L’âne
Rustic - Saint-Aubin-d'Ecrosville
Tout
le monde connait, plus ou moins, l’âne Cadichon dont les mémoires nous ont été
rapportées par la Comtesse de Ségur ainsi que
l’âne-culotte, vivant avec son maître, un vieil homme, dans un mas isolé
de Provence et dont vous pouvez retrouver les aventures dans le roman d’Henri
Bosco......
Mais
qui connait l’âne Rustic ?
Personne ?
Et
pourtant, il eut son heure de gloire, comme me le rapporta Michel Kotelnikoff
qui a bien connu l’animal, qui tout comme le Petit Cheval de Jacques Prévert,
« allait par le mauvais temps, tous derrière et lui devant » !
-=-=-=-=-=-=-
Après
la Seconde Guerre Mondiale, l’heure était à la reconstruction. Chacun
retroussait ses manches pour effacer les stigmates des nombreux bombardements,
ceux visibles de la désolation de certaines villes, ceux invisibles de l’âme
marquée à jamais par des visions d’horreur et la perte d’êtres chers.
Mais,
comme je viens de le dire, on retroussait ses manches, car pour ceux qui
avaient déjà vécu la Première Guerre, La Grande, celle de 14, il n’y avait rien
d’autre à faire.
A
Quoi bon se plaindre !
Les
campagnes, l’été, se voyaient « envahies » de vacanciers, venant des
grandes villes, afin de profiter du bon air, loin de la pollution
(déjà !). Pour la plupart d’entre eux, le seul moyen de transport était le
chemin de fer, car l’achat d’une voiture-automobile n’était pas encore à la
portée de toutes les bourses et le « crédit à la consommation », si
il était possible, n’était utilisé que très rarement. On préférait économiser
et payer « comptant ».
Le
train !
Les
voyageurs, chargés de bagages, se ruaient dans les gares. Dans les wagons-voyageurs,
on cherchait une place assise, déposait
valises et paquets dans les filets au-dessus des banquettes. Lorsque les
compartiments étaient bondés, on restait debout dans le couloir.
Il
existait trois classes de voitures, de la plus confortable, la Première, à la
plus incommode, la troisième, au siège en bois. Ouille ! Dur, dur pour les
fesses !!
Les
plus anciens pourraient en dire sur la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest.
Parler
des grandes gares fourmillantes et grouillantes, des voies sillonnant la
campagne, des petites gares que les trains-omnibus desservaient, contrairement
aux trains-express qui passaient leur chemin.... de fer !
Raconter
les garde-barrières, attendant patiemment, le passage des trains, nuit et jour,
afin d’effectuer leur besogne sécuritaire, ainsi que les aiguilleurs manœuvrant
manuellement le levier, déviant les rails pour diriger les convois dans la
bonne direction.
Oui,
manuellement !........ A la force des bras !
Quelle
épopée ces voyages où il fallait, portant valises et sacs, effectuer divers
changements, trouver le bon quai, en un temps record.
Les
trains n’attendaient pas, sauf le coup de sifflet du chef de gare, pour
démarrer.
En
ce temps-là, ils étaient rarement en retard.
Pas
de panne d’électricité, et pour cause, tout au charbon que le
« chauffeur » balançait par pelletées dans le foyer de la machine à
vapeur.
Et
l’âne Rustic dans tout cela, allez-vous dire ?
J’y
viens, j’y viens......
Quand
les passagers avaient quitté le réseau principal, ils empruntaient le réseau
secondaire vers les villes et villages de moindre importance où ils
arriveraient, enfin, à destination. Ouf !!!
Ce
dernier trajet s’effectuait souvent dans une « micheline », de
couleur crème et rouge, et à l’avertisseur
sonore bien caractéristique : « Pin-pon-pin » !
Pourquoi
micheline et non pascaline ou albertine ?
Etait-ce
le nom de la petite amie du constructeur ?
Que
nenni !
Tout
simplement parce que ces autorails, apparus dans les années 1930 et d’une
construction légère, étaient équipés de pneus particuliers mis au point par la
société Michelin.
Revenons
à présent, sur le quai de la gare de destination, fourbus, éreintés, après être
descendus de cette « micheline ».
Un
nouveau problème se posait aux voyageurs qui n’étaient pas au bout de leurs
peines....
Comment
rejoindre leur villégiature, souvent dans un village voisin ?
A
pied ?
Certains
le faisaient. Mais avec les lourdes valises !
A
bicyclette ?
Pour
les coutumiers qui venaient avec ce moyen de transport jusqu’à la gare, il y
avait possibilité de le laisser dans un local et de le reprendre au retour.
Pour
ceux qui faisaient de longs séjours dans une région, il était possible,
aussi, de faire « envoyer »
son vélo par chemin de fer. Mais, ce n’était pas toujours le cas !
En
taxi ?
Très
peu dans les campagnes !
En
voiture-automobile ?
Si
les voyageurs étaient attendus et que leurs hôtes en possédaient une, oui, bien
évidemment. Mais, ce n’était que très rarement !
Alors ?
Vous
avez deviné ?
Oui !!!!
C’était
là qu’intervenait l’âne Rustic........
Quand
des voyageurs arrivaient à Quittebeuf et souhaitaient se rendre à
Saint-Aubin-d’Ecrosville ou dans une commune proche, Alexis Tardivel ne
rechignait pas à atteler son âne à la carriole dans laquelle prenaient place voyageurs
et bagages pour les ultimes kilomètres et ....... pas les moindres.
Oui,
pas les moindres, en effet, car le trajet prenait un temps infini, au gré du
bon vouloir de Rustic qui poète à ses heures humait l’air, flairait ici et là,
mâchouillait un brin d’herbe, puis un autre. Vous l’avez bien compris,
Rustic n’en faisait qu’à sa tête. Une
tête d’âne têtu qu’il ne fallait pas contrarier au risque de le voir stopper sa
marche et refuser catégoriquement de repartir.
Alors,
il fallait prendre son mal en patience. Mal de dos, ballotés dans
l’inconfortable carriole, sur une route défoncée par des nids de poules, ce qui
rendait encore plus pénible la fin de l’expédition.
Lorsqu’une
légère remarque fusait, prudemment pour ne pas vexer Alexis Tardivel, sur la
lenteur extrême de son bourricot, celui-ci répondait à l’impatient :
« Oh !
Il va ! Il va ! Et à force d’aller, il finit par arriver à bon
port. »
Oui,
mais quand !
Alors.....
laissons-le aller l’âne Rustic, à son rythme.... Au début des années 1950, on
laissait encore le temps au temps........
Merci à Michel Kotelnikoff de
m’avoir présenté ce « bourricot »,
qui le
transportait nonchalemment, très souvent de Quiittebeuf
à Saint-Aubin,
lorsqu’il y venait séjourner....
J’espère que mon
texte est proche de ses souvenirs.
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