Un poilu parmi tant d'autres
Pas de
chance !.......
C’est la seule phrase qui me vient à l’esprit en pensant à l’existence
du pauvre « Monnier ».
Cela a commencé le jour de sa naissance, le 12 juillet 1896 à Gisors,
où sa mère vint accoucher dans l’hôpital de
cette ville et repartit, une fois rétablie, les bras vides, laissant le
bébé auquel elle venait de donner les prénoms de Joseph Mari, aux bons soins
des sœurs hospitalières.
Un peu de bonheur pourtant, lorsqu’il fut recueilli par une famille
demeurant à Saint-Aubin-d’Ecrosville.
En effet, Léonie Naudeix, femme Dupuis, nourrice de l’Assistance
Publique, accueillait plusieurs enfants, en même temps, dans son foyer.
Le recensement de 1906 de la
ville de Saint-Aubin-d’Ecrosville indique :
Quartier du Bout du Val
·
Dupuis Joseph
né 1833 à St Aubin
·
Maudeix Léontine née 1846 Le Neubourg
Et comme
nourrissons :
·
Monnier Joseph né
1896 Hospice
·
Guilbert Lucienne 1896 Hospice
·
Chedeville Augustin 1905 Quittebeuf
·
Varin Madeleine 1905
Bohain
Joseph Monnier figure toujours
sur les listes de recensements, en 1901.
Saint-Aubin-d’Ecrosville – Quartier du Bout du Val
·
Dupuis Joseph – 67 ans
·
Naudeix Léontine – 55 ans
·
Monnier Joseph – 4 ans – nourrisson
·
Guilbert Lucienne – 4 ans - nourrisson
Août 1914. La mobilisation.
Né en 1896, Joseph Monnier, fut
appelé fin 1915 afin de défendre la France.
Des années difficiles pendant lesquelles il servit dans l’infanterie, avant de
rejoindre en 1917, un bataillon de chasseurs à pied.
Il eut la « chance » de revenir vivant.
La chance !
Pas tout à fait, car le 2 juin 1918 à Romescamps ....
Fiche militaire de Joseph Mari Monnier
MONNIER
Joseph Mari
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Evreux
157 - 1917
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Né le 12 juillet 1896 à Gisors
Fils de Marie Victoire Monnier
Pupille de l’assistance
publique
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Ouvrier de culture
Domicilié à La Madeleine de
Nonancourt
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Taille
Couleur des cheveux
Couleur des yeux
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1 m 72
Châtain
Bleu clair
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Classe 1916
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Omis excusé de la classe 1916
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Appelé
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5 octobre 1915
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Soldat 2ème classe
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36ème régiment d’infanterie
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25 avril 1916
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111ème régiment d’infanterie
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28 juillet 1916
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370ème régiment d’infanterie
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1er novembre 1917
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50ème bataillon de
chasseur
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Romescamps, situé dans le
département de l’Oise, centre stratégique, puisque c’était de cette gare que partait, en direction de la partie
nord du front, l’approvisionnement en
paille et en foin.
Aucun renseignement concernant les circonstances de l’accident.
Un ballot de paille trop lourd, déséquilibra-t-il le soldat Monnier qui
chuta en arrière, pied sur le rail ?
Le train démarrant, le soldat Monnier sauta-t-il précipitamment du wagon ?
Chahut ou bousculade entre les soldats ?
Tout ce que je peux affirmer, c’est que le pied de Joseph Mari fut
broyé de telle sorte qu’il fallut l’amputer.
Que de souffrances avant de pouvoir à nouveau marcher.
Sa convalescence fut longue. Il eut tout de même la chance d’être
« appareillé » d’un pilon. Mais est-ce que cela remplaçait un
pied ?
Avant la « Grande Guerre », Joseph Marie Monnier, journalier agricole, trouvait de l’embauche,
de ferme en ferme, pour quelques jours, quelques semaines ou pour une saison.
Lorsqu’il fut renvoyé dans ses foyers, avec une maigre pension de 3ème classe[1],
il chercha, afin de vivre un peu plus
décemment, à travailler comme commis agricole.
Il ne connaissait aucun autre métier.
Mais, un commis agricole ne pouvant plus réellement arpenter les
champs, à quoi cela pouvait-il servir !
Alors, il se contenta de petits boulots ici et là, sans plus.
Il était devenu un infirme. Il était devenu un gagne-misère.
Il avait une pension ! La belle affaire ! Une pension bien
mince au regard des préjudices.
Une pension ? Non, une aumône !
Et lui, Joseph Mari, ce qu’il voulait, ce n’était pas une aumône, mais
gagner sa vie avec son travail, dignement.
-=-=-=-=-=-=-=-
En 1911, Joseph Mari Monnier demeurait à Saint-Aubin-d’Ecrosville
(recensement).
Au moment de sa mobilisation, Joseph Mari Monnier est noté, sur sa
fiche militaire, comme résidant à
La-Madeleine de Nonancourt,
Lorsqu’il sortit de l’hôpital, où alla-t-il ?
Peut-être, quelque temps, chez
sa tante, Augustine Opportune Monnier, demi-sœur de sa mère qui vivait à
Bazincourt.
Bazincourt, n’était-ce pas aussi
dans cette ville que vivait sa mère ?
Resta-t-il tout simplement dans un hôpital militaire ?
Tout cela restera un mystère, car rien pour l’affirmer.
Mais il revint à Saint-Aubin-d’Ecrosville, la ville de son enfance où
sa mère-nourricière vivait toujours, veuve depuis peu, Joseph Eusèbe Dupuis
ayant quitté ce monde le 28 juillet 1913, à trois heures du matin, en son
domicile de Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Etait-ce d’ailleurs en raison de ce décès qu’il revint afin d’aider
celle qui avait été là pour lui, dans son enfance ?
Il s’installa chez elle, s’occupant à divers travaux d’entretien,
élevant des poules et quelques lapins, cultivant un potager et donnant, ponctuellement, des coups de main
dans certaines exploitations contre un
maigre salaire qui, malgré tout, améliorait l’ordinaire.
Léonie Naudeix décéda le 11
septembre 1932 à Saint-Aubin-d’Ecrosville. Elle était née au Neubourg, le 6 août 1846. Joseph Marie resta dans la maison où il vécut,
désormais, seul.
-=-=-=-=-=-=-=-
Dans Saint-Aubin-d’Ecrosville, l’ancien Poilu était bien connu,
surtout pour son caractère bourru, son allure pas très soignée, son visage
renfrogné, et surtout le tac-tac-tac-tac-tac de son pilon lorsqu’il marchait,
bruit qu’il accentuait à loisir
lorsqu’il apercevait des enfants.
Les enfants ! Ils s’envolaient tels des moineaux apercevant un
chat lorsqu’ils le voyaient et surtout
l’entendaient arriver, et certains, pris
d’une telle frayeur grimpaient dans les
arbres les plus proches.
Joseph Mari Monnier s’en amusait-il ? Certainement. Enfin, je
suppose.
C’était « LE PERSONNAGE » de la commune et bien qu’il ne
fréquentât personne, vivant en reclus
dans son antre, chacun s’inquiétait de lui, sans le montrer.
L’homme ne voulait pas de la pitié des autres !
-=-=-=-=-=-=-=-
J’ai eu vent de quelques petites anecdotes le concernant, car, encore
aujourd’hui, cent ans après le jour de l’armistice de 1918, son souvenir est
toujours présent dans cette commune.
Je vous en livre une, pas pour se moquer de lui, loin de là,
simplement pour cerner cet homme qui a, sans aucun doute, souffert comme
beaucoup d’autres, des conséquences de la guerre.
Joseph Mari Monnier habitait chemin du Calvaire à
Saint-Aubin-d’Ecrosville. Il s’approvisionnait à l’épicerie Padéric, non loin
de chez lui.
Ce jour-là, il se rendit dans l’épicerie-café pour acheter un kilo de
sucre en morceaux.
« C’est que j’en ai plus, lui répondit l’épicière, navrée.
-
C’est qu’ j’en ai besoin moi !
-
Attendez, j’en ai bien un qui me reste, mais il
est tombé et est un peu éventré !
L’épicière revint avec le kilo de sucre. Apercevant, le paquet qui
n’avait plus vraiment de forme, notre Monnier s’écria :
« J’en veux point, non ! C’est pas vraiment
présentable ! »
Pas présentable ! Ce n’est pas parce qu’on vit chichement que
l’on doit tout accepter. Pas vrai ?
-=-=-=-=-=-=-=-
Un brave gars, pour certains.
Un pauvre type pour d’autres.
Mais un homme, un jeune homme,
plein d’espoir au début des années 1910, pour lequel la vie a tourné court.
Il a vécu avec, quoi faire d’autre ?
Et comme disaient les anciens :
« Mets tout ça dans ta poche avec ton mouchoir par-dessus, et
avance ! »
-=-=-=-=-=-=-=-
Joseph Marie Monnier décéda le 15 septembre 1972, à l’hôpital du
Neubourg, 25, rue du Général de Gaulle.
Quelles furent ses dernières pensées ?
L’horreur de la guerre ?
La souffrance physique et morale de l’amputation de son pied
gauche ?
La plaie douloureuse de l’abandon de sa mère ?
Le visage bienveillant de sa mère nourricière, Léonie Naudeix ?
Nous ne le saurons jamais...... Ce qui est certain, du moins, en ce
qui me concerne, c’est qu’un lien s’est créé après l’avoir découvert, et pris
connaissance de sa vie et de ses malheurs, et, de ce fait, il y aura toujours
dans mes pensées une petite place pour lui.
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