Le
17 mars 1830, au matin, sur la place de l’Hôtel de Ville de Besançon, tous les
jeunes hommes du canton était réunis pour la conscription.
Jour
décisif où certains destins se verraient scellés, à jamais.
La
France avait besoin d’un nombre d’hommes, calculé à l’avance, et dans chaque
canton, c’était au hasard que revenait le soin de désigner ceux qui serviraient
la patrie.
Egalité
des chances ? Pas réellement en vérité !
Il
y avait autant d’animation que les jours de foire, les jeunes hommes étant,
parfois, accompagnés d’un membre de leur famille ou de leur promise, accrochée
à leur bras.
Les
visages reflétaient les ressentis intérieurs.
Les
plus joyeux, ceux qui souhaitaient l’aventure, ou ceux qui, n’ayant plus leur
place au foyer paternel étant le
benjamin de la famille, désiraient se trouver une autre voie. A ces
derniers, l’armée pouvait offrir une ouverture vers un avenir possible.
Les
anxieux, ceux qui savaient que leur enrôlement mettrait la famille en grandes
difficultés. Il fallait des bras dans les fermes, et deux en moins, pendant une
période de deux à trois années, c’était assurèrent la ruine. Il faudrait
embaucher une aide. Et à quel prix !
Le
niveau social de cette gente masculine était visible au premier regard, même si
ce jour-là, les plus pauvres avaient revêtu leur plus bel habit, celui des
fêtes et des cérémonies.
Pas
besoin de vous dire que cette réunion annuelle engendrait un trafic bien réglé
par des individus très habiles qui,
profitant du désarroi provoquait par la déconvenue du mauvais sort,
proposaient, après le tirage des numéros, des solutions, moyennant finances,
bien évidemment.
Très
physionomistes, ces escrocs (il faut bien appeler un chat, un chat) attendaient
leur heure et tel un félin approchant sournoisement leur proie, engageaient,
ici et là, la conversation sur des sujets autres que l’objet de la réunion,
pour faire connaissance, mettre en confiance.
Le
premier sujet, le temps :
« Fait
beau, aujourd’hui, pas vrai ? »
Puis,
l’assistance, très nombreuse :
« Y
a grand mondé aujourd’hui ?
Ou
encore, sur un tout autre sujet, tel :
« C’est
quand la prochaine foire aux bestiaux ? »
Ne
voyez, dans le dernier sujet de conversation, aucune connotation avec le rassemblement
de la conscription dont il est question.
Dans
l’assemblée, il se trouvait aussi de jeunes hommes au visage aimable et à la
tournure avantageuse qui arboraient des sourires édentés. Pas de dents sur le
devant des mâchoires étaient l’assurance de ne pas être déclarés « Bon
pour le service ».
Alors,
il y en avait qui n’hésitait pas à se casser les incisives.
Les
seules garanties d’être réformés, sans appel possible, résidaient dans la
taille. Hommes mesurant en dessous d’un mètre cinquante. Le poids aussi, hommes
trop maigrichons..... Même avec des dents !
Tous
avaient reçu une convocation.
Tous
devaient répondre à l’appel de leur nom.
Tous
devaient plonger leur main dans une urne pour en retirer un papier, plié en
quatre, annoté d’un numéro.
Le
numéro indiqué avait une valeur de « BON » ou « MAUVAIS ».
« BON »,
si il était au-dessus du besoin en hommes, « MAUVAIS », s’il se
situait en deçà.
Une
loterie en quelque sorte qui dégageait des obligatoires militaires, mais qui
n’empêchait, nullement, d’être dispensé de l’appel sous les drapeaux en cas de
guerre.
Tout
se déroulait dans le plus grand silence. Jusqu’au moment où .......
« Jean-François
Goy ! »
A
l’appel de ce nom, une jeune fille, mince
et blonde, au joli petit minois, à la démarche chaloupée, se présenta avec
un sourire timide.
Elle
dit être Jeanne-Françoise Goy, née en 1809 et non Jean-François. Il y avait eu,
sans aucun doute, un problème au moment de l’enregistrement de son nom et de
son sexe.
Elle
était une fille et non un garçon.
« Je
suis venue pour vous prévenir que je n’avais rien à faire ici ! »
Le
président de l’assemblée était perplexe. Dans toute sa carrière il n’avait
jamais eu à faire face à une pareille situation.
Jeanne
Françoise Goy, se mordillant la lèvre inférieure, attendait, inquiète, la
réponse.
Celle-ci
ne tarda pas à venir, car, après mûres réflexions, le président de l’assemblée
convint que la loi était la loi, et que ce n’était pas à lui de prendre une
décision. Il était là pour le tirage au sort, non pour se pencher sur la
résolution d’éventuelles erreurs administratives.
Chacun
son boulot !
« Peu importe, il
faut tirer votre billet. Le conseil de révision prononcera, ensuite, votre
réforme, s’il y a lieu. C’est à lui de juger la capacité des jeunes
soldats. »
Mademoiselle
Jean-François Goy plongea alors sa main dans l’urne et le billet qu’elle retira
portant le numéro 25, fit d’elle un nouveau conscrit.
Quel
triomphe !!!
Tous
ses camarades poussèrent des « Hourras ! », se ruèrent sur elle,
la coiffèrent d’un chapeau avec fleurs et rubans et la portèrent en triomphe à
travers la ville.
Jamais
journée de conscription n’avait été aussi joyeuse......
Pendant
que la horde parcourait bon-enfant les
rues de Besançon, s’organisait sur la
place de l’Hôtel de ville une autre pantomime, celle de ces scélérats qui
pouvaient délivrer de la contrainte militaire ceux qui souhaitaient en être
dispensés.
Ils
connaissaient quelqu’un qui avait un ami, qui lui-même était parent d’un homme
haut placé....... Ils mettaient en confiance les plus réticents, en déclarant
vouloir aider par bonté d’âme....... Ils ne parlaient jamais argent avant
d’avoir bien accroché.....
Il
y en a, depuis la nuit des temps, qui se sont toujours nourris du malheur des
autres !
Mais
cela est une autre histoire.
Ecoutons
plutôt les cris de joie et les chants de cette classe 1829 qui, grâce à une
erreur, quittèrent leur famille avec le sourire.
Je
suppose que Mademoiselle Jean-François Goy a été réformée par le conseil de
révision.
Une
petite question toutefois, si vous permettez ....
Comment
a-t-elle prouvée qu’elle n’était pas un garçon qui cherchait tout simplement à
être réformé ?
J’ai écrit ce
texte,
suite à la
lecture d’un article paru
dans le
« Journal de Rouen »
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