Elle
était déterminée, Clarisse, peu importaient les commérages des mauvaises gens
qui lorgnaient son tour de taille épaissi. Elle ne céderait pas ! Elle
élèverait son petit et attendrait son amoureux autant de temps qu’il faudrait.
Oui, il reviendrait son Félix. Il lui avait promis !
« Tous
des beaux parleurs, tu verras, ma fille ! lui avait dit Marie Victoire
Charpentier, sa mère avec une pointe d’ironie devant la naïveté de sa fille. J’
sais tout c’la, va ! C’est toujours la même rengaine ! Et j’ te
promets ! Et j’ te promets !......... et rien au bout du
compte ! Les gars, ça s’ défilent ! »
Certains
soirs, caressant son ventre, Clarisse finissait par douter. Il allait en
rencontrer d’autres, c’était certain. Oui, des plus jolies, des plus
intelligentes, des plus fortunées. Il allait l’oublier.... Si ce n’était pas
déjà fait ! Et elle, naïve et amoureuse, elle resterait, là, toute seule avec
son petiot.
Pourtant,
ce fut avec fierté, que Clarisse Cavelier[1]
alla, comme la loi l’imposait, déclarer, le 11 avril 1854, sa grossesse en
mairie, et nomma comme père du petit à venir : « Félix Dupré[2],
garçon bourrelier de Saint-Opportune-la-Campagne ».
Mais,
le temps qui passait et rien à l’horizon. Pas de Félix, en tout cas !
Lorsque
les premières douleurs prévinrent Clarisse que le moment était venu, elle fut
prise de panique. Non pas qu’elle craignait les douleurs de l’accouchement,
appelées « mal joli », mais de devoir affronter la vie, seule, avec
le petit être qui allait arriver. Elle savait que ses parents ne la
rejetteraient pas. S’ils avaient dû le faire, c’eut été au début de sa
grossesse.
Mais,
elle aurait préféré partager les premiers mois de la vie de son enfant avec
celui qu’elle aimait et espérait toujours.
«
C’est une fille, et elle a déjà du caractère ! s’écria la matrone en
soulevant le nouveau né qui braillait.
-
Une fille, pensa Clarisse qui aurait
préféré un garçon pour pouvoir lui donner le prénom de son père.
-
Et comment elle va s’appeler, cette
demoiselle ? se renseigna la matrone avec un large sourire en déposant le
nourrisson au creux du bras de sa maman.
-
Alphonsine Félicie.
En
ce 1er juin 1854, à huit heures du matin, soit une heure et demi
après sa naissance, Florentin Voiturier, le boulanger de Marbeuf qui avait
assisté à la naissance, alla présenter la petite Alphonsine Félicie afin que
son acte de naissance soit établi. Il était accompagné de Edouard Lefebvre,
l’instituteur de la commune et Joseph Moulinet, jardinier de son état, qui tous
deux témoignèrent que la mère de la petite était bien Clarisse Cavelier, et que
l’enfant était né de père inconnu.
La
petite Alphonsine Félicie grandit comme tous les enfants, entre ses
grands-parents maternels et entourée de ses cousins et cousines, et de sa maman,
blanchisseuse et repasseuse, qui ne manquait pas d’ouvrage et espérait
toujours, secrètement un certain retour .....
-=-=-=-=-=-=-
Félix Dupré pensait aussi à Clarisse
Cavelier. Mais un garçon, devenu homme, se devait de donner une partie de sa
jeunesse à la Patrie. Déclaré « Bon pour le service », il n’y avait
aucune dérogation possible sauf pour les plus fortunés, en payant un remplaçant.
Lorsque
Félix Dupré revint de l’armée, il finit par apprendre que celle qu’il avait
connue, courtisée, et plus encore, à l’automne 1853, avait eu un enfant.
« Rien
d’étonnant, pensa-t-il avec une petite pointe d’amertume. Elle a trouvé un
galant, et l’a épousé. Et pis, c’est ben d’ ma faute tout ça, j’ lui ai jamais
écrit. D’abord, j’sais point trop ces choses-là. »
Mais,
les commérages vont vite, vous le savez bien !
Félix
apprit que l’enfant était une fille.
Qu’importait,
d’ailleurs, à présent !
Et
que cette petite avait trois ans.
Calculant,
Félix, se sentit trahi. Elle n’avait pas attendu longtemps, la péronnelle, pour
se marier !
Que
cette petite s’appelait Alphonsine Félicie.
Félicie !
Pourquoi pas ! Simple coïncidence ! Clarisse devait aimer ce prénom.
Mais
surtout, que Clarisse Cavelier n’était pas mariée.
Pas
mariée ! Cette dernière information balaya toutes les précédentes.
Alors,
Félix Dupré se mit à compter sur ses doigts. Oui ! Jusqu’à neuf !
Serait-ce
possible que cette petite fille soit de lui ?
Il
en parla à sa mère, Rose Marguerite Duprey, qui avait déjà été mise au courant,
par la rumeur, bien évidemment.
« Et
si c’était, l’ mien ?
-
Va pas t’ mett’ ça en tête ! Tu
sais, les filles......
-
Pas elle !
-
Elle comme les autres. Faut pas s’ fier
aux filles, j’ peux te l’ dire ! Tu vas point t’embarrasser d’ ça !
Y’ a combien d’ chance qui soit d’un aut’, l’ gosse ? J’ va te l’ dire.
Des tas !
-
Elle est point comme ça. J’ veux
savoir !
-
Elle comm’ les autres ! J’ t’aurai
prévenu, mon gars !
-=-=-=-=-=-=-
Félix
Dupré fit le déplacement jusqu’à Marbeuf. Il voulait savoir.
Si
l’enfant était le sien, il était de son devoir de le reconnaitre, de l’élever
et d’épouser sa mère.
Dans
la cour de la masure du père Cavelier, jouait une petite fille. Une bien jolie
petite fille.
Félix,
caché derrière une haie, observait la gamine, cherchant une ressemblance
quelconque avec lui. Enfin, un petit quelque chose qui pourrait lui donner la certitude qu’il attendait, qu’il
espérait. Mais il était trop loin. Et puis, il était un homme, et les
petits ce n’était pas son affaire. Un enfant ressemblait à tous les enfants.
Enfin, il le croyait.
La
porte de la masure s’ouvrit et apparut Clarisse portant un panier de linge. A
cette apparition, bien qu’ayant un fort désir de se précipiter vers la jeune
femme, afin de la serrer dans ses bras, Félix recula. Il ne souhaitait pas être
surpris à espionner de la sorte.
Clarisse
s’approcha de sa fille, se pencha sur elle et déposa un baiser sur ses cheveux,
avant de s’éloigner avec un geste de la main. Félix regardait la scène, le cœur
battant et débordant d’amour, mais il se ressaisit et s’éloigna à grands pas.
Félix
avait besoin de faire le point. Ses sentiments n’avaient pas changé. Il en
était certain à présent. En revanche,
quels étaient ceux de Clarisse envers lui ?
Sa
fuite ne lui apporterait pas de réponse. Si il voulait savoir ce qu’il en
était, il se devait d’affronter la vérité, quelle qu’elle soit. Il revint alors
sur ses pas, se demandant comment aborder la jeune femme.
Que
lui dire, après toute cette longue absence ?
Qu’il
s’était souvenu d’elle, comme cela, en se levant ce matin, et qu’il était venu
prendre de ses nouvelles ?
Non !
Il fallait qu’il dise la vérité.
Et
cette vérité, c’était qu’il n’avait jamais cessé de penser à elle et que libéré
après des mois sous les drapeaux, il avait appris.......
Il
n’eut pas besoin de phrases, non, car tout à ses pensées, il se sentit observé.
Levant les yeux, à quelques mètres de lui, il la vit, elle, immobile, incrédule,
les yeux écarquillés. Leurs regards se croisèrent.
Clarice
lâcha alors le panier qu’elle portait et se précipita vers Félix qui ouvrit les
bras pour la recevoir. A ce moment, tous les doutes, toutes les suspicions
s’envolèrent.
-=-=-=-=-=-=-
En
ce 30 octobre 1858, le maire de Marbeuf unit en mariage Félix Dupré,
bourrelier, âgé de vingt-six ans et Clarice Cavelier, blanchisseuse, vingt-six
ans également. Présente au mariage de ses parents, Félicie fut reconnue par ceux-ci.
Elle perdit le nom de Cavelier pour prendre celui de Dupré. Mais peu lui
importait !
Lorsque
le nouveau couple sortit le l’église, les cloches n’avaient jamais sonné aussi
joyeusement. Clarice, au bras de son époux redressait la tête, fièrement. Elle
pensait aux réflexions désobligeantes qu’elle avait entendues pendant les
quatre années passées.
Cette
union, la faisant maintenant, Clarice Cavelier, femme Dupré, clouait le bec à
bien des commères. Bien fait !
Mais
en ce jour tant attendu, Clarice oublia vite toutes les humiliations subies.
Devant elle, s’ouvrait une nouvelle vie et elle voulait en profiter pleinement.
Malgré
cette fin heureuse, et peut-être justement en raison de celle-ci, on chuchota
encore des méchancetés. C’est ainsi, le bonheur des autres attise toujours des
jalousies !
Toutefois,
certains pensaient en regardant les jeunes mariés :
« Un
brave et honnête garçon, ce Félix ! »
Oui,
un brave garçon...... A moins que ne ce soit ça, l’amour.
Mais,
« chut ! », les gens honnêtes ne parlent pas de ces
choses-là !
J’ai trouvé dans
les registres de Marbeuf,
la déclaration
de grossesse de Clarisse.
Puis, dans les
actes d’Etat Civil,
le mariage de
cette jeune femme, avec,
justement, celui
qu’elle avait désigné comme
le père de
l’enfant à venir.
Et ce jour-là, ils reconnurent l’un et l’autre
leur petite Félicie.
J’ai donc
reconstruit leur histoire,
Avec l’envie
d’être un peu « fleur bleue », pour une fois !
Vous avez peut-être loupé une carrière de généalogiste....
RépondreSupprimerIl est toujours tant ;)
c'est amusant de se faufiler dans la vie des autres !
RépondreSupprimerMais là a en faire un job ?????