Le sonneur s’est fait sonner les cloches !
La
sonnerie de la cloche, à toute volée, avait jeté hors des demeures les
habitants de la ville. Il y avait, là dans les rues, des femmes échevelées, en
chemise, les épaules enveloppées à la hâte d’un châle, des hommes reboutonnant,
sans réelle discrétion, leur pantalon qu’ils avaient enfilé rapidement avant de
sortir, une ribambelle de gamins courant en tous sens, bien mieux réveillés que
leurs parents et déjà prêts à toutes les facéties possibles. Une femme, surprise
alors qu’elle allaitait, se trouvait également là, seins découverts, son marmot
toujours à la mamelle.
Tous,
sans exception, l’odorat interrogateur, flairaient tels des chiens en quête de
gibiers ; tous, le regard inquiet, scrutaient le toit des maisons, le ciel
encore assombri en raison de l’heure, entre nuit et aube, espérant découvrir le
moindre indice justifiant la sonnerie de ce tocsin qui étreignait les estomacs,
faisait battre les cœurs plus rapidement.
Le
tocsin n’était-il pas annonciateur de sinistres nouvelles ?
Mais
là, rien ! Aucune lueur rougeoyante à l’horizon, aucune odeur de fumée.
« I’
s’ pass ‘ quoi ? demanda, inquiète, une femme serrant dans ses bras
un jeune enfant endormi.
-
Y’ a pas d’incendie ! affirma,
soulagé, un homme chauve à l’imposante moustache.
-
Ce s’rait y qui y’aurait la
guerre ? interrogea une vieille femme qui en avait vu passer des guerres,
qui en avait vu des jeunes hommes partir pour ne point revenir.
-
Des guerres ! lança une autre, mais
c’est qui y’ en a toujours ! Alors, i’ f’rait pas un pareil raffut pour
ça !
-
C’est y qu’ le roi, i’ s’rait
mort ? clama triomphant un jeune homme qui n’avait jamais caché ses idées
républicaines.
-
Mort oui vivant ! rétorqua un autre
homme fataliste. Qu’est-ce que ça chang’rait ? Pour nous, ce s’ra toujours
la misère !
Tout
cela faisait grand bruit, grand vacarme même, et aurait sans doute tourné à
l’émeute, si le maire, suivi des conseillers municipaux, n’était arrivé.
Le
calme se fit aussitôt.
Monsieur
Lambart regarda le clocher de l’église Notre-Dame dont la cloche déversait
toujours ses sombres sonorités.
Ce
fut alors qu’on vit arriver, soutane au vent, monsieur le curé, le visage
encore bouffi par le sommeil.
« Alors,
monsieur le curé ! lança le maire d’un ton de reproche. Que signifie tout
cela ?
-
Je n’en sais pas plus que vous, monsieur
le maire, répondit le saint homme. C’est le sonneur qui doit souffrir
d’insomnie !
Monsieur
le curé avait, parfois, quelques petites pointes d’humour qui n’étaient pas du
goût du maire.
-
Ah ! rétorqua le maire. Quand votre
sonneur ne dort pas, les braves gens ne sont pas autorisés à dormir non
plus ?
Après
avoir sorti, de la poche de sa soutane, la clef de la porte menant au clocher,
monsieur le curé à la tête d’une curieuse expédition, suivi de monsieur le
maire, lui-même suivi du commissaire de police, ce dernier suivi de deux
gendarmes, gravit le petit escalier aux marches étroites, pour découvrir, dans
un bruit assourdissant, le sonneur chantant à tue-tête en tirant,
énergiquement, sur la corde actionnant la cloche.
Afin
d’arrêter, au plus vite, ce tintamarre, l’homme fut ceinturé avec force par les
deux gendarmes. Il n’opposa d’ailleurs aucune résistance, accompagnant
docilement les forces de l’ordre.
Sur
le parvis de l’église, le perturbateur fut accueilli par les hourras et
applaudissements des jeunes gens et garnements de la ville. Quelques taloches
maternelles tombèrent sur les visages, quelques pieds paternels atteignirent
les postérieurs.
Le
calme revint, alors, et chacun put reprendre sa nuit malencontreusement
interrompue.
Le
sonneur, lui, poursuivant, imperturbable, sa chanson, fut mené dans la cellule
de dégrisement du commissariat de police.
Le
lendemain, 11 mars 1819, monsieur le maire, mécontent de voir troubler ainsi
l’ordre public dans sa commune, fit parvenir un courrier au curé de l’église
Notre-Dame. Cet écrit rappelait à l’homme de foi les termes de l’article 48 de
la loi du 18 germinal an 10, interdisant à l’Eglise de faire sonner les cloches, en dehors des
services divins, sans la permission de la police locale.
Très
rigoureux, monsieur le maire, pas du
tout le sens de l’humour !
Monsieur
le curé sermonna (mais, n’était-ce pas son rôle) le sonneur qui se repentit
humblement. Pas méchant le sonneur, un brave homme même, mais il était pris,
parfois, d’une effervescence de tête[1]
qui le poussait à toutes les extravagances.
Après
s’être fait « sonner les cloches[2] »,
le sonneur se tint tranquille, jusqu’au verre de trop suivant !
Dans cet écrit,
il s’agit du sonneur de l’église Notre-Dame de Louviers.
L’histoire est
vraie, je l’ai découverte dans les registres de délibération de cette ville.
[1] « Effervescence
de tête », manière élégante de dire « complètement bourré » !!!
[2]
« Sonner les cloches à quelqu’un » : cette expression viendrait
du fait que pour réprimander, dans ce cas précis, on secouait la personne dans
une sorte de va-et-vient, comme l’on faisait pour les cloches (dictionnaire
comique de Leroux – 1718)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.