Dans
une nuit sans lune de septembre, une forme sombre se déplaçait en longeant les murs
des habitations.
A
bien regarder, il s’agissait d’une femme, emmitouflée dans un large châle
qu’elle serrait contre sa poitrine de ses deux bras repliés.
Se
dirigeant vers le port par la rue Saint-Julien, elle s’approcha du bord du quai
et regarda l’eau clapoter, comme hypnotisée. Sortant de sa torpeur, elle jeta
un regard alentour.
Personne !
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Le
port du havre fourmillait d’activités, dès l’aube.
Bien
sûr, il y avait les navires en partance, lourds de marchandises qu’il avait
fallu charger à bras d’hommes. Des
Costauds, ces portefaix, qui soulevaient des charges avec une aisance
incroyable.
Il
y avait des navires qui jetaient l’ancre, après des mois de navigation,
rapportant d’au-delà des mers des cargaisons odorantes, odeurs exotiques du
bout du monde, mais également des nouvelles des autres ports, des autres
contrées et les récits de leurs avaries.
Départs
et arrivées annoncés par la presse locale, amenaient, non seulement, les
armateurs et négociants inquiets du
résultat des négoces et des profits effectués, mais aussi des curieux. Ils
venaient admirer les hauts bâtiments qui manœuvraient, toutes voiles dehors aux
commandements impératifs des quartiers-maîtres.
Un spectacle à ne pas manquer !
Tout
un monde de petites gens effectuant divers métiers s’activaient sur le port.
Une vraie ruche un jour de printemps ensoleillé.
Départs
et arrivées généraient également leur lot d’émotions.
Larmes
et gestes de mains en direction de ceux qui prenaient le large pour
d’interminables mois, avec cette incertitude de
ne pas se revoir. L’océan engloutissait souvent ceux qui l’aimaient.
Larmes
de joie, celles-là, et embrassades, au retour des navigateurs après une longue,
bien trop longue absence.
Mais,
ce matin-là, 9 septembre, le silence régnait. Le port semblait figé.
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A
la pointe du jour, les gendarmes avaient été appelés par des portefaix qui venaient
d’embaucher.
« Un
tas de chiffons ! C’est c’que j’ai cru tout d’abord, précisa l’un d’eux,
alors j’ai voulu l’ramasser, pensant qu’ ça pouvait encore servir. C’est là qu’
j’ai senti qu’ c’était ben lourd. J’ai ouvert l’ paquet et dedans y avait
ça ! »
Et
l’homme montra aux forces de l’ordre, le
cadavre d’un nouveau-né.
Ce
brave homme en était encore tout retourné. Il avait appelé un autre gars qui
travaillait à côté, pour lui faire part de son horrible découverte !
« Sacrebleu !
s’était écrié l’autre, faut appeler la police ! »
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Dans
le quartier du port, et notamment dans les multiples tavernes qui y faisaient
commerce, la conversation ne tournait qu’autour de l’évènement. Et les femmes,
surtout, expertes en matière de maternité, réfléchissaient sur la provenance du
bébé.
De
quel ventre sortait-il ?
Qui
dernièrement, dans leur entourage, avaient été grosses ?
Qui
avait osé un acte aussi barbare ?
Bien
sûr, les grossesses se succédaient et la plupart d’entre elles mettaient
au monde des enfants trop souvent non
désirés.
« Encore
une bouche à nourrir ! » était la phrase montrant leur lassitude et
la misère au foyer.
Et
puis, leur corps, déjà fatigué par le labeur et les nombreuses maternités,
aspirait au repos.
Mais
là, à tuer, de sang froid, le petit qu’elle avait porté et mis au monde !
Si
la solidarité féminine les faisait s’entraider et se soutenir dans les durs
moments, il y avait des limites.
-=-=-=-=-=-=-=-
Les
tours de taille des femmes étaient donc
examiné, autant par les mégères et marâtres du quartier que par l’appariteur de
justice, que le commissaire de police du Havre avait chargé de l’enquête.
Premier
point à éclaircir : recenser les diverses grossesses des derniers mois et constater
leur aboutissement.
Le
sieur Desvarieux, c’était là le nom de l’appariteur, ne ménagea pas sa peine.
Il
enquêta avec un zèle remarquable.
Chaque
femme ou jeune fille enceinte, interpellée, montra à cet homme le fruit de leur
gestation. Rien à signaler !
Jusqu’au
jour où lui vint aux oreilles qu’une certaine raccommodeuse de parapluies
vivant dans une chambre au cinquième étage du 77 rue de Paris, avait pris
quelque embonpoint ces derniers temps. Un embonpoint bien situé qui laisserait
à penser…..
Enfin,
c’était une certitude pour plusieurs personnes qui étaient prêtes à le jurer.
L’appariteur
pensa qu’il avait enfin une piste et que celle-ci semblait être incontestable.
En
effet, l’enfant nouveau-né était mort par strangulation et ce dont l’assassin
s’était servi, pour effectuer son horrible méfait, était un morceau de soie,
tissu dont on se servait pour fabriquer les parapluies, justement.
Le
sieur Desvarieux se rendit, d’un bon pas, au 77 de la rue de Paris, grimpa les
cinq étages de la maison et frappa à la porte de la demoiselle en question.
La
porte s’ouvrit sur une femme d’une quarantaine d’années au visage fatigué.
« Mademoiselle
Lenourichel, Marie Françoise, je suppose ? demanda-t-il en guise de
salutations.
-
Oui. C’est pourquoi ? répondit la
femme en soupirant. Visiblement, cette visite l’importunait.
L’homme
se présenta. A l’énoncée de la fonction du visiteur, la femme le fit entrer.
La
chambre qu’occupait Marie-Françoise Lenourichel était petite, propre et
sobrement meublée d’une armoire, d’un lit, de deux chaises et d’une table sur
laquelle était étalé l’ouvrage sur lequel cette ouvrière travaillait.
La
conversation démarra tout de suite sur
l’objet de la visite.
« Avez-vous
été enceinte, dernièrement ? demanda, sans ménagement, l’appariteur de
justice.
-
Je
ne suis pas enceinte, Dieu merci, répondit la femme d’un air offensé.
Pendant
la conversation, l’appariteur aperçut, dans un coin de la pièce, un morceau
d’étoffe qui lui parut semblable à celui trouvé sur le petit cadavre.
« Puis-je
regarder cette étoffe, je pense que c’est la même que celle de mon parapluie
qui a, malheureusement, un accroc ?
-
Si vous voulez !
-
Oui, en effet, quelle chance !
lança d’une voix joyeuse l’homme de justice, afin de montrer son enthousiasme. Puis-je vous en acheter un morceau ?
-
Prenez-le
s’il vous convient, répliqua la raccommodeuse de parapluies, ce chiffon n’est
d’aucune valeur !
Le
sieur Desvarieux se confondit en remerciement et, muni de sa précieuse
trouvaille, prit congé.
-=-=-=-=-=-=-=-
Bonne
prise ! Le bout de tissu se révéla être identique à celui avec lequel on
avait étranglé le nourrisson.
Cette
confirmation fit que l’appariteur réapparut au logis de la demoiselle
Lenourichel, afin de la questionner à nouveau.
Non !
Jamais elle n’avait été enceinte ! Non !
Elle
tenait tête, démentait cette accusation.
Peu
à peu, sa résistance céda…… Et, elle avoua…..
Elle
avait bien accouché, le dimanche 6 septembre, entre neuf heures et dix heures
du soir.
-=-=-=-=-=-=-=-
Marie-Françoise
Lenourichel avait vu le jour le mardi 19 février 1788 à Campigny, dans le
Calvados, où elle avait grandi.
Acte
de baptême – Février 1788 – Campigny.
Le mercredy vingtième jour de
février mil sept cent quatre vingt huit jai vicaire de cette paroisse soussigné,
Baptisé une fille née d’hier du légitime mariage de Michel Le Nourrichel
journalier et de françoise Hamel son epouse de cette paroisse laquelle a été
nommee Marie Françoise par Marie Piperel assistée de Louis Guillot son epoux
parein et mareine qui ont signes avec nous…….
Elle
ne s’était jamais mariée.
-=-=-=-=-=-=-=-
Le
procès de Marie-Françoise Lenourichel, pour infanticide, s’ouvrit à la cour
d’assises de la Seine-Inférieure, le 20 mars 1830.
Les
chefs d’accusation énoncés, Monsieur
Delot, docteur en médecine, vint à la barre.
Il
précisa que c’était lui qui avait eu la charge d’examiner le petit corps du
défunt et que celui-ci présentait des signes de strangulation faits à l’aide du
morceau de soie retrouvé autour de son cou. Le cadavre présentait aussi
quelques contusions sur le crâne.
« Je peux affirmer
que l’enfant était né à terme et viable et qu’il avait respiré quelques
temps », affirma ce médecin.
Il
y avait donc bien eu meurtre.
Vint
aussi déposer, la femme Gosselin, une voisine de la condamnée.
Celle-ci
s’était inquiétée un jour de la santé de la demoiselle Lenourichel, et lui
avait demandé :
« Alors,
comment allez-vous ? Il est pour quand, ce petiot ? »
La
femme Gosselin précisa au juge :
« Bah,
m’sieur l’ juge, c’est qu’à ma question elle m’a répondu : « C’est que je ne suis pas enceinte ». Alors, M’sieur l’ juge,
vous savez, faut pas me l’ faire à moi, j’ voyais ben qu’elle était enceinte.
Alors j’ lui ai lancé : « Que
voulez vous faire de votre enfant ? ». J’ voyais ben qu’ c’était
étrange tout ça. Faut pas me l’ faire à moi, M’sieur l’ juge ! »
Il
n’y avait pas besoin de beaucoup plus de preuves. L’infanticide était évident.
L’accusée
fut entendue également.
« J’ai
accouché dans la soirée du dimanche. J’avais peur qu’on entende les cris du
bébé. J’en voulais pas d’ cet enfant. J’ai pas allumé la lumière. J’étais dans
le noir. Après la naissance, j’ai maintenu le petit entre mes genoux et je lui
ai ôté la vie. Après, j’ l’ai enveloppé dans un linge et suis allée sur le
port. En rentrant, je me suis tout de suite couchée. Le lendemain, j’ai nettoyé
pour effacer toutes les traces.
-
Pendant
votre grossesse, aviez-vous déjà le projet de détruire cet enfant ?
demanda le juge.
-
Oui, répondit l’accusée.
-
Etait-ce
votre premier enfant ? questionna encore le juge.
-
Non, murmura Marie-Françoise
Lenourichel.
-
Où sont vos autres enfants ? Où
sont-ils nés ?
-
J’ai
accouché à Bayeux en 1810, et encore, y
a six années à Caen.
-
Que sont devenus ces enfants ?
insista le juge.
-
Je ne me souviens pas.
-
Vous ne vous souvenez pas, ou vous ne
voulez pas vous souvenir ? lança le juge en haussant le ton Les jurés, ici
présents, en tireront les conclusions.
Une
enquête fut entreprise, concernant les deux naissances avouées par l’accusée.
A
Bayeux, aucune trace d’une quelconque naissance.
Quant
à l’autre petit, un garçon, il naquit à Caen chez la femme Laville. Il fut
enregistré sous le nom de sa mère. Il ne vécut pas.
Je
n’ai pu trouver l’acte de naissance, ni de décès de l’enfant né à Caen. Mais
naquit-il à Caen ou dans une localité voisine.
Les
délibérations furent brèves.
Marie-Françoise
Lenourichel fut déclarée coupable et condamnée à la peine capitale. Elle
entendit l’arrêt, avec une froide impassibilité.
Le
journal « Le courrier des tribunaux » du 28 avril 1830, annonça le
rejet du pourvoi la concertnant, en ces termes :
La cour de cassation (Chambre
criminelle) a rejeté les pourvois de Marie Françoise Lenourichel condamnée à la
peine capitale par les assises de la Seine-Inférieure pour crime d’infanticide.
La
sentence fut exécutée le 18 mai 1830, sur la place du Vieux Marché de Rouen.
Le
« Journal de Rouen » titrait le lendemain :
Exécution
de la fille nourichel
Deux aides du bourreau la
saisissent ; elle est déjà morte ; ils enlèvent son corps ;
redressent sa tête ballante pour l’introduire dans le guichet qui se referme ;
le couteau tombe et je ne vois plus que
l’échafaud inondé de sang que la foule s’empresse d’escalader.
Acte
de décès – avril 1830 - Rouen.
Du lundi vingt quatre mai mil huit
cent trente après midi Devant nous soussigné…… sont comparus les sieurs nicolas
Joseph Mullot, âgé de soixante deux ans employé à la perception de cette ville
y domicilié place du vieux marché n° 48 et Gabriel Cheron age de cinquante deux
ans aussi employé au même endroit domicilié en cette ville rue de la prison n°
10, lesquels nous ont déclaré que marie françoise Lenourichel celibataire, racommodeuse
de parapluies et femme de ménage domiciliee en la ville du Havre de ce
departement agee de quarante un ans née à Campigny canton de Balleroy
arrondissement de Bayeux (calvados) est decedee le dix huit de ce mois, en
cette ville, à midi un quart……
Pourtant
Marie-Françoise Lenourichel aurait pu élever son petit, elle ne manquait
assurément de rien, car on retrouva, dans un tiroir de l’armoire de sa chambre,
une somme de deux cent quatre vingt francs, ainsi que beaucoup de linges et
vêtements.
Mais
voilà, dès la confirmation de son état de grossesse, elle fut bien déterminer à
se débarrasser de ce « fardeau »…… et pour preuve…… aucun petit
vêtement n’avait été préparé.
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