Marie
Thérèse Dumont était venue voir sa petite Marie Adélaïde.
Habitant
Paris, au 286 rue Saint-Honoré, elle avait choisi de mettre son enfant en
nourrice, à la campagne.
Le
grand air ne pouvait que lui faire du bien.
Le
nourrisson avait donc été confié à Eléonore Duvivier, habitant Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Nourrice que lui avait fortement recommandée par une agence de placement.
Lorsque
Marie Thérèse Dumont arriva aux abords de la petite chaumière, son estomac se
serra. La cour n’avait rien d’accueillant.
Bien
sûr, en cette fin février, maussade et frisquette, le paysage n’était pas des
plus rayonnants, mais tout de même !
Elle
frappa à la porte. De l’intérieur lui provenaient des cris et pleurs d’enfants.
Etait-ce
sa petite qu’elle entendait ?
Le
rideau de la fenêtre sur le devant de la maison se souleva, puis quelque temps
après, la porte s’ouvrit.
«
c’est pourquoi ? demanda une
femme dans l’entrebâillement de la porte.
-
Je souhaiterais voir ma fille, la petite
Marie Adélaïde.
-
Oui, mais c’est qu’ j’ai pas encore fait
la toilette des enfants ! grogna la femme.
-
Je pourrais peut-être entrer ?
demanda timidement Marie Thérèse Dumont. C’est qu’il ne fait pas très chaud.
-
Ça pour sûr ! C’est point la grande
chaleur !
La
femme Duvivier ouvrit, de mauvaise grâce, plus largement la porte et laissa
entrer la visiteuse.
Dans
la grande pièce commune, régnait une forte odeur d’urine et de vomi qui prenait
à la gorge, ainsi qu’un désordre inqualifiable.
Plusieurs
enfants dans des berceaux ou assis dans des parcs à même le sol de terre
battue.
Après
s’être adaptée à la pénombre de la pièce, la maman chercha des yeux sa fille.
Elle la découvrit à l’écart dans le fond de la pièce, couchée dans un berceau.
Le nourrisson somnolait, un pouce dans la bouche. Son visage blême, aux petits
yeux cernés de noir, alerta la jeune femme. Prenant son enfant dans les bras,
elle constata que ses langes étaient souillés.
«
Vous ne la changez jamais ! s’exclama-t-elle, indignée.
-
C’est qu’elle vient de refaire ! j’
peux point êt’ partout.
-
Elle n’a pas l’air d’être bien. Quand
lui avez-vous donné à manger ?
La
femme Duvivier parut embarrassée. Elle répliqua alors :
« Est-ce
que j’ sais, moi ! Vous croyez qu’ j’ai ça à faire, d’ m’occuper d’un
seul ! Avec tous ces marmots, c’est qu’il y a d’ l’ouvrage !
Furieuse,
la dame Dumont enveloppa sa fille dans une couverture à la propreté douteuse et
l’emporta, illico presto, à la maison commune, afin de faire constater l’état
dans lequel se trouvait sa petite.
L’adjoint
qui la reçut convint sans peine après examen que l’enfant d’une apparence
chétive et souffreteuse, était dans une grande malpropreté. De plus, la petite
Marie Adélaïde avait des ulcères sur les
fesses. Ce qui prouvait qu’elle restait très longtemps à macérer dans ses
déjections.
«
A voir l’état de cet enfant, il est évident qu’elle ne reçoit pas les soins
nécessaires. Pauvre petite ! déclara le maire.
-
Vous comprenez que je ne peux pas
confier à nouveau mon bébé à cette femme. Elle n’est pas digne de confiance.
-
Je vais établir un procès verbal,
constatant les faits et l’incapacité de la femme Duvivier à s’occuper
d’enfants.
-
Je ne peux laisser l’enfant entre les
mains de cette nourrice, se lamenta la mère. Pouvez-vous me conseiller quelqu’un qui pourrait prendre
réellement soin de Marie Adélaïde ?
-
Il y a bien la Marie Suzanne. Une brave
femme. Chez elle, votre fillette sera bien.
Voilà
comment la petite Marie Adélaïde arriva dans le foyer du couple Dubos. Marie
Suzanne Echard étant l’épouse de Louis François Dubos.
Les
autorités de Saint-Aubin-d’Ecrosville se rendirent chez Eléonore Duvivier, afin
de reprendre la layette du nourrisson et lui signifier que tous les petits dont
elle avait la charge lui seraient repris.
Le
maire essaya de comprendre pourquoi cette femme ne s’occupait pas mieux des
petits.
« Vous
savez combien j’en ai à moi des marmots, sans compter les autres ?
Hein ? Et ça vous crie dans les oreilles à longueur de temps. Nuit et
jour !
-
Mais, Eléonore, répondit le maire, vous
le saviez que les enfants crient et pleurent.
Alors, pourquoi en prenez-vous autant en nourrice ?
-
Faut ben vivre ! Surtout qu’on est
payé une misère, en plus ! ça,
j’ vous dis !
-
Et la petite, pourquoi ne vous lui
donniez pas les soins nécessaires ?
-
Ah, celle-là ! C’est la seule qui
criait point, alors j’ pensais qu’elle avait besoin de ren !
-=-=-=-=-=-=-
Un
enfant tous les deux ans venait au monde dans la quasi-totalité des foyers.
Lorsque
les femmes avaient beaucoup de lait, elle allaitait un autre enfant avec le
sien. Frères ou sœurs de lait, un lien qui unissait les bébés souvent très
fortement, tout au long de leur vie, malgré souvent la différence de classe
sociale.
Lorsqu’une
maman perdait son enfant, alors qu’il était encore au sein, cette femme prenait
un bébé en nourrice. Cela lui procurait un petit revenu et peut-être aussi,
compensé la perte de son petit, surtout s’il était l’aîné.
Une
« nourrice au sein » était payée plus cher qu’une « nourrice au
biberon ».
Le
lait des biberons !
Parlons-en !
Pour
faire des économies, il était coupé avec de l’eau.... l’eau du puits.... l’eau
de la mare......
Hé
oui ! Un enfant fort et bien membré résistait aux bactéries.
Les
autres mourraient.....
Toutes
les nourrices n’étaient pas comme Eléonore, heureusement, mais il ne faut pas
se voiler la face, il y en avait...... ça, pour sûr !
La
mortalité infantile était très importante.
Voilà
pourquoi, avant le XXème siècle, on ne s’attachait pas trop aux
petits.
A
la fin du XIXème siècle, les médecins s’inquiétèrent de la mortalité
infantile trop importante due, en particulier, à la nutrition des bébés.
Aussi,
afin que le lait ne soit plus « coupé », ni souillé de bactéries, des
organisations nommées « Goutte de lait » furent créées dans les
communes à partir de 1894.
Leur
but était de distribuer, gratuitement, des biberons contenant du lait stérilisé
aux mamans n’allaitant pas leur nourrisson.
Une
évolution importante, prenant en compte la maternité, les femmes et les nourrissons, qui se poursuivit tout au
long de la première partie du XXème siècle.
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
janvier 1843.
Procès verbal
contre ce que l’on
nommerait,
aujourd’hui, « maltraitance ».
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