Dans
le livre de Pierre Laboulinière «Itinéraire descriptif et pittoresque des
Hautes-Pyrénées Françaises », on peut lire :
Grottes de Gargas : entre les
villages de Tibiran et d’Aventignan sont les grottes les plus étendues
qu’offrent les Hautes-Pyrénées ; elles s’appellent de Gargas, du nom d’un
ancien seigneur qui, selon la tradition du pays, avoit l’affreuse coutume d’y
enfermer des malheureux pour les faire périr. Se pourrait-il qu’il fût resté
dans la contrée des descendans de ce tyran local, auxquels il auroit transmis
avec son sang, son humeur farouche et barbare ?
Cela
m’amène à vous conter ce qui suit et qui s’est passé quelques années avant la
Révolution Française, dans le petit village de Cescau dans le département de
l’Ariège, non loin de ces grottes, justement, en l’année 1782.
-=-=-=-=-=-
Dans
ce petit village rural vivait un couple qui s’était uni le 20 juin 1752, Jean
Ferrage et Gabrielle Antras.
Acte
de mariage – Cescau – juin 1752
L’an mil sept cent cinquante deux
et le vingtunieme de juin après avoir proclamé les bans du futur mariage
pendant trois dimanches consécutifs à la messe de paroisse entre jean ferrage
fils de jean ferrage et de françoise Castel du lieu de sescau d’une part et
gabrielle antras fille de jean antras et de jeanne Brune de la paroisse de
Balagueres sans qu’il nous ait été notifié aucun empechement..... presans jean
prat et pierre prat soussignés et blaise ferrage et pierre ferrage qui n’ont su
signer.
Le
mari se prénommait « Blaise Jean », on trouvera indifféremment sur
les actes l’un ou l‘autre de ses prénoms.
Ayant
repris tous les actes de ce petit village, je n’ai découvert que trois actes de
baptême concernant les enfants nés de ce couple. Trois naissances, un chiffre
bien faible à cette époque.
Baptême
– Cescau - Jean, né le 23 décembre 1753.
Jean fils de blaize ferrage et de
gabrielle antras ses père et mere est né le vingt troisième du mois de décembre
de l’année mil sept cens cinquante trois et a été batisé le lendemain par moi
soussigne dans l’eglise de Cescau etant parein jean antras et la mareine
françoise Castel....
Baptême
– Cescau – Blaise, né le 22 décembre 1755.
Blaise ferrage fils de Blaise
ferrage et de gabrielle antras son epouse est né et a été baptisé le vingt et
deuxième décembre mil sept cens cinquante cinq ont esté parrain Blaise payer et
françoise ferrage....
Baptême
– Cescau – Joseph, né le 26 juin 1758.
Joseph ferrage fils de blaise
ferrage et de gabrielle antras son epouse est né et a été baptise le vingt six
juin mil sept cens cinquante huit a este parrain joseph barbe et marraine
justine ferrage.....
Trois
garçons, cela allait faire des bras pour aider à la ferme.
Mais,
si Jean et Joseph grandirent sans
problème, ce ne fut pas de même pour Blaise. Enfant turbulent, il avait un
caractère nerveux, mais surtout sournois. Il donna bien des soucis à ses
parents.
Au
travail de la ferme, il préféra celui de maçon. A l’âge de vingt ans à peine,
bien que de petite taille, il possédait une force incroyable.
Depuis
son plus jeune âge, il avait toujours eu des pulsions l’attirant d’une manière
plus que malsaine vers les jeunes filles. En vieillissant cette tendance
augmenta et les pulsions sexuelles qui le tenaillaient pouvaient le pousser jusqu’au
meurtre. Il agressa, de ce fait, plusieurs jeunes filles du village et de ses
environs. Ce fut ce qui se passa avec Marie Gros, la servante de son oncle. Il
l’aimait bien cette fille, mais elle se refusait à lui. Alors, il voulut la
forcer. Elle se débattit et voulut se libérer de ses étreintes. La colère prit
alors Blaise qui, dans ces cas-là, ne pouvait plus se contrôler.
Vers
1777, alors qu’il n’avait que vingt-deux, il arrêta de travailler et se retira
dans une des cavités de la grotte,
au-dessus de Cescau, dont il fit son repaire.
Il
ne vivait que de chasse, se rapprochant des habitations uniquement pour voler
de quoi subsister et abuser de très jeunes filles qui, dans les champs,
gardaient les troupeaux. Il tenta même d’en assassiner une ou deux qui
essayaient de lui échapper.
Il
tua également un maquignon Espagnol, rencontré dans la vallée d’Orle, lors
d’une dispute concernant le prix d’un mulet. Il n’était pas bon, non plus, le
contredire.
Suite
à ce crime, afin de ne pas être pris par la maréchaussée, il passa quelques
mois en Espagne.
Entre
France et Espagne, traqué, son existence dans la montagne ou dans les bois, lui
avait donné l’apparence d’une bête.
Ne
se lavant que très rarement, les cheveux et la barbe sales et hirsutes, la
démarche semblable à celle d’un ours, portant à la ceinture plusieurs pistolets
et un poignard et ne se séparant jamais de son fusil à deux coups.
Toutefois
cette traque ne lui déplaisait pas. Il aimait déjouer ses poursuivants, éviter
leurs pièges, deviner leurs ruses, d’autant plus que lui, connaissait très
exactement les lieux et ses moindres cachettes.
Blaise
Ferrage fut enfin arrêté en juillet 1782. Menotté et sous bonne escorte, il fut
conduit à la prison de Montréjean, sous les huées de la foule qui s’était
amassée sur son passage. Mais, il réussit à s’évader. Sa nouvelle errance dans
les bois ne dura pas longtemps car il fut repris au cours du mois d’octobre
suivant.
Il
fut alors emmené à Toulouse pour y être jugé.
L’acte
d’accusation portait sur vingt-deux viols de fillettes ou jeunes filles dont
deux avec tentative de meurtre et sur l’assassinat du maquignon espagnol.
Le
juge Chatelain de Castillon condamna Blaise Ferrage, le 12 décembre 1782, à
être roué en la place Saint-Georges à Toulouse. Pourtant, le dossier
d’accusations était quasi vide.
Une
bien lourde condamnation, réservée aux grands bandits et aux parricides.
Cette
condamnation ne lui accordait même pas la faveur d’être étranglé avant d’être
roué, comme il était de coutume, afin d’éviter au supplicié de trop grandes
souffrances. Après ce supplice, son corps devait être exposé en place publique.
La
sentence fut exécutée le lendemain 13 décembre 1782. Blaise Ferrage marcha vers
son supplice le visage calme et serein.
-=-=-=-=-
Mais
avant cette date, il y eu bien entendu les déclarations des victimes et une
enquête sur ce criminel et les lieux qu’il avait fréquentés.
Et
ce fut à partir de ce moment que la légende prit racine. Ce fut sans aucun
doute cette légende et la rumeur publique qui influença fortement le verdict.
En
cette fin du XVIIIe siècle,
la presse, en quête d’évènements scandaleux prenait son essor afin d’attirer un
grand nombre de lecteurs. Et les affaires criminelles commençaient à envahir
les colonnes des « Unes ». Alors, vous comprenez.....
Au
cours de l’instruction, vingt-deux jeunes filles déposèrent contre Blaise
Ferrage. Une des victimes féminines se nommait Marie Gros. Elle était la
servante de Jean Ferrage, l’oncle du prévenu.
Vingt-deux,
mais on murmurait qu’il y en avait eu, peut-être et même sûrement, beaucoup plus.
Il
y eu aussi des témoins de la bagarre qui avait causé la mort de l’Espagnol.
Mais
ce qui sema l’horreur fut la découverte dans une des cavités des grottes de
Gargas d’un nombre incroyable d’ossements jonchant le sol.
A
qui appartenaient ces ossements ? Sans conteste à de pauvres victimes qui
resteront à jamais anonymes.
Et
puis, sur les parois rocheuses, des empreintes de mains, visiblement avec du
sang humain, celui des morts dont les squelettes se trouvaient là, précisément.
A
quels rituels païens ce monstre, à présent devant ses juges, se livrait-il avant
et après ses crimes ?
C’était
bien des rituels, de malsains rituels, puisqu’il fut retrouvé des rubans de
toute couleur ayant appartenu et ayant paré la chevelure de ces jeunes filles
dont les restes gisaient dans les ténèbres du lieu.
Alors
l’imagination courut, je devrais dire galopa, et plus vite que le plus rapide des
vents propulsé par le souffle d’Eole.
De
là à affirmer que, cet homme n’était pas simplement un violeur, un assassin
mais également un anthropophage, il n’y avait qu’un pas qui fut fraichi. Oui,
bien sûr, il ne se contentait pas de tuer, mais il dépeçait ses victimes et les
dévorait à pleines dents.
Et
chacun, et chacune même, avec des frissons d’effroi imaginait l’homme un
couteau ensanglanté entre les mains enfonçant la lame de son couteau dans la
chair fraîche et tendre de ses victimes, coupant les muscles des cuisses,
tranchant les seins et se repaissant de cette chair avec volupté, le sang rouge
lui dégoulinant de la bouche au menton et dans le cou, sa barbe imprégnée du
liquide écarlate.
Oui,
car l’horreur attire les foules, donne ce petit quelque chose à la vie, ce
petit frisson, qui fait qu’ensuite on se sent bien dans sa propre vie. Et puis,
il faut bien avoir quelque chose à raconter, autre chose que les évènements
mornes du quotidien, quand on rencontre une commère sur le chemin ou qu’on
partage un verre d’alcool au cabaret.
Et
puis, l’image de ces danses lubriques exécutées après ce « rituel
gastronomique » excitait, en cachette, les esprits les plus sages qui
allaient ensuite faire pénitence, à genoux, mains jointes, dans la fraîcheur
d’un lieu saint.
Oui,
Braves Gens, ce fut ainsi que ces crimes prirent une extraordinaire éxagération
à une époque où le viol était « usage courant » et non répréhensible
par la loi. (Ce qui n’est plus, heureusement, le cas aujourd’hui). Et aussi, en
raison d’une justice qui n’avait pas les moyens d’analyses nécessaires.
Car....... Les ossements de la grotte n’étaient autres
que des ossements d’animaux, des ours certainement.
Car.....
Les mains peintes sur les parois n’étaient autres que des peintures rupestres
datant de la préhistoire.
Rien
à voir avec les accusations notées dans le compte-rendu du procès qui ne mentionnait en aucune façon des actes
d’anthropophagie.
La
presse s’empara du fait et l’enfla bien évidemment. Les lecteurs prirent pour
véridiques les écrits journalistiques. N’avaient-ils pas été écrits par des
« Messieurs qui savaient » ?
Et
comme il fallait faire un exemple pour apaiser les foules, la sentence fut
remarquable.
Je
n’ai pas d’acte d’inhumation à vous soumettre, mais étant donné que Blaise
Ferrage avait été exécuté par sentence juridique, je ne pense pas qu’il ait
bénéficié d’une inhumation religieuse.
Je
n’ai pas, non plus, eu en main le nom des victimes, donc je ne peux vous les
décliner, sauf, peut-être Marie Gros, la servante de Jean Ferrage et qui devint
son épouse.
-=-=-=-=-=-=-
Qui
était Marie Gros ?
Marie
Gros serait née le 3 novembre 1762 à Saint-Girons en Ariège, mais à Saint
Girons pas d’actes en ligne avant 1778, je ne peux donc vous le confirmer.
Cette
date apparait sur le second acte de mariage de Marie Gros.
Elle
épousa, comme je l’ai dit plus haut, Jean Ferrage, le 6 février 1782, à Cescau.
Jean Ferrage n’était pas l’oncle mais le grand-oncle de Blaise Ferrage, veuf de
Marie Tap, décédée le 11 janvier 1781 à l’âge de soixante ans environ.
Acte
de mariage – Cescau – février 1782.
L’an mil sept cens vingt deux et le
sixieme jour de fevrier après la publication des bans
Du futur mariage d’entre jean
ferrage fils legitime de fu pierre et de fue jeanne tap habitants Cescau, veuf
de marie Tap d’une part et de marie gros native de la paroisse de St Valier en
la ville de saint Girons fille legitime de fu joseph et de catherine Castet de
la paroisse de Lescure d’autre part... en presence de joseph arboun, pierre
baguerres, Bertrand peyrevidal et de genes Peyrevidal de la présante
paroisse.......
Veuve
(je n‘ai pas retrouvé l’acte de décès de Jean Ferrage), elle convola en
secondes noces avec Urbain Augistrou, le 26 novembre 1800, à Cescau.
Acte
de mariage – Cescau – novembre 1800.
Acte de mariage du cinquieme jour
de frimaire an neuf de la république française d’Urbain augistrou age de trente
huit ans né à Cescau departement de l’Ariege le huit octobre mil sept cent soixante
deux cultivateur et de fue marie anne Barbe et de marie gros agee de trente
huit ans née à St Girons departement de l’Ariege le trois novembre mil sept
cent soixante deux fille de fu joseph gros et de fue chaterine Dupla demeurant
à St Girons département de l’Ariege....... en presence de Jacques fur
(fax ???) cultiv ateur agé de
trente six ans Emmanuel Seille agé de soixante ans Pierre Bappat agee de trente
huit ans et de Pierre Barbe cultivateur age de quarante ans demeurant tous les
quatre à Cescaux et tous amis......
Marie
Gros décéda à Cescau, le 18 décembre 1819.
Acte
de décès – Cescau – décembre 1819.
L’an mil huit cent dix neuf et le
dix neuvième jour de mois de decembre par devant nous... sont comparus jean tap
pline age de quarante deux ans cultivateur domicilié à cescau et françois tap age
de quarente ans cultivateur domicilié à Cescau tous deux les plus proches
voisins desquels nous ont déclaré que le dix huitieme jour de decembre heure de
quatre de matin gros marie agee de soixante ans cultivateur domiciliee à Cescau
epouse d’Urbain augistrou est décédée dans sa maison située à Cescau section
des Goulades ......
Selon
les différents actes concernant Marie Gros, il est noté deux noms pour désigner
sa mère : Catherine Dupla et Catherine Castet. N’ayant pas eu sous les
yeux son acte de naissance, je n’ai pu résoudre cette énigme.
Quant
à Urbain Augistrou, il décéda en 1830, le 5 mars.
Acte
de décès – Cescau – mars 1830.
L’an mil huit cent trente le
cinquieme jour de mois de mars à l’heure de midi par devant nous ..... sont
comparus pierre ferrage dit Sales agé de soixante ans cultivateur domicilié à
Cescau et jean tap pline agé de cinquante deux ans cultivateur domicilié à
Cescau tous deux voisins d’Urbain augistrou lesquels nous ont declaré que le
cinquieme jour de mois de mars heure de onze de matin urbain augistrou
cultivateur domicilie à Cescau age de cinquante six ans veuf est decedé le
cinquieme jour de mois de mars vers l’heure de onze de matin en sa maison
située a cescau section des goulades....
Si
on n’a pas compris que le décès a eu lieu le cinquième jour de mars à onze
heures du matin, je ne sais pas combien de fois il faudrait que l’employé de
mairie le note ...
-=-=-=-=-=-
Et
du côté familial ?
La
mère de Blaise Ferrage décéda le 18 septembre 1781.
Elle
ne connut donc pas le sort de son second fils, Blaise. Mais elle n’ignora sans
doute pas les frasques et crimes de celui-ci, et dut en souffrir.
Acte
de sépulture - Cescau – septembre 1781.
Gabrielle Entras epouse de blazi
ferrage dit cap blanc agée d’environ soixante sept ans après avoir reçu les
sacrements de penitence et Eucaristie est décédée le dix huit septembre mil
sept cens quatre vingt un son corps a été inhumé le dix neuvieme.... ont été
presents à la cérémonie joseph arboun genez peyrevidal qui requis de signer ont
dit ne savoir......
Le
père de Blaise Ferrage, décéda le 25 février 1785.
Acte
d’inhumation – Cescau –février 1785.
Blaise ferrage epous de fue
Gabrielle antras agé d’environs quatre vingts ans après avoir reçû les
sacrements de penitence eucharistie et extrême onction est decedé le vingt
cinquieme jour du mois de fevrier mil sept cent quatre vingt cinq et a été
inhumé le lendemain dans le cimetiere de l’eglise paroissiale de sescau ont été
presents à la ceremonie joseph Arboun et genez peyrevidal habitants de cette
paroisse.....
Les
deux frères du condamné, Blaise Ferrage, se marièrent et restèrent à Cescau,
malgré les évènements.
Joseph
épousa Guillaumette Tap (Peyret), le 18 février 1784.
Acte
de mariage – Cescau – février 1784.
Joseph ferrage dit cap blanc
tisserand fils legitime de Blaize et de fue Gabrielle antran d’une part et
Guithelme Tap dites payéat fille légitime de fu Guillaume et d’Anne Tap d’autre
part après publication des bans de leur futur mariage..... le dix huit fevrier
mil sept cens quatre vingt quatre ont été presents Pierre Peyrevidal genes
peyrevidal jo
joseph Arboun jean Dupuy tous de la
presante paroisse........
Jean
épousa Marie Mole, l’année suivante, le 3 avril 1785.
Acte
de mariage – Cescau – avril 1785.
Jean
ferrage majeur fils legitime de fu Blaize ferrage et de fue gabrielle Antras
d’une part et Marie Mole fille légitime de fu jacques Mole et de fue fabienne
Tap d’autre part tous deux de la presante paroisse..... le troisieme jour du
mois d’Avril de l’an mil sept cents quatre vingt cinq ont été presents à la
ceremonie joseph Arboun Jean Baqueres pierre Mole pierre Castet Bacado
habitants de cette
paroisse..............
Une
bien triste affaire qui resta longtemps dans les mémoires de la région car,
bien des décennies plus tard, lorsque
les enfants n’étaient pas sages, les parents ne les menaçaient pas du
« père fouettard », mais d’aller chercher Blaise Ferrage.
Pour écrire cet article j’ai lu et consulter divers
documents dont
·
L’anthropophage
des Pyrénées - Le procès de Blaise Ferrage, violeur et assassin à la fin du 18e
siècle de Jean-Pierre Allinne.
·
Un
article de Emile Cartailhac.
·
La
Bible du crime de Stephane Bourgoin.
·
Les
archives en ligne des différents lieux où se sont déroulés les évènements.
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