mercredi 7 septembre 2016

L'AFFAIRE CRIMINELLE DE GORDES



Thérèse Rosalie Félicienne Donnier, les cheveux de neige, vêtue de noire, assise sur le banc devant sa demeure, les mains jointes comme en prière, semblait perdue dans ses pensées.

Seule à présent, que faisait-elle encore sur cette terre ?

Elle poussa un soupir qui sortit du plus profond d’elle-même. Malgré le chagrin qui lui tenaillait les entrailles à longueur de temps, un léger sourire effleura ses lèvres en repensant aujour où, non sans fierté, elle s’était unie à Jean André Béridot.
C’était un peu après la Noël, et malgré l’hiver glacial froid, elle ne ressentait pas la froidure en sortant de la maison commune, en ce 15 janvier 1834.

Gordes – Vaucluse – Janvier 1834 – acte de mariage :
L’an mil huit cent trente quatre et le quinze du mois de janvier.......sont comparus en la maison commune jean andré beridot cultivateur né le quinze mars mil huit cent douze agé de vingt un ans fils majeur d’andré berigot cultivateur et de anne marie Donnier domicilié au dit Gordes avec ses père et mere présents et consentants et Thérèse rosalie felicienne donnier née en cette commune le quatre janvier mil huit cent douze agée de vingt deux ans fille majeure de jean firmin Donnier cultivateur et de feue rosalie silvestre decedee au dit Gordes le neuf janvier mil huit cent quatorze domiciliée en cette commune avec son dit père present et consentant.......  en presence de joseph hipolite sylvestre cultivateur agé de cinquante sept ans oncle maternel de l’épouse, guillaume pierre cordonnier agé de septante cinq ans, joseph firmin rousset tailleur d’habits agé de vingt quatre ans, felicien theodore audibert bourrelier agé de vingt deux ans.......


Et puis, il y avait eu la naissance de la petite Marie Thérèse Lucie, le 6 décembre 1834. Un réel bonheur !

Acte de naissance – Gordes – décembre 1834.
L’an mil huit cent trente quatre et le sept du mois de décembre à deux heures de l’après-midi... est comparu Jean Beridot cultivateur agé de vingt deux ans domicilié en cette commune lequel nous a présenté un enfant du sexe féminin né le jour d’hier a dix heures du matin dans sa maison d’habitation au quartier de la grange neuve de lui déclarant et de therese Rosalie félicienne Donnier son epouse auquel nouveau né il a dit  donner les prénoms de Marie Therese lucie....... en presence de Jean firmin Donnier agé de quarante huit ans et andré Béridot agé de cinquante cinq ans tous deux ayëuls du nouveau né agriculteurs.......

Et puis quatorze mois plus tard, le 25 février 1836, une autre fillette vint agrandir la famille.

Acte de naissance – Gordes –février 1836.
L’an mil huit cent trente six le vingt sept du mois de fevrier à quatre heures du soir devant nous ...... est comparu jean andré  Béricot cultivateur agé de vingt trois ans domicilié en cette commune lequel nous a presente un enfant de sexe feminin né le vingt cinq du courant à six heures du soir dans sa maison d’habitation quartier de la Bastide neuve de lui déclarant et de therese Rosalie felicienne donnier son epouse sans profession agee de vingt quatre ans auquel nouveau né il a été donné pour prenoms ceux de Rosalie marguerite fortunée les dites présentation et déclaration en presence de André Béridot cultivateur agé de soixante deux ans ayëul du dit nouveau né et de joseph imbert garde champêtre agé de quarante huit ans.....


Bien sûr, elle savait que son mari aurait préféré un garçon, bien évidemment, mais il ne dit rien. Ce serait pour le suivant....
Mais de garçon, il n’en arriva auquel, pas plus que de filles d’ailleurs.
Mais les deux petites poussaient bien, alors pourquoi se lamenter.

Les deux sœurs étaient très différentes l’une de l’autre.
L’aînée appelée par tous Lucie, avait un caractère doux et docile. Toujours le sourire. Toujours prête à aider.
La seconde Fortunée était, déjà dès sa plus tendre enfance, d’une bien plus grande beauté que son aînée. Mais, elle se montrait aussi capricieuse, rebelle, menteuse, jalouse et souvent cruelle.

Thérèse Rosalie Félicienne, se souvint que cette enfant alors qu’elle n’avait pas huit ans, avait interdit à ses camarades d’aller communier pendant la messe célébrée pour demander au Seigneur de mettre fin à l’épidémie du choléra qui sévissait dans la région. Et pour justifier cette défense qui était plutôt un ordre, elle affirma que le prêtre mettait du poison dans les hosties.
Les poisons fascinaient la fillette. Plusieurs fois, Thérèse Rosalie Félicenne avait découvert,  cachés sous le matelas de sa fille des livres décrivant les substances nocives, ainsi que des ouvrages parlant de meurtres.
Mais, en bonne mère, ne s’en n’était pas inquiétée. Elle en avait parlé à son mari qui lui avait répondu de ne pas se tourmenter que cela allait passer. Elle en avait aussi parlé à Monsieur le Curé qui, lui par contre, ne l’avait pas rassurée. « Ces lectures montrent bien le caractère vicieux de cette gamine. »
Il n’avait, en toute évidence, pas digérer le « coup des hosties ».

Mais ce ne fut pas une passade, le caractère de l’enfant ne s’arrangea nullement, pourtant toutes les attentions de ses parents se tournèrent vers elle, après le drame qu’ils vécurent à l’automne 1847.
Le 17 septembre de cette année-là, alors qu’elle n’avait que douze ans, Marie Thérèse Lucie leur fut enlevée.

Acte de décès – Gordes – septembre 1847.
L’an mil huit cent quarante sept et le dix huit septembre à midi... sont comparus Louis Marre menuisier agé de vingt sept ans et françois pascal agé de cinquante ans cultivateurs domiciliés à Gordes voisins de la défunte lesquels ont déclaré que Marie Thérèse Lucie Beridot née à Gordes agée de Douze ans fille de Jean Beridot et de Thérèse Donnier agriculteurs domiciliés à Gordes est decedée au jour d’hier à dix heures du matin dans la maison de son père sur les Beaumes......

Une terrible douleur pour les parents mais qui sembla laisser indifférente Fortunée.
Ce fut à partir de ce moment que Thérèse Rosalie Félicienne Donnier, épouse Béridot, sentit sa destinée lui échapper......

-=-=-=-=-=-

Après ce terrible évènement, la vie cependant ne s’arrêta pas.
A la Bastide Neuve où demeuraient les Béridot, la vie était de plus en plus aisée.
Jean André courageux ne ménageait pas sa peine. Il était très estimé de tous et ses affaires tournaient plus que gentiment.
Thérèse Rosalie Félicienne, très économe, menait très bien la maison qui avait pris des allures de manoir.
Leur seul souci résidait dans le comportement de leur fille Fortunée, unique à présent. En effet, celle-ci avait été renvoyée de plusieurs établissements scolaires et couvents en raison de son comportement inqualifiable, de ses lectures osées, voire défendues - romans de crimes et romans romanesques....

Le temps avait passé et Fortunée était devenue une très belle jeune fille, adulée et courtisée, d’autant plus qu’elle était également un très bon parti. Mais elle se jouait des galants, minaudant et les éconduisant après les avoir aguichés.

Un jour de fête paroissiale, un garçon osa l’inviter à danser. Il s’agissait pourtant d’un garçon effacé, très timide, et pourtant, il osa ce jour-là. Fortunée accepta une danse, puis une autre et encore une......

Théophile Auphan, plus connu de tous sous le prénom d’Adrien, avait la réputation d’être un gentil garçon, courageux. Pas vraiment un beau garçon toutefois, mais il était grand et robuste. Le teint pâle, le regard doux, un visage juvénile.
Il était le fils de Joseph Gabriel Auphan, le maréchal ferrant de Gordes  et de Marie Geneviève Bouscarle et avait vu le jour au village.

Acte de naissance – Gordes – 16 novembre 1835.
L’an mil huit cent trente cinq et le dix sept du mois de novembre à quatre heures du soir devant nous...... est comparu joseph gabriel auphan maréchal agé de quarante et un ans domicilié en cette commune lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né le jour d’hier à cinq heures du soir dans sa maison d’habitation rue de la fontaine de lui declarant et de marie Bouscarle son epouse agee de trente sept ans auquel nouveau né il a été donné le prenom de Théophile les dites déclaration et presentation faites en presence de joseph Imbert garde champêtre agé de quarante huit ans et guillaume Jouve cordonnier agé de soixante et dix huit ans.....

Les jours suivant la soirée patronale, les deux jeunes gens se revirent plusieurs fois,  et un soir, Fortunée emmena Adrien à la Bastide Neuve pour que son père acceptât leur union. Une décision bien hâtive !

Jean André Béridot connaissait bien le jeune homme. Il aurait fait un gendre parfait. Pourtant, il refusa et dit que sa réponse était sans appel.
Lorsque le jeune homme demande des explications, le père lui expliqua que sa fille ne ferait pas une bonne épouse, exposant tous les soucis qu’elle leur avait donnés à lui et à son épouse.
« Elle a le vice dans le sang. Elle vous fera du mal ! s’écria-t-il.
-          Je la changerai avec mon amour. Je sais que je peux le faire, supplia le jeune Adrien.

Mais le père ne céda pas, malgré les scènes de colère régulières de Fortunée qui, hystérique, ne laissait pas une minute de repos à ses parents.
Les deux jeunes gens arrivaient tout de même à se rencontrer,  malgré l’interdiction formelle du père de la jeune fille. Courts instants volés pendant lesquels Fortunée insistait pour que le jeune homme la soustraie à la tyrannie paternelle en l’enlevant, tels les vaillants chevaliers de ses lectures, afin de vivre pleinement leur amour.
Adrien était honnête. La situation le gênait beaucoup. Il aurait aimé avoir le consentement du père de son aimée, aussi hésitait-il à obéir à cette demande pressante. Mais Fortunée se montra très persuasive.....

Fortunée avait quitté la Bastide Neuve. Mais, dans le village de Gordes, les habitants remarquèrent aussi l’absence d’Adrien. Très vite chacun comprit que les deux jeunes gens s’étaient enfuis ensemble. On sut, également, qu’ils s’étaient installés à Marseille.

Jean André Béridot, miné par le chagrin et les soucis, commença à avoir de gros problèmes de santé. Il céda alors et accepta de donner sa fille en mariage à Adrien.
Ne vivaient-ils pas ensemble déjà ? Alors !

Acte de mariage – Gordes – 15 février 1857.
L’an mil huit cent cinquante sept le vingt cinq février à sept heures du soir sont comparus en la maison commune les portes ouvertes au public, sieur Theophile auphan sans profession né à Gordes le seize novembre mil huit cent trente cinq agé de vingt un ans révolus fils majeur et legitime de joseph gabriel auphan et de marie Bouscarle proprietaires tous domiciliés à Gordes d’une part et Delle Rosalie Marguerite fortunée Beridot sans profession née à Gordes le vingt cinq février mil huit cent trente six agée de vingt un ans revolus fille majeure et legitime de jean andré Beridot meunier et de Thérese Rosalie felicienne Donnier sans profession tous domicilies aussi à Gordes d’autre part..... il a été fait un contrat de mariage devant notaire..... en presence de Messieurs Jean Baptiste Jouve fermier de la mariée age de quarante six ans, françois Donnet greffier de la justice de paix age de quarante deux ans, Pierre joseph Bourgue sans profession age de trente sept ans, Désiré Roche maréchal ferrand age de vingt quatre ans tous quatre non parents des époux domicilies à Gordes......

Les jeunes mariés s’installèrent au village, dans le quartier de la croix où naquit, le 28 novembre 1857, leur premier enfant, une fille prénommée Marie Félicie Lucie.

Acte de naissance – Gordes – novembre 1857.
L’an mil huit cent cinquante sept et le trente novembre a deux heures après midi.... est comparu Théophile auphan menuisier agé de vingt deux ans lequel nous a présenté un enfant du sexe feminin né le vingt huit novembre courant à quatre heures du soir dans sa maison à Gordes quartier de la croix de lui déclarant et de Rosalie Marguerite fortunée Beridot son épouse sans profession agée de vingt un ans domiciliée à Gordes à laquelle il a dit donner les prenoms de Marie felicie Lucie les dites declaration et presentation faites en presence de joseph Buon age de trente cinq ans et de joseph Mauquel age de quarante huit ans cultivateurs domiciliés à Gordes......

Cette enfant fut une des dernières joies de Jean André Béridot, grand-père attentionné, car celui-ci épuisé par les soucis et usé le dur travail quotidien depuis son enfance, décéda le 30 juin 1858. Il n’avait que quarante sept ans.

Acte de décès – Gordes – juin 1858.
L’an mil huit cent cinquante huit et le trente juin à cinq heures du soir... sont comparus pierre Robert menuisier age de vingt neuf ans et pierre Plat cultivateur age de quarante sept ans domiciliés à Gordes voisin du defunt lesquels nous ont déclaré que jean andré Beridot agriculteur né à Gordes age de quarante six ans fils de feu andré Béridot et de feue Marie Donnier de leur vivant cultivateurs et epoux de Therese Rosalie felicienne Donnier sans profession tous domiciliés à Gordes est décédé aujourd’hui à midi dans sa maison sise à Gordes quartier de la Bastide Neuve......

Mais la mort n’avait pas fini de frapper cette famille, car la petite Marie Félicité Lucie rejoignit son grand-père trois mois plus tard, le 21 septembre 1858. Elle avait neuf mois.

Acte de décès – Gordes – septembre 1858.
L’an mil huit cent cinquante huit et le vingt deux septembre à une heure après midi.... sont comparus pierre Robert menuisier agé de vingt neuf ans et joseph Buon cultivateur agé de trente six ans domiciliés à Gordes voisins de la defunte lesquels nous ont déclaré que Marie felicité Lucie auphan née à Gordes agée de neuf mois fille de theophile auphan menuisier et de Rosalie marguerite fortunée beridot sans profession domiciliés à Gordes est decedee hier à cinq heures du soir dans la maison de son père sise à Gorbes quartier de la Croix......

Après ces deux deuils, les jeunes parents s’installèrent à la Bastide Neuve.

Fortunée, revenue dans la maison de son enfance, et ayant connue pendant quelques mois la vie de la « grande ville » lors de son séjour à Marseille, commença à s’ennuyer.  Afin de se distraire, elle entreprit des changements et des aménagements à la Bastide Neuve que ni sa mère, ni son mari n’osèrent refuser.
Son mari, d’ailleurs, elle commençait à le trouver fade.
Jamais il ne la contredisait.
Jamais il n’haussait la voix.
Et puis..... il travaillait tout le temps, et elle, elle restait dans cette ferme où rien ne se passait.
Et puis..... le soir, fatigué, il s’endormait en ronflant ......

Les aménagements souhaités à peine achevés, Fortunée recommença à s’ennuyer, à soupirer....... Elle replongea dans ses lectures romanesques et malsaines, se créant un autre monde.

Une autre petite fille vint au monde, le 16 décembre 1859. Elle reçut les prénoms de Clotilde Thérèse.

Acte de naissance – Gordes – décembre 1859.
L’an mil huit cent cinquante neuf et le dix huit décembre à trois heures du soir..... est comparu Theophile auphan agriculteur, agé de vingt quatre ans lequel nous a présenté un enfant de sexe féminin né le seize décembre courant à neuf heures du matin dans sa maison sise à Gordes quartier de la Bastide neuve de lui declarant et de Rosalie Marguerite fortunée Beridot son epouse sans profession agée de vingt trois ans domicilies à Gordes a laquelle nouvelle née il a été donner les prenoms de Clothilde Therese, les dites declaration et presentation faites en presence de pierre plat age de quarante neuf ans et de B.... (illisible) Tassy age de trente cinq ans cultivateurs domicilies à Gordes.

Fortunée allait-elle s’intéresser à sa fille ?
Au début, cela sembla l’amuser, mais très vite les cris de l’enfant l’agacèrent.
Le destin frappa de nouveau. La petite Clotilde Thérèse décéda, le 25 septembre 1860, au même âge que sa sœur ainée, la petite Marie Félicité Lucie. Fatalité !

Acte de décès – Gordes – septembre 1860.
L’an mil huit cent soixante et le vingt six septembre a dix heures du matin.... sont comparus pierre Robert menuisier age de trente deux ans et pierre plat cultivateur agé de cinquante ans domiciliés à Gordes voisins de la défunte lesquels nous ont déclaré que Clotilde Thérèse auphan née à Gordes agée de neuf mois fille de Theophile auphan et de Rosalie Marguerite fortunée Beridot agriculteurs tous domicilies à Gordes est décédée hier à dix heures du soir dans la maison de son père à Gordes quartier de la Bastide neuve......

Adrien fut un père inconsolable. Fortunée semblait, elle, indifférente. De plus les larmes de son mari l’exaspéraient. « Toujours à pleurnicher, à renifler ! » soupirait-elle.
Elle se replongea dans les livres que lui prêtait ou lui conseillait un certain Dominique Poncet, cordonnier à Soubeyran. Il était républicain et affichait bien haut ses convictions politiques. Ce qui n’était pas bien vu par les gens bien pensants.

Un évènement sembla redonner vie à Fortunée. Un jour un maquignon vint pour affaire à la Bastide Neuve. Devant un verre, les discussions étaient ardues. Il fallait que chacun y trouvât son compte. Le vendeur, tout comme l’acheteur.
Face à Adrien Auphan, un autre homme, François Denante.

François Denante était né à Gordes, le 8 octobre 1826, ville dans laquelle il avait grandi et où il avait épousé Claire Manon, le 20 novembre 1850.

Acte de naissance – Gordes – octobre 1826.
L’an mil huit cent vingt six et le neuf octobre à midi par devant nous..... est comparu antoine Denante cultivateur age de quarante deux ans lequel nous a presente un enfant de sexe masculin né hier à quarte heures du matin dans sa bastide quartier du Font Blanche de lui declarant et de marie anne Bouis age de trente neuf ans domiciliés au dit Gordes et auquel  il a declaré donner le prénom de françois les dites declaration et presentation faites en presence de toussaint dialy age de cinquante deux ans et de louis Rey age de trente cinq ans cultivateurs domicilies au dit Gordes le dit Denante père a signé avec nous le present acte.......


Cet homme plus vieux, plus sûr de lui, plus viril que son mari, attira très vite la jeune femme. Des regards échangés aux baisers volés, ce qui n’était qu’un jeu pour François, devint une affaire de cœur pour Fortunée qui très vite se donna à son amant.
Les rendez-vous secrets, les ébats fougueux donnèrent à Fortunée une nouvelle raison de vivre qui trouva de plus en plus fade son époux  qui devint, de ce fait, très vite gênant.
Un jour, alors qu’ils se trouvaient avec son amant, amoureusement enlacés dans les bras l’un de l’autre, elle demanda :
« Tu m’aimes ?
-          Tu le sais bien !
-          Prouve-le !
-          Je ne viens pas de te le prouver, il y a quelques minutes ?
-          Non, pas de cette manière. Serais-tu capable de tuer pour moi ?
-          Tuer ! Quelle idée !
-          Non, je ne ris pas. Serais-tu capable de tuer mon mari, par exemple, pour m’avoir toute entière à toi ?
-          C’est de la folie !
-          Alors, tu vois bien que tu ne m’aimes pas.

Suite à cette demande suivie d’un refus, la belle jeune femme bouda son amant qui revint sur sa décision. Que ne ferait-il pas pour garder l’amour de la belle ?
L’esprit machiavélique de la jeune femme avait déjà tout pensé.
« Lorsque vous serez ensemble sur les rives de la Sorgues, ou bien sur le pont enjambant le cours d’eau, tu n’as qu’à le précipiter dans l’eau. Ainsi, il se noiera. Et cela passera pour un accident. »

Facile à dire, mais pas forcément à faire. De plus, François Denante estimait beaucoup Adrien Auphan. Même si il trompait leur amitié naissante en lui prenant sa femme, il ne souhaitait pas, toutefois, lui ôter la vie. D’ailleurs, tout bien pensé, il ne désirait pas, non plus, vivre avec son épouse. Il avait la sienne, bien moins jolie que Fortunée, certes, mais à qui il n’avait rien à reprocher. Cette aventure avec Fortunée n’était qu’un jeu qui finirait un jour lorsque l’un et l’autre se lasseraient.
Près du cours d’eau, il aurait été facile à François de bousculer légèrement son compagnon, leur monture étant toute proche. Mais, il n’était pas un assassin, aussi renonça-t-il à cette entreprise.

En les voyant revenir tous deux à la Bastide Neuve, parlant et riant, Fortunée fut hors d’elle. Le François ne valait pas mieux qu’Adrien ! C’était un lâche assorti d’un menteur. Il disait l’aimer, la belle affaire, mais quand il fallait le prouver, plus personne ! Mais la perfide imagina une autre stratégie.

Le poison ! Elle s’y connaissait en matière de poisons.
« Je vais faire ce que tu n’es pas capable d’accomplir ! » annonça-t-elle à son amant.

Tout y passa de l’aconit, au phosphore, en passant par l’arsenic, le laudanum et la poudre d’allumette de sureté. Tous les aliments avalaient par Adrien étaient assaisonnés de poudre toxiques.
Le pauvre homme avait des douleurs horribles dans l’estomac et le ventre. Souvent il partait en vomissements ou diarrhées horribles. Il ne gardait aucun repas. Il avait perdu beaucoup de poids et paraissait le triple de son âge. Mais, il était robuste au désespoir de son épouse.
Cette horrible créature jouait également les hypocrites. Attentive, apportant les soins nécessaires, elle profitait des médecines prescrites pour y ajouter quelques poisons.

« Jamais, il ne mourra ! » se plaignait-elle à François.

Puis, une nuit, alors qu’ils s’étaient retrouvés, Fortunée lança d’un ton impératif :

« Tu n’as plus le choix à présent, tu dois le tuer et très vite !
-          Mais pourquoi cet acharnement ? demanda François.
-          Je suis enceinte, voilà pourquoi et cet enfant ne peut pas être de mon mari.

La nouvelle abasourdit le pauvre homme. Elle était enceinte !

-=-=-=-=-=-=-

Dans les maisons de Gordes, comme partout ailleurs, ce n’était qu’effervescence. La Noël approchait et il fallait préparer pâtés en croûte, galettes, et autres mets. Pas question de faire maigre ce jour-là !
La nuit avait enveloppé le village.
A la Bastide Neuve, on s’apprêtait à passer les fêtes, mais avant de réveillonner, il était impensable de ne pas participer à la messe de minuit pour chanter en chœur la joie et l’espérance en ce jour anniversaire de la naissance de Jésus. Tout le village serait présent pour l’évènement et la moindre absente serait remarquée et commentée.

Vers sept heures après midi, un bruit se fit entendre dans la cour de la ferme. Adrien Auphan muni d’une lanterne, sortit pour en aller voir les raisons. Il ne découvrit rien d’anormal.
Quelques minutes plus tard, une détonation qui précipita les habitants de la demeure dans la nuit noire, amplifiée par le silence environnant, résonna.
Dans la cour de la Bastide Neuve, on découvrit, allongé sur le dos baignant dans son sang, le maître des lieux qui déjà agonisait. Lorsqu’il fut transporté dans la maison, il hurlait de douleur. La poitrine trouée par des plombs utilisés pour le gros gibier, il ne mit pas longtemps à mourir.

Acte de décès – Gordes – décembre 1861.
L’an mil huit cent soixante un et le vingt cinq decembre à une heure après midi.... sont comparus pierre Robert menuisier age de trente trois ans et pierre Tour cultivateur agé de trente trois ans domiciliés à Gorde, voisins du defunt, lesquels nous ont déclaré que Théophile auphan agriculteur né à Gordes agé de vingt six ans fils de joseph gabriel auphan et de Marie Bouscarle propriétaires agriculteurs et époux de Rosalie Marguerite fortunée Beridot sans profession tous domicilies à Gordes est décédé hier à sept heures et demie du soir dans sa maison sise à Gordes quartier de la Bastide Neuve.......


En retrait dans la cuisine, Fortunée semblait absente, indifférente au drame qui venait de se produire.
Quand à François, il arriva très vite sur les lieux, peut-être un peu trop vite, et manifesta un énorme chagrin, trop excessif pour ne pas être feint. Et puis, il y avait ces traces de semelles correspondant  exactement à celles de ses chaussures dans la cour de la ferme.....

La police dépêchée sur les lieux arrêta tout de suite François Denante qui  raconta toute l’histoire. Il fut incarcéré en attente de la fin de l’enquête et du jugement de cette affaire de meurtre.
Fortunée, arrêtée à son tour, nia tout d’un bloc. Elle était innocente, même face aux preuves les plus flagrantes comme ces lettres rédigées de sa main et adressées à son amant, l’incitant au crime de l’époux devenu gênant. Enceinte, elle est envoyée à la maison d’arrêt de la ville d’Apt où elle accoucha d’une petite fille, Anne Thérèse Auphan, le 18 février 1862.

Acte de naissance – Apt – février 1862.
L’an mil huit cent soixante deux et le dix neuf février à deux heures du soir..... a comparu Louise Mazet épouse nat agee de cinquante trois ans garde attachée domiciliée à Apt laquelle nous a presente un enfant de sexe feminin qu’elle nous a declaré etre né en sa presence hier à cinq heures du matin dans l’hopital de cette ville du defeu Theophile auphan dit Adrien et de fortunée Beridot son épouse agé l’un de vingt six ans l’autre de vingt cinq ans proprietaires domicilies à Gordes. Et auquel il a été donné les prenoms de anne therese les dites presentation et declaration faites en presence des sieurs Sauveur Jean sans profession age de soixante six ans et arsenne Golly crieur public agé de quarante deux ans domiciliés à Apt......

Après cette naissance, Fortunée avoua avoir été complice de l’assassinat de son mari, mais pas du tout l’instigatrice. Pourtant, il y avait ces lettres en possession de François Denante, lettres signées de la main de la belle jeune femme ordonnant et programmant le meurtre. Il était évident qu’elle avait été la « tête pensante » et lui le « bras exécuteur ».

Le procès de ces « amants diaboliques » se déroula du 1er au 3 mai 1862.
Maître Thourtel, d’Aix-en-Provence, fut l’avocat de Fortunée Berigot. Maître Baralon, de Carpentras, défendit François Denante.
L’avocat Général, Maître Mestre, ne trouva aucune circonstance atténuante aux amants.
A dix heures du soir, le 3 mai 1862, le verdict tomba : Les travaux forcés à perpétuité pour tous deux.

-=-=-=-=-=-=-

Je ne peux attester des faits qui suivent. J‘ai lu divers documents se rapportant à cette affaire. Certains romancés, d’autres me paraissant pas tout à fait crédibles au vu des différents actes.

Je vous soumets toutefois ce que j’ai découvert au travers de mes lectures.

François Denant aurait échoué au bagne de Toulon d’où il se serait évadé en août 1863. Il se serait caché, effectuant ici et là des travaux journaliers, jusqu’au jour où, reconnu, il se serait fait reprendre et envoyer en Guyane où il serait mort de la fièvre jaune

J’ai lu que Fortunée aurait accouchée d’un garçon à la prison de Montpellier.
Je n’ai rien découvert dans les actes de naissances de Montpellier. Un Garçon Bérigot est bien né dans cette ville, mais rien à voir avec Fortunée Bérigot.

Par contre, ce que je peux vous affirmer, c’est que la petite Anne Thérèse quitta la prison d’Apt et fut confiée à des parents nourriciers à Apt où elle décéda à l’âge de cinq mois, le 2 août 1862.

Acte de décès – Gordes – août 1862.
L’an mil huit cent soixante deux et le trois août à onze heures du matin..... sont comparus Pierre Robert menuisier  agé de trente trois ans et Dominique Rey cultivateur agé de trente  quatre ans domiciliés à Gordes voisins du défunt lesquels nous ont déclaré que Thérése anne auphan née à apt (Vaucluse) agee de cinq mois fille de feu Theophile auphan de son vivant agriculteur et de Rosalie Marguerite fortunée Beridot sans profession domiciliés à Gordes est décédée hier à cinq heures du soir dans la maison dudit Dominique Rey, son père nourrissier, sise à Gordes.....

La suite de la vie de Fortunée m’échappe quelque peu. Elle aurait appris qu’elle pouvait vivre libre  en Guyanne, en acceptant de se marier avec un détenu. Ce qu’elle aurait fait. Elle serait décédée, en 1865, des suites de la fièvre jaune, elle aussi.

-=-=-=-=-=-=-
Et à Gordes ?

Thérèse Rosalie Félicienne, veuve Beridot, apprit-elle la mort de sa fille, tout là-bas au-delà des océans ?
Sans doute, par une lettre qui a dû arriver bien après l’évènement.
Tout ce que je sais, c’est qu’elle décéda en 1890, le 12 mars, à une heure après midi. Elle était âgée de soixante dix huit ans.

Acte de décès – Gordes – mars 1890.
L’an mil huit cent quatre vingt dix et le douze mars à trois heures du soir.... son comparus Jules Rey age de cinquante trois ans et theodore Imbert age de quarante deux ans cultivateurs domiciliés à Gordes voisins de la défunte lesquels nous ont déclaré que therese Rosalie felicienne Donnier sans profession née et domiciliée à Gordes agee de septante huit ans fille de feu jean Firmin Donnier et de defunte Rosalie Silvestre et veuve de jean andré Beridot en leur vivant agriculteurs décédés à Gordes lieu de leur domicile est decedee aujourd’hui à une heure après midi dans sa maison sise à Gordes hameau des soldats ......



Claire Manon, épouse Denante, resta dans l’ombre tout au long de cette affaire.
Revit-elle son mari après son arrestation ?
Le cacha-t-elle lorsque celui-ci était en fuite ?
Cessa-t-elle de l’aimer suite au drame ?

Je vais essayer de faire un peu la lumière sur cette jeune femme.

Claire Manon naquit à Gordes, le 23 janvier 1831.

Acte de naissance – Gordes – janvier 1831.
L’an mil huit cent trente un et le vingt neuf janvier a midi par devant nous...... est comparu xavier manon tailleur d’habits demeurant en cette commune lequel nous a presente un enfant de sexe feminin ne le vingt sept du courant a neuf heures du soir dans sa maison d’habitation quartier du faubourg Saint Pons de lui declarant et de helene Bouscarle son epouse demeurant avec lui auquel nouveau né il a dit donner le prenom de Claire les dites declaration et presentation en presence de joseph rouhuot cultivateur age de quarante ans et de guillaume avicot age de soixante cinq ans tous deux domicilies en cette commune........

Elle avait épousé, comme je l’ai dit plus haut, François Denante, le 20 novembre 1850.

Acte de mariage – Gordes – novembre 1850.
L’an mil huit cent cinquante et le vingt novembre à onze heures du matin par devant nous...... sieur françois Denante cultivateur né à Gordes le huit octobre mil huit cent vingt six age de vingt quatre ans fils majeur d’antoine Denante et de marie anne Bouis cultivateurs tous domicilies à Gordes, d’une part et Delle Claire Manon sans profession née à Gordes le vingt sept janvier mil huit cent trente et un age de dix neuf ans fille mineur de xavier Manon tailleur d’habits et de helene Bouscarle sans profession d’autre part, lesquels nous ont requis de proceder à la celebration de mariage projete entre eux..... en presence de Messieurs denis toucisiol menuisier age de cinquante ans, de basile Aubery quincaillier age de quarante trois ans, de Leon Combe maçon age de trente neuf ans et de Pierre joseph Bourgue sans profession age de trente un ans, tous quatre domicilies à Gordes non parents des maries.....


Après avoir feuilleté les registres des actes de naissance de Gorbes, je n’ai découvert qu’un seul enfant né de leur union. Il s’agit de François Xavier Jédéon, né le 24 octobre 1851.

Acte de naissance – Gordes – octobre 1851.
L’an mil huit cent cinquante un et le vingt six octobre à onze heures du matin par devant nous.... est comparu françois Denante cultivateur age de vingt cinq ans lequel nous a presente un enfant de sexe masculin né le vingt quatre du courant à huit heures du soir dans sa maison quartier de Font Blanche de lui declarant et de Claire Manon son épouse sans profession agee de vingt ans domicilies à Gordes auquel nouveau né il a dit donner les prenoms de françois xavier Jédéon les dites declaration et presentation en presence de antoine denante age de soixante sept ans cultivateur et de xavier Marcon tailleur d’habits age de cinquante six ans aïeuls du nouveau né domicilies à Gordes......

Rien sur Gordes, concernant François Xavier Jédéon, dans les tables décennales. Si il s’est marié ce n’est pas dans le lieu de sa naissance. Pas d’acte de décès non plus.
Par contre, sa mère, Claire Manon, épouse Denante, quitta ce monde le 9 juillet 1880.

Acte de décès – Gordes – juillet 1880.
L’an mil huit cent quatre vingt et le neuf juillet à huit heures du matin par devant nous.... sont comparus Moutin Clair alexis maître cordonnier age de cinquante trois ans et Robert pierre menuisier age de cinquante un ans domicilés à Gordes voisins de la defunte lesquels nous ont declaré que claire Manon sans profession née et domiciliée à Gordes âgé de quarante neuf ans fille de feu Manon xavier et de feue helene Bouscarle en leur vivant tailleurs d’habits decedes à Gordes lieu de leur domicile et epouse de François Denante sans profession domicile inconnu est decedee hier à cinq heures du soir dans sa maison sise à Gordes rue Saint Pons.......

-=-=-=-=-=-

Pour écrire cet article, j’ai lu les documents suivants :

-          Grandes affaires criminels – Crimes passionnels de Sylvain Larue – Editions de Borée.
-          La Venus de Gordes de Adolphe Belot et Edmond Daudet – E Dentu Libraire Editeur – Paris Palais royal – 17 et 19 Galerie d’Orléans – 1876.

-          Les actes des différentes archives départementales en ligne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.