Chapitre 8
L’avocat général, maître Petitier, prononça son réquisitoire. Il fut
bref, finissant par :
«Roy doit expier son crime ! »
Puis, ce fut au tour de l’avocat de l’accusé, maître Goujon, qui se
lança, avec éloquence, dans sa plaidoirie, se démenant comme un pauvre bougre,
tel un animal pris au piège.
Il savait la cause perdue, déjà jugée avant même le commencement du
procès. Mais, il fallait tout de même essayer de convaincre les jurés.
Mais comment convaincre les autres, quand soi-même, on ne l’était
pas ?
Convaincre, tout simplement afin d’obtenir, au moins, les
circonstances atténuantes.
Mais comment faire admettre cette notion, lorsque tous les témoignages
prouvaient la préméditation ?
L’accusé n’avait-il pas été aperçu surveillant le magasin, chaque
soir ?
Tout se léguait donc contre Constant Roy.
Le manque d’argent ?
Pas vraiment ! Roy n’avait-il pas dit à Thonon fils qu’il avait
un livret de Caisse d’Epargne sur lequel il possédait quelques sous ?
D’autre part, Roy n’attendait-il pas une somme de sa sœur pour
l’aider ?
Oui, mais si il avait de l’argent, pourquoi accumulait-il les dettes,
et la liste en était longue :
·
A sa logeuse du Havre 200 francs
·
A Mme veuve David, logeuse à Rouen 40
francs
·
A Auvray, garçon de café à Rouen 20 francs
·
A boivin, garçon de café à Saint-Sever 5 francs
·
A Mme Boivin, blanchisseuse 5 francs
·
A Solivaux
20 francs
·
A Baillache
11 francs
·
A Julien 6 francs
Sans oublier les diverses ardoises, en attente de règlement, dans
plusieurs cafés de Rouen.
Ce qui faisait, tout de même, près de quatre-cents francs.
Et cette somme de cent-quarante-sept francs retrouvée sur lui, le 6
mai 1890 au matin.
Cent-quarante-sept francs ?
N’était-ce pas l’argent qu’il devait aller chercher ce même soir,
comme il l’avait annoncé à sa logeuse ?
Oui, possible, mais il y avait tout de même cette petite pièce
grecque. Saisissant tout de même !
Ce genre de pièce ne devait pas être monnaie courante, bien que Rouen
soit un port, accueillant des navires en provenance de bien des pays.
« Coïncidence ! avait hurlé Roy à l’évocation de cette
monnaie.
Coïncidence bien troublante toutefois !
Les égratignures sur les mains et sur les bras ?
Roy les avait expliquées. Il était tombé, sur les bords de la Seine,
lors de sa promenade du 6 mai, en revenant de Saint-Adrien.
Et le sang sous les ongles, constaté au moment de son arrestation,
juste après le meurtre.
Et les taches de sang lavées hâtivement dans la chambre.
Saignements de nez ?
Oui, assurément, mais pourquoi ne pas avoir donné son linge maculé à
la laveuse comme l’accusé le faisait pour ses mouchoirs ?
Tentative de camouflages ?
Les ongles plein de sang ?
Réponse de Constant Roy : « Je mets mes doigts dans mon nez
quand je saigne. »
A cette répartie, le président ne s’était-il pas exclamé :
« Tous les cinq doigts ! »
Et puis, il y avait cette animosité contre ses anciens patrons en
raison des licenciements successifs, sans réels motifs selon lui, licenciements
qui l’avaient plongé dans la misère et surtout contre Dubuc qu’il trouvait trop
dur avec ses garçons. Pour ce dernier, on pouvait parler de haine !
Et pour en finir, le tire-bouchon. L’outil de travail de l’accusé,
brandi sous le nez de plusieurs personnes, comme un objet pouvant donner la
mort.
Ce ne fut pas une fois, mais plusieurs fois qu’il en fit étalage avec
de la haine dans la voix et des éclairs dans le regard.
Rahier, garçon de café, Maurice d’Ayrens, négociant et le fils Thonon
l’ont confirmé.
Ce tire-bouchon, court à manche en corne, retrouvé sur les lieux du
crime, justement.
« Ce n’est pas le mien ! avait affirmé l’accusé
-
Où est le vôtre, alors ? avait demandé le
président.
-
Je l’ai perdu !
-
Oui, en effet, sur les lieux du meurtre. N’a-t-il
pas un air de ressemblance avec le vôtre ? N’est-il pas le vôtre justement ?
Les témoins l’on reconnu comme tel.
-
Coïncidence ! avait encore hurlé Contant Roy.
Ce tire-bouchon n’est pas un modèle unique, mais très courant dans la profession.
Ce même mot, « coïncidence », maître Goujon le répéta mille
fois au cours de son plaidoyer, avec des effets de manches et des intonations
de voix.
Présent en sa mémoire tous les arguments allant en faveur de la
culpabilité de son client, il essayait, tant bien que mal, et plutôt mal que
bien d’ailleurs, de les contrecarrer.
Mais souvent, ses arguments tombaient à plat, car peu crédibles.
Il se démenait maître Goujon, transpirait, s’essoufflait, tout en
étant conscient que c’était en pure perte.
Aussi, dans un dernier effet verbal, se tournant vers les jurés, il
cria :
« Tour cela n’est que coïncidences ! Messieurs les
jurés ! Coïncidences ! Et c’est sur des coïncidences que vous allez
condamner Constant Roy ? C’est sur des coïncidences que vous allez faire
monter un innocent à l’échafaud ! »
Ce fut sur cette dernière tirade, lancée comme une bouteille à la mer,
que maître Goujon, acheva sa longue plaidoirie qui, toutefois, ne manquait pas
de panache. Alors, le visage las, il sortit un mouchoir à carreaux de sa poche
et, se laissant tomber sur le banc juste devant le box des accusés, il s’essuya
le front. Sachant la partie perdue, il n’eut aucun regard pour Constant Roy qui
semblait totalement indifférent à tout ce qui venait de se dérouler.
Comme il avait raison le pauvre avocat de ne pas y croire.
En effet, il ne fallut pas plus de trente minutes aux jurés pour
rendre leur verdict.
La sentence tomba alors :
Constant Roy reconnu coupable fut condamné à la peine de mort.
Maître Goujon fut atterré, il venait de perdre le procès.
Constant Roy, l’air totalement absent, fut reconduit à la prison de
Bonne Nouvelle, dans l’attente de son exécution.
Quelle importance, cette condamnation, il pouvait encore faire appel
et, en ultime recours, il pouvait demander la clémence du Président de la
République.
Alors...... Qui vivra verra !
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