Etre
maire d’un village, pas aisé !
Car
mis à part la paperasse à tenir, les chiffres à équilibrer, les célébrations à
présider, il faut accueillir les dépôts de plaintes et essayer de les
régler à l’amiable, sans prendre partie,
bien évidemment. Dans un conflit, il faut que chaque partie pense avoir
« gagné » au détriment de l’autre !
Quel
boulot !
-=-=-=-=-=-=-=-
Il
était environ neuf heures du soir, en ce début de juin 1814, lorsque Marie
Victoire Madeleine Morice, femme de Germain L’Ecot se présenta à la mairie de
Marbeuf. Quel choc pour le maire, en la voyant maculée de sang ! Elle en
avait tant sur les cheveux que ceux-ci en étaient tout collés, et puis ses
vêtements en été également couverts.
Monsieur
le maire fit asseoir la pauvre femme qui tremblait de tous ses membres, autant
de rage que de douleur, et qui était prête à défaillir.
« Qu’est-ce
qui s’est passé ? s’inquiéta-t-il alors.
- - C’est l’ père ! j’ viens déposer
une plainte. C’est l’ père ! Il m’a frappée !
Sous
l’emprise d’une forte émotion la plaignante hoquetait et manquait de souffle.
« Mais
pourquoi t’a-t-il frappée ? s’enquit le maire qui connaissait bien la
plaignante.
-
Si j’ savais ! ça l’a pris comme ça.
- - Tu sais bien qu’il n’a pas toute sa tête,
le pauvre homme. Faut pas porter plainte. Cela va vous amener devant la
justice. Et puis, ça va entraîner des frais.
- - J’porte plainte. J’ veux réparation,
comme on dit ! ça oui,
alors !
- - Alors, raconte-moi comment ça s’est
passé. Y a-t-il eu des témoins ?
- - Pour sûr ! Joseph et Eloi, les
cousins.
Un
peu en retrait, Eloi et Joseph Collet affirmèrent avoir assisté à la scène. Ils
étaient bien les cousins de la femme L’Ecot, leur mère étant la sœur de son
père, l’agresseur contre lequel une plainte allait être déposée.
Le
maire trempa sa plume dans un encrier et commença, sous la dictée des faits
exposés par Marie Victoire Madeleine
Morice, à écrire le récit de l’agression, en commençant par la déclinaison de
l’identité de la plaignante, à savoir :
Marie
Victoire Madeleine Morice, fille de Placide Morice et Marie Le Roy, née et
domiciliée à Marbeuf, épouse de Germain François L’Ecot et exerçant la
profession de fileuse.
« Venons-en
aux faits, à présent, demanda le maire. Et voici ce qu’il apprit :
Marie
Victoire Madeleine prenait le frais sur le pas de sa porte, après une journée
bien remplie. Joseph Collet revenant des champs s’arrêta, un instant, histoire
de souffler, histoire de faire un brin de causette.
« C’est
à ce moment, expliqua Marie Victoire Madeleine que mon père s’approcha de nous.
J’y prêtais pas attention, le vieux i’ fait souvent son p’tit tour par chez nous.
Mais, c’ soir, j’ sais point pourquoi, il m’a frappée. Alors, ben sûr, je m’
suis mise à crier. Vous pouvez l’ voir, dans quel était i’ m’a mis’. »
En
effet, la pauvre femme avait les cheveux collés par le sang qui avait coulé sur
ses vêtements. De plus, elle avait un teint plutôt verdâtre, signe qu’elle n’allait
pas bien, mais pas bien du tout ! Pensez donc, prendre des coups sur la
tête ça n’arrange pas la santé !
Pendant
le récit de sa cousine, Joseph Collet avait hoché la tête, confirmation muette
des dires énoncés. Il prit alors la parole :
« Comme
la Victoire vi’nt de l’dire, on parlait d’vant sa maison, sur le chemin. Le Placide
est venu près d’ nous et pis il a frappé plusieurs fois sa fille sur la tête.
Il criait qu’il voulait la tuer ! Je m’ suis précipité pour l’arrêter,
mais c’est qu’il a encore d’ la force le vieux Placide. Nom de d’là !
- - Vous savez pourquoi il voulait tuer sa
fille ? demanda le maire. Il s’était passé un autre évènement qui aurait
pu déclencher celui-là ?
Ce
fut à ce moment qu’intervint Eloi Collet, le second cousin.
« J’étais
avec mon frère pendant qu’il parlait avec la cousine. J’ai vu le vieux
Placide s’approcher d’eux en marmonnant. Il s’est avancé vers sa fille en
lui demandant si elle avait enfin tué sa
mère. Victoire lui a répondu qu’elle n’avait rien fait à sa mère, puis elle a
repris sa conversation avec le frère. C’est là qu’ le Placide il a commencé à
la frapper à la tête. Joseph a essayé d’arrêter le vieux, mais il avait du mal,
j’ suis v’nu l’aider. Victoire était couverte de sang, ça lui coulait sur l’
visage !
- - Quelle affaire ! pensa la maire.
Puis, s’adressant à la plaignante, il essaya d’arranger les choses. « Bon,
alors cette plainte ? On laisse tomber, Victoire ? Tu ne vas pas
traîner ton père devant les tribunaux, tout de même ? »
Mais,
la femme L’Ecot restait sur ses positions. Facile à dire tout cela, hein, mais
qui est-ce qui avait eu le crâne fracassé ? Pas le maire, avec tous ses
conseils, mais bien elle !
Et
puis, quelle migraine elle avait, à présent ! Sûr qu’elle va être
malade ! Et qui va payer le médecin ?
En
boucle que ça tournait dans sa tête, cette rancœur, au point que la douleur en était
décuplée.
-=-=-=-=-=-=-=-
Le
soir venu, l’agression et le dépôt de plainte se trouvèrent au centre des
conversations, au foyer des époux L’Ecot.
« J’
va l’trainer devant la justice, répétaient à n’en plus finir Marie Victoire
Madeleine.
- - Et comment tu vas aller à la ville, d’vant
le juge ? rétorqua son mari,
Marie
Victoire Madeleine n’avait pas pensé à cela, mais souhaitant avoir le dernier
mot, elle lança :
« J’
trouv’rai ben quelqu’un pour m’y emmener, un jour de marché.
- - Et si tu dois rester plusieurs jours, on
sait jamais ?
Alors
là la femme n’y avait nullement réfléchi. Prendre une chambre à la ville pour y
dormir. Jamais elle n’avait imaginé le faire, et puis, cela allait
coûter !
«
J’ me débrouillerai ben, lança-t-elle, comme un défit à la face de son époux.
- - Et les frais de justice, t’ y a
pensé ?
- - Quels frais, puisque j’va gagner !
- - Même si tu gagnes, y a des frais !
Et d’ailleurs, le juge, i’ dira qu’ c’est ton père et qu’une fille ça doit pas
envoyer son père à la justice. Et puis, vu son âge au père, le juge i’ dira qu’
il a plus toute sa tête. T’auras pas gain d’ cause !
- - Et les coups, hein ? Qui les a
pris, les coups ?
- - Laisse, t’auras à payer, j te dis !
Et pis, c’est ton père. On fait pas un procès à son père !
- - Et pourquoi donc ? C’est pas la justice ça ! Tu vas voir,
si on fait pas un procès à son père. On va voir ! Moi, j’ te l’ dis !
-=-=-=-=-=-=-=-
Toute
la nuit, Marie Victoire Madeleine tourna et retourna la situation dans sa tête
déjà terriblement douloureuse, ce qui n’arrangea rien.
Elle
se voyait partir à la ville, revêtue de ses plus beaux habits, ceux réservés
aux jours de fêtes, pour faire bonne impression.
Elle
se voyait intimidée devant un juge sévère. Jaugée, jugée, par celui-ci.
Elle
se voyait attaquée la nuit, pendant son sommeil, dans l’auberge qu’elle avait
choisie pour son séjour.
Elle
se voyait dépouillée par des frais de justice exorbitants.
Si
bien qu’au réveil, chancelante après un sommeil agité, elle ne savait plus où elle en était.
Ce
qu’elle savait toutefois, Marie Victoire Madeleine, c’était que depuis son
mariage avec Germain L’Ecot, le 2 octobre 1797, ils avaient vécu une vie de
labeur. Bien sûr, ils avaient mis un peu de côté, oh très peu, mais
suffisamment pour voir venir. Alors, pourquoi risquer de tout perdre ?
Alors,
attrapant un châle qu’elle jeta sur ses épaules, elle se rendit à la mairie et
retira sa plainte.
-=-=-=-=-=-=-=-
Les
fileuses et tisserands, travaillant à domicile dans les campagnes, furent les
premiers touchés par la construction de manufactures, immenses bâtiments
regroupant en un seul lieu tous les métiers de la fabrication du drap.
Voilà
sans doute la raison pour laquelle
quelques mois plus tard, le couple L’Ecot/Morice alla vivre à Elbeuf où
ils trouvèrent à loger dans la rue des trois corneilles.
Elbeuf
possédant de nombreuses filatures et usines de tissage, l’un et l’autre
n’eurent pas de mal à trouver de l’embauche. Un changement de vie radical, car
ils quittaient le calme de la campagne pour le bruit et l’agitation de la
ville.
Beaucoup
d’ouvriers, tout comme eux, pensaient, ainsi, gagner plus et vivre plus
heureux..... Mais, ce n’était qu’un leurre !
Ce
fut ainsi que Germain L’Ecot exerça comme teinturier et Marie Victoire
Madeleine comme mécanicienne.
Marie
Victoire Madeleine Morice, femme L’Ecot décéda à l’hospice général de Rouen, le
29 juin 1820.
Germain
décéda quatre années plus tard, à l’hospice d’Elbeuf, le 21 juin 1824.
Les registres de
délibérations du Conseil municipal sont riches
de tous ces
faits divers qui montrent avec exactitude la vie au quotidien.
Il suffit après
de « fouiller un peu », pour faire plus ample connaissance
avec les
protagonistes malgré eux des tranches de vie relatées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.