Le
soir venu, Tante Adélaïde, la mère de Jeanne et Jeanne se retrouvèrent dans la
cuisine. Le silence était pesant.
« Laisse
Caroline, dit tante Adélaïde en voyant la mère de Jeanne s’apprêter à
desservir. Je vais faire la vaisselle.
-
Mais non, voyons, ce n’est pas à toi de
la faire !
-
Oui ! répondit la vieille dame.
Cela m’occupera. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais me faire servir. C’est
déjà bien gentil à toi de venir me soutenir, le temps des formalités.
Jeanne,
elle, examinait la cuisine avec une certaine curiosité.
Comment
pouvait-on vivre ici ?
Les
murs sombres auraient eu besoin d’un bon rafraîchissement. Le mobilier,
parlons-en, une vieille cuisinière, un évier en grès qui avait fait son temps,
une table recouverte d’une toile curée aux motifs décolorés par les nombreux lavages,
un buffet en bois de chêne tellement foncé qu’il faisait au fond de la pièce,
éclairée seulement par une petite fenêtre, une masse noire inquiétante. Les
chaises en paille, tellement dépaillées, avaient eu leur assise recouverte d’un
coussin, pour masquer l’usure et durer encore un peu.
Le
seul luxe moderne était une machine à laver. Mais là encore, le design de
l’appareil montrait que cela faisait une éternité qu’il se trouvait là. Comment
pouvait-il encore fonctionner ? Mystère !
Sombre
et vieillot, l’intérieur de cette maison, mais propre. Pas un grain de
poussière. Et, ça sentait l’encaustique !
Rien
à voir avec les parfums d’ambiance, plus ou moins synthétiques, achetés dans
les supermarchés, et embaumant, parfois entêtant d’ailleurs, les demeures
modernes.
« Bon,
je vais aller me coucher ! déclara Tante Adélaïde, après avoir essayé et
rangé les derniers couverts.
-
Bonne nuit, tantine ! répondit Caroline.
-
Bonne nuit ! lança Jeanne, d’un ton
morne.
Seules
à présent, la mère et la fille jetèrent un regard sur l’horloge comtoise qui
égrainait, imperturbable, depuis une éternité, le temps qui passe, en le
ponctuant de tintements et sonneries. Vingt heures trente !
« Elle
se couche comme ses poules ! s’exclama Jeanne.
-
Elle est âgée et il lui faut du sommeil.
-
Et on fait quoi, maintenant ?
-
Tu veux que l’on sorte les jeux de
société. Il y en a dans le buffet.
-
Des jeux de société ? De quelle
société ? Celle de la préhistoire ?
-
Ne sois pas désagréable, s’il-te-plait.
-
Non, mais c’est vrai, ça. T’as vu
l’ambiance ? C’est relou, non ? Et maintenant, des jeux de société de
vieux ! T’as rien de mieux à proposer ?
-
Ecoute, Jeanne, dit Caroline en haussant
le ton et regardant sa fille, droit dans les yeux, tu ne vas pas nous pourrir
la vie avec tes réflexions et ta tête à l’envers. C’était le moins que je
pouvais faire après le décès de l’oncle Ernest. Nous sommes ici pour une
quinzaine de jours et après tu retrouveras tes habitudes, puisque,
« Mademoiselle », ne cherche pas à trouver le bon côté de la
situation.
-
Ah ! Parce qu’il y a des bons
côtés ! Je peux savoir lesquels, ça m’intéresse ? Et puis, tiens, je
vais me coucher puisqu’il n’y a rien d’autre à faire !
-
C’est ça, va te coucher, ma fille, en
espérant qu’après une bonne nuit de sommeil, tu seras dans de meilleures dispositions !
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