jeudi 6 juin 2019

HISTOIRE DE VILLAGE - MARBEUF


Une rancune tenace. 


C’est qu’il en avait du mal, David Amand César Cirette, avec ses administrés. Ça, il pouvait le dire !
Comme si il n’avait que ça à faire que  régler les problèmes de voisinage,  prendre les dépôts de plaintes et essayer de calmer les esprits qui s’échauffaient à la moindre petite embrouille, surtout si, en plus, l’alcool se mêlait à l’énervement ambiant.

D’ailleurs, en y regardant d’un peu plus prêt, les raisons des querelles, voire des coups assénés, n’étaient pas franchement claires même pour les adversaires. Alors, comment voulez-vous résoudre les différends.
Tenez ! Par exemple .......
Ecoutons David Amand César Cirette qui est plus à même de nous conter les faits.

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C’était en 1835, le lundi 15 juin, juste avant midi, c’était le maçon, Pierre Louis Helin qui était venu me voir.
J’étais bien contrarié, d’ailleurs, car mon estomac criait famine et que j’aurais bien aimé aller déjeuner. Enfin !
Pierre Louis Helin venait porter plainte contre Pierre Armand Beaucousin, un gars de Fouqueville qui s’était établi dans la commune depuis quatre mois, car c’était juste après son mariage avec Marie-Françoise Lenormand, fin février.
Sa plainte ?
Armand Beaucousin avait depuis quelque temps une manie, si je peux dire, celle de menacer la femme Helin de la frapper, cette menace était accompagnée d’injures que je ne me permettrai pas de rapporter.
Pas agréable, vous en conviendrez, car la pauvre femme n’osait plus sortir de chez elle craignant de croiser Beaucousin sur son chemin.
Mais, selon les dires du mari, le 12 juin dernier, sur les trois heures un quart de l’après-midi, la rencontre fut inévitable et Pierre Armand Beaucousin proféra, comme à son habitude, menaces et injures, en coursant la pauvre femme qui se sauvait, effrayée.
Pas de témoin pour ce fâcheux incident. Mais l’affaire ne s’était pas arrêtée là,  car hier soir, 14 juin.
« Ce devait être vers les sept heures du soir, me conta Pierre Louis Helin, j’ai croisé Beaucousin et sa femme, la Françoise Lenormand, sur la Grand rue du village. Bras-dessus et bras-dessous qu’ils étaient. Les voilà qui, de connivence, commence à m’injurier, mais pas que...... C’est qu’ils ont ramassé des morceaux de terre et des cailloux qu’ils me jetèrent avec force. Et pis, j’ peux dire qu’ils visaient ben ! »

J’ai écouté le récit du maçon qui me paraissait sincère dans sa déclaration.
« Y-avait-il des témoins ? demandai-je au plaignant.
-          Ça pour sûr, répliqua Pierre Louis et pas qu’un. La femme Lepage, la servante à Charles Mathurin Champion et le Jacques, mon frère.
-          Et après, que s’est-il passé ?
-          Les deux là, bah ils sont r’partis, mais c’est qu’ c’est point tout !
-          Ah ! Et quoi encore ? interrogeai-je, trouvant que cette déposition n’en finissant pas, elle retardait encore plus le moment de me mettre à table.
-          Bah ! C’est qu’ vingt minutes plus tard, c’est la femme qui s’ trouvait face à eux. Et c’est qu’ c’était r’parti !

En effet, les époux Beaucousin, toujours selon les dires de Helin, auraient lancé à la figure de son épouse, et cela d’un ton très ironique :
« Belle aux yeux doux, tu n’es pas venu défendre ton mari, là-bas ? »

« C’est qu’ ça l’a mise dans un état la femme ! Pensez donc, c’est qu’elle m’ voyait mort ! poursuivit le sieur Helin. Alors, j’ me suis précipité chez moi... Mais, vous allez pas m’croire, je m’ suis heurté, aux mêmes qui traînaient encore par là, juste devant la porte à Chauvel. Et pis, quand j’dis heurté, c’est pas encore assez fort, pardi, car le Beaucousin, il m’a rué d’ coups, et sa femme la Françoise, elle s’y est mise aussi. Et là, M’sieu l’maire, j’ai des témoins !
-          Quand cette histoire va-t-elle s’achever ? » pensai-je. Mais comme mon devoir était de m’occuper de mes administrés, je posai la question suivante : « Et qui sont-ils ? »
Presque à bout de souffle, Helin déclina l’identité des personnes présentes, pouvant attester ses dires.
«  César Charpentier. Marcelin Morel qu’est domestique chez l’ Modeste Lenormand et pis la femme au Modeste Lenormand. Y avait aussi le jacques Charpentier et sa femme. Victoire Charpentier, la femme à Cavelier. Mathieu Leroy. Frédéric Potin, le père...... J’ crois ben qu’ c’est tout. »

Je pris toutefois le temps de déjeuner..... Un sac vide ne tenant pas debout !
Ensuite, j’ai entendu tous les témoins et rencontrer les faiseurs de troubles.
Rétablir l’ordre, pas facile !

Bien évidemment, j’aurais pu prévenir le juge de paix.
Mais je savais que cette simple idée rétablirait l’ordre, car qui dit «Juge de paix » évoque aussi la possibilité d’un procès et qui dit « procès » dit « FRAIS DE JUSTICE » !
Je savais que l’argent manquait dans bien des foyers de la commune.
Aussi comme « un sou était un sou », l’ordre revint.
Enfin, quand je dis « revint »...
Il a fallu longuement parlementer avec Pierre Armand Beaucousin !
Une vraie tête de mule, celui-là !

Alors que je pensais que tout était rentré dans l’ordre, un peu plus de cinq années plus tard, le 30 septembre 1840 en milieu d’après-midi, je vis entrer dans la mairie Julie, la fille Helin. La pauvre avait bien des difficultés à marcher et son visage creusé portait des marques de coups.
Je me suis précipité vers elle, la fit asseoir, lui portai un verre d’eau et attendis qu’elle reprenne souffle avant de la questionner.
Je n’en eus pas le temps, car entre deux soupirs marquant émotion et douleurs, elle prononça d’une voix blanche : « C’est l’ Beaucousin ! »
Alors là, je ne pus retenir cette exclamation que j’avais hurlée au point de faire sursauter de terreur la pauvre blessée. «  Encore !! »

Reprenant mon calme et m’excusant de mon impétuosité, je lui demandai de m’expliquer les faits.

« Bah ! j’travaille pour m’sieu Chauvin, commença-t-elle, et ses champs longent ceux de Beaucousin. C’ matin, vers le 7 heures, p’t-être bin 8 heures... bah v’là que j’ sais plus... avec tout ça, j’ suis tout’ chamboulée...Enfin, c’était c’ matin et j’étais à cueillir des pommes. C’est là qu’il est v’nu, l’ Beaucousin en m’disant que j’lui volais ses pommes. Mais ça, m’sieu l’ maire, c’est point vrai, j’ peux l’jurer ! Alors, c’est qu’i m’a pas crue et il m’a bousculée et puis j’ suis tombée. Comme j’étais cul par-dessus tête, comme on dit, i’ m’a frappée, l’animal, à coups de pieds. J’ai bin essayé d’ me protéger, mais c’est qu’i’ tapait fort...... »

Des témoins, il y en avait, car cette affaire avait fait grand tapage étant donné les hurlements de la fille Helin. Parmi ceux-ci : François Helin, berger chez M. Cirette – Scolastique Durand – Claire Chauvel - femme Vauquelin.....

L’affaire avait pris trop d’importance. Il fallait arrêter tout cela avant qu’il n’y ait un mort ! Un mauvais coup pouvait avoir des suites irréversibles.
J’ai donc transmis la plainte au juge de paix, avec le constat des blessures dressé et signé par le docteur Désormaux, médecin de la faculté de Paris, qui se déplaça jusqu’à Marbeuf afin d’examiner la victime.
Sur le certificat, apparaissaient les lésions suivantes :
-          Contusion douloureuse à la racine du nez
-          Contusion à la partie supérieure et interne de la jambe
-          Ecchymose à la partie postérieure de l’avant-bras gauche

Heureusement pour la plaignante, son agresseur avait été maîtrisé avant de pouvoir occasionner des blessures plus importantes.
La fille Helin s’en retourna jusqu’à chez elle, en clopinant. Elle fit sa besogne tant bien que mal. On ne s’écoutait pas. Le lit ? C’était juste avant de fermer définitivement les yeux.

Comme je vous le disais, pas facile de régler les conflits de voisinage. Il faut être diplomate, ne pas prendre partie, ne porter aucun jugement et essayer de faire entendre raison même aux plus déraisonnables.
Sans aucune entente, la main revenait à la justice et alors là, ce n’était plus à la commune de gérer.

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Monsieur le maire qui a noté scrupuleusement les évènements sur le registre des délibérations du Conseil Municipal vient de nous faire un récit plus détaillé de ce qui s’est passé.
Merci à lui.

Ce qu’a omis de préciser David Amand César Cirette, c’était « qui était qui », car bien évidemment, souvent, les mésententes découlaient de problèmes familiaux...... Jalousies suite à héritages, par exemple. Je ne dis pas que c’était présentement le cas, mais « mes petites antennes »  le présentent fortement.

Alors, voilà...................

....................................vous le saurez la semaine prochaine !!

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