Le
pire fut évité !
La
toiture s’affaissa dans un bruit de tonnerre, éclaboussant alentour des gerbes
de flammèches qui brillèrent dans la nuit noire et glaciale de cette
mi-janvier.
Il
n’y avait plus rien à faire à présent, que d’arroser copieusement les braises
afin d’éviter que l’incendie ne se propage aux bâtiments tout proches.
Une
chance que Pierre Jacques Coui et Nicolas Lambert passaient par la ruelle,
celle dite à la Drouanes, et aperçurent des lueurs suspectes accompagnées d’une
odeur qui ne trompait pas.
Ils
stoppèrent aussitôt leur marche.
« C’est
y qui y a l’ feu, par là ! s’exclama Pierre Jacques.
-
Faut prévenir les habitants, répliqua
Nicolas en se précipitant vers le bâtiment dont la toiture auréolée de fumée
commençait à s’enflammer.
Criant
et tambourinant sur la porte, celle-ci s’ouvrit sur deux hommes en chemise qui,
réveillés dans leur sommeil, ne réalisaient pas encore le danger qu’ils
encouraient.
La
mare, non loin, fournit l’eau que les quatre hommes charriaient à l’aide de
seaux.
Alertée
par le remue-ménage, Marie Elisabeth Dequatremare sortit du logement. En
chemise, elle aussi, elle avait juste
pris le temps de jeter sur ses épaules un châle dans lequel elle s’enveloppait.
Apercevant
son four dévoré par les flammes, elle s’écria en se signant :
« Sainte-Vierge,
protégez-nous ! »
Les
quatre hommes et vinrent rapidement à bout du sinistre. Mais, il ne restait
rien du petit bâtiment.
-=-=-=-=-=-=-=-
Pour
se remettre de leurs émotions, les hommes rentrèrent dans la demeure de la
vieille Marie Elisabeth Dequatremare qui, les ayant précédés, avait déjà sorti des
verres et une bouteille de goutte.
« Ça
va aller, la mère ! dit Jean-Jacques. Avec l’Auguste, on va déblayer et
tout reconstruire.
-
Oui, j’ vous remercie, les gars. Mais,
j’ me d’mande comment l’ feu il a ben pu prendre. C’est y qu’on l’aurait
mis ?
-=-=-=-=-=-=-=-
Le
jour pointait lorsque le maire d’Ecquetot, prévenu du sinistre, arriva sur les
lieux. Il y trouva déjà afférés au déblayage des décombres, les deux gendres de
Marie Elisabeth Dequatremare, Jean Jacques Declan et Auguste Heudebert Duval,
ceux qui, en chemise précédemment, avaient pris le temps de se vêtir décemment.
Après
les salutations d’usage, la conversation en vint aussitôt sur ce qui venait de
se produire.
Une
chance, c’était que le local où se trouvait le four n’était pas accolé au mur
de l’habitation, mais à celui qui bordait la ruelle.
Puis,
la question cruciale fut prononcée par le maire.
« Comment
le feu a-t-il pris ?
-
Ça j’ sais point, déclara Jean Jacques
Declan.
-
Les cendres avaient été couvertes avant
d’ dormir ! ajouta Auguste Duval.
-
Pas de chandelles allumées ?
s’enquit le maire.
-
Pour sûr, non ! s’exclama Auguste
Duval.
-
Vous dormiez ? questionna encore le
maire.
-
Ça oui, et bien en plus ! répliqua
Jean Jacques comme à regret d’avoir été interrompu de cette façon dans son
sommeil.
Auguste
expliqua alors :
« D’puis
qu’elle est veuve, on vient aider régulièrement la mère et comme y a pas d’
place dans la maison, on dort sur une paillasse dans le local où y a l’ four.
Il y fait bon, en plus.
-
Avez-vous des voisins qui vous en
voudraient ? Est-ce que vous pensez que ce pourrait être un acte de
malveillance ?
Les
deux beaux-frères se regardèrent, visiblement cette question les étonnait.
Des
ennemis ?
C’était
impensable !
L’affaire
fut donc classée.
L’incendie ?
Un
accident dû à un défaut de ramonage, rien de plus.
-=-=-=-=-=-=-=-
Marie
Elisabeth Dequatremare, en ce jour funeste du 15 janvier 1836 où son four était
parti en fumée, était veuve depuis peu. En effet, son époux, Jean Louis Darcy,
était décédé le seize mai de l’année précédente, à l’âge de 71 ans. Depuis
lors, ses deux gendres Jean Jacques Declan et Auguste Heudebert, maris
respectifs de ses deux filles Marie Esther et Hilaire Elisabeth Chrétienne,
venaient régulièrement et passaient, parfois, la nuit à Ecquetot.
Marie
Elisabeth Dequatremare s’était unie en mariage à Jean Louis Darcy, le 16
thermidor an six. De leurs quatre enfants, seules les deux petites filles
vécurent.
Hilaire
Elisabeth Chrétienne, née le 25 nivôse an dix.
Marie
Esther, née le 11 mai 1806.
Leurs
deux garçons étaient décédés en bas âge. C’était ainsi.
Mais
ne les avaient-ils pas retrouvés en leurs deux gendres ?
Après
ce malheureux incendie, ils avaient d’ailleurs décidé, étant donné l’âge avancé
de leur belle-mère, qu’elle ne pouvait rester seule.
Malgré
ses protestations, Marie Elisabeth Dequatremare, veuve Darcy, se plia à la
volonté de ses enfants.
Ce
fut ainsi qu’elle quitta sa maison et la commune d’Ecquetot.
Un petit fait
d’hiver,
recueilli dans
les registres de délibérations du
Conseil
Municipal d’Ecquetot, en date du 15 janvier 1836.
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