Devant
la porte close de l’Eglise de Marbeuf, un groupe de femmes. D’abord
interloquées, elles commencent à s’agiter mécontentes.
« Il
est pas encor là, not’ curé ? Interrogea l’une d’elle.
-
La porte de l’église est fermée !
Lança une autre.
-
Et not’ bedeau ? Vous l’avez
vu ? Questionna une troisième
-
Il est point là, non plus !
-
J’ m’ disais b’en qu’ j’avais point
entendu les cloches
-
C’est y qui s’rait malade, not’
bedeau ?
-
Et not’ curé alors ?
Et
ainsi de suite............
Jusqu’au
moment où une petite femme, ronde de partout, s’exclama avec force :
«
Not’ curé ! C’est point la première fois qui n’ vi’nt pas ! S’i va
pas bien, faut nous l’changer !
-
Oui, elle a raison, la Marguerite, faut
en mettre un autre de curé !
-
Changer not’ curé ! s’exclama d’une
voix timide une jeune femme au visage poupin, comme s’il s’agissait d’un
sacrilège.
Les
conversations qui prenaient allure de révolte furent interrompues par le bedeau
qui, tout essoufflé, arrivait en courant. Il eut, d’ailleurs, bien du mal à
reprendre haleine.
« Alors ?
Y a pas d’ messe, ce matin, lancèrent, à l’unisson, toutes ces femmes, fort
dévotes.
-
Bah ! répondit le bedeau, très
gêné. C’est qu’ not’ curé est encore au lit.
-
Au lit ? A c’t’ heure ! lança
Marguerite d’un ton de reproche.
Cette
réplique déclencha une cascade de rires, surtout lorsque Marguerite ajouta, non
sans une pointe d’ironie :
« I’
s’ paye du bon temps not’ curé !
-
C’est qui va pas très bien, précisa
timidement le bedeau.
-
ça
peut pas durer. ça arrive b’en
trop souvent !
Et
les femmes s’en retournèrent à leurs occupations, en maudissant le pauvre curé,
ce qui, vous en conviendrez, n’était guère charitable de la part de ces pieuses
personnes.
-=-=-=-=-=-
Du
fond de son lit, Monsieur le curé, François Antoine Bertrand, redoublait de prières afin de pouvoir à
nouveau exercer son ministère. Mais, il se sentait si las, si misérable avec
tous ses maux qui le clouaient sous sa maigre couverture, alors que ses ouailles
l’attendaient. Ses ouailles ! Ses enfants, à vrai dire, car ils les
connaissaient tous pour leur avoir administré les sacrements de baptême, de
mariage et avoir aidé leurs parents à passer le cap difficile de la vie à la
mort.
Alors,
vous comprenez, en cette période de Carême, alors que tous attendaient la
célébration de Pâques, être cloué au lit, incapable de se lever !
Ah !
Il était loin le temps où jeune prêtre, il cheminait, même la nuit, par tous
les temps, pour apporter un peu de réconfort à ceux qui le souhaitaient.
-=-=-=-=-=-
La
maladie du curé et les mécontentements qu’elle entrainait vinrent, bien
évidemment, aux oreilles du maire qui en parla à ses conseillers au cours de la
séance du 9 avril 1837. Il était évident que ce n’était pas de leur compétence
et qu’il valait mieux en informer l’évêché d’Evreux, qui était seul accrédité à
remplacer, ou non, le desservant de la commune.
« Est-ce
qu’il y aurait une place à l’hospice du Neubourg ? Questionna un des
conseillers présents.
Le
maire réfléchit un moment. Il n’avait jamais envisagé de renvoyer ainsi le curé
de sa commune, tout simplement parce que, âgé et malade, il ne pouvait plus
exercer sa mission.
« L’hospice,
serait, en effet, une possibilité, rétorqua le maire, mais je pense que vous
serez de mon avis, que nous ne pouvons envoyer notre curé à l’hospice. Depuis
toutes ces années, qu’il est parmi nous, il ne serait que justice qu’il finisse
ses jours dans la commune. Si bien évidemment, c’est son choix. »
Les
avis étaient partagés, mais il fallait aussi prendre en compte l’avis des
paroissiens qui étaient très attachés à leur vieux curé. Il y aurait toujours
des paroissiens qui profiteraient de cette discorde pour prendre partie contre
les élus.
Il
fut donc proposé par le maire, et voté par le Conseil Municipal, de ne pas
chasser le vieux curé du presbytère où
il logeait depuis des années, mais de lui proposer, si il le souhaitait,
de garder son logement actuel en contrepartie d’un petit loyer dont le montant
permettrait d’installer son remplaçant.
-=-=-=-=-=-
Le
maire alla faire une visite au desservant qu’il trouva ratatiné dans un vieux
fauteuil placé près de la cheminée où crépitait un bon feu de bois, les jambes
couvertes d’un châle. Il lui trouva une mine affreuse. Le teint cireux du
vieillard, les larges cernes entourant des yeux, les joues creusées ne
présageaient rien de bon.
Le
curé à la vue du maire sembla s’animer d’un peu de vie. Avec un sourire
chaleureux, il proposa au premier magistrat de la commune de prendre une chaise
et de s’asseoir près de lui.
Après
quelques civilités d’usage et commentaires sur les problèmes que rencontraient
certains habitants de la commune, le maire en vint à ce qui l’amenait
présentement.
« A
bientôt quatre-vingt ans, répondit le curé à la proposition du maire, où
voulez-vous que j’aille ? A l’hospice, bien sûr, me direz-vous, beaucoup y
vont ! Alors pourquoi pas moi ? Mais, si je peux rester dans ce logement,
ce ne serait pas de refus. J’y ai passé tellement d’années ! »
Le
pauvre homme de Dieu ne profita pas longtemps de cette retraite, sûrement bien
méritée. Il n’eut pas non plus la joie de pouvoir assister à la messe de minuit
de la Noël 1837, célébrée par son successeur. Pourtant, il aurait bien aimé.
Cette fête avait toujours eu sa préférence. Tous ces chants de joie qui retentissaient
dans son église pour célébrer la venue de l’enfant Jésus ! Même les hommes
étaient présents cette nuit-là ! Un vrai moment de communion et de
partage.
Non,
le Dieu qu’il avait honoré et servi toute sa vie ne lui permit pas, car Il le
rappela à lui, le 18 décembre 1837, à deux heures après midi.
François
Antoine Bertrand, né le 4 novembre 1757 en la commune de Grandchain, Canton de
Beaumesnil, fils de Louis Bertrand et de Suzanne Delanoé, curé de la paroisse
de Marbeuf, venait de prendre quatre-vingt ans.
Le
jour de son inhumation, tout le village était présent pour lui rendre un
dernier hommage.
Délibération du
conseil municipal
du 9 avril 1837.
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