Dumollard, une étrange affaire.
Le
nommé Joly venait de rentrer son cheval dans l’écurie, sa journée terminée en
cette fin de mai 1861, quand il entendit
tambouriner à sa porte d’une manière précitée, ainsi que des cris de
terreur.
« Aidez-moi,
je vous en supplie ! J’ai été attaquée ! Il est après moi !.... Il
va me tuer !..... ».
Lorsque
le nommé Joly ouvrit sa porte, il découvrit une femme échevelée, les vêtements en désordre, le
corps couverts de contusions et le visage éraflé. L’homme fit entrer la jeune
femme et pendant qu’il prenait soin d’elle, il envoya un garçon d’écurie quérir
le sieur Demichaille, le garde Champêtre de Balan.
En
attendant celui-ci, la jeune femme, après avoir repris son souffle, raconta son agression au sieur Joly avant d’en
faire le récit complet dans les locaux de la gendarmerie où le garde champêtre
l’accompagna et où ils arrivèrent vers
minuit. Aux forces de l’ordre, elle avait également décliné son identité.
« Je me nomme Marie Pichon, je suis veuve depuis
peu. J’ai 27 ans. »
Une
bien jolie femme, cette veuve, avec son petit nez retroussé et ses grands yeux
bleus.
« Vous
dites avoir été abordée par un homme ?
-
Oui, à Lyon. Il m’a demandé si je
connaissais un bureau de placement. Je lui ai dit que, justement, je me rendais
dans celui des Blandines, rue Ecorche Bœuf. Et c’est là qu’il m’a dit qu’il
cherchait une femme de gages pour sa maitresse, une dame Girard, je crois, qui
avait un château près de Montluel. Est-ce que ça vous intéresse me
demanda-t-il ? Et pour sûr, que je lui ai répondu, car il venait de me
dire que je toucherai 250 francs par an.
-
Et vous pouvez le décrire cet
homme ?
-
Bah, un homme de quarante cinq ans
environ. Il portait un grand chapeau, type flambard qui lui couvert un peu les
yeux. Il trainait la jambe..... et, ah oui,! il avait une grosse lèvre, comme
boursoufflée !
-
Vous ne l’aviez jamais vu avant ?
-
Non, c’était la première fois que je le
voyais.
-
Quels sont les faits ?
-
Bah ! On est allé chercher ma malle
avec mes affaires et puis on a pris le train jusqu’à Montluel. Là, on est
descendu et il m’a dit qu’on avait une bonne heure de marche jusqu’au château.
-
Cela ne vous a pas paru bizarre
d’arriver ainsi en pleine nuit dans votre nouvelle place ?
-
Bah non ! Pourquoi ?
-
Quand avez-vous eu des doutes ?
-
Bah, c’est parce que le chemin était
bien long et que je ne voyais pas de château. Puis, c’est surtout après qu’il a
laissé ma malle dans un fossé disant qu’elle était lourde et qu’il reviendrait
la chercher le lendemain. Il avait un comportèrent étrange. Il a essayé
d’enlever un gros chancelas de vigne, sans succès, puis il a ramassé une grosse
pierre. Il semblait nerveux.
-
Quand vous a-t-il agressée ?
-
Quand je lui ai dit que je ne voulais
plus aller plus loin parce qu’il m’avait trompée. Il s’est alors retourné et
avec une corde a essayé de m’étrangler. Je me suis débattue et je me suis sauvée.
Après
sa déposition, la jeune femme, accompagnée de la brigade, chercha à reconnaitre
les lieux où elle était passée avec son agresseur. Elle trouva enfin le champ
de colza et le fossé où avait été déposée la malle, mais celle-ci n’était plus
là. Le panier, le carton et le parapluie
que Marie Pichon portait et avait laissé sur le lieu de l’agression
restèrent introuvables également.
Cette
triste histoire se répandit bien vite dans les villages environnants. Et chacun
échangeait sur l’affaire. Et chacun se souvenait de faits similaires dans les
années qui avaient précédé.
Oui,
des mésaventures identiques dont les victimes étaient toujours de jeunes femmes
qui cherchaient une place.
Les
témoignages affluèrent comme celui du Madame Clavier qui tenait l’établissement
de placement des Blandines rue Ecorche Bœuf à Lyon.
« Il
y a six ans environ, oui, c’est ça, en septembre 1855, Josephte Charlety avait
été accostée par un homme de la campagne. Il recherchait une domestique pour
ses maîtres possédant un château, près de Trévoux, si je me souviens bien.
Elle est partie avec lui le 22 septembre, mais l’attitude de l’homme
l’inquiéta, alors elle s’arrêta en chemin, dans une ferme. Puis, le 11 novembre de la même année un homme est venu
ici au bureau de placement. Je m’en souviens bien, c’est moi qui l’ai
reçu. Il recherchait une jeune fille à
gages pour une maison bourgeoise. Je lui ai proposé Victorine Perrin, âgée de
vingt-et-un ans. La pauvre, il lui a volé sa malle avec tout ce qu’elle
possédait. Ses vêtements, bien sûr, mais aussi une somme de cinquante francs. Toutes
ses économies ! »
La
dame Clavier donna une description précise de l’homme : quarante cinq ans
environ, placide, portant un chapeau, un feutre noir précisément, épaules voutées,
barbe et cheveux noirs, trainant la jambe et ayant une lèvre enflée.
Puis
n’y avait-il pas eu Olympe Alabert qui, en mars 1855, s’était vue proposer une
place avec de très bons gages à Neuville-sur-Saône, par un homme qui semblait
venir de la campagne. Elle l’avait suivi cet homme qui avait essayé de la
dépouiller. Elle ne s’était pas laissée faire, avait menacé son agresseur qui
avait pris la fuite.
La
même mésaventure était arrivée à une nommée Marie Bourgeois, jeune fille de
dix-sept ans. Le 31 octobre 1855, elle avait été abordée par un homme cherchant
un bureau de placement. Quelle chance, la jeune femme cherchait un emploi. Elle
avait suivi cet homme inconnu. La nuit était tombée. Ils cheminaient sur la
route menant de Lyon à Strasbourg. Prise de peur, Marie Bourgeois s’était
réfugiée dans une ferme, celle de Françoise Collet, épouse Berthelier. Le lendemain, deux gendarmes
prirent la déposition de la victime.
A
la description de l’agresseur certains souvenirs revinrent en mémoire.
Etrange,
cet homme vêtu d’une blouse bleue et d’un large chapeau, jambe trainante et
lèvre enflée, n’était-ce pas le signalement de l’assassin de la femme dont le
cadavre avait été retrouvé dans le bois de Tramoyes ?
Trop
de coïncidences !
Mais
quel était ce crime dont on se souvenait tout à coup ?
C’était
justement en cette année 1855, et plus précisément le 28 février. Quatre
chasseurs habitant Tramoyes, découvrirent dans la forêt de Montaverne, caché
dans un taillis le cadavre nu d’une jeune femme, portant des blessures à la
tête. Il fut retrouvé non loin de cette dépouille des morceaux de tissus et une
paire de souliers. La mort de cette jeune femme ne devait pas remonter à plus
de deux jours.
Après
des jours d’enquêtes, le cadavre fut enfin identifié.
Il
s’agissait d’une jeune femme, nommée Marie Baday, ayant travaillé comme
domestique à la Guillotière. Elle avait quitté son emploi suite à sa rencontre
avec un homme de la campagne lui ayant proposé une place très bien rétribuée
dans une maison bourgeoise des environs.
Ce
même jour, Marie Curt avait fait la même rencontre et avait décliné l’offre de
l’homme. Son refus lui avait sauvé la vie.
En
cette année 1855, un grand nombre de guet-apens avait été commis par le même
homme. Heureusement beaucoup de ces victimes, par leur sang froid et leur
présence d’esprit, avaient échappé à la mort.
En
ce mois de mai 1861, après l’agression de Marie Pichon, la justice allait-elle
enfin découvrir et arrêter l’agresseur ?
-=-=-=-=-=-=-
Ce
fut M. Genod, juge d’instruction au tribunal de première instance de Trévoux
qui instruisit l’affaire. Pour ce faire, il se transporta sur les lieux.
Parallèlement
à l’enquête officielle, une autre, celles des habitants des villages, se
mettait en place. Le sieur Joly, cabaretier, François Maule, garde champêtre et
le brigadier de gendarmerie, tous de Dagneux, recensèrent les mauvais sujets habitant
dans le coin. Tous leurs soupçons tombèrent sur un seul et même homme, le
Raymond, être en marge de la société, sournois et vivant de maraudes.
Dans
le hameau du Mollard, il était peu connu car il ne fréquentait ni l’église, ni
le cabaret et on ne le voyait jamais au marché.
On
le savait marié, mais personne ne pouvait dire de quoi il vivait réellement,
quoique .......
Une
perquisition au domicile de l’homme, le 3 juin 1861, confirma toutes les
suspicions. En effet, il fut découvert une multitude de vêtements de femmes
dont certains avaient appartenu à Marie Baday.
L’homme
fut immédiatement arrêté sur ordre du juge et transféré à Trévoux.
Une
seconde perquisition, plus minutieuse celle-là trois jours plus tard, le 6
juin, permit de découvrir une quantité incroyable de malles et caisses pleines de linges féminins.
La
femme de Raymond, interrogée, dit que son mari lui avait dit avoir acheté tout
cela. Elle n’avait pas insisté ayant peur de recevoir des coups. Devant ses
réponses plus qu’incohérentes, elle fut également arrêtée.
Tout,
dans son comportement, notait qu’elle avait, à coup sûr, quelque chose à se reprocher.
-=-=-=-=-=-=-
Qui
était cet homme et cette femme ?
Remontons
le temps et revenons un peu en arrière.
Le
« Raymond » dont il était question, était né le 21 avril 1810 à
Tramoyes.
Il
avait reçu le prénom de Martin, comme l’atteste son acte de naissance.
L’an mil huit cent dix le vingt
deux avril après midi pardevant nous maire... son comparus pierre Dumolard agée
de trente six ans natif de Longris demeurant audit tramoyes lequel nous a
présenté un enfant du sexe masculin né le vingt et un avril à six heures du
soir de lui declarant et de marie josephte Rey son épouse auquel il a déclaré
vouloir donner le nom de martin Dumolard la ditte déclaration et representation
fait en presence de pierre montant age de vingt sept ans et de claude Prost age
de vingt six ans tous journallier demeurant à tramoyes le père ni le dit pierre montan ni le dit claude
prost non signé le present acte de naissance......
Les parents de Martin
Dumollard n’étaient pas mariés et ne convolèrent jamais en justes noces.
Son père était natif de
« Longris », il faut lire de « Hongrie » et plus exactement
de la ville de Pest, il se nommait Pierre Demola. Il prit le nom de
« Dumolard », lorsqu’il s’installa justement dans le hameau de
Mollard.
L’histoire de cet homme
est assez obscure. Il aurait fuit son pays après y avoir commis un meurtre pour
lequel il avait été jugé par contumace et condamné à la peine de mort. S’étant
réfugié dans la région du Mont-Blanc, ce fut dans la ville de Salins qu’il
rencontra Marie Josephte Rey. Le couple vint alors s’installer à Tramoyes où
naquit Martin, mais aussi un autre garçon Raymond, le 13 mars 1813.
L’an
mil huit cent traise le traise du mois de mars a près midi.... son comparu
pierre du molard age de trante neuf ans natif de Longris demeurant au dit Tramoyes
le quel nous à présenté un anfant du sexe masculin né le traize mars à quatre
heures du soir de lui déclarant et de marie josephte le Rey son epouse au quel
il a déclaré vouloir donné le nom de remond dumolard la ditte declaration et
presentation fait en presence de pierre montan age de vingt neuf ans et de
Claude Prost age de vingt neuf ans tous journalier demeurant a Tramoyes le
père ni le dit pierre montant ni le dit
claude Prost non signé le present acte .....
L’enfant décéda
rapidement, sans doute avant son premier anniversaire. Je n’ai pu retrouver son
acte de décès.
Ce fut en souvenir de
ce frère décédé et qu’il a fort peu connu, que Martin se fit appeler Raymond.
Fuyant les troupes austro-hongroises
afin d’échapper à la mort, Pierre
Dumollard se refugia en Italie avec Marie Josephte, sa compagne et le jeune
Martin.
Est-ce pendant ce
périple que mourut le petit Raymond ?
Mais les troupes
austro-hongroises envahirent l’Italie, Pierre le Hongrois fut arrêté et subit
la peine de l’écartèlement, dans la
ville de Padoue, peut-être à la fin de l’automne 1814.
Cette sentence, où les bras
et jambes du condamné étaient attachés par des cordes à quatre chevaux qui
tiraient chacun dans une direction différente, jusqu’à démembrement totale et
la mort, fut exécutée sur la place publique de la ville devant de nombreux
« spectateurs » et sous les yeux de la compagne et du fils du
supplicié. L’enfant, n’était alors âgé que de quatre ans. Quelles images le
garçonnet garda-t-il de l’évènement ?
Que comprit-il à tout
cela ?
Marie Josephte,
enceinte, revint avec Martin à Tramoyes où elle fut rejetée, avant de
s’installer au Hameau du Mollard.
Une petite fille, nommée
Claudine naquit en la période estivale de 1815, peut-être juillet ou août.
Le bébé devait mourir
neuf mois plus tard, le 8 avril 1816, à Tramoyes.
L’an
mil huit cent seize le neuf du mois de avril par devant mous ..... commune de
Tramoye département de l’Ain, canton de Trevoux sont comparus claude gorge ainé
assisté de Etienne Didier Joseph Carnut tout cultivateur à Tramoye lesquels
nous ont déclaré que Claudine Dumolard age de neuf moi fille de pierre Dumolard
et marie Ray domicilié à Tramoye est décédé le huit avril à trois heures du
soir....
Marie Josephte sans
aucun soutien, survécut, plus qu’elle ne vécut. Les privations, elle les connut
que trop bien et son fils, Martin, en subit également les épreuves.
Martin fut alors, comme
beaucoup d’enfants à cette époque, placé comme berger dans une ferme. Il avait
tout juste huit ans. Pour un bout de pain et un morceau de fromage ainsi qu’un
peu de paille en guise de couche, il était corvéable à merci.
Dix ans plus tard, il
embaucha chez le sieur Guichard, propriétaire du château de Sure à
Saint-André-de-Corny où là encore il avait en charge les troupeaux de moutons.
Ce fut en cet endroit
qu’il rencontra Marie-Anne Martinet qui était employée comme domestique.
Marie Anne Martinet
avait vu le jour le 14 mai 1814 à Montluel Cordieux.
L’an
mil huit cent quatorze le quatorze du mois de may a septe heure du matin .....
est comparu Benoit Martinet journallier resident commune de Cordieux au amaux
des Bruyeres ages de quarante deux ans lequel nous a presente un enfant du sexe
féminin né le quatorze may à sept heure du matin de Benoit Martinet et de Marie
Bellet son epouse et a la quel nous a déclaré donner les prenoms de marianne en
presence de Benoit Martinet père de lenfan et de antelme devigne......
Martin et Marie Anne se
rapprochèrent-ils en raison de leurs malheurs respectifs ?
Tout ce que je peux
affirmer, c’est que tous deux devinrent complices et quittèrent leur patron,
non sans lui avoir dérobé quelques moutons. Puis, ils s’installèrent à
Montellier où ils se marièrent le 20
juin 1840.
L’an
mil huit cent quarante le vingt neuf du mois de juin a dix heures du matin.....
sont comparus Martin Mollard cultivateur demeurant a Montellier age de trente
ans né le vingt un du mois d’avril mil huit cent dix fils majeur de Jean Pierre
Mollard absent depuis vingt six ans et de Marie Josephte le Rey cultivatrice
demeurant a Dagneux. Et marie Martinet cultivatrice demeurant à Montellier agee
de vingt six ans née le quatorze du mois de mai mil huit cent quatorze fille
majeur de Benoit Martinet cultivateur décédé demeurant à Cordieux et de Marie Belet
decede cultivatrice demeurant à Cordieux. En presence Simon Boiteux trente neuf
ans garde particulier de Mr Dethoy Montellier Joseph Martinet trente quatre ans
cultivateur Montellier frere Claude Rivolet vingt neuf ans cultivateur
Montellier Claude Charvet trente sept ans cultivateur Montellier.
De quoi vivait le
couple ?
Constatant les
nombreuses condamnations de Martin, il faut croire que le vol était leur
principale source de revenus.
Car, juste après leur
mariage, Martin purgea une peine d’un an de prison, puis en 1844, nouvel
emprisonnement à Clairvaux pour une durée de treize mois.
En sortant de prison,
Martin et son épouse vinrent habiter à Dagneux, ville dans laquelle Marie
Josephte Rey, mère de Martin, était décédée le 15 avril 1842 dans le plus grand
dénuement.
L’an
mil huit cent quarante deux le quinze du mois d’avril a onze heure du matin....
ont comparu jean Ranurt cinquante sept ans propriétaire domicilie à Dagneux
voisin de la décédée lesquels nous ont declaré que Marie Josephte Rey âgé
de soixante quatre ans journalier
domicilié à Dagneux née à Salins (Montblanc) fille de Defunt georges Rey et de
Jeanne Marie Aillet quant ils vivaient cultivateur domiciliés à Salin et veuve
de Pierre Dumollard est decedé en cette commune au domicile de sa personne le
quinze du mois d’avril à huit heures du matin....
................ à suivre