LE SECRET DE PAQUES
Ce fut par un bel après-midi de
printemps que je vis le jour après avoir brisé la coquille devenue trop exiguë
pour me contenir.
Je fus ébloui par un soleil
radieux, aussi, je mis un certain temps avant de voir nettement mon
environnement. Le monde me sembla bien vaste tout à coup et après mettre étiré
plusieurs fois avec délectation, je décidai de partir à l’aventure.
Je me dirigeai vers la basse-cour
où plusieurs mamans-poules semblaient fort actives.
Ma maman-à-moi devait s’y
trouver.
Tout le poulailler était en ébullition.
Chaque maman-poule préparait son nid avec application.
En me voyant, l’une d’elle
m’interpella :
« Que fais-tu là, toi ?
Tu ne vois pas que nous sommes occupées ? Va avec les autres poussins
là-bas ! »
En disant cela, elle désigna de
son aile un endroit où s’ébrouaient, autour d’une écuelle pleine d’eau, une
horde de poussins semblables à moi, en poussant des piaillements aigus.
Je me dirigeai donc vers le lieu
sans grand enthousiasme, en me posant la question :
« Pourquoi autant
d’effervescence ? »
Noyé dans la masse jaune-poussin,
personne ne sembla s’apercevoir de ma présence. Pensez donc, un poussin parmi
les poussins, pas de quoi fouetter un chat !
Ce fut après un petit moment que
j’entendis :
« Tiens, un nouveau ! »
Tous les regards se tournèrent
vers moi, tous les becs restèrent ouverts de surprise.
Et puis, plus rien, chacun
reprenant ses jeux où il les avait interrompus : recherches de petits
grains, bonds frileux dans le récipient d’eau, batailles et chamailleries.
Derrière moi, l’atmosphère était
au stress et l’agitation de plus en plus visible.
Je me suis mis à pépier, car je
me sentais seul. J’aurais aimé voir ma maman.
Un autre poussin de couleur
noire, ce qui me parut bizarre sur le moment, s’approcha de moi.
« Pourquoi pleures-tu ?
me dit-il avec compassion.
- Je
veux ma maman, ai-je pleurniché.
- Eh
bien, répondit-il sans espoir de me consoler, tu ne la verras pas de si tôt. Si
nous sommes regroupés dans la poussinière c’est qu’aucune maman n’aura de temps
à nous consacrer avant quelques jours.
- Ah !
fis-je, étonné, et pourquoi ?
- Elles
doivent pondre.
Cette dernière réplique me parut
bizarre, car instinctivement je savais que les mamans-poules avaient comme
tâche principale de pondre, alors qu’est-ce qu’il y avait d’étonnant à cela, et
pourquoi cette fonction prenait-elle, aujourd’hui, une dimension hors norme ?
Je regardai mon compagnon avec
attention. Il était le seul poussin noir de la poussinière et semblait plus
petit que les autres. Malgré tout, cela ne semblait pas le gêner. Différent, il
l’était par la couleur et cela lui donnait une personnalité particulière. Je me
mis à l’admirer et je fis tout pour devenir son ami.
S’apercevant que je l’observai,
il me fit un clin d’œil.
« Tu n’as pas faim ? me
demanda-t-il.
- Un
peu, lui répondis-je, mais je ne sais pas quoi manger. Je voudrais ma maman,
elle pourrait m’aider.
- T’as
la tête dure, toi ! répliqua aussitôt Poussin-Noir – en effet, j’avais
décidé de l’appeler ainsi, sans le lui dire, bien sûr - je viens de te dire que
ta mère, elle n’est pas disponible, alors tu ferais mieux de te débrouiller
tout seul. Regarde-moi ! »
Et Poussin-Noir gratta le sol de
sa patte. Cette opération laissa apparaître de petites graines qu’il picora.
« Tu vois, conclut-il, ce
n’est pas compliqué. »
Je me mis donc, sans entrain, à
la tâche. Je grattai le sol mollement, ce qui, dans un premier temps, ne donna aucun
résultat.
Poussin-Noir me regardait en
opinant du bec, constatant ma mauvaise volonté. Ne souhaitant pas le voir se
détourner de moi, je pris le parti de faire des efforts et je grattai, grattai,
grattai jusqu’à voir quelques petites graines.
« Eh bien, voilà ! Tu
as enfin compris. Maintenant prends un grain dans ton bec et avale ! »
Je fis donc ce qu’il me
conseilla, mais ce ne fut pas très agréable, et le plus difficile fut au moment
d’avaler. Oh la la, pas évident !!
Satisfait visiblement de son
élève, Poussin-Noir se remit à fouiller le sol.
Fatigués après tant d’efforts,
nous nous blottîmes les uns contre les autres et nous endormîmes.
La poussinière plongea alors dans
un profond silence.
Du côté du poulailler, ce n’était
pas la même chose, pas le temps de sommeiller !
Un « cocorico »
tonitruant réveilla toute la petite troupe qui reprit très vite son activité de
grattage, becquetage, picotage.
Entre deux grattages, sans
résultat, je me rendis compte très vite que les grattages n’étaient pas
toujours lucratifs, je hasardai une question à haute voix.
« Pourquoi les mamans
sont-elles occupées ? »
Plus un bruit, tous les poussins
avaient relevé la tête, médusés, les yeux exorbités.
Je me sentis honteux, tout à
coup, avec une forte impression d’avoir dit une ânerie, ce qui était un comble
pour un poussin.
Je n’osai plus bouger, cloué au
sol, le coeur battant.
« Il sort d’où celui-là,
lança un de mes congénères.
- Il
est né d’hier, lança Poussin-Noir, c’est normal !
- Ah,
il est né d’hier, alors c’est normal ! », lancèrent les autres en chœur, mais aucun ne
répondit à la question posée et je restai là, aussi ignorant aujourd’hui
qu’hier.
Je me résignai donc à rester
ignorant, quand Poussin-Noir prit la parole.
« C’est bientôt Pâques,
voilà pourquoi il y a tant de travail du côté du poulailler.
- Pâques ?
ai-je demandé.
- Pâques,
rétorqua un autre poussin, est la période la plus active pour les mamans. Elles
doivent pondre le plus d’œufs possibles et il s’est instauré entre elles un
concours à celle qui aura eu la meilleure production. Plus question de faire
des poussins pendant cette période, uniquement des oeufs que la fermière vient
ramasser tous les matins.
J’appris un peu plus tard que la
« fermière » était la personne au grand tablier qui venait, chaque
jour, jeter sur le sol les petites graines que nous picorions, en criant d’une
voix stridente :
« Piou ! Piou ! ….
Poulettes ! Poulettes ! …. Petits ! Petits !
Petits ! »
« Voilà, tu sais tout,
reprit Poussin-Noir. Là-bas, c’est une vraie usine-à-œufs et tu ne verras ta
maman qu’après le jour de Pâques. »
Il ne me restait plus qu’à
attendre « Pâques ». Ne voulant pas paraître idiot, je n’ai pas osé
demander quand était « Pâques », je verrai bien plus tard.
Quand le jour de Pâques arriva,
je le sus en effet, car toutes les cloches de l’église du village se mirent à
carillonner. Quel tintamarre !
Cela résonnait de partout et mon
cœur se mit à battre très fort.
Ce que je n’ai pas tout à fait
compris, mais je le découvrirai bien un jour, c’est pourquoi, ce jour-là, les
œufs ramassaient n’étaient pas tout à fait comme les autres, ceux pondus par
nos mamans………
Ils étaient en chocolat !
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