mercredi 5 décembre 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - SAINT-AUBIN-D'ECROSVILLE



Un poilu parmi tant d'autres 



Pas de chance !.......
C’est la seule phrase qui me vient à l’esprit en pensant à l’existence du pauvre «  Monnier ».

Cela a commencé le jour de sa naissance, le 12 juillet 1896 à Gisors, où sa mère vint accoucher dans l’hôpital de  cette ville et repartit, une fois rétablie, les bras vides, laissant le bébé auquel elle venait de donner les prénoms de Joseph Mari, aux bons soins des sœurs hospitalières.

Un peu de bonheur pourtant, lorsqu’il fut recueilli par une famille demeurant à Saint-Aubin-d’Ecrosville.
En effet, Léonie Naudeix, femme Dupuis, nourrice de l’Assistance Publique, accueillait plusieurs enfants, en même temps, dans son foyer.

Le recensement de 1906  de la ville de Saint-Aubin-d’Ecrosville indique :
Quartier du Bout du Val
·         Dupuis Joseph                                 né 1833 à St Aubin
·         Maudeix Léontine                         née 1846 Le Neubourg
Et comme nourrissons :
·         Monnier Joseph                             né 1896 Hospice
·         Guilbert Lucienne                          1896 Hospice
·         Chedeville Augustin                      1905 Quittebeuf
·         Varin Madeleine                             1905 Bohain


Joseph  Monnier figure toujours sur les listes de recensements, en 1901.
Saint-Aubin-d’Ecrosville – Quartier du Bout du Val
·         Dupuis Joseph – 67 ans
·         Naudeix Léontine – 55 ans
·         Monnier Joseph – 4 ans – nourrisson
·         Guilbert Lucienne – 4 ans - nourrisson

Août 1914. La mobilisation.
Né en 1896, Joseph Monnier,  fut appelé fin 1915 afin de défendre la  France.
Des années difficiles pendant lesquelles  il servit dans l’infanterie, avant de rejoindre en 1917, un bataillon de chasseurs à pied.
Il eut la « chance » de revenir vivant.
La chance !
Pas tout à fait, car le 2 juin 1918 à Romescamps ....



Fiche militaire de Joseph Mari Monnier


MONNIER
Joseph Mari


Evreux 157  - 1917

Né le 12 juillet 1896 à Gisors
Fils de Marie Victoire Monnier
                               Pupille de l’assistance publique
Ouvrier de culture
Domicilié à La Madeleine de Nonancourt


Taille
Couleur des cheveux
Couleur des yeux
1 m 72
Châtain
Bleu clair


Classe 1916

Omis excusé de la classe 1916
Appelé
5 octobre 1915
Soldat 2ème classe
36ème régiment d’infanterie

25 avril 1916

111ème régiment d’infanterie

28 juillet 1916

370ème régiment d’infanterie

1er novembre 1917

50ème bataillon  de chasseur







Romescamps, situé  dans le département de l’Oise, centre stratégique, puisque c’était de cette  gare que partait, en direction de la partie nord du front,  l’approvisionnement en paille et en foin.

Aucun renseignement concernant les circonstances de l’accident.
Un ballot de paille trop lourd, déséquilibra-t-il le soldat Monnier qui chuta en arrière, pied sur le rail ?
Le train démarrant, le soldat Monnier sauta-t-il  précipitamment du wagon ?
Chahut ou bousculade entre les soldats ?

Tout ce que je peux affirmer, c’est que le pied de Joseph Mari fut broyé de telle sorte qu’il fallut l’amputer.

Que de souffrances avant de pouvoir à nouveau marcher.
Sa convalescence fut longue. Il eut tout de même la chance d’être « appareillé » d’un pilon. Mais est-ce que cela remplaçait un pied ?


Avant la « Grande Guerre », Joseph Marie Monnier,  journalier agricole, trouvait de l’embauche, de ferme en ferme, pour quelques jours, quelques semaines ou  pour une saison.
Lorsqu’il fut renvoyé dans ses foyers,  avec une maigre pension de  3ème  classe[1], il chercha, afin de  vivre un peu plus décemment, à travailler comme commis agricole.
Il ne connaissait aucun autre métier.

Mais, un commis agricole ne pouvant plus réellement arpenter les champs, à quoi cela pouvait-il servir !
Alors, il se contenta de petits boulots ici et là, sans plus.
Il était devenu un infirme. Il était devenu un gagne-misère.
Il avait une pension ! La belle affaire ! Une pension bien mince au regard des préjudices.
Une pension ? Non, une aumône !
Et lui, Joseph Mari, ce qu’il voulait, ce n’était pas une aumône, mais gagner sa vie avec son travail, dignement.


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En 1911, Joseph Mari Monnier demeurait à Saint-Aubin-d’Ecrosville (recensement).
Au moment de sa mobilisation, Joseph Mari Monnier est noté, sur sa fiche militaire, comme résidant à La-Madeleine de Nonancourt,
  

Lorsqu’il sortit de l’hôpital, où alla-t-il ?
Peut-être, quelque temps,  chez sa tante, Augustine Opportune Monnier, demi-sœur de sa mère qui vivait à Bazincourt.
Bazincourt, n’était-ce pas aussi  dans cette ville que vivait sa mère ?
Resta-t-il tout simplement dans un hôpital militaire ?
Tout cela restera un mystère, car rien pour l’affirmer.
 

Mais il revint à Saint-Aubin-d’Ecrosville, la ville de son enfance où sa mère-nourricière vivait toujours, veuve depuis peu, Joseph Eusèbe Dupuis ayant quitté ce monde le 28 juillet 1913, à trois heures du matin, en son domicile de Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Etait-ce d’ailleurs en raison de ce décès qu’il revint afin d’aider celle qui avait été là pour lui, dans son enfance ?

Il s’installa chez elle, s’occupant à divers travaux d’entretien, élevant des poules et quelques lapins, cultivant un potager  et donnant, ponctuellement, des coups de main dans  certaines exploitations contre un maigre salaire qui, malgré tout, améliorait l’ordinaire.


Léonie Naudeix  décéda le 11 septembre 1932  à Saint-Aubin-d’Ecrosville.  Elle était née au Neubourg, le 6 août 1846.  Joseph Marie resta dans la maison où il vécut, désormais, seul.


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Dans Saint-Aubin-d’Ecrosville, l’ancien Poilu était bien connu, surtout pour son caractère bourru, son allure pas très soignée, son visage renfrogné, et surtout le tac-tac-tac-tac-tac de son pilon lorsqu’il marchait, bruit  qu’il accentuait à loisir lorsqu’il apercevait des enfants.
Les enfants ! Ils s’envolaient tels des moineaux apercevant un chat  lorsqu’ils le voyaient et surtout l’entendaient arriver, et  certains, pris d’une telle frayeur  grimpaient dans les arbres les plus proches.
Joseph Mari Monnier s’en amusait-il ? Certainement. Enfin, je suppose.

C’était « LE PERSONNAGE » de la commune et bien qu’il ne fréquentât  personne, vivant en reclus dans son antre, chacun s’inquiétait de lui, sans le montrer.
L’homme ne voulait pas de la pitié des autres !


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J’ai eu vent de quelques petites anecdotes le concernant, car, encore aujourd’hui, cent ans après le jour de l’armistice de 1918, son souvenir est toujours présent dans cette commune.

Je vous en livre une, pas pour se moquer de lui, loin de là, simplement pour cerner cet homme qui a, sans aucun doute, souffert comme beaucoup d’autres, des conséquences de la guerre.



Joseph Mari Monnier habitait chemin du Calvaire à Saint-Aubin-d’Ecrosville. Il s’approvisionnait à l’épicerie Padéric, non loin de chez lui.
Ce jour-là, il se rendit dans l’épicerie-café pour acheter un kilo de sucre en morceaux.
« C’est que j’en ai plus, lui répondit l’épicière, navrée.
-          C’est qu’ j’en ai besoin moi !
-          Attendez, j’en ai bien un qui me reste, mais il est tombé et est un peu éventré !
L’épicière revint avec le kilo de sucre. Apercevant, le paquet qui n’avait plus vraiment de forme, notre Monnier s’écria :
« J’en veux point, non ! C’est pas vraiment présentable ! »

Pas présentable ! Ce n’est pas parce qu’on vit chichement que l’on doit tout accepter. Pas vrai ?

  
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Un brave gars, pour certains.
Un pauvre type pour d’autres.

Mais un  homme, un jeune homme, plein d’espoir au début des années 1910, pour lequel la vie a tourné court.
Il a vécu avec, quoi faire d’autre ?

Et comme disaient les anciens :
« Mets tout ça dans ta poche avec ton mouchoir par-dessus, et avance ! »


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Joseph Marie Monnier décéda le 15 septembre 1972, à l’hôpital du Neubourg, 25, rue du Général de Gaulle.

Quelles furent ses dernières pensées ?
L’horreur de la guerre ?
La souffrance physique et morale de l’amputation de son pied gauche ?
La plaie douloureuse de l’abandon de sa mère ?
Le visage bienveillant de sa mère nourricière, Léonie Naudeix ?

Nous ne le saurons jamais...... Ce qui est certain, du moins, en ce qui me concerne, c’est qu’un lien s’est créé après l’avoir découvert, et pris connaissance de sa vie et de ses malheurs, et, de ce fait, il y aura toujours dans mes pensées une petite place pour lui.





[1] Pension 3ème classe attribuée par la commission spéciale d’Evreux le 1er mai 1919



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