Mil
sept cent quatre-vingt douze......
Situé
dans l’Eure, Villettes était un petit village comme beaucoup d’autres où l’on
vivait tranquillement, presque retranché du monde.
Oh,
bien sûr, ce n’était pas le paradis.
Comme
partout, on y subissait les caprices du temps faisant des années aux récoltes
abondantes et d’autres où la famine épuisait les forces morales et physiques.
Ces années-là, les plus faibles rejoignaient les anciens qui reposaient dans le
petit cimetière.
C’était
ainsi depuis la nuit des temps, et se révolter n’aurait rien changé.
Comme
beaucoup d’autres avant lui et bien d’autres après, Jean Baptiste Signol avait
vu le jour à Villettes.
Il
y avait reçu le baptême dans la petite église. Jour de joie qui annonçait la
venue d’un enfant et pour l’accueillir comme il se devait, les cloches
carillonnèrent à toute volée.
Ce
fut également dans cette même petite église qu’il épousa, le 21 février 1743,
Marie Ducy, et les cloches, ce jour-là encore, résonnèrent avec allégresse.
L’église,
en ce temps-là, était le lieu de rassemblement du village.
On
s’y retrouvait le dimanche matin et les jours de fêtes religieuses pour
célébrer le « Très Haut » et lui demander protection et soutien.
On
s’y retrouvait pour les moments de joie, baptêmes et mariages.
On
s’y retrouvait pour les derniers hommages à ceux qui avaient parcouru un bout de chemin avec
soi.
Joies,
chagrins, se partageaient là, et Monsieur le Curé, humble maître des lieux,
soutenait du mieux possible chaque âme vivant dans sa paroisse.
Le
rôle de ce saint-homme ne se bornait pas qu’à cela, il était un peu la
« gazette », annonçant au cours des offices les évènements concernant
non seulement le village, mais ceux des villages environnants, surtout si les
habitants de ceux-ci étaient dans le besoin suite à une catastrophe. Il y a
toujours plus nécessiteux que soi.
Charité
chrétienne oblige !
Pour
les nouvelles, il y avait aussi l’estaminet du cabaretier, dans lequel
s’arrêtaient les rouliers et colporteurs. En ce lieu sentant la sueur et le mauvais
alcool, les nouvelles circulaient, souvent déformées au gré de l’humeur du
conteur. Il fallait bien garder l’attention de l’auditoire !
En
ce lieu, donc, on parlait aussi politique, ce qui faisait que souvent les
esprits s’échauffaient, déclenchant des bagarres.
« Dehors !
hurlait alors le cabaretier craignant voir son commerce ruiné. Allez régler ça
dehors ! »
Jean
Baptiste Signol, lui, écoutait comme tout à chacun, mais tout à son nouveau
rôle d’époux, ce qui l’inquiétait, lui, c’était l’avenir, le sien, mais aussi
celui de son épouse Marie et du petit qui allait naître prochainement. Jean
Baptiste était d’autant plus inquiet que la santé de la future maman était fragile.
Les
inquiétudes de Jean Baptiste se révélèrent fondées. Le 28 janvier 1744, au foyer,
naquit une petite fille baptisée Marie Elisabeth. Chétive, elle n’eut pas la
force de téter. Deux jours après sa venue au monde, le 30 janvier 1744, elle
fut portée en terre.
Marie
Ducy savait pourtant que beaucoup de bébés mouraient peu après leur naissance.
La vie était ainsi faite ! Mais, elle n’aurait jamais cru que cela pouvait
lui arriver. Lorsqu’elle avait annoncé sa grossesse à son époux, elle
resplendissait de bonheur, et malgré les nausées et malaises, elle se montra
vaillante à l’ouvrage, cousant et tricotant le soir devant l’âtre en
chantonnant.
L’accouchement
avait été difficile. La matrone avait dû faire intervenir le médecin.
Epuisée
à présent, Marie, alitée, voyait tous ses rêves lui échapper. Le berceau vide
avait été enlevé, mais il lui restait la souffrance, celle physique de son ventre
meurtri et de ses seins pesant de lait inutile, de ses mains et bras vides
cherchant l’enfant défunt, de son cœur brisé de la perte de ce premier petit,
prometteur de bonheur et de tendresse.
S’alimentant
de moins en moins, Marie Ducy déclina.
Revêtu
du même costume que l’an dernier, Jean Baptiste Signol se retrouva dans la
petite église. Triste anniversaire que ce 22 février 1744, où il se retrouvait
veuf.
Marie
Ducy avait rejoint leur petite Elisabeth, ce fut ce que monsieur le curé, les
mains jointes, dit, à la fin de la cérémonie :
« Elles
sont maintenant réunies au Royaume des Cieux ! »
Bien
triste consolation !
Jean
Baptiste, lui, ne se retrouvait-il pas seul, sur cette terre ?
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