« Hé !
L’ Nicolas ! »
Nicolas
Lucas, dans son atelier, leva la tête de sur son ouvrage. Qui pouvait l’appeler
ainsi, à cette heure ?
Par
la fenêtre donnant sur la rue Sainte-Marie, il vit un groupe de trois hommes
transportant un corps.
Son
sang ne fit qu’un tour en reconnaissant les vêtements de son épouse.
Il
sortit à la hâte, alors que déjà devant sa demeure, un attroupement de
commères grossissait peu à peu.
« Mais
c’est la Catherine ! s’exclama l’une d’elle.
- Grand Dieu ! Que s’est-il donc passé ?
poursuivit une autre.
Nicolas
Lucas, les bras ballants, sous le choc, n’osait rien demander, attendant qu’on
lui donnât quelque explication.
Etait-ce
réellement Catherine, son épouse ?
Etait-elle
vivante ? Morte ?
Dégageant
l’entrée de l’atelier de cordonnerie où il exerçait, afin de permettre l’accès
au logis contigu à celui-ci, Nicolas constata, avec soulagement, que son
épouse, bien que livide, respirait encore.
Une
voisine entra à la suite des arrivants, précisant :
« Faut
la changer. A ruisseler ainsi, elle va attraper la mort, pour sûr !
Nicolas
Lucas acquiesça d’un signe de tête. Pendant que cette bonne âme s’occupait de
la pauvre femme, Nicolas Lucas resta dans son atelier, sortit des verres et une
bouteille d’eau-de-vie, ne trouvant à dire que :
« Ça
va vous réchauffer un brin.
-
C’est point d’ refus, dit l’un des trois hommes.
En
effet à bien regarder leurs vêtements, il était visible qu’ils avaient, eux
aussi, séjourné dans l’eau.
Devant
le regard interrogateur du cordonnier, le plus âgé prit la parole :
« Vot’
femme, elle a fait un sacré plongeon, ça pour sûr !
- Heureus’ment qu’on était là, nous
autres ! ajouta le plus jeune.
Ce
fut alors le récit de l’évènement, non pour se vanter, que non, simplement pour
expliquer au mari, encore sous le choc, à quelle mort atroce son épouse avait
échappé.
Devant
lui, trois hommes, trois héros :
- Joseph Antoine Gonnord, pêcheur et marinier.
- Michel Guillaume Léonard Lalande fils,
bourrelier.
- Noël Pascal, cordonnier.
Et
lui, le cordonnier, abasourdi, ne savait que bredouiller :
« Bah !
j’ vous r’mercie. C’est peu ça, j’ sais ben. Qu’est-ce que peu fair’ d’autre, à
cet’ heure ?
- Rien du tout, pour sûr, précisèrent-ils
presque en chœur.
- Non rien, précisa Joseph Antoine.
- On a point réfléchi, nous, i’ fallait la
sauver ! poursuivit Noël Pascal.
Puis
les détails vinrent, surtout quand la maréchaussée se pointa pour faire leur
enquête. L’administration demandait des rapports que les représentants de la
loi se devaient d’établir avec les témoignages recueillis.
La
pauvre Marie Catherine Angélique Legendre, femme Lucas, avait été déstabilisée
en remontant le seau qu’elle emplissait à la rivière.
Trop
lourd, ce seau, pour ses bras usés par le travail.
En
essayant de rétablir l’équilibre, ne voulant pas lâcher le récipient qui serait
parti au fil de l’eau ou aurait piqué droit au fond du lit de la rivière, elle
avait glissé sur le sol glaiseux de la berge.
Joseph
Antoine Gonnord, pêchant non loin de là, l’avait vu le premier. Marinier de son état,
la rivière, il connaissait, pour sûr, et il ne nageait pas trop mal. Il avait
plongé dans l’eau, essayant de rattraper le corps de la pauvre femme qui disparaissait,
réapparaissait, malmené par les remous du courant, ballotté comme un tronc
d’arbre mort.
Michel
Guillaume Lalande fils, bourrelier et Noël Pascal, cordonnier, discutant sur le
pont, en la ville de Pont-de-l’Arche,
apercevant la scène qui se passait en amont, se précipitèrent pour
rejoindre la berge et se jetèrent dans la Seine, en aval, afin d’intercepter le
corps arrivant en leur direction.
« Une
chance ! Une vraie chance ! précisa le marinier, car j’ commençais à
être distancé et j’ sais point si
j’aurais pu la r’joindre.
La
maréchaussée, après avoir bu un verre en écoutant le récit des sauveteurs - il
fallait bien fêter l’évènement, trinquer à l’heureux dénouement - prit congé.
« C’est
pas tout ça, mais on va aller s’ sécher, à présent, lança le bourrelier.
- Merci encore, dit Nicolas Lucas en guise
d’au revoir.
Puis,
serrant chaleureusement la main des trois hommes, il précisa :
«Venez
quand vous voulez, la porte, ell’ s’ra toujours ouverte !
- Pour sûr, qu’on va rev’nir. Pour prendre
des nouvelles ! confirma le marinier, et si j’ai pris quelques poissons,
j’en apport’rai pour que vot’ femme, elle r’prenne des forces.
.............. à suivre ...................
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