Crêpage de chignons
Il faisait pourtant bien froid en ce 24 décembre 1837. Un temps à se
dépêcher de se rentrer bien au chaud.
Pourtant, dans le silence de ce dimanche d’hiver, jour de repos, jour
de recueillement aussi puisque veille de la Noël, des hurlements s’étaient
élevés dans la rue du bout de la ville, juste devant la masure du sieur Charles
Voisin, le marchand de porcs.
Des voix criardes, hurlantes d’injures et de douleurs.
Querelles de femmes comme il pouvait en avoir tant, pour tout et pour rien, simplement parce qu’on avait le
sang chaud, ou bien un ras-le-bol de la vie qui n’épargnait personne.
Querelles de femmes que les hommes laissaient souvent filer, sauf
lorsqu’il s’agissait de leur femme, bien évidemment.
Oui, mais tout de même, parfois cela dégénérait. Et ce jour-là
justement, ça dérapa !
Un échange verbal qui avait commençait doucement.
Quelques remarques aigres-douces avaient suivi.
Puis, le ton avait monté. Un peu. Et plus encore....
Jusqu’au moment où la fille
Elisa Eulalie Dumont se mit à hurler à la face de Marie Rose Prieur,
épouse Bréant.
Et ce qu’elle hurlait n’était pas des plus aimables, mais plutôt d’un
langage très fleuri.
« C’est là que j’ t’ en vas
foutre. Y a longtemps que j’ t’en dois et j’ t’aurai bin autre part, va, et mieux qu’ cela. »
Ne se contentant pas de
déverser son venin d’injures, la fille
Dumont se rua sur la femme Bréant, toutes griffes dehors, lui déchirant le
visage, puis l’ayant renversée à terre, se mit à la ruer de coups de pied, tout
en poursuivant son verbiage riche en vocabulaire ordurier.
Les crêpages de chignon, s’ils amusaient un temps les badauds, ne devaient tout de même pas franchir
certaines limites.
Mais ce ne fut pas sans mal que la bagarre fut interrompue.
La demoiselle Dumont, d’un tempérament vindicatif, ne voulait pas
lâcher Marie Rose Prieur, femme Bréant. Enfin maîtrisée, elle se redressa,
échevelée, la mise en « as de pique », vociférant à s’en casser la
voix et ce fut à regret qu’elle s’éloigna toisant d’un air arrogant le groupe
qui s’était formé autour de ce conflit
quelque peu attractif et qui se dispersait, peu à peu, sans toutefois
commenter l’évènement, prenant partie ou non pour l’une ou l’autre des adversaires.
Elisa Eulalie Dumont, contrainte de lâcher prise, se promettait bien,
sur le chemin de son logis, de ne pas en rester là.
« J’ la r’trouv’rai bin sur mon chemin, va, et cet’ fois-là, j’
lui en mettrai des coups. Ça, pour sûr ! »
Louis Isidor Bréant s’empressa de relever son épouse. La pauvre femme
avait le visage hachuré de griffures et la lèvre supérieure tuméfiée.
« Ma pauvre ! s’exclama le mari, rentre donc, i’ t’
faut prendre un r’montant ! »
A cette époque, le seul remontant valable : un verre de goutte.
« Ça ravigote ! » admit Marie Rose, en reposant son
verre sur la table. Puis, regardant son époux mettre sa veste et se coiffer de
son chapeau, elle demanda :
« Où vas-tu donc à cet’ heure ?
-
Voir le maire, pardi !
-
Voir le maire, mais pourquoi donc ?
-
J’ vas porter plainte. On va tout d’ même pas
laisser ça là.
Sur ces paroles, il s’en alla dans le froid hivernal. Levant les yeux
vers le ciel d’un gris de plomb, il aperçut voleter quelques flocons.
-=-=-=-=-
Voilà pourquoi, en ce dimanche 24 décembre 1937, le maire de la commune,
Robert Paturel, fut dérangé, alors qu’il s’apprêtait à fêter Noël.
Et ce fut une chance, car autrement, nous n’aurions jamais eu
connaissance de ce crêpage de chignons.
Une question se pose toutefois, qu’elle était la raison de tout ce
tapage, de tous ces coups ?
Une histoire de galants ?
Peu probable.
Marie Rose Prieur était née le 13 mars 1801 et Elisa Eulalie Dumont le
21 juillet 1816.
Marie Rose Prieur était mariée, elle avait épousé Louis Isidor Bréant,
le 25 janvier 1823 à Hectomare.
Elisa Eulalie Dumont était encore jeune fille.
Un commérage, une médisance dite par la femme Bréant et qui serait
revenu aux oreilles de la demoiselle Dumont ?
Possible.
Mais tout cela n’est qu’hypothèses !
Le maire avait pris la plainte, l’avait inscrite sur le registre de
délibération de sa commune.
Cette plainte parvint-elle au juge de paix du Neubourg ?
Pas sûr non plus !
Souvent, le maire de la commune essayait de calmer les esprits,
faisant comprendre à ses administrés, en conflit, qu’un arrangement à l’amiable
valait mieux qu’un procès qui pouvait durer bien longtemps et coûter fort
cher. Des arguments de poids !
Ce que je peux affirmer, sans me tromper, c’est que monsieur le curé,
sans aucun doute mis au courant de l’affaire, a dû prêcher la paix et la
réconciliation lors de la messe de minuit dans l’église d’Ecquetot, devant tous
les paroissiens réunis.
-=-=-=-=-=-=-
Petites précisions :
Elisa Eulalie Dumont, si elle se maria ne le fit pas à Ecquetot. Son nom n’apparait pas non plus sur les listes décennales des
actes d’Etat Civil répertoriant les décès de cette Ville.
Son père François Dumont décéda à Ecquetot, le 14 septembre 1842.
Marie Rose Prieur, épouse Bréant, devint « la veuve Bréant »,
le 6 décembre 1859, jour où s’éteignit son époux, Louis Isidor, dans leur
domicile à Ecquetot.
Marie Rose Prieur vécut de nombreuses années après lui. Elle rendit
l’âme, à l’hospice de Louviers, le 25 juillet 1882.
La scène s’était passée, rue du Bout de la Ville, devant la demeure de
Charles Voisin, marchands de porcs.
Charles Voisin avait épousé le 17 février 1903 – 28 pluviose an XI –
Perpétue Allix, originaire d’Ecquetot.
Il décéda à Ecquetot le 12 janvier 1838, bien après son épouse qui,
elle, quitta ce monde le 21 juillet 1806.
Petit fait divers (ou petit fait d’hiver)
trouvé dans les registres de comptes-rendus
du Conseil municipal d’Ecquetot
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