Chapitre 9
Au sortir du palais de justice, Constant Roy fut accueilli par les
vociférations haineuses d’une foule déchaînée qui aurait souhaité une exécution
immédiate.
« A mort l’assassin ! A mort ! »
Les journaux annoncèrent le lendemain que « 4 000 à 5 000 personnes se trouvaient rassemblées
dans la cour du palais de justice et aux alentours ».
Les gendarmes, encadrant le condamné, eurent bien du mal à éviter que
la foule n’exécute la sentence sur l’heure, protégeant au mieux Constant
Roy avant de le faire monter dans la voiture, direction la prison de Bonne
Nouvelle. Devant l’entrée de la prison, se trouvait également une foule
hurlante.
De nouveau dans sa cellule, au calme, Roy ne semblait pas ému du
déchaînement de colère dont il était l’objet.
Les jours suivant, les seules visites qu’il recevait étaient celles de
son avocat, maître Goujon, qui en bon défenseur de l’abolition de la peine de
mort, essayait de sauver la tête de son client.
Discussions et réflexions sur la manière d’échafauder une stratégie
efficace, au programme de chaque rencontre.
Inutile de faire appel, ce serait un nouveau procès en pure perte
n’aboutissant qu’au même verdict.
Une seule issue possible, la cassation du jugement rendu.
Pour cela, il fallait un élément nouveau et essentiel amenant à
annuler le premier jugement.
Ce fut ainsi, qu’en relisant les documents en sa possession, maître
Goujon s’aperçut qu’un témoin n’avait pas été entendu, alors qu’il figurait sur
la liste.
Il s’agissait d’un certain Letourneau, sans plus d’information. Il
était évident que celui-là même aurait pu faire toute la lumière sur
l’affaire !
A bien réfléchir, la sentence finale en serait-elle différente ?
Peu importait, il fallait tout effacer et recommencer, ne serait-ce
que pour gagner du temps !
La demande fut donc formulée auprès de la Cour de Cassation, sur le
motif de « violation de l’article 315 du Code d’instruction criminelle[1] ».
Mais rejetée en date du 4 septembre 1890.
A présent, ne restait plus, à maître Goujon, pour sauver la vie de son
client, que la clémence du Président de la République, Sadi Carnot.
L’avocat s’accrochait à ce dernier recours comme un naufragé à une
bouée de secours.
Quant à Constant Roy, confiant de sa bonne étoile, il ne semblait
nullement perturbé.
La presse continuait à foisonner d’articles sur l’affaire et ce
n’était qu’informations et démentis, sur la date de l’exécution de
« l’assassin de la rue des Charrettes ».
Le journal « Le matin » - 21 septembre 1890
Notre correspondant de Rouen nous a
télégraphié, hier samedi, l’exécution de Constant Roy, annoncée pour ce matin
n’aura probablement lieu que lundi ou mardi. Le bruit court que la légation de
Suisse aurait fait des démarches auprès de Monsieur Carnot pour obtenir la
transformation de peine du condamné.
Pendant ce temps-là, le dénommé « assassin de la rue des
Charrettes », dans sa geôle, discutait ou jouait aux cartes avec ses
gardiens par le guichet de la porte donnant sur le couloir. Il poursuivait sa
vie paisiblement.
Chaque jour passé n’était-il pas un sursis supplémentaire ?
Maître Goujon, en avocat pugnace, poursuivait les démarches pour
obtenir la grâce présidentielle qui aurait commué la peine capitale de son
client en condamnation aux travaux forcés à perpétuité.
Un avocat ne se devait-il pas de défendre même la pire des crapules ?
Et puis, maître Goujon pensait que personne n’avait le droit de donner
la mort, même à celui qui avait tué. Maître Goujon savait que Sadi Carnot
pensait comme lui. Un atout de poids !
Il demanda audience au chef de l’Etat et fut reçu.
La discussion fut fort intéressante. Discussion philosophique sur le
droit de vie ou de mort. Tout un programme !
Maître Goujon fut-il entendu ?
Sadi Carnot entendit-il les arguments de l’avocat ?
Seul, le Président de la République avait tout pouvoir à présent.
Laissera-t-il tomber le couperet sur le cou de l’assassin ?
Une mort pour une mort ! La loi du Talion.
Et puis, il ne fallait pas négliger la famille de Dubuc, la pauvre
victime. Ne pas voir Roy châtié pour son geste criminel pouvait être une
nouvelle souffrance, une injustice de plus.
Ne pas exécuter un assassin n’était-ce pas encourager le meurtre ?
Un dilemme à empêcher de dormir, et Sadi Carnot a dû, comme beaucoup
d’autres en la même circonstance, avoir des insomnies.
Monsieur Carnot subit-il aussi quelques pressions de cette délégation
suisse plaidant en faveur de la clémence. En effet, le condamné, jugé en France,
était de nationalité suisse.
Journal « La justice » - 28 septembre 1890
A neuf heures du matin Monsieur
Chanoine-Davranches, avocat général faisant fonction de procureur général,
ayant reçu la décision présidentielle se rendit à la prison Bonne-Nouvelle et
se fit conduire par le directeur à la cellule de Constant Roy qu’il trouva
causant par le guichet avec le gardien placé dans le couloir.
A la vue du magistrat, il devint blême et
tremblant, croyant qu’on venait le prévenir de son exécution.
Monsieur Chanoine-Davranches lui annonça que
la grâce de la vie lui était accordée.
A ce moment, la physionomie de Constant Roy
se colora, ses yeux brillèrent et il répondit avec émotion :
« Je vous remercie, monsieur l’avocat
général ;
- Ce n’est pas moi que vous devez remercier,
reprit Monsieur Chanoine-Davranches, mais le président de la République[2], car
c’est lui qui vous a gracié, et, certes votre grâce n’était pas facile à
signer.
- Je le remercie aussi, dit Constant Roy.
Dans l’après-midi, Constant Roy s’est
présenté devant la cour d‘appel de Rouen pour assister à l’entérinement du
décret.
A sa sortie, dans la cour du Palais de
justice, le nouvellement gracié fut accueilli par : « A mort ! A
l’eau ! A bas Roy ! »
Quel soulagement !
Une victoire pour Maître Goujon.
Une victoire pour Roy qui face à ses détracteurs et à leur haine
gardera sa tête.
Mais, la condamnation aux travaux forcés, n’était-elle pas pire que la
mort ?
Enchaîné toute sa vie !
La satisfaction de cette victoire passée, il ne fallait pas oublier de
remercier le geste de bienveillance du Président Carnot.
Alors, d’une écriture fine et régulière dont les « t »
n’affichaient pas de barre, Constant Roy s’appliqua ces termes :
Journal « Le matin – 2 octobre 1890
Le soussigné C. Roy vient remercier Monsieur
le Président de l’inestimable faveur dont il a bien voulu l’honorer en commuant
la peine de mort à laquelle il était condamné, en celle des travaux forcés à
perpétuité !
Merci mille fois, Monsieur le Président, non
seulement pour moi, mais pour ma famille, ainsi que pour toutes les personnes
qui de près ou de loin ont bien voulu s’intéresser à moi.
Quelle trouvaille cette formule : « .... l’inestimable faveur dont il a bien voulu l’honorer .... ».
Mais, bien étrange tout de même cette lettre dont le premier
paragraphe parle à la troisième personne du singulier et le second à la
première.
A se demander si ce premier paragraphe n’a pas été copié sur un
exemple établi par maître Goujon.
..................A
suivre...................
[1] Bulletin
des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière criminelle (page 292 – n°
185)
[2] Sadi
Carnot, Président de la République, n’avait, depuis son élection le 3 décembre
1887, fait la grâce qu’à quatre condamné : Mécrant – Cornu – Moraud et
Massé, auquel venaient s’ajouter Roy et Bousquet.
Président de la République
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