Thérèse
Rosalie Félicienne Donnier, les cheveux de neige, vêtue de noire, assise sur le
banc devant sa demeure, les mains jointes comme en prière, semblait perdue dans
ses pensées.
Seule
à présent, que faisait-elle encore sur cette terre ?
Elle
poussa un soupir qui sortit du plus profond d’elle-même. Malgré le chagrin qui
lui tenaillait les entrailles à longueur de temps, un léger sourire effleura
ses lèvres en repensant aujour où, non sans fierté, elle s’était unie à Jean
André Béridot.
C’était
un peu après la Noël, et malgré l’hiver glacial froid, elle ne ressentait pas
la froidure en sortant de la maison commune, en ce 15 janvier 1834.
Gordes
– Vaucluse – Janvier 1834 – acte de mariage :
L’an mil huit cent trente quatre et
le quinze du mois de janvier.......sont comparus en la maison commune jean
andré beridot cultivateur né le quinze mars mil huit cent douze agé de vingt un
ans fils majeur d’andré berigot cultivateur et de anne marie Donnier domicilié
au dit Gordes avec ses père et mere présents et consentants et Thérèse rosalie
felicienne donnier née en cette commune le quatre janvier mil huit cent douze
agée de vingt deux ans fille majeure de jean firmin Donnier cultivateur et de
feue rosalie silvestre decedee au dit Gordes le neuf janvier mil huit cent
quatorze domiciliée en cette commune avec son dit père present et
consentant....... en presence de joseph
hipolite sylvestre cultivateur agé de cinquante sept ans oncle maternel de
l’épouse, guillaume pierre cordonnier agé de septante cinq ans, joseph firmin
rousset tailleur d’habits agé de vingt quatre ans, felicien theodore audibert
bourrelier agé de vingt deux ans.......
Et
puis, il y avait eu la naissance de la petite Marie Thérèse Lucie, le 6
décembre 1834. Un réel bonheur !
Acte
de naissance – Gordes – décembre 1834.
L’an mil huit cent trente quatre et
le sept du mois de décembre à deux heures de l’après-midi... est comparu Jean
Beridot cultivateur agé de vingt deux ans domicilié en cette commune lequel
nous a présenté un enfant du sexe féminin né le jour d’hier a dix heures du
matin dans sa maison d’habitation au quartier de la grange neuve de lui
déclarant et de therese Rosalie félicienne Donnier son epouse auquel nouveau né
il a dit donner les prénoms de Marie
Therese lucie....... en presence de Jean firmin Donnier agé de quarante huit
ans et andré Béridot agé de cinquante cinq ans tous deux ayëuls du nouveau né
agriculteurs.......
Et
puis quatorze mois plus tard, le 25 février 1836, une autre fillette vint
agrandir la famille.
Acte
de naissance – Gordes –février 1836.
L’an mil huit cent trente six le
vingt sept du mois de fevrier à quatre heures du soir devant nous ...... est
comparu jean andré Béricot cultivateur
agé de vingt trois ans domicilié en cette commune lequel nous a presente un
enfant de sexe feminin né le vingt cinq du courant à six heures du soir dans sa
maison d’habitation quartier de la Bastide neuve de lui déclarant et de therese
Rosalie felicienne donnier son epouse sans profession agee de vingt quatre ans
auquel nouveau né il a été donné pour prenoms ceux de Rosalie marguerite
fortunée les dites présentation et déclaration en presence de André Béridot
cultivateur agé de soixante deux ans ayëul du dit nouveau né et de joseph
imbert garde champêtre agé de quarante huit ans.....
Bien
sûr, elle savait que son mari aurait préféré un garçon, bien évidemment, mais
il ne dit rien. Ce serait pour le suivant....
Mais
de garçon, il n’en arriva auquel, pas plus que de filles d’ailleurs.
Mais
les deux petites poussaient bien, alors pourquoi se lamenter.
Les
deux sœurs étaient très différentes l’une de l’autre.
L’aînée
appelée par tous Lucie, avait un caractère doux et docile. Toujours le sourire.
Toujours prête à aider.
La
seconde Fortunée était, déjà dès sa plus tendre enfance, d’une bien plus grande
beauté que son aînée. Mais, elle se montrait aussi capricieuse, rebelle,
menteuse, jalouse et souvent cruelle.
Thérèse
Rosalie Félicienne, se souvint que cette enfant alors qu’elle n’avait pas huit
ans, avait interdit à ses camarades d’aller communier pendant la messe célébrée
pour demander au Seigneur de mettre fin à l’épidémie du choléra qui sévissait
dans la région. Et pour justifier cette défense qui était plutôt un ordre, elle
affirma que le prêtre mettait du poison dans les hosties.
Les
poisons fascinaient la fillette. Plusieurs fois, Thérèse Rosalie Félicenne
avait découvert, cachés sous le matelas
de sa fille des livres décrivant les substances nocives, ainsi que des ouvrages
parlant de meurtres.
Mais,
en bonne mère, ne s’en n’était pas inquiétée. Elle en avait parlé à son mari
qui lui avait répondu de ne pas se tourmenter que cela allait passer. Elle en
avait aussi parlé à Monsieur le Curé qui, lui par contre, ne l’avait pas rassurée.
« Ces lectures montrent bien le caractère vicieux de cette gamine. »
Il
n’avait, en toute évidence, pas digérer le « coup des hosties ».
Mais
ce ne fut pas une passade, le caractère de l’enfant ne s’arrangea nullement,
pourtant toutes les attentions de ses parents se tournèrent vers elle, après le
drame qu’ils vécurent à l’automne 1847.
Le
17 septembre de cette année-là, alors qu’elle n’avait que douze ans, Marie
Thérèse Lucie leur fut enlevée.
Acte
de décès – Gordes – septembre 1847.
L’an mil huit cent quarante sept et
le dix huit septembre à midi... sont comparus Louis Marre menuisier agé de
vingt sept ans et françois pascal agé de cinquante ans cultivateurs domiciliés
à Gordes voisins de la défunte lesquels ont déclaré que Marie Thérèse Lucie
Beridot née à Gordes agée de Douze ans fille de Jean Beridot et de Thérèse
Donnier agriculteurs domiciliés à Gordes est decedée au jour d’hier à dix
heures du matin dans la maison de son père sur les Beaumes......
Une
terrible douleur pour les parents mais qui sembla laisser indifférente
Fortunée.
Ce
fut à partir de ce moment que Thérèse Rosalie Félicienne Donnier, épouse
Béridot, sentit sa destinée lui échapper......
-=-=-=-=-=-
Après
ce terrible évènement, la vie cependant ne s’arrêta pas.
A
la Bastide Neuve où demeuraient les Béridot, la vie était de plus en plus
aisée.
Jean
André courageux ne ménageait pas sa peine. Il était très estimé de tous et ses
affaires tournaient plus que gentiment.
Thérèse
Rosalie Félicienne, très économe, menait très bien la maison qui avait pris des
allures de manoir.
Leur
seul souci résidait dans le comportement de leur fille Fortunée, unique à
présent. En effet, celle-ci avait été renvoyée de plusieurs établissements
scolaires et couvents en raison de son comportement inqualifiable, de ses
lectures osées, voire défendues - romans de crimes et romans romanesques....
Le
temps avait passé et Fortunée était devenue une très belle jeune fille, adulée
et courtisée, d’autant plus qu’elle était également un très bon parti. Mais
elle se jouait des galants, minaudant et les éconduisant après les avoir
aguichés.
Un
jour de fête paroissiale, un garçon osa l’inviter à danser. Il s’agissait
pourtant d’un garçon effacé, très timide, et pourtant, il osa ce jour-là. Fortunée
accepta une danse, puis une autre et encore une......
Théophile
Auphan, plus connu de tous sous le prénom d’Adrien, avait la réputation d’être
un gentil garçon, courageux. Pas vraiment un beau garçon toutefois, mais il
était grand et robuste. Le teint pâle, le regard doux, un visage juvénile.
Il était le fils
de Joseph Gabriel Auphan, le maréchal ferrant de Gordes et de Marie Geneviève Bouscarle et avait vu
le jour au village.
Acte de naissance – Gordes – 16 novembre
1835.
L’an mil huit cent trente cinq et
le dix sept du mois de novembre à quatre heures du soir devant nous...... est
comparu joseph gabriel auphan maréchal agé de quarante et un ans domicilié en
cette commune lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né le jour
d’hier à cinq heures du soir dans sa maison d’habitation rue de la fontaine de
lui declarant et de marie Bouscarle son epouse agee de trente sept ans auquel
nouveau né il a été donné le prenom de Théophile les dites déclaration et
presentation faites en presence de joseph Imbert garde champêtre agé de
quarante huit ans et guillaume Jouve cordonnier agé de soixante et dix huit
ans.....
Les
jours suivant la soirée patronale, les deux jeunes gens se revirent plusieurs
fois, et un soir, Fortunée emmena Adrien
à la Bastide Neuve pour que son père acceptât leur union. Une décision bien
hâtive !
Jean
André Béridot connaissait bien le jeune homme. Il aurait fait un gendre
parfait. Pourtant, il refusa et dit que sa réponse était sans appel.
Lorsque
le jeune homme demande des explications, le père lui expliqua que sa fille ne
ferait pas une bonne épouse, exposant tous les soucis qu’elle leur avait donnés
à lui et à son épouse.
« Elle
a le vice dans le sang. Elle vous fera du mal ! s’écria-t-il.
-
Je la changerai avec mon amour. Je sais
que je peux le faire, supplia le jeune Adrien.
Mais
le père ne céda pas, malgré les scènes de colère régulières de Fortunée qui,
hystérique, ne laissait pas une minute de repos à ses parents.
Les
deux jeunes gens arrivaient tout de même à se rencontrer, malgré l’interdiction formelle du père de la
jeune fille. Courts instants volés pendant lesquels Fortunée insistait pour que
le jeune homme la soustraie à la tyrannie paternelle en l’enlevant, tels les
vaillants chevaliers de ses lectures, afin de vivre pleinement leur amour.
Adrien
était honnête. La situation le gênait beaucoup. Il aurait aimé avoir le
consentement du père de son aimée, aussi hésitait-il à obéir à cette demande pressante.
Mais Fortunée se montra très persuasive.....
Fortunée
avait quitté la Bastide Neuve. Mais, dans le village de Gordes, les habitants
remarquèrent aussi l’absence d’Adrien. Très vite chacun comprit que les deux
jeunes gens s’étaient enfuis ensemble. On sut, également, qu’ils s’étaient
installés à Marseille.
Jean
André Béridot, miné par le chagrin et les soucis, commença à avoir de gros problèmes
de santé. Il céda alors et accepta de donner sa fille en mariage à Adrien.
Ne
vivaient-ils pas ensemble déjà ? Alors !
Acte
de mariage – Gordes – 15 février 1857.
L’an mil huit cent cinquante sept
le vingt cinq février à sept heures du soir sont comparus en la maison commune
les portes ouvertes au public, sieur Theophile auphan sans profession né à
Gordes le seize novembre mil huit cent trente cinq agé de vingt un ans révolus
fils majeur et legitime de joseph gabriel auphan et de marie Bouscarle
proprietaires tous domiciliés à Gordes d’une part et Delle Rosalie Marguerite
fortunée Beridot sans profession née à Gordes le vingt cinq février mil huit
cent trente six agée de vingt un ans revolus fille majeure et legitime de jean
andré Beridot meunier et de Thérese Rosalie felicienne Donnier sans profession
tous domicilies aussi à Gordes d’autre part..... il a été fait un contrat de
mariage devant notaire..... en presence de Messieurs Jean Baptiste Jouve
fermier de la mariée age de quarante six ans, françois Donnet greffier de la
justice de paix age de quarante deux ans, Pierre joseph Bourgue sans profession
age de trente sept ans, Désiré Roche maréchal ferrand age de vingt quatre ans
tous quatre non parents des époux domicilies à Gordes......
Les
jeunes mariés s’installèrent au village, dans le quartier de la croix où
naquit, le 28 novembre 1857, leur premier enfant, une fille prénommée Marie
Félicie Lucie.
Acte
de naissance – Gordes – novembre 1857.
L’an mil huit cent cinquante sept
et le trente novembre a deux heures après midi.... est comparu Théophile auphan
menuisier agé de vingt deux ans lequel nous a présenté un enfant du sexe
feminin né le vingt huit novembre courant à quatre heures du soir dans sa
maison à Gordes quartier de la croix de lui déclarant et de Rosalie Marguerite
fortunée Beridot son épouse sans profession agée de vingt un ans domiciliée à
Gordes à laquelle il a dit donner les prenoms de Marie felicie Lucie les dites
declaration et presentation faites en presence de joseph Buon age de trente
cinq ans et de joseph Mauquel age de quarante huit ans cultivateurs domiciliés
à Gordes......
Cette
enfant fut une des dernières joies de Jean André Béridot, grand-père
attentionné, car celui-ci épuisé par les soucis et usé le dur travail quotidien
depuis son enfance, décéda le 30 juin 1858. Il n’avait que quarante sept ans.
Acte
de décès – Gordes – juin 1858.
L’an mil huit cent cinquante huit
et le trente juin à cinq heures du soir... sont comparus pierre Robert
menuisier age de vingt neuf ans et pierre Plat cultivateur age de quarante sept
ans domiciliés à Gordes voisin du defunt lesquels nous ont déclaré que jean
andré Beridot agriculteur né à Gordes age de quarante six ans fils de feu andré
Béridot et de feue Marie Donnier de leur vivant cultivateurs et epoux de Therese
Rosalie felicienne Donnier sans profession tous domiciliés à Gordes est décédé
aujourd’hui à midi dans sa maison sise à Gordes quartier de la Bastide
Neuve......
Mais
la mort n’avait pas fini de frapper cette famille, car la petite Marie Félicité
Lucie rejoignit son grand-père trois mois plus tard, le 21 septembre 1858. Elle
avait neuf mois.
Acte
de décès – Gordes – septembre 1858.
L’an mil huit cent cinquante huit
et le vingt deux septembre à une heure après midi.... sont comparus pierre
Robert menuisier agé de vingt neuf ans et joseph Buon cultivateur agé de trente
six ans domiciliés à Gordes voisins de la defunte lesquels nous ont déclaré que
Marie felicité Lucie auphan née à Gordes agée de neuf mois fille de theophile
auphan menuisier et de Rosalie marguerite fortunée beridot sans profession
domiciliés à Gordes est decedee hier à cinq heures du soir dans la maison de
son père sise à Gorbes quartier de la Croix......
Après
ces deux deuils, les jeunes parents s’installèrent à la Bastide Neuve.
Fortunée,
revenue dans la maison de son enfance, et ayant connue pendant quelques mois la
vie de la « grande ville » lors de son séjour à Marseille, commença à
s’ennuyer. Afin de se distraire, elle
entreprit des changements et des aménagements à la Bastide Neuve que ni sa
mère, ni son mari n’osèrent refuser.
Son
mari, d’ailleurs, elle commençait à le trouver fade.
Jamais
il ne la contredisait.
Jamais
il n’haussait la voix.
Et
puis..... il travaillait tout le temps, et elle, elle restait dans cette ferme
où rien ne se passait.
Et
puis..... le soir, fatigué, il s’endormait en ronflant ......
Les
aménagements souhaités à peine achevés, Fortunée recommença à s’ennuyer, à
soupirer....... Elle replongea dans ses lectures romanesques et malsaines, se
créant un autre monde.
Une
autre petite fille vint au monde, le 16 décembre 1859. Elle reçut les prénoms
de Clotilde Thérèse.
Acte
de naissance – Gordes – décembre 1859.
L’an mil huit cent cinquante neuf
et le dix huit décembre à trois heures du soir..... est comparu Theophile
auphan agriculteur, agé de vingt quatre ans lequel nous a présenté un enfant de
sexe féminin né le seize décembre courant à neuf heures du matin dans sa maison
sise à Gordes quartier de la Bastide neuve de lui declarant et de Rosalie
Marguerite fortunée Beridot son epouse sans profession agée de vingt trois ans
domicilies à Gordes a laquelle nouvelle née il a été donner les prenoms de
Clothilde Therese, les dites declaration et presentation faites en presence de
pierre plat age de quarante neuf ans et de B.... (illisible) Tassy age de
trente cinq ans cultivateurs domicilies à Gordes.
Fortunée
allait-elle s’intéresser à sa fille ?
Au
début, cela sembla l’amuser, mais très vite les cris de l’enfant l’agacèrent.
Le
destin frappa de nouveau. La petite Clotilde Thérèse décéda, le 25 septembre
1860, au même âge que sa sœur ainée, la petite Marie Félicité Lucie.
Fatalité !
Acte
de décès – Gordes – septembre 1860.
L’an mil huit cent soixante et le
vingt six septembre a dix heures du matin.... sont comparus pierre Robert
menuisier age de trente deux ans et pierre plat cultivateur agé de cinquante
ans domiciliés à Gordes voisins de la défunte lesquels nous ont déclaré que
Clotilde Thérèse auphan née à Gordes agée de neuf mois fille de Theophile auphan
et de Rosalie Marguerite fortunée Beridot agriculteurs tous domicilies à Gordes
est décédée hier à dix heures du soir dans la maison de son père à Gordes
quartier de la Bastide neuve......
Adrien
fut un père inconsolable. Fortunée semblait, elle, indifférente. De plus les
larmes de son mari l’exaspéraient. « Toujours à pleurnicher, à
renifler ! » soupirait-elle.
Elle
se replongea dans les livres que lui prêtait ou lui conseillait un certain
Dominique Poncet, cordonnier à Soubeyran. Il était républicain et affichait
bien haut ses convictions politiques. Ce qui n’était pas bien vu par les gens
bien pensants.
Un
évènement sembla redonner vie à Fortunée. Un jour un maquignon vint pour
affaire à la Bastide Neuve. Devant un verre, les discussions étaient ardues. Il
fallait que chacun y trouvât son compte. Le vendeur, tout comme l’acheteur.
Face
à Adrien Auphan, un autre homme, François Denante.
François
Denante était né à Gordes, le 8 octobre 1826, ville dans laquelle il avait
grandi et où il avait épousé Claire Manon, le 20 novembre 1850.
Acte
de naissance – Gordes – octobre 1826.
L’an mil huit cent vingt six et le
neuf octobre à midi par devant nous..... est comparu antoine Denante
cultivateur age de quarante deux ans lequel nous a presente un enfant de sexe
masculin né hier à quarte heures du matin dans sa bastide quartier du Font
Blanche de lui declarant et de marie anne Bouis age de trente neuf ans
domiciliés au dit Gordes et auquel il a
declaré donner le prénom de françois les dites declaration et presentation
faites en presence de toussaint dialy age de cinquante deux ans et de louis Rey
age de trente cinq ans cultivateurs domicilies au dit Gordes le dit Denante
père a signé avec nous le present acte.......
Cet
homme plus vieux, plus sûr de lui, plus viril que son mari, attira très vite la
jeune femme. Des regards échangés aux baisers volés, ce qui n’était qu’un jeu
pour François, devint une affaire de cœur pour Fortunée qui très vite se donna
à son amant.
Les
rendez-vous secrets, les ébats fougueux donnèrent à Fortunée une nouvelle
raison de vivre qui trouva de plus en plus fade son époux qui devint, de ce fait, très vite gênant.
Un
jour, alors qu’ils se trouvaient avec son amant, amoureusement enlacés dans les
bras l’un de l’autre, elle demanda :
« Tu
m’aimes ?
-
Tu le sais bien !
-
Prouve-le !
-
Je ne viens pas de te le prouver, il y a
quelques minutes ?
-
Non, pas de cette manière. Serais-tu
capable de tuer pour moi ?
-
Tuer ! Quelle idée !
-
Non, je ne ris pas. Serais-tu capable de
tuer mon mari, par exemple, pour m’avoir toute entière à toi ?
-
C’est de la folie !
-
Alors, tu vois bien que tu ne m’aimes
pas.
Suite
à cette demande suivie d’un refus, la belle jeune femme bouda son amant qui
revint sur sa décision. Que ne ferait-il pas pour garder l’amour de la
belle ?
L’esprit
machiavélique de la jeune femme avait déjà tout pensé.
« Lorsque
vous serez ensemble sur les rives de la Sorgues, ou bien sur le pont enjambant
le cours d’eau, tu n’as qu’à le précipiter dans l’eau. Ainsi, il se noiera. Et
cela passera pour un accident. »
Facile
à dire, mais pas forcément à faire. De plus, François Denante estimait beaucoup
Adrien Auphan. Même si il trompait leur amitié naissante en lui prenant sa
femme, il ne souhaitait pas, toutefois, lui ôter la vie. D’ailleurs, tout bien
pensé, il ne désirait pas, non plus, vivre avec son épouse. Il avait la sienne,
bien moins jolie que Fortunée, certes, mais à qui il n’avait rien à reprocher.
Cette aventure avec Fortunée n’était qu’un jeu qui finirait un jour lorsque
l’un et l’autre se lasseraient.
Près
du cours d’eau, il aurait été facile à François de bousculer légèrement son
compagnon, leur monture étant toute proche. Mais, il n’était pas un assassin,
aussi renonça-t-il à cette entreprise.
En
les voyant revenir tous deux à la Bastide Neuve, parlant et riant, Fortunée fut
hors d’elle. Le François ne valait pas mieux qu’Adrien ! C’était un lâche
assorti d’un menteur. Il disait l’aimer, la belle affaire, mais quand il
fallait le prouver, plus personne ! Mais la perfide imagina une autre
stratégie.
Le
poison ! Elle s’y connaissait en matière de poisons.
« Je
vais faire ce que tu n’es pas capable d’accomplir ! » annonça-t-elle
à son amant.
Tout
y passa de l’aconit, au phosphore, en passant par l’arsenic, le laudanum et la
poudre d’allumette de sureté. Tous les aliments avalaient par Adrien étaient
assaisonnés de poudre toxiques.
Le
pauvre homme avait des douleurs horribles dans l’estomac et le ventre. Souvent
il partait en vomissements ou diarrhées horribles. Il ne gardait aucun repas.
Il avait perdu beaucoup de poids et paraissait le triple de son âge. Mais, il
était robuste au désespoir de son épouse.
Cette
horrible créature jouait également les hypocrites. Attentive, apportant les
soins nécessaires, elle profitait des médecines prescrites pour y ajouter
quelques poisons.
« Jamais,
il ne mourra ! » se plaignait-elle à François.
Puis,
une nuit, alors qu’ils s’étaient retrouvés, Fortunée lança d’un ton
impératif :
« Tu
n’as plus le choix à présent, tu dois le tuer et très vite !
-
Mais pourquoi cet acharnement ?
demanda François.
-
Je suis enceinte, voilà pourquoi et cet
enfant ne peut pas être de mon mari.
La
nouvelle abasourdit le pauvre homme. Elle était enceinte !
-=-=-=-=-=-=-
Dans
les maisons de Gordes, comme partout ailleurs, ce n’était qu’effervescence. La
Noël approchait et il fallait préparer pâtés en croûte, galettes, et autres
mets. Pas question de faire maigre ce jour-là !
La
nuit avait enveloppé le village.
A
la Bastide Neuve, on s’apprêtait à passer les fêtes, mais avant de
réveillonner, il était impensable de ne pas participer à la messe de minuit
pour chanter en chœur la joie et l’espérance en ce jour anniversaire de la
naissance de Jésus. Tout le village serait présent pour l’évènement et la
moindre absente serait remarquée et commentée.
Vers
sept heures après midi, un bruit se fit entendre dans la cour de la ferme.
Adrien Auphan muni d’une lanterne, sortit pour en aller voir les raisons. Il ne
découvrit rien d’anormal.
Quelques
minutes plus tard, une détonation qui précipita les habitants de la demeure
dans la nuit noire, amplifiée par le silence environnant, résonna.
Dans
la cour de la Bastide Neuve, on découvrit, allongé sur le dos baignant dans son
sang, le maître des lieux qui déjà agonisait. Lorsqu’il fut transporté dans la
maison, il hurlait de douleur. La poitrine trouée par des plombs utilisés pour
le gros gibier, il ne mit pas longtemps à mourir.
Acte
de décès – Gordes – décembre 1861.
L’an mil huit cent soixante un et
le vingt cinq decembre à une heure après midi.... sont comparus pierre Robert
menuisier age de trente trois ans et pierre Tour cultivateur agé de trente
trois ans domiciliés à Gorde, voisins du defunt, lesquels nous ont déclaré que
Théophile auphan agriculteur né à Gordes agé de vingt six ans fils de joseph
gabriel auphan et de Marie Bouscarle propriétaires agriculteurs et époux de
Rosalie Marguerite fortunée Beridot sans profession tous domicilies à Gordes
est décédé hier à sept heures et demie du soir dans sa maison sise à Gordes
quartier de la Bastide Neuve.......
En
retrait dans la cuisine, Fortunée semblait absente, indifférente au drame qui
venait de se produire.
Quand
à François, il arriva très vite sur les lieux, peut-être un peu trop vite, et
manifesta un énorme chagrin, trop excessif pour ne pas être feint. Et puis, il
y avait ces traces de semelles correspondant exactement à celles de ses chaussures dans la
cour de la ferme.....
La
police dépêchée sur les lieux arrêta tout de suite François Denante qui raconta toute l’histoire. Il fut incarcéré en
attente de la fin de l’enquête et du jugement de cette affaire de meurtre.
Fortunée,
arrêtée à son tour, nia tout d’un bloc. Elle était innocente, même face aux
preuves les plus flagrantes comme ces lettres rédigées de sa main et adressées
à son amant, l’incitant au crime de l’époux devenu gênant. Enceinte, elle est
envoyée à la maison d’arrêt de la ville d’Apt où elle accoucha d’une petite
fille, Anne Thérèse Auphan, le 18 février 1862.
Acte
de naissance – Apt – février 1862.
L’an mil huit cent soixante deux et
le dix neuf février à deux heures du soir..... a comparu Louise Mazet épouse
nat agee de cinquante trois ans garde attachée domiciliée à Apt laquelle nous a
presente un enfant de sexe feminin qu’elle nous a declaré etre né en sa
presence hier à cinq heures du matin dans l’hopital de cette ville du defeu
Theophile auphan dit Adrien et de fortunée Beridot son épouse agé l’un de vingt
six ans l’autre de vingt cinq ans proprietaires domicilies à Gordes. Et auquel
il a été donné les prenoms de anne therese les dites presentation et
declaration faites en presence des sieurs Sauveur Jean sans profession age de
soixante six ans et arsenne Golly crieur public agé de quarante deux ans
domiciliés à Apt......
Après
cette naissance, Fortunée avoua avoir été complice de l’assassinat de son mari,
mais pas du tout l’instigatrice. Pourtant, il y avait ces lettres en possession
de François Denante, lettres signées de la main de la belle jeune femme ordonnant
et programmant le meurtre. Il était évident qu’elle avait été la « tête
pensante » et lui le « bras exécuteur ».
Le
procès de ces « amants diaboliques » se déroula du 1er au
3 mai 1862.
Maître
Thourtel, d’Aix-en-Provence, fut l’avocat de Fortunée Berigot. Maître Baralon,
de Carpentras, défendit François Denante.
L’avocat
Général, Maître Mestre, ne trouva aucune circonstance atténuante aux amants.
A
dix heures du soir, le 3 mai 1862, le verdict tomba : Les travaux forcés à
perpétuité pour tous deux.
-=-=-=-=-=-=-
Je
ne peux attester des faits qui suivent. J‘ai lu divers documents se rapportant
à cette affaire. Certains romancés, d’autres me paraissant pas tout à fait crédibles
au vu des différents actes.
Je
vous soumets toutefois ce que j’ai découvert au travers de mes lectures.
François
Denant aurait échoué au bagne de Toulon d’où il se serait évadé en août 1863.
Il se serait caché, effectuant ici et là des travaux journaliers, jusqu’au jour
où, reconnu, il se serait fait reprendre et envoyer en Guyane où il serait mort
de la fièvre jaune
J’ai
lu que Fortunée aurait accouchée d’un garçon à la prison de Montpellier.
Je
n’ai rien découvert dans les actes de naissances de Montpellier. Un Garçon
Bérigot est bien né dans cette ville, mais rien à voir avec Fortunée Bérigot.
Par
contre, ce que je peux vous affirmer, c’est que la petite Anne Thérèse quitta
la prison d’Apt et fut confiée à des parents nourriciers à Apt où elle décéda à
l’âge de cinq mois, le 2 août 1862.
Acte
de décès – Gordes – août 1862.
L’an mil huit cent soixante deux et
le trois août à onze heures du matin..... sont comparus Pierre Robert
menuisier agé de trente trois ans et
Dominique Rey cultivateur agé de trente
quatre ans domiciliés à Gordes voisins du défunt lesquels nous ont déclaré
que Thérése anne auphan née à apt (Vaucluse) agee de cinq mois fille de feu
Theophile auphan de son vivant agriculteur et de Rosalie Marguerite fortunée
Beridot sans profession domiciliés à Gordes est décédée hier à cinq heures du
soir dans la maison dudit Dominique Rey, son père nourrissier, sise à Gordes.....
La
suite de la vie de Fortunée m’échappe quelque peu. Elle aurait appris qu’elle
pouvait vivre libre en Guyanne, en
acceptant de se marier avec un détenu. Ce qu’elle aurait fait. Elle serait décédée,
en 1865, des suites de la fièvre jaune, elle aussi.
-=-=-=-=-=-=-
Et
à Gordes ?
Thérèse
Rosalie Félicienne, veuve Beridot, apprit-elle la mort de sa fille, tout là-bas
au-delà des océans ?
Sans
doute, par une lettre qui a dû arriver bien après l’évènement.
Tout
ce que je sais, c’est qu’elle décéda en 1890, le 12 mars, à une heure après
midi. Elle était âgée de soixante dix huit ans.
Acte
de décès – Gordes – mars 1890.
L’an mil huit cent quatre vingt dix
et le douze mars à trois heures du soir.... son comparus Jules Rey age de
cinquante trois ans et theodore Imbert age de quarante deux ans cultivateurs
domiciliés à Gordes voisins de la défunte lesquels nous ont déclaré que therese
Rosalie felicienne Donnier sans profession née et domiciliée à Gordes agee de
septante huit ans fille de feu jean Firmin Donnier et de defunte Rosalie
Silvestre et veuve de jean andré Beridot en leur vivant agriculteurs décédés à
Gordes lieu de leur domicile est decedee aujourd’hui à une heure après midi
dans sa maison sise à Gordes hameau des soldats ......
Claire
Manon, épouse Denante, resta dans l’ombre tout au long de cette affaire.
Revit-elle
son mari après son arrestation ?
Le
cacha-t-elle lorsque celui-ci était en fuite ?
Cessa-t-elle
de l’aimer suite au drame ?
Je
vais essayer de faire un peu la lumière sur cette jeune femme.
Claire
Manon naquit à Gordes, le 23 janvier 1831.
Acte
de naissance – Gordes – janvier 1831.
L’an mil huit cent trente un et le
vingt neuf janvier a midi par devant nous...... est comparu xavier manon
tailleur d’habits demeurant en cette commune lequel nous a presente un enfant
de sexe feminin ne le vingt sept du courant a neuf heures du soir dans sa
maison d’habitation quartier du faubourg Saint Pons de lui declarant et de
helene Bouscarle son epouse demeurant avec lui auquel nouveau né il a dit
donner le prenom de Claire les dites declaration et presentation en presence de
joseph rouhuot cultivateur age de quarante ans et de guillaume avicot age de
soixante cinq ans tous deux domicilies en cette commune........
Elle
avait épousé, comme je l’ai dit plus haut, François Denante, le 20 novembre
1850.
Acte de mariage –
Gordes – novembre 1850.
L’an mil huit cent cinquante et le
vingt novembre à onze heures du matin par devant nous...... sieur françois
Denante cultivateur né à Gordes le huit octobre mil huit cent vingt six age de
vingt quatre ans fils majeur d’antoine Denante et de marie anne Bouis
cultivateurs tous domicilies à Gordes, d’une part et Delle Claire Manon sans
profession née à Gordes le vingt sept janvier mil huit cent trente et un age de
dix neuf ans fille mineur de xavier Manon tailleur d’habits et de helene
Bouscarle sans profession d’autre part, lesquels nous ont requis de proceder à
la celebration de mariage projete entre eux..... en presence de Messieurs denis
toucisiol menuisier age de cinquante ans, de basile Aubery quincaillier age de
quarante trois ans, de Leon Combe maçon age de trente neuf ans et de Pierre
joseph Bourgue sans profession age de trente un ans, tous quatre domicilies à
Gordes non parents des maries.....
Après avoir feuilleté les registres des actes de
naissance de Gorbes, je n’ai découvert qu’un seul enfant né de leur union. Il
s’agit de François Xavier Jédéon, né le 24 octobre 1851.
Acte de naissance – Gordes – octobre 1851.
L’an mil huit cent cinquante un et le vingt six
octobre à onze heures du matin par devant nous.... est comparu françois Denante
cultivateur age de vingt cinq ans lequel nous a presente un enfant de sexe
masculin né le vingt quatre du courant à huit heures du soir dans sa maison
quartier de Font Blanche de lui declarant et de Claire Manon son épouse sans
profession agee de vingt ans domicilies à Gordes auquel nouveau né il a dit
donner les prenoms de françois xavier Jédéon les dites declaration et
presentation en presence de antoine denante age de soixante sept ans
cultivateur et de xavier Marcon tailleur d’habits age de cinquante six ans
aïeuls du nouveau né domicilies à Gordes......
Rien sur Gordes, concernant
François Xavier Jédéon, dans les tables décennales. Si il s’est marié ce
n’est pas dans le lieu de sa naissance. Pas d’acte de décès non plus.
Par contre, sa mère, Claire Manon, épouse Denante,
quitta ce monde le 9 juillet 1880.
Acte de décès – Gordes – juillet 1880.
L’an mil huit cent quatre vingt et
le neuf juillet à huit heures du matin par devant nous.... sont comparus Moutin
Clair alexis maître cordonnier age de cinquante trois ans et Robert pierre
menuisier age de cinquante un ans domicilés à Gordes voisins de la defunte
lesquels nous ont declaré que claire Manon sans profession née et domiciliée à
Gordes âgé de quarante neuf ans fille de feu Manon xavier et de feue helene
Bouscarle en leur vivant tailleurs d’habits decedes à Gordes lieu de leur
domicile et epouse de François Denante sans profession domicile inconnu est
decedee hier à cinq heures du soir dans sa maison sise à Gordes rue Saint
Pons.......
-=-=-=-=-=-
Pour écrire cet article, j’ai lu
les documents suivants :
-
Grandes affaires criminels – Crimes passionnels de
Sylvain Larue – Editions de Borée.
-
La Venus de Gordes de Adolphe Belot et Edmond Daudet –
E Dentu Libraire Editeur – Paris Palais royal – 17 et 19 Galerie d’Orléans –
1876.
-
Les actes des différentes archives départementales en
ligne.
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