lundi 1 janvier 2018

LE PETIT RAMONEUR - Chapitre 2


A l’auberge, l’homme commanda un bon repas mais ne donna à Jacques qu’un guignon de pain dur et un bout de fromage qui n’avait rien à voir avec ceux confectionnés par sa mère. Ensuite, il alla le jeter sur la paille de l’écurie, prenant soin de l’attacher pour éviter qu’il ne fugue.

Le jeune garçon comprit que la vie qui l’attendait serait encore plus difficile que dans la misère de son foyer. Mais son imagination était bien en deçà  de la réalité future.

A l’aube, l’homme vint le chercher. Sans autre préliminaire, il lui annonça :
« Je suis ramoneur. Mon nom, c’est Léon. A mon âge, je ne peux plus me glisser dans les conduits de cheminée. Tu seras donc chargé de faire ce travail à ma place. Le froid est revenu et les grandes maisons ont besoin de nos services. Alors, si tu veux manger, il ne va pas falloir paresser. »

Résigné, abattu, Jacques n’eut d’autre solution que de suivre celui qu’il considérait comme son maître, tel un chien attendant nourriture et caresses, tout en sachant qu’il aurait très peu à manger et pas du tout d’affection.

Les chemins boueux, impraticables, rendaient difficile la marche. Dans les villages, la misère était évidente et l’embauche rare.
Léon en profitait pour s’arrêter dans une auberge pour boire un verre de mauvais vin qui, comme il disait, « le réchauffait ». L’apprenti l’attendait devant la porte quel que soit le temps. Parfois, une bonne âme le voyant frigorifié lui donnait quelques sous ou un morceau de pain.
Il apprit très vite à cacher les piécettes, car malgré sa promesse l’homme lui arrachait cette obole, pour l’investir en alcool au village suivant.

A la grande ville, non loin de leur première étape, armé de son plus large sourire, dans un objectif entièrement mercantile, Léon alla sonner à la porte des maisons les plus imposantes, signe de l’aisance financière de leurs occupants, et qui possédaient le plus grand nombre de cheminées.
Les grands froids approchaient et dés la première porte ouverte sur le « maître ramoneur », la maîtresse de maison accepta les services proposés.
Jacques se vit ordonner de grimper sur le toit et de descendre dans le conduit, équipé d’une brosse et d’une raclette afin d’en gratter au mieux les parois. Le jeune garçon paniqua un temps, mais n’ayant pas le choix d’émettre un refus, il dut obéir.
Le plus difficile fut de descendre dans la cheminée. Le passage étroit ne lui donnait aucune aisance. Tout en s’arc-boutant avec les jambes pour ne pas chuter, il grattait et brossait, dans le noir absolu, les parois. La suie le faisait tousser et lui brûlait les yeux, l’air lui manquait. Il aurait aimé retrouver l’espace des pâtures et ses chèvres. Pourquoi ses parents l’avait-il abandonné ?
En bas de la cheminée, Léon lançait des ordres. Sa voix, dans le conduit, s’enflait, comme celle de l’ogre des contes.

Arrivé en bas, après cette première étape, sa première cheminée, toussant, crachant, les mains écorchées, le pauvre Jacques fut heureux d’être toujours en vie.
« Bon, lança son maître d’apprentissage, il y en a encore quatre autres, dépêche-toi ! »
Le calvaire recommença. Il dut monter de nouveau sur le toit et redescendre dans chacun des autres conduits, effectuant sa besogne pour laquelle il recevrait uniquement de quoi ne pas mourir de faim.

Le soir venu, fourbu, les jambes lourdes, ne pouvant plus remuer ses doigts douloureux, respirant avec difficulté, il se laissa tomber sur sa paillasse sans toucher à la pauvre pitance que lui donna Léon.

Les jours s’enchaînaient ainsi. Il lui fallait grimper sur les toits, descendre dans les cheminées dont il grattait les parois, encore, et encore ….

Léon ne venait à présent que pour prendre commande et encaisser son dû. Pas de piécettes pour le jeune garçon, celles-ci étaient raflées par son patron.
Parfois, prise de pitié devant sa petite mine barbouillée de suie, illuminée par deux grands yeux tristes, une domestique l’emmenait jusqu’à la cuisine pour lui donner un bol de soupe fumante ou une tasse de lait chaud. Festin grandiose lui rappelant son foyer. Il revoyait alors sa mère cuisinant prés de l’âtre et le sourire de celle-ci lorsqu’elle déposait le bol devant lui. A ces évocations, de grosses larmes roulaient sur ses joues en grandes traces blanches.




Lorsque Jacques pénétra dans la maison, il fut frappé d’apercevoir dans un coin du salon, un immense sapin décoré de guirlandes scintillantes et de boules de verre transparent. C’était la première fois qu’il voyait un arbre dans une maison. Quelle étrangeté !  Un arbre, pour lui, c’était dehors dans la nature avec des racines plongeant et s’agrippant au plus profond de la terre.
Stupéfait, il ne put faire un pas, contemplant le sapin, bouche ouverte, yeux écarquillés. Il fut vite rappelé à l’ordre par une violente poussée qui faillit le jeter à terre.
« Alors, tu gobes les mouches ? »


Ce matin-là, il ne se sentait pas bien. Ses jambes se dérobaient sous lui, sa tête lui faisait mal. Entre trop chaud et trop froid, il claquait des dents. Ce fut donc avec beaucoup de difficultés qu’il accéda au sommet du toit et se glissa dans le conduit. A mi-hauteur, il fut pris de nausées, puis de vertiges, essayant au mieux de ne pas tomber, jusqu’au moment où  ses oreilles bourdonnèrent et …. Le trou noir !

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