tue ! ».
Puis,
sans attendre, Monneaux mit sa menace à exécution et tira. Heureusement, l’ébriété
avait rendu la précision du tireur incertaine et la balle se perdit, Dieu sait
où !
Furieux,
Montreuil se précipita sur le tireur, lui arracha son arme et lui asséna un
violent coup de crosse sur le crâne. Monneaux chancela et s’affaissa comme une
poupée de chiffon.
Le
coup de feu avait dissipé les vapeurs d’alcool dans les cerveaux embrumés de
Hervieux et Angot qui, bouche ouverte, regardaient hébétés le corps de Monneaux
gisant sous l’if.
Le
pauvre Monneaux ne donnait plus signe de vie. Montreuil, le fusil toujours dans
les mains, répétait comme une litanie :
« J’ai
voulu éviter un malheur. J’ai pas voulu ça, non ...... »
La
cause du décès fut, aux premières constatations : « Mort due à une
fracture du crâne provoquée par un coup donné avec la crosse d’un fusil. »
Le
journal « Gildas », en date du 18 février 1892, parla de l’évènement
dans un de ses articles, en ces termes :
Evreux – 16 février
Un meurtre a été commis à
Saint-Aubin-d’Ecrosville (Eure). Deux jeunes gens, en sortant d’un café, se
sont pris de querelle. Le plus jeune, âgé de vingt ans, nommé Monneaux, a été
tué par son adversaire.
Le
même article prenait quelques lignes dans le « Journal de Rouen », du
17 février 1892.
Montreuil
avait donné la mort, il fut arrêté.
Dans
sa cellule, il se reprochait d’être intervenu. Il aurait dû passer son chemin.
Après tout, ce n’était pas son affaire.
« Toujours
à me mêler des affaires des autres, pensait-il rempli d’amertume. Ça
m’apprendra ! Me voilà dans de beaux draps, à présent.»
Une
chance pour l’inculpé, une autopsie fut
pratiquée sur le corps du défunt dans les locaux de l’hôpital de
Louviers, par le docteur Postel. Les conclusions de cet examen furent
formelles :
« Le
défunt a succombé à une congestion cérébrale occasionnée par l’abus d’alcool et
non en raison de la blessure faite par le coup reçu, celle-ci étant
insignifiante. »
Suite
au constat médical, innocentant Montreuil, le journal de Rouen, du 18 février,
annonçait « la remise en liberté du
sieur Montreuil, ainsi que le classement de l’affaire ».
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Si
l’if de la place communale de Saint-Aubin-d’Ecrosville pouvait parler, il
raconterait cet évènement avec moult détails, précisant notamment que
« Ce quatorzième jour de
février de l’an mil huit cent quatre vingt douze était décédé à onze heures du
soir, Etienne Horoné Monneaux, fils de Alphonse Zéphir Monneaux et Eugénie
Angélina Leblanc, né le cinq avril de l’an mil huit cent soixante quatorze à
Saint-Nicolas-de-Bosc ».
Il
pourrait aussi préciser que c’était bien triste de mourir à dix-huit ans et que
le Monneaux n’était pas un si mauvais bougre........
Si
l’if de la place communale de Saint-Aubin-d’Ecrosville pouvait parler...... on
ne pourrait plus l’arrêter de conter.........
C est tout près de chez vous !
RépondreSupprimerCet arbre existe toujours ?
Oui, bien sûr ! Cet arbre est à côté de l'église !
SupprimerIl existe encore beaucoup de ces arbres, plantés à partir de 1792.
si mon article vous a plu, j'en ai d'autres, parlant des villages autour de Saint-Aubin. De petites nouvelles sur des faits réels que, bien évidemment, je romance un peu, pour les rendre plus attrayants.
Merci d'avoir pris contact suite à votre lecture.
Je sens votre joie d avoir trouvé un commentaire.
RépondreSupprimerVous avez peut-être deviné qui je suis...
Avez vous trouvé quelque chose sur ecquetot ?
Une découverte dans la mare.. ?
oh que oui, que je suis contente d'avoir des commentaires !
Supprimersi j'ai des visites sur mon blog, je n'ai pas beaucoup de commentaires !
Mais qui êtes vous ? Mystère !
j'ai d'autres textes dans le cadre de "histoires de villages".
je n'ai pas encore repêché de cadavre dans la mare d'Ecquetot, mais dans une de la commune de saint-aubin, oui !
bonne journée !