La
chaleur était étouffante, même la nuit, elle ne baissait pas. Allongé sur de la
paille, jetée à même le sol, dans un hôpital de fortune, Paschal G, inondé de
sueur, avait peine à respirer. Dans un semi-inconscient, seule la douleur de
ses blessures lui rappelait qu’il était encore en vie.
Autour
de lui, ce n’était que gémissements et cris de douleur de ceux qui, comme lui,
avaient été atteints par une balle, un éclat d’obus ou un coup de baïonnette.
Une
odeur forte et tenace de sang, de sueur, de vomis et d’excréments flottait dans
ce lieu mal ventilé, amplifiée par la chaleur torride de ce mois de juillet.
Mais, il y avait aussi cette odeur particulière, presque imperceptible, celle d’après les
affrontements guerriers, celle de la mort.
Les
délires fiévreux de Paschal G étaient envahis
par tous les évènements de son vécu des années précédentes. Mais, à
présent, son parcours militaire allait prendre fin et il devrait rentrer chez
lui, là-haut dans le nord, dans une ville nommée Louviers où il avait vu le
jour et où personne ne l’attendait plus.
Pour
y faire quoi d’ailleurs ?
N’avait-il pas toujours été soldat ?
Sa
seule fierté, à ce jour, était de faire partie de la vieille garde, celle, si
chère au cœur de Napoléon le Premier, celle qui en raison de son expérience au
combat, se voyait appelée pour conseiller, épauler, renforcer les armées de
jeunes recrues.
Il
pouvait, Paschal G, être fier de ses treize années de service, toujours partant
pour défendre sa patrie.
Et
puis, il en avait vu du pays ! Ça pour sûr, il en avait vu !
Et
puis, tous ces kilomètres, parcourus, à pied, équipement militaire sur le dos,
mal chaussé, mal nourri ! Ah oui, ils avaient bien mérité leur nom, les
anciens, car plus d’un « grogner » de mécontentement, mais tous
débordaient enthousiasme lorsqu’il fallait agir !
Paschal
G avait été incorporé au 105ème régiment d’infanterie, le 27
vendémiaire an 12 de la République. Direction l’Autriche pour un baptême du feu
des plus réussis. Que de victoires !
Iéna
et Auerstaedt, contre les Prussiens, en octobre 1806.
Eylau,
contre les Russes, dans le nord de la Prusse-Orientale, le 8 février 1807. Une
victoire qui se solda par la mort de nombreux braves, dans les rangs des deux
armées.
Son
unité s’enfonça alors un peu plus dans les territoires de l’est de l’Europe.
Bataille
de Friedland, le 14 juin 1807, sous le commandement de Napoléon[1], le
« Petit Tondu », comme ils l’appelaient avec admiration.
Le
séjour en Pologne fut une grande épreuve en raison de la température qui y
régnait. Au bivouac, le soir, tous, enveloppés de mauvaises couvertures,
rassemblés autour des braseros, tendaient les mains vers les flammes.
Son
régiment parcourut alors de longues distances jusqu’en Autriche pour aller
renforcer les troupes à Wagram, pour une nouvelle victoire, le 6 juillet 1809.
Que
de beaux paysages alentour, malgré l’horreur des combats !
Au
campement, lorsque le temps était clément, les discussions étaient animées. Des
jeux de cartes et de dés, bien que les mises d’argent soient interdites,
étaient organisés. Et puis, il y avait les filles qui, à la faveur de la nuit,
pénétraient dans les lieux et qui pour quelques sous ou un peu de nourriture,
accordaient leurs faveurs aux braves les plus entreprenants et les plus
fortunés.
Ensuite,
ce fut l’Espagne ! Parmi les effectifs de l’armée de l’ouest, Paschal G
avait sillonné ce pays du nord au sud et du sud au nord.
Une
multitude de batailles qui s’enchainaient, au cours desquelles, les troupes
française essuyèrent plus d’un revers. Pas glorieuse cette campagne
d’Espagne ! Meurtrière également !
Les
combats n’étaient rien à côté de la résistance de la population qui haïssait,
au plus haut point, Napoléon et les Français. Il fallait toujours être sur ses
gardes, ne jamais déambuler seul dans les rues et surtout la nuit dans les
coins sombres. Il ne fallait faire confiance à personne.
Voilà
pourquoi, il avait été blessé dans un guet-apens, le 14 juillet 1812, alors
qu’il patrouillait dans les rues de la ville de Bilbao.
Remis
de ses blessures, Paschal G quitta l’armée, porteur d’un congé de réforme
délivré par le conseil d’administration, le 7 octobre 1812. Il avait
trente-deux ans et n’avait connu que la vie militaire. Bien sûr, avant de
partir guerroyer, il avait exercé dans une des manufactures de textile de la
ville de Louviers, mais pourrait-il reprendre cette activité et rester enfermé
dans un espace clos plusieurs heures chaque jour, lui, qui avait parcouru des
espaces infinis aussi longtemps ?
La
loi du 19 février 1806 allait changer radicalement la vie de ce vieux grognard.
-=-=-=-=-=-
Réunis
en conseil, le 16 novembre 1812, les membres de conseil municipal lovérien venaient
de délibérer sur le choix d’une rosière.
Elle
se nommait Marie Clotilde G. Agée de dix-huit ans et huit mois, fille de
Jacques, décédé le mois précédent, et de Marie Anne L, elle était d’une famille
pauvre, mais honnête, et tout comme ses parents dont « elle suivait la trace, elle pratiquait les
vertus qui convenaient à une personne de son sexe[2].»
Elle était donc la candidate idéale.
Tout
désignait également Paschal G, en raison de ses faits d’armes, qui étant seul,
avait besoin d’un soutien.
Ces
deux-là, avaient accepté de s’unir en mariage, moyennant, bien entendu, la dot
de six cents francs, accordée à la jeune fille, honorée du titre de
« Rosière ».
Sacrebleu,
c’était quelque chose cette somme-là !
Les
noces furent célébrées, avec emphase, le 6 décembre 1812.
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Paschal
et Marie Clotilde eurent trois enfants.
Leur
premier-né, Jean Baptiste Paschal, venu au monde un peu plus de neuf mois après
leur union, ne vécut que cinq ans et huit mois.
Jacques fut le second. Il naquit au printemps
1820. Tout juste quatre ans plus tard, Clotilde Désirée montra son petit nez.
Un
couple sans histoire, comme tant d’autres : Marie Clotilde, journalière,
Paschal, tisserand.
La
vie leur avait-elle enlevé leurs rêves ?
Paschal
G décéda en 1848, à presque soixante-neuf ans en son domicile, boulevard de
Crosne à Louviers. Six mois plus tard, Marie Clotilde ferma les yeux pour ne
plus les réouvrir, dans le logement qu’elle occupait, rue Saint-Germain, depuis
son veuvage. Elle n’avait que soixante-cinq ans.
La
lignée de Paschal et Marie Clotilde prit fin après leurs enfants.
En
effet, Jacques, malgré ses deux mariages, décéda en 1873, âgé de cinquante-trois
ans, sans avoir eu d’enfant. Il était responsable du bureau de l’octroi qui se
situait route de Rouen à Louviers.
Etait-ce
avec la dot de rosière de sa mère, mise précieusement de côté, qu’il avait pu
s’acheter cette charge ?
Clotilde
Désirée, quant à elle, elle ne se maria jamais. Toute sa vie, pour « gagner
son pain » ; elle effectua des travaux de couture. Seule et à la
limite de l’indigence, elle avait obtenu un logement à l’hospice de Louviers,
rue Saint-Jean. Ce fut dans cet établissement qu’elle expira en 1877, au même
âge que son frère.
[1]
Cette bataille fut suivie du traité de Tilsit (7 juillet 1807) apportant
momentanément la paix. Tous les territoires à l’ouest de l’Elbe formeront alors
le Royaume de Westphalie dont Jérôme Bonaparte deviendra le monarque. Mais il
ya avait un autre foyer de combats à mener, la Campagne d’Espagne, où la France
s’enlisait.
[2] Termes
du rapport de la réunion.
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