C’est
qu’ j’ai point l’ temps !
« C’est-y
pas possible ! Mais qu’est-ce tu fais là, té ? », s’exclama la
femme Billon en sortant de chez elle. Elle n’eut aucune réponse. D’ailleurs,
elle aurait été fort étonnée d’en avoir une.
Cette
femme, bien embarrassée devant sa découverte, regarda de chaque côté du chemin,
mais ne vit personne.
« Ça
fait point mon affaire, ça ! poursuivit-elle. C’est qu’ j’ai à faire,
moi ! »
Marie
Céleste Lamboy, femme Billon, fit le tour de sa trouvaille, ne remarqua, sur
elle, aucun signe distinctif, à part une tache au flanc qui ne permettait pas
réellement de pouvoir identifier à qui elle appartenait.
Une
seule personne était en capacité de régler le problème, aussi la femme
déclara :
« J’
va voir le maire ! Mais, j’ peux point t’ laisser là, sur la route !
C’est qu’ tu vas ben encore t’ sauver ! »
Alors,
Marie Céleste tira, poussa avec toute son énergie, pour faire entrer dans la cour de sa masure,
l’animal qu’elle venait de découvrir, là, devant sa porte en ce soir de mai
1855.
Et
ce ne fut pas une mince affaire, car l’animal qui venait de retrouver la
liberté, en se sauvant de chez son propriétaire, ne souhaitait pas être de
nouveau prisonnier.
D’un
bon pas, car elle n’avait pas que cela à faire, Marie Céleste se dirigea vers
la mairie.
«
J’ vens signaler, déclara-t-elle, sans perdre de temps, lorsqu’elle se
trouva face au maire,
Qui
y a dans ma cour, un animal qu’est point à moi et que j’ voudrais point qu’on
pense que j’ l’ai volé !
-
Alors, dans ce cas, pourquoi est-il chez
vous cet animal ? demanda le maire.
-
Bah ! c’est que j’y ai mis, pardi !
répondit la femme, d’un ton plein d’évidence.
-
Pourquoi, l’avez-vous mis dans votre
cour, si il n’était pas à vous ? s’enquit le maire qui s’impatientait un
peu, ayant d’autres affaires à traiter, sans doute bien plus importantes.
-
Bah ! C’est qu’il était d’vant ma
porte, quand j’suis sortie à six heures ! répondit encore la femme qui,
elle aussi, s’impatientait devant les questions incessantes du maire, pensant
qu’il ne faisait pas beaucoup d’efforts pour l’aider.
-
C’est quoi, comme animal ? poursuivit
le maire.
-
Un porc.
-
Un porc ?
-
Bah oui ! un porc !
-
Et ce porc, il n’est pas à un de vos
voisins ?
-
Ce s’rait l’ cas, j’ s’rai point là,
pardi !
-
Oui, bien sûr. Et ce porc, il n’a aucun
signe distinctif ?
-
Bah ! c’est un mâle. Tout propre
avec ça et la peau bien blanche.
-
Oui, mais à part cela ?
-
Bah ! C’est qu’il a un’ tache noire
au flanc gauche..... pis, deux marques rouges sur la croupe. J’ crois ben qu’
c’est tout !
-
C’est déjà un début de renseignement.
En
ce lundi 20 mai 1855, à sept heures du soir, monsieur le maire prit la
déposition de la femme Billon, mais avant de faire signer la déclarante, Il se
transporta sur place afin de constater les faits.
«
C’est qui m’ croit, en plus ! pensa Marie Céleste sur le chemin. Faut
qu’il aille voir.... et moi, va falloir que je r’tourne à la mairie, pour
signer. Quelle affaire ! j’ai point qu’ ça à faire ! »
Dans
la cour de la masure du couple Billon, le porc était bien là.
Quand
le magistrat de la ville s’approcha de l’animal, celui-ci leva vers lui son groin
humide, le scruta de ses petits yeux perçants, aux paupières ourlées de longs
cils, en poussant des grognements.
Il
s’agissait, en effet, d’un mâle portant les marques décrites par Marie Céleste.
Après
ce constat, le maire déclara :
« Il
faut savoir à qui il appartient. Je vais faire une enquête. En attendant, pouvez-vous le garder dans
votre cour ?
-
J’peux toujours, répondit la femme Billon
d’un air embarrassé, mais qui va m’ payer la nourriture ?
-
Si nous retrouvons son propriétaire,
c’est lui qui vous paiera. Dans le cas contraire, au bout d’un certain temps,
on considérera que l’animal vous appartient.
Marie
Céleste opina de la tête. Elle
réfléchissait, ne voulant pas donner une réponse trop hâtive, ne voulant pas
trop s’engager. Mais, considérant que la perspective de devenir propriétaire de
l’animal ne serait pas une mauvaise affaire, elle finit par déclarer :
« Alors,
dans c’ cas !........
-=-=-=-=-=-=-
Le
propriétaire fut-il retrouvé ?
Marie
Céleste Lamboy, femme Billon, fut-elle indemnisée pour avoir fait « maison
d’hôtes porcine » ?
« Maison
d’hôtes porcines » !
Rassurez-vous,
dans sa déposition, le maire nota très précisément, « mis en
fourrière ».
Devint-elle
propriétaire de l’animal, après l’avoir engraissé, un certain temps, celui
nécessaire prescrit par la loi ?
Je
suis au regret de ne pouvoir assouvir votre curiosité, (ni la mienne).
Mais
gageons que l’aventure fit le tour de Marbeuf et que chacun vint voir l’animal
et faire des commentaires.
Pauvre
Marie Céleste qui dut accueillir tous ces curieux !
Je
l’entends encorebougonner :
« C’est
pas l’ tout, mais c’est qu’ j’ai point qu’ ça à faire, mé ! »
-=-=-=-=-=-=-
Texte écrit à
partir d’une déclaration effectuée en mairie de Marbeuf et
trouvée dans les
registres des Conseils Municipaux de
cette commune.
Marie Céleste
Lamboy était originaire de Criquebeuf-la-campagne
où elle avait vu
le jour, le 26 juillet 1808, et où elle avait épousé
Etienne Modeste
Billon, le 23 février 1829.
Le marié était
né à Marbeuf, le 12 septembre 1803.
Tous deux
vécurent à Marbeuf jusqu’à leur décès,
Etienne Modeste,
le 6 octobre 1872,
et Marie
Céleste, le 5 novembre 1892.
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