mercredi 6 décembre 2017

HISTOIRE DE VILLAGE - Histoire d’eau !



Ce furent des hurlements qui tirèrent Michel François Julien Berrier de son ouvrage. Il se précipita hors de la grange où il travaillait et regarda alentour.
Un petit attroupement s’était déjà formé à quelques mètres de l’endroit où il se trouvait, non loin de la mare lui appartenant et dont il mettait l’eau à disposition de ses proches voisins.

« Faut ben s’entraider ! », disait-il souvent.

Un brave homme, le sieur Berrier !

Arrivant à la mare, il fut interpellé par une voisine qui lui dit :
« C’est la Félicie, votre femme ! Elle est dans l’eau ! Faut la r’pécher !

N’écoutant que son courage, il sauta dans l’eau stagnante et ramena une femme gesticulant, vociférant et crachant.
Dans un sacré état qu’elle était la Félicie !
Cheveux en bataille, ruisselante de partout.

Sur la berge, droite et fière, l’air arrogant, Marie Clotilde Arsène Dupuis, femme Delarue, lança avant de s’en retourner, portant un seau bien rempli de l’eau tirée de la mare :
« Ça lui apprendra, à celle-là ! Charogne, va ! »


Devant l’âtre dont Michel François Julien  avait activé les braises et sur lesquelles il avait ajouté une bûche, Félicie, sur une chaise, grelottait et claquait des dents.
Une voisine charitable la frictionnait avec de l’alcool pour « activer le sang ».

« C’est qu’elle va m’attraper la mort ! » se lamentait le pauvre mari.

Il était vrai qu’un bain forcé en janvier n’était pas des plus recommandés, d’autant plus que ce début d’année 1843 n’étant pas des plus chauds !

« Sûr qu’elle va m’attraper la mort ! poursuivait Michel François Julien, toujours occupé autour du feu pour qu’il produise une bonne chaleur.
Car, à bien la regarder, Félicie, tremblotante de partout, tournait quelque peu au bleu violacé !

Sûr qu’elle allait attraper la mort après un pareil bain !

Frictionnant de plus belle la rescapée, la voisine, rouge écarlate et suant à grosse gouttes, elle, lança :
« Une furie la Clothilde ! Mais qu’est-ce qui lui a pris, sacré nom ! »
-          C’est donc qu’ la femme est pas tombée toute seule dans la mare ?
-          Que non alors ! J’ai tout vu d’là où j’étais. Vot’ dame, elle puisait d’ l’eau quand la Clothilde est arrivée. Et c’est là que l’ ton il est monté.
-          Et pourquoi donc ?
-          Ça j’ pourrait pas l’dire ! Ce que j’ sais, c’est qu’ la Clothilde, elle a poussé vot’ dame, qu’est tombée. Puis, elle l’a tiré par les ch’veux. Et plouf ! Dans l’eau !
-          C’est qu’elle va m’attraper du mal, à c’t’ heure ! répétait encore le mari.
-          I’ faudrait la coucher, bien au chaud ! préconisa la voisine.
-          Oui, c’est sûr ! Et l’ouvrage ? Qui va l’ faire, l’ouvrage ?
-          Bah ! Il attendra, pardi !
-          Oui, mais tout d’ même !
-          Faudrait p’ êt’ appeler l’docteur ?
-          L’ docteur ?
-          Bah, si elle est prise de fièvre....

A ce moment, comme s’éveillant d’une longue hibernation, Félicie, qui jusqu’à présent était restée silencieuse, déclara d’une petite voix :
« Non ! Pas le docteur ! Ça va coûter ! Et pis l’ouvrage, j’ vas l’faire....
-          Non ! déclara fermement Michel François Julien, toi, tu vas t’ coucher et moi, bah, j’ vas aller voir le maire et porter plainte. Et puis, à partir de c’ jour la Clothilde, elle va puiser son eau ailleurs qu’ici ! Moi, j’ te l’ dis !

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Voilà pourquoi, en ce 15 janvier 1843, sept jours après le terrible évènement, Michel François Julien Berrier se trouvait en mairie, devant Jean Baptiste Dubos, adjoint, afin de déposer plainte contre Marie Clothilde  Désirée Dupuis, épouse de Armand Théodore Delarue, se plaignant de la violence de cette dernière envers son épouse qui, de ce fait, avait attrapé un mal de poitrine, voire plus, et qui se trouvait toujours clouée au lit, concluant son exposé par :
« Et pendant ce temps, bah, l’ouvrage i’ s’ fait point ! ».

Aucune suite à ce « crêpage de chignon » dont vous ne connaitrez pas, tout comme moi, les raisons.
La fatigue, sans doute.
Le froid, certainement, qui rendait les tâches journalières encore plus difficiles.
Imaginez-vous aller en plein hiver puiser de l’eau dans une mare !

J’ai essayé de savoir si ce bain hivernal avait eu des conséquences mortelles.
A mon grand soulagement, il n’en fut rien.

Ce fut Michel François Julien Berrier qui partit le premier, en plein été, le 6 août 1849.
Né le 24 brumaire an 9, il avait, comme noté sur son acte de décès, quarante-huit ans et neuf mois.

Quant à Judique Félicité, nommée Félicie dans la plainte, elle se remaria le 16 septembre 1868, avec un certain Louis François Dubos.
Elle décéda le 29 février 1880, à l’âge de soixante-dix-sept ans et onze mois.
Née le 7 pluviose an 10, elle était la fille de Pierre Louis Selle et de Marie Catherine Delamare.

Delamare !!

N’était-elle pas, par le nom de jeune fille de sa mère, prédestinée à ce plongeon ?


Saint-Aubin-d’Ecrosville.  Janvier 1843.
Au fil des lectures du registre des délibérations municipales.....
Une mine de renseignements sur la vie politique du village,
mais aussi sur les « faits d’hiver » !!!! 


   

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