Ce
furent des hurlements qui tirèrent Michel François Julien Berrier de son
ouvrage. Il se précipita hors de la grange où il travaillait et regarda
alentour.
Un
petit attroupement s’était déjà formé à quelques mètres de l’endroit où il se
trouvait, non loin de la mare lui appartenant et dont il mettait l’eau à
disposition de ses proches voisins.
« Faut
ben s’entraider ! », disait-il souvent.
Un
brave homme, le sieur Berrier !
Arrivant
à la mare, il fut interpellé par une voisine qui lui dit :
« C’est
la Félicie, votre femme ! Elle est dans l’eau ! Faut la
r’pécher !
N’écoutant
que son courage, il sauta dans l’eau stagnante et ramena une femme gesticulant,
vociférant et crachant.
Dans
un sacré état qu’elle était la Félicie !
Cheveux
en bataille, ruisselante de partout.
Sur
la berge, droite et fière, l’air arrogant, Marie Clotilde Arsène Dupuis, femme
Delarue, lança avant de s’en retourner, portant un seau bien rempli de l’eau
tirée de la mare :
« Ça
lui apprendra, à celle-là ! Charogne, va ! »
Devant
l’âtre dont Michel François Julien avait
activé les braises et sur lesquelles il avait ajouté une bûche, Félicie, sur
une chaise, grelottait et claquait des dents.
Une
voisine charitable la frictionnait avec de l’alcool pour « activer le
sang ».
« C’est
qu’elle va m’attraper la mort ! » se lamentait le pauvre mari.
Il
était vrai qu’un bain forcé en janvier n’était pas des plus recommandés,
d’autant plus que ce début d’année 1843 n’étant pas des plus chauds !
« Sûr
qu’elle va m’attraper la mort ! poursuivait Michel François Julien,
toujours occupé autour du feu pour qu’il produise une bonne chaleur.
Car,
à bien la regarder, Félicie, tremblotante de partout, tournait quelque peu au
bleu violacé !
Sûr
qu’elle allait attraper la mort après un pareil bain !
Frictionnant
de plus belle la rescapée, la voisine, rouge écarlate et suant à grosse
gouttes, elle, lança :
« Une
furie la Clothilde ! Mais qu’est-ce qui lui a pris, sacré
nom ! »
-
C’est donc qu’ la femme est pas tombée
toute seule dans la mare ?
-
Que non alors ! J’ai tout vu d’là
où j’étais. Vot’ dame, elle puisait d’ l’eau quand la Clothilde est arrivée. Et
c’est là que l’ ton il est monté.
-
Et pourquoi donc ?
-
Ça j’ pourrait pas l’dire ! Ce que
j’ sais, c’est qu’ la Clothilde, elle a poussé vot’ dame, qu’est tombée. Puis,
elle l’a tiré par les ch’veux. Et plouf ! Dans l’eau !
-
C’est qu’elle va m’attraper du mal, à
c’t’ heure ! répétait encore le mari.
-
I’ faudrait la coucher, bien au
chaud ! préconisa la voisine.
-
Oui, c’est sûr ! Et l’ouvrage ?
Qui va l’ faire, l’ouvrage ?
-
Bah ! Il attendra, pardi !
-
Oui, mais tout d’ même !
-
Faudrait p’ êt’ appeler l’docteur ?
-
L’ docteur ?
-
Bah, si elle est prise de fièvre....
A
ce moment, comme s’éveillant d’une longue hibernation, Félicie, qui jusqu’à présent
était restée silencieuse, déclara d’une petite voix :
« Non !
Pas le docteur ! Ça va coûter ! Et pis l’ouvrage, j’ vas l’faire....
-
Non ! déclara fermement Michel
François Julien, toi, tu vas t’ coucher et moi, bah, j’ vas aller voir le maire
et porter plainte. Et puis, à partir de c’ jour la Clothilde, elle va puiser
son eau ailleurs qu’ici ! Moi, j’ te l’ dis !
-=-=-=-=-=-=-
Voilà
pourquoi, en ce 15 janvier 1843, sept jours après le terrible évènement, Michel
François Julien Berrier se trouvait en mairie, devant Jean Baptiste Dubos,
adjoint, afin de déposer plainte contre Marie Clothilde Désirée Dupuis, épouse de Armand Théodore
Delarue, se plaignant de la violence de cette dernière envers son épouse qui,
de ce fait, avait attrapé un mal de poitrine, voire plus, et qui se trouvait
toujours clouée au lit, concluant son exposé par :
« Et
pendant ce temps, bah, l’ouvrage i’ s’ fait point ! ».
Aucune
suite à ce « crêpage de chignon » dont vous ne connaitrez pas, tout
comme moi, les raisons.
La
fatigue, sans doute.
Le
froid, certainement, qui rendait les tâches journalières encore plus
difficiles.
Imaginez-vous
aller en plein hiver puiser de l’eau dans une mare !
J’ai
essayé de savoir si ce bain hivernal avait eu des conséquences mortelles.
A
mon grand soulagement, il n’en fut rien.
Ce
fut Michel François Julien Berrier qui partit le premier, en plein été, le 6
août 1849.
Né
le 24 brumaire an 9, il avait, comme noté sur son acte de décès, quarante-huit
ans et neuf mois.
Quant
à Judique Félicité, nommée Félicie dans la plainte, elle se remaria le 16
septembre 1868, avec un certain Louis François Dubos.
Elle
décéda le 29 février 1880, à l’âge de soixante-dix-sept ans et onze mois.
Née
le 7 pluviose an 10, elle était la fille de Pierre Louis Selle et de Marie
Catherine Delamare.
Delamare !!
N’était-elle
pas, par le nom de jeune fille de sa mère, prédestinée à ce plongeon ?
Saint-Aubin-d’Ecrosville. Janvier 1843.
Au fil des
lectures du registre des délibérations municipales.....
Une mine de
renseignements sur la vie politique du village,
mais aussi sur
les « faits d’hiver » !!!!
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