mercredi 18 septembre 2019

HISTOIRE VRAIE – DANS LE PARIS DE 1901 - Après Manda et Leca





Casque d’Or après Manda et Leca


Casque d’Or n’avait pas fini de faire parler d’elle, loin s’en faut.
Elle arpentait toujours la voie publique. Elle fréquentait assidûment les lieux où il était possible de boire et danser et où les rencontres s’avéraient aisées après une ou deux danses, après un ou deux verres.

Le 20 janvier 1903[1], à l’heure où dormaient encore les braves gens, à l’heure où  se lèvaient les ouvriers pour aller gagner péniblement leur existence, Amélie Elie, en compagnie de la fille Schmitt, pénétrait dans le restaurant « l’Ange Gabriel »[2].
Malgré l’heure très matinale, un grand nombre de clients s’y trouvaient encore, depuis la veille au soir. L’alcool avait coulé à flots et quelques consommateurs avaient chaud aux oreilles. Parmi ceux-ci, un homme d’une vingtaine d’années, vêtu d’un costume en velours côtelé et une casquette vissée sur le crâne, aborda les deux femmes.
Visiblement, à sa démarche vacillante, il n’avait pas ingurgité que de l’eau.
D’une voix pâteuse, il lança, le regard rivé sur Amélie :
« C’est toi, Casque d’Or ? Eh bien, mon frère est en prison avec Manda et j’ suis chargé par ce dernier de t’ faire ton affaire. Je vais t’ couper l’ cou. »
Amélie qui ne se laissait pas impressionner facilement, toisa l’individu, haussa les épaules en signe d’indifférence, et acheva son verre en discutant comme si de rien n’était.


Vers les sept heures du matin, les deux femmes décidèrent d’aller voir plus loin. Et pourquoi pas au cabaret « La Belle de nuit » au 18 rue des Halles ? Les voyant sortir, l’homme qui les surveillait leur emboîta le pas jusqu’à leur nouvelle destination. Il semblait être revenu à de meilleures dispositions, car dans le nouvel établissement, il leur offrit une consommation.
Tous trois, la demoiselle Schmitt, Casque d’Or et l’inconnu, discutèrent calmement, comme de vieux amis. Ils firent même quelques pas de danse.
L’altercation semblait avoir été oubliée, jusqu’au moment où, cet homme fortement imbibé d’alcool, demanda à Casque d’Or de le suivre dehors. Seule, bien évidemment.
« Méfiance ! » pensa Casque d’Or, se remémorant les menaces de mort proférées.

Aussi, peu rassurée de se retrouver seule face à lui, refusa-t-elle de le suivre. Ce refus catégorique entraîna aussitôt de la part de l’homme, insultes de toute sorte, à ne pas laisser tomber dans des oreilles chastes. Puis, furieux, il quitta le cabaret, mais ne s’en éloigna pas, attendant la sortie d’Amélie en faisant les cent pas sur le trottoir.

L’esclandre avait interpellé certains clients, tout comme le sommelier du cabaret, le sieur Leroux, un grand gaillard très costaud qui proposa aux deux femmes de les raccompagner, précisant :
« Avec certains soûlards, il vaut mieux être prudent. »
Et en termes de soûlards, étant donné son métier, il devait s’y connaître, le sieur Leroux !

Lorsqu’elles sortirent, Amélie Elie et sa compagne s’engouffrèrent dans un fiacre, avec comme garde du corps, le sommelier.
L’individu, aux aguets, sauta alors dans la voiture juste au moment où celle-ci démarrait, puis sortant un revolver, le braqua sur Casque d’Or, tout en brandissant un poignard de la main gauche. Il vociférait :
«  J’ vais t’ faire la peau, garce ! Et ça, d’ la part à Manda ! »

Leroux saisit les poignets de l’agresseur, et sans trop de difficultés parvint à le maîtriser, juste au moment où le fiacre s’arrêtait devant le poste de police de la rue des Prouvaires.
Heureuse coïncidence ou perspicacité du conducteur du fiacre qui ne souhaitait pas qu’un meurtre se produisît dans le logement de son gagne-pain.    
Voiture arrêtée, la fille Elie ouvrit la portière en toute hâte et s’élança vers le porche de l’immeuble. Dans le petit matin, cinq coups de feu retentirent.
Devant le porche, le gardien en faction, Charles Arnoult[3], essaya d’intercepter le tireur qui fut désarmé. Ce fut alors un corps-à-corps au cours duquel le malfrat réussit à récupérer son poignard.
Malgré l’intervention de marchands se rendant aux halles et qui passaient à ce moment-là, le représentant de l’ordre fut atteint à trois reprises par l’arme blanche : deux coups à la cuisse droite et un coup au-dessus du genou gauche. Blessures non-mortelles, heureusement.

Le commissaire de police affairé dans son bureau au premier étage de l’immeuble, alerté par les cris,  dévala l’escalier et prit livraison de l’homme qui se démenait encore, cherchant à se libérer de l’emprise de ceux qui étaient venus à la rescousse de l’agent Arnoult, en jetant des  coups de pieds en tous sens et hurlant de rage.
Direction la cellule de dégrisement.
Après un temps à l’isolement, le Commissaire de police, procéda à un interrogatoire du violent personnage.
Qui était-il ?

Monsieur Bureau, le commissaire, n’apprit que peu de chose, car l’homme dessaoulé, ayant repris ses esprits, surpris de ce qui lui était reproché, affirma ne se souvenir absolument de rien.
La première question  avait porté sur son identité.
Théophile Léon Alexandre[4], mais on l’appelait Léon. Il demeurait au numéro 43 de la rue du Bagnolet. Il avait vu le jour à Sept-Fonds, le 16 novembre 1879.
« Sept-Fonds ? s’enquit le commissaire.
-          Oui, dans le Tarn-et-Garonne, répondit Léon Alexandre.
-          Vous dites vous appeler Alexandre et avoir un frère au bagne avec Manda ?
-          C’est que.......
-          Que quoi ?
-          Je n’ai ni frère, ni sœur. Mon père est décédé lorsque j’étais tout jeune, m’a mère m’a élevé seule.
-          Alors, pourquoi cette fable de vouloir venger Manda ? Vous connaissiez Manda ? C’était un de vos proches ? s’étonna le commissaire.
-          Non, j’ai jamais eu de contact avec lui. J’ai dit ça ?
-          Oui, vous l’avez dit. Alors ? Pourquoi ?
-          Si je l’ savais ! s’exclama Léon Alexandre. J’ me souviens de rien. J’ devais en tenir une bonne. J’ me souviens de rien ! A moins que......
-          A moins que quoi ? reprit, interrogatif, le sieur Bureau.
-          C’est que j’ suis imprimeur-relieur et que j’imprime certains faits divers, alors ce sont p’t-êt’ tous les articles qui m’ sont montés au cerveau, avec l’alcool !
-          Admettons ! lança le commissaire.
-          J’ me souviens de rien ! répéta plusieurs fois le sieur Alexandre, en dodelinant de la tête.

Facile cette stratégie de défense !

Le pistolet dont le dit Alexandre s’était servi était chargé de six cartouches. Une seule restait dans le barillet. Quant au poignard, il possédait une lame très affilée de dix centimètres.

Emprisonné, Théophile Léon Alexandre, comparut devant la Cour d’Assises de la Seine, le 30 avril 1903.
Lors du procès plusieurs personnes présentes lors des faits furent appelées à témoigner, comme  madame Angèle, la patronne du cabaret à l’enseigne de « La Belle de Nuit », monsieur Leroux, sommelier et une demoiselle Kuehm.
Casque d’Or, témoin principal, convoquée elle aussi, n’avait pas répondu à la lettre de convocation du magistrat. Les témoignages aux procès, c’en était fini pour elle, elle avait assez donné !

Théophile Léon Alexandre fut condamné à dix-huit mois de prison et seize francs d’amende, pour « violences et voies de fait à agent ».

...................A suivre ....................





[1] Faits découverts dans un article du « Petit Parisien », en date du 20 janvier 1903.
[2]  Au 9 rue de la Pirouette, ce cabaret était fréquenté à cette époque par beaucoup de malfrats.
[3] Charles Arnoult, après avoir reçu les premiers soins sur place, fut reconduit à son domicile rue Victor Hugo.  Quelques temps plus tard, pour acte de courage en service, il reçut la « médaille d’honneur ».
[4] Dispensé du service militaire obligatoire, en tant que « fils unique de veuve », Théophile Léon Alexandre fut condamné plusieurs fois à des amendes et peines de prison pour : « Port d’arme prohibé – violences et voies de fait à agents – outrages et violences à agents. Appelé le 4 août 1914, il fut blessé deux fois au cours de la Grande Guerre, par des éclats d’obus. Il fut cité à l’ordre de son régiment pour faits de bravoure, en juin 1915 et reçut la « Croix de Guerre ».

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