Les jours de marché après les
récoltes étaient jours de joie.
Levés de très bonne heure, Lao Li et son petit-fils
faisait une toilette minutieuse et mettaient des vêtements propres. Il fallait
faire bonne impression aux acheteurs. Puis, les paniers emplis des grains providentiels
étaient chargés sur une brouette. Celle-ci possédait deux roues à l’avant, pour
plus de stabilité, et des brancards pour la saisir et la soulever légèrement,
afin de la pousser plus aisément.
Ainsi prêts, grand-père et
petit-fils effectuaient le trajet sur des routes souvent défoncées par les
intempéries.
Sur la place du marché, ces
jours-là, il fallait faire sa place, car chacun voulait vendre ses récoltes au
meilleur prix et pour ce faire, les emplacements étaient assaillis de
bonne heure pour éliminer la
concurrence.
Les grains dans des paniers, les
légumes disposés sur des nattes de bambou ou de paille de riz, résultats de la
peine et du labeur, rapportaient quelques piécettes qui servaient à payer
l’impôt et à acheter vêtements, nourritures, outils ou ustensiles de ménage. Tout
ce que certains ne pouvaient ou ne savaient confectionner.
Cette année-là, les récoltes
avaient été prospères, aussi les paysans s’apprêtaient à fêter les Dieux pour
les remercier de leur grande bonté et surtout le Dieu Dragon, Dieu du fleuve,
qui apportait la douce pluie bienveillante.
Des processions s’organisaient
alors. On pouvait voir flotter au vent, des banderoles de tissu rouge, couleur
du bonheur et de la chance, et on entendait des chants accompagnés de rythmes frappés
sur divers instruments à percussion, ainsi que des rires, des cris et des
galopades d’enfants. Quelle réjouissance !
Mais les années se suivaient et
ne se ressemblaient pas.
L’année suivante, un véritable
déluge s’abattit sur le pays et les eaux sortirent du lit des fleuves. Rien ne
résista à ce déferlement. Tout fut emporté.
Heureusement, la pauvre masure de
Lao Li, construite sur une petite colline, fut épargnée de justesse, mais sa
rizière, en contrebas, fut dévastée. Tout était à refaire.
Puis, ce fut une année de
sécheresse. La terre craquait sous les rayons du soleil. Un soleil qui trônait
au zénith et grillait tout.
Lao Li, devant cette succession
de désastres, n’en pouvait plus. Anéanti, le pauvre homme n’avait plus le
courage de faire face. Qu’allaient-ils devenir lui et le jeune Xiao Ché Zhù.
Réagir, il ne le pouvait plus,
d’ailleurs personne n’était de force contre la volonté des Dieux. Il était donc
impuissant et ses forces le trahissaient.
Le pauvre homme se rendit alors
sur les berges du Grand Fleuve et implora le Dieu Dragon :
« Mais que fais-tu donc, toi
qui à tous pouvoirs ? Pourquoi es-tu sans pitié ? »
Mais toutes ses questions
restèrent sans réponse.
La colère le prit soudain.
Rassemblant le peu d’énergie qui lui restait, il se mit à maudire ce Dieu qu’on
disait grand.
« Que fais-tu donc ? Ne
vas-tu pas avoir un peu de pitié ? Pourquoi ne nous aides-tu pas, alors
que tous, nous mourons de faim ? »
Toutes ses rancœurs, toute sa
peine, toute sa colère furent déversées pêle-mêle en flot continu. Ce n’était
plus possible …
« Sors de ta
léthargie ! Bouge-toi ! Fais enfin quelque chose ! »
Le Dieu l’avait-il entendu ?
Il ne put le dire. Traînant les pieds, lourd de chagrin, sa révolte
passée, le vieillard regagna sa pauvre demeure les épaules affaissées plus qu’à
l’accoutumée.
Ce fut cette nuit-là que Lao Li
rejoignit le royaume des ancêtres.