Pas
facile, le métier de marchand de vin ! Pour appâter le client, il ne faut
pas ménager sa peine ! Et celle-ci ne consiste-t-elle pas en
dégustations ?
Il
faut donc accompagner le client potentiel en trinquant, une fois, deux fois… et
la rincette, jusqu’à la décision finale et l’accord de la commande.
Une
journée pouvait compter un client, deux clients, trois clients…..
Certains
jours, donc, l’équilibre du pauvre vendeur se trouvait bien compromis.
Pierre
François Hyppolite F était marchand de vin et il lui arrivait, fréquemment, de
rentrer au domicile conjugal, complètement pompette.
Mais,
car il y avait un mais, si certains avaient le « vin gai », ce
n’était pas du tout le cas de Pierre François Hyppolite qui, dans cet état,
cherchait noise à quiconque se trouvait sur son passage. De ce fait, plusieurs
plaintes avaient été déposées au commissariat de police de Pont-de-l’Arche,
ville dans laquelle résidait cet homme que l’on disait brave, uniquement
lorsqu’il était à jeun.
A
chacun de ses esclandres, son épouse, Marie Barbe Rose Anne L, prenait sa
défense.
« Il
est point méchant, mon homme, simplement qu’avec son métier, i’ peut point
fair’ autrement que d’ boire. Pis, un
homme sâs, ça n’a p’us d’ raisonnement ! »
Mais,
dans son for-intérieur, il était vrai que la pauvre épouse était fatiguée de
voir celui qu’elle avait épousé en mars 1807 pour « le meilleur et pour le
pire », se conduire de la sorte, même si il avait quelques circonstances
atténuantes. Ne pouvait-il pas boire un peu moins, tout de même ! Un jour,
elle s’était permis de lui en faire la remarque. Il l’avait mal pris.
« T’y
comprends ren, toi, au commerce ! Si j’ veux vendre, c’est comm’
ça ! s’était-il exclamé.
-
Mais, ne pourrais-tu pas boire moins,
tout d’ même, car en plus, tu t’ rends malade !
-
Tais-toi, j’ te dis ! C’est tout d’
même pas une femme qui va dire c’ que dois fair’ ! Non de d’là !
Alors,
Marie Barbe Rose Anne s’était tu. Que faire d’autre ?
Depuis
leur union, de nombreux enfants avaient vu le jour au foyer. 1808, 1809, 1810.
Un chaque année. Mais, un avait rendu son âme à Dieu, alors qu’il n’avait que
dix-sept mois.
En
ce mois de février 1811, la pauvre femme présentait, encore, un ventre rebondi,
la naissance étant prévue pour la mi-mai, alors que le dernier-né n’avait que
dix mois et que le précédent venait tout juste de faire ses premiers pas.
Ce
jour-là, donc, ayant réalisé une bonne vente, Pierre François Hyppolite F
rentra en début d’après-midi dans son foyer, dans un état indescriptible. Il
franchit la porte de son domicile, en se tenant à celle-ci, mais la traîtresse,
ouverte grandement, sous la brusque poussée du marchand de vin, projeta
celui-ci, déjà fort instable sur ses jambes, au milieu de la pièce où il
atterrit à plat ventre.
Maugréant
d’une voix pâteuse, il se releva avec peine et alla s’asseoir sur une des
chaises placées devant la table. Frappant celle-ci du plat de la main comme il
l’aurait fait à la taverne, il s’écria :
« Femme !
J’ai soif ! Apporte du vin ! »
N’ayant
aucune réponse, il scruta l’intérieur de la pièce et aperçut Marie Barbe Rose
Anne se relevant péniblement, le ventre en avant, de dessus le lit sur lequel
elle s’était allongée avec ses deux petits, afin de prendre un peu de repos.
La
colère s’empara de l’ivrogne qui se redressant d’un bond, se dirigea vers son
épouse en vociférant :
« Et
tu t’ reposes, fainéante, pendant que j’ me crève au travail ! J’ai soif
que j’ te dis ! J’attends ! »
Puis,
il leva le bras qui s’abattit une fois, deux fois, en coups puissants et
désordonnés. La future maman protégeait tour à tour son ventre et sa tête,
essayant d’éviter les coups, en criant.
« Mais
tu d’viens fou, ma parole ! Arrête ! Mais arrête donc !»
Les
petits, toujours sur la couche, hurlaient de terreur.
Des
voisines alertées s’interposèrent, tandis que d’autres allèrent prévenir la
maréchaussée. Celle-ci maîtrisa difficilement le forcené dont la colère et
l’ivresse avaient décuplé la vigueur et le mena dans la cellule de dégrisement
au commissariat de police de la ville, avant de le conduire à la prison de
Louviers, le lendemain.
Il
ne purgea qu’une courte peine de quatre jours, juste le temps de reprendre ses
esprits et de se repentir de ses actes. C’était la première fois qu’il frappait
son épouse et, même lui, ne se serait pas cru capable d’un tel acte. L’alcool
était le seul responsable.
Revenu
au foyer, tout penaud, il ne fit pas d’excuses à sa femme. Non ! Trop
honteux pour oser en parler. Marie Barbe
Rose Anne L ne dit rien non plus. Elle aurait pourtant aimé un semblant
d’excuses, mais elles ne vinrent pas.
Assis
les mains jointes posées sur la table, la tête basse, alors que sur le sol de
terre battue jouaient Pierre Virgile Justinien et Auguste Virgile Caesar, il
réfléchissait.
Devant
l’âtre, son épouse brodait un bonnet de naissance – elle espérait une fille –
en jetant de temps à autre un regard vers son mari.
Soudain,
sans bouger, Pierre François Hyppolite déclara :
« J’
vas changer d’métier. L’ vin, c’est pas pour moi ! A la fabrique, i’
d’mande un marchand de chaussons. J’ te promets, j’ boirai p’us jamais. »
Puis,
il relava la tête et regarda son épouse qui poursuivait son ouvrage, comme si
elle n’avait rien entendu.
« Tu
m’en veux ? Oui, j’ vois ben ! »
Sans
répondre à la dernière question, ne souhaitant pas que son mari se sente absout
de peur qu’il ne renouvelle, envers elle cet acte de violence, Marie Barbe Rose
Anne répliqua simplement :
« J’
pense qu’ t’ as trouvé la bonne solution ! »
Rose
Eléonore naquit, fin mai 1811. Elle ne vécut que cinq semaines. Puis, vint
ensuite un autre petit garçon, Alexandre Caesar, Eugène Hyppolite.
Après
cette naissance, à l’automne 1812, la famille quitta sûrement Pont-de-l’Arche,
car plus aucun acte la concernant dans les registres de l’Etat Civil de cette
ville.
Un fait divers
de « maltraitance conjugale »,
découvert dans le
registre de délibérations de la Sous-préfecture de Louviers.
J’ai un peu
romancé l’histoire, pour la rendre « plus jolie »
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