mercredi 8 novembre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - Immonde !



Où les méchantes gens vont-ils chercher de telles idées pour nuire aux autres ?
Incroyable !


Cela faisait bientôt dix-huit mois que Marie Magdeleine Couturier vivait son veuvage. Son mari, Pierre Romain Lefranc, s’en était allé, un après-midi d’hiver, d’une mauvaise toux, d’une mauvaise fièvre. C’était le 7 février 1822.
Ainsi va la vie !......
A cinquante-sept ans, Marie Magdeleine Couturier s’était retrouvée seule, et il lui fallait bien poursuivre le chemin.
Il fallait bien faire l’ouvrage, aussi. Oh, elle ne se plaignait pas, non, elle n’en avait pas le droit. Elle avait un toit.
Enfin, il faut bien supporter ses petites misères. Pas vrai ?
La plupart de ses petites misères, d’ailleurs, lui venaient de sa belle-sœur, la Marie Anne, la femme au Jean Thomas Lefranc, le frère de son défunt.
Le Jean Thomas rendait quelques menus  services à sa belle-sœur. Il lui donnait la main comme on dit. Ce qui n’était pas du goût de l’épouse.
Quand je dis « misères », ce seraient plutôt des « tracasseries ».
Une remarque par-ci, une autre par-là. Un déversement de fumier dans le jardin. Des taches intentionnelles sur le linge séchant sur la haie..... Enfin, ce genre de désagréments.
Elle se plaisait, également, la Marie Anne, à dire haut et fort à qui voulait l’entendre :
« C’est point parce qu’elle a plus d’ mari, cette garce, qu’il faut qu’elle prenne c’lui des autres ! »

Dans la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il y avait plusieurs fours appartenant à des propriétaires et que ceux-ci prêtaient ou louaient aux proches voisins. Les deux belles-sœurs utilisaient le même four, celui appartenant à la famille Chedeville dont le vieux Carbonnelle, le fermier des Chedeville, possédait la clef.
Ce matin-là, 16 juillet 1823, Marie Madeleine Couturier avait demandé la clef, afin de faire cuire de la viande.

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« Qu’est-ce que c’est que cette odeur ! Quelqu’un est tombé dans le purin ? »
La voix du maire tonna dans la maison commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Devant lui, venait d’apparaître la veuve Lefranc, portant un pot de terre, qu’elle posa sur le bureau, sous le nez de l’élu.
Celui-ci se recula avec des haut-le-cœur et hurla :
« Voulez-vous bien enlever de sur mon bureau cette puanteur ! Ne savez-vous pas que vous devait respecter ce lieu ?
-           C’est point ma faute, M’sieur l’ maire ? C’est qu’ j’aurai ben aimé pas vous apporter ce pot !
-          Alors pourquoi l’avez-vous fait ? J’ai des choses bien plus importantes à gérer que le contenu d’un pot d’excréments !
-          Sauf vot’ respect, M’sieur l’ maire, c’est ben justement là l’problème ! Le pot d’excréments, comme vous dites, bah, c’est mon fricot !

Interloqué, le maire mit un moment à répondre ? Son premier reflexe aurait été de répliquer :
« Comment pouvez-vous manger une cuisine pareille ? »
Mais, il se ravisa pour simplement dire :
« Votre diner ?
-          Eh oui ! Du moins ce qu’ il est dev’nu, mon fricot après  l’avoir déposé dans l’four hier, afin qu’ i’ cuise !

Puis, basculant légèrement le pot vers le maire, elle précisa :
« Tenez ! R’gardez ! »

Le maire n’avait pas envie de regarder. Mais pouvait-il faire autrement ? Aussi, précautionneusement, retenant sa respiration, il jeta un regard avec une mine dégoutée sur le contenu du récipient.
« Oh ! Mais, c’est quoi ça ?
-          D’ la viande ! répondit la  veuve. Ça s’ voit pas ?
-          Mais, dans quoi baigne-t-elle, cette viande ?
-          Bah voyons ! J’ pense qu’ c’est un mélange de bouse et de crottin.
-          Mais, qui a fait cela ?
-          Oh ! moi, j’ai ben mon idée !
-          Ah ! et quelle est-elle ?
-          Ma belle-sœur, pardi ! La femme au Jean Thomas, l’ frère d’ mon défunt !
-          C’est grave d’accuser sans preuve. Comment pouvez-vous l’affirmer ?
-          Parce qu’elle avait la clef du four et qu’elle est v’nue après moi.
-          Le fait de détenir la clef du lieu ne fait pas d’elle la coupable ? Pourquoi aurait-elle fait ça ?
-          C’est qu’elle est jalouse ! Comme ci qu’ j’allais lui prendre son homme !
-          Ce n’était pas le cas ? Se hasarda le maire qui souhaitait tout de même faire le jour sur cette affaire scatophile.
-          Oh que non ! Elle peut l’garder son homme. I’ m’aide pour les durs travaux, ren d’ plus !

Le maire hocha la tête, il était bien connu, dans la commune, que la Marie Anne Bourdon, femme Lefranc, se plaisait à médire sur sa belle-sœur et à lui jouer des tours à sa façon. Mais, ne disait-on pas, aussi, que les coups étaient bien souvent rendus.
Histoire de famille, comme il y en avait tant !

Marie Magdeleine Couturier, veuve Lefranc déposa une plainte que le maire transcrit sur le registre de police. Après cette formalité, il fut bien heureux de voir le pot s’éloigner de son bureau. Mais, à vrai dire, le fumet persistant de ce curieux ragoût flotta encore quelques jours dans la maison commune.

Monsieur le maire alla, sûrement, sermonner la Marie Anne qui dut nier être celle qui avait cuisiné la viande de sa belle-sœur, en y ajoutant des ingrédients nouveaux et peu employés.



Jean Thomas Lefranc décéda le 30 septembre 1827. Marie Anne Bourdon devint veuve, comme sa belle-sœur.

Cet état de veuves rapprocha-t-il les deux femmes ?



Dans un des registres des séances
du Conseil municipal de Saint-Aubin-d’Ecrosville,

une plainte qui méritait de vous être conter !

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