mercredi 11 juillet 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - SAUVETAGE A PONT-DE-L'ARCHE


Suite et fin


Nicolas, après le départ des sauveteurs et des gendarmes, se rendit prés de la rescapée que la voisine avait aidée à se changer. A présent, elle reposait dans son lit.

« Comment va ? s’enquit le mari, en regardant son épouse dont le visage livide le saisit d’effroi.
-      Elle est ben fatiguée, à c’t’ heure. Faut qu’elle dorme.
-      Le médecin doit venir, précisa le cordonnier, i’ faudrait pas qu’elle attrape la mort après une tel’ baignade.
-      Pour sûr,  approuva la voisine, surtout l’iau, el’ doit point êt’ chaude.
-      C’est sûr, répéta machinalement Nicolas, simplement comme ça pour dire quelque chose.

A ce moment, Marie Catherine Angélique ouvrit les yeux et d’une très faible voix, protesta :

« Non, non, pas l’ docteur. Ça va aller ! C’est une dépense pour ren !
-      J’ m’en moque, moi, d’ la dépense !
-      ça va, j’ te dis répéta-t-elle avant de refermer les yeux. J’suis fatiguée, simplement fatiguée.
-      Il faudrait lui donner un peu d’eau-de-vie, préconisa la voisine, ça va la réchauffer.
-      J’vais chercher un verre, obéit le cordonnier.
-      Bon bah, j’y vas moi ! Si besoin, j’ suis point loin !
-      Oui, merci ! j’ vas rester près d’elle en attendant l’ médecin.

Quand la voisine fut sortie, Marie Catherine Angélique ouvrit de nouveau les yeux, esquissa un sourire.

« Ça va aller, va, dit elle pour rassurer son mari. J’ai eu ben peur, tu sais. J’ai vu la mort de près.
-      Tu veux un peu d’eau d’ vie pour t’ réchauffer, demanda le mari qui avait gardé le verre plein à la main.
-      Non, j’ suis barbouillée. J’ veux ren !

En foi de quoi, l’homme vida d’un trait le verre, il ne faut rien perdre, et s’assit à côté de son épouse. Se sentant inutile et surtout souhaitant entendre le son de la voix de son épouse, histoire de se rassurer, il demanda :

« Tu veux que j’ te laisse ? »

Sa question restant sans réponse, il regarda son épouse et s’aperçut que le visage de celle-ci avait pris un teint cireux. Elle ne respirait plus.

Ce fut à ce moment que le médecin arriva. Il ne put que constater le décès de la femme. Décès qu’il ne pouvait attribuer aux « suffocations de la noyade », puisque la «noyée » avait repris ses esprits après avoir été repêchée.

Alors ? Quelle était la cause du trépas survenu deux heures après l’immersion prolongée dans la rivière.

Le médecin ausculta la défunte, réfléchit, posa des questions au pauvre veuf complètement retourné et qui essayait de répondre de son mieux.

Il fallait, au médecin, trouver une explication plausible afin de ne pas perdre la face.

Alors, le praticien, à court d’arguments, posa son ultime question :  

« Pouvez-vous me dire ce que votre femme a mangé ce matin, au réveil ?
-      Des œufs durs, répondit le cordonnier en se grattant le menton, se demandant où voulait en venir le médecin.

Le praticien prit un air grave et conclut :

« Des œufs durs ! Ne cherchez plus la cause de la mort. Ce sont les œufs durs qu’elle a mangés avant sa chute dans l’eau. C’est lourd à digérer les œufs durs, et secouée comme elle a été dans l’eau……

Evident, non ?

Les trois sauveteurs reçurent, chacun, pour leur acte de bravoure une récompense de vingt francs. Cette somme, accordée par le Conseil Municipal de Pont-de-l’Arche, fut prélevée sur les fonds des dépenses imprévues.
Leur seul regret, à tous trois, fut que la femme Lucas n’aie pas survécu.


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Marie Catherine Angélique Legendre était née à Pont-de-l’Arche, le 6 août 1761.
Elle décéda, à l’âge de cinquante-huit ans, ce 17 avril 1820.

Nicolas François Lucas, lui, décéda le 8 novembre 1828, rue Sainte Marie à Pont- de-l’Arche. Il était âgé de soixante-six ans.

Après ce funeste événement, le pauvre veuf continua-t-il à manger des œufs durs ?


Heureusement...... la médecine a fait de grands progrès.



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