Où
les méchantes gens vont-ils chercher de telles idées pour nuire aux
autres ?
Incroyable !
Cela
faisait bientôt dix-huit mois que Marie Magdeleine Couturier vivait son
veuvage. Son mari, Pierre Romain Lefranc, s’en était allé, un après-midi
d’hiver, d’une mauvaise toux, d’une mauvaise fièvre. C’était le 7 février 1822.
Ainsi
va la vie !......
A
cinquante-sept ans, Marie Magdeleine Couturier s’était retrouvée seule, et il
lui fallait bien poursuivre le chemin.
Il
fallait bien faire l’ouvrage, aussi. Oh, elle ne se plaignait pas, non, elle
n’en avait pas le droit. Elle avait un toit.
Enfin,
il faut bien supporter ses petites misères. Pas vrai ?
La
plupart de ses petites misères, d’ailleurs, lui venaient de sa belle-sœur, la
Marie Anne, la femme au Jean Thomas Lefranc, le frère de son défunt.
Le
Jean Thomas rendait quelques menus
services à sa belle-sœur. Il lui donnait la main comme on dit. Ce qui
n’était pas du goût de l’épouse.
Quand
je dis « misères », ce seraient plutôt des
« tracasseries ».
Une
remarque par-ci, une autre par-là. Un déversement de fumier dans le jardin. Des
taches intentionnelles sur le linge séchant sur la haie..... Enfin, ce genre de
désagréments.
Elle
se plaisait, également, la Marie Anne, à dire haut et fort à qui voulait
l’entendre :
« C’est
point parce qu’elle a plus d’ mari, cette garce, qu’il faut qu’elle prenne c’lui
des autres ! »
Dans
la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville, il y avait plusieurs fours appartenant
à des propriétaires et que ceux-ci prêtaient ou louaient aux proches voisins.
Les deux belles-sœurs utilisaient le même four, celui appartenant à la famille Chedeville
dont le vieux Carbonnelle, le fermier des Chedeville, possédait la clef.
Ce
matin-là, 16 juillet 1823, Marie Madeleine Couturier avait demandé la clef,
afin de faire cuire de la viande.
-=-=-=-=-=-=-=-
« Qu’est-ce
que c’est que cette odeur ! Quelqu’un est tombé dans le
purin ? »
La
voix du maire tonna dans la maison commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Devant
lui, venait d’apparaître la veuve Lefranc, portant un pot de terre, qu’elle
posa sur le bureau, sous le nez de l’élu.
Celui-ci
se recula avec des haut-le-cœur et hurla :
« Voulez-vous
bien enlever de sur mon bureau cette puanteur ! Ne savez-vous pas que vous
devait respecter ce lieu ?
-
C’est point ma faute, M’sieur l’ maire ?
C’est qu’ j’aurai ben aimé pas vous apporter ce pot !
-
Alors pourquoi l’avez-vous fait ?
J’ai des choses bien plus importantes à gérer que le contenu d’un pot
d’excréments !
-
Sauf vot’ respect, M’sieur l’ maire,
c’est ben justement là l’problème ! Le pot d’excréments, comme vous dites,
bah, c’est mon fricot !
Interloqué,
le maire mit un moment à répondre ? Son premier reflexe aurait été de répliquer :
« Comment
pouvez-vous manger une cuisine pareille ? »
Mais,
il se ravisa pour simplement dire :
« Votre
diner ?
-
Eh oui ! Du moins ce qu’ il est
dev’nu, mon fricot après l’avoir déposé
dans l’four hier, afin qu’ i’ cuise !
Puis,
basculant légèrement le pot vers le maire, elle précisa :
« Tenez !
R’gardez ! »
Le
maire n’avait pas envie de regarder. Mais pouvait-il faire autrement ?
Aussi, précautionneusement, retenant sa respiration, il jeta un regard avec une
mine dégoutée sur le contenu du récipient.
« Oh !
Mais, c’est quoi ça ?
-
D’ la viande ! répondit la veuve. Ça s’ voit pas ?
-
Mais, dans quoi baigne-t-elle, cette
viande ?
-
Bah voyons ! J’ pense qu’ c’est un
mélange de bouse et de crottin.
-
Mais, qui a fait cela ?
-
Oh ! moi, j’ai ben mon idée !
-
Ah ! et quelle est-elle ?
-
Ma belle-sœur, pardi ! La femme au
Jean Thomas, l’ frère d’ mon défunt !
-
C’est grave d’accuser sans preuve. Comment
pouvez-vous l’affirmer ?
-
Parce qu’elle avait la clef du four et
qu’elle est v’nue après moi.
-
Le fait de détenir la clef du lieu ne
fait pas d’elle la coupable ? Pourquoi aurait-elle fait ça ?
-
C’est qu’elle est jalouse ! Comme
ci qu’ j’allais lui prendre son homme !
-
Ce n’était pas le cas ? Se hasarda
le maire qui souhaitait tout de même faire le jour sur cette affaire scatophile.
-
Oh que non ! Elle peut l’garder son
homme. I’ m’aide pour les durs travaux, ren d’ plus !
Le
maire hocha la tête, il était bien connu, dans la commune, que la Marie Anne
Bourdon, femme Lefranc, se plaisait à médire sur sa belle-sœur et à lui jouer
des tours à sa façon. Mais, ne disait-on pas, aussi, que les coups étaient bien
souvent rendus.
Histoire
de famille, comme il y en avait tant !
Marie
Magdeleine Couturier, veuve Lefranc déposa une plainte que le maire transcrit
sur le registre de police. Après cette formalité, il fut bien heureux de voir
le pot s’éloigner de son bureau. Mais, à vrai dire, le fumet persistant de ce
curieux ragoût flotta encore quelques jours dans la maison commune.
Monsieur
le maire alla, sûrement, sermonner la Marie Anne qui dut nier être celle qui
avait cuisiné la viande de sa belle-sœur, en y ajoutant des ingrédients
nouveaux et peu employés.
Jean
Thomas Lefranc décéda le 30 septembre 1827. Marie Anne Bourdon devint veuve,
comme sa belle-sœur.
Cet
état de veuves rapprocha-t-il les deux femmes ?
Dans un des registres des séances
du Conseil municipal de
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
une plainte qui méritait de vous
être conter !
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