Saint-Aubin-d'Ecrosville - Maltraitances
« Y
va comment l’ Mathurin ?
-
Pas fort, ça pour sûr !
-
Va tout d’ même pas passer ?
-
Va savoir ! Faut attendre qui dit
l’ docteur. I doit savoir, lui.
-
C’est point facile, tout ça !
-
Faut faire avec, pardi. Heureusement qu’
j’ai la p’tiote !
Marie
Louise Monique Bourdon, sur le chemin menant au bourg, avait rencontré une
voisine qui, de suite, s’inquiéta de la santé du mari de Marie Louise Monique
qu’elle savait mal en point.
Une
maladie qui clouait au lit le pauvre homme depuis plusieurs semaines, privant
ainsi la commune de Saint-Aubin-d’Ecrosville de son maréchal-ferrant.
La
p’tiote dont Marie Louise Monique Bourdon avait mentionné l’aide précieuse,
dans sa conversation, n’était autre qu’une gamine qu’elle avait dû prendre pour
l’aider en raison de la maladie de son époux.
Une
gamine bien dégourdie et efficace dans les travaux ménagers, malgré son jeune
âge.
-=-=-=-=-=-=-=-=-
En
ce 14 février 1842, après une nuit de veillée funèbre auprès du corps de
Mathurin Aubin Bourdon qui venait de succomber après une longue agonie, dans la
même église où trente-deux ans plus tôt chacun se réjouissait de son union avec
Marie Louise Monique Bourdon, les cloches tintaient bien tristement.
Autour
de Marie Louise Monique, veuve à présent, ce n’était que visages atterrés et hochements
de têtes affligés.
« Un
brave homme, le Mathurin !
-
C’ sont les meilleurs qui partent les
premiers !
-
Il est soulagé, à c’ t’ heure !
Que
de condescendances !
Après
l’église, le cimetière où, en raison du froid, le prêtre précipita un peu la
cérémonie.
Puis
chacun repartit vaquer à ses occupations.
La
vie continuait, pas vrai ?
Chagrin
ou pas, il fallait aller de l’avant.
En
chemin, les hommes s’arrêtèrent boire un coup au débit de boissons, histoire de
se réchauffer et lever le coude à la mémoire du défunt (boire à sa santé, en ce
jour de deuil, aurait été déplacé) qui en fonction du nombre de verres absorbés
n’était plus, pour certains, réellement mort.
C’était
ainsi !
Le
mot de la fin étant : « On y pass’ra tous un jour. Pas vrai ?
Alors, faut en profiter avant ! »
-=-=-=-=-=-=-=-=-
La
vie reprit, en effet.
Les
années passèrent : naissances, mariage, décès.
Comme
on disait : « La roue tourne ! »
Marie
Louise Monique Bourdon, devenue veuve Bourdon, avait gardé auprès d’elle la
p’tiote qui avait grandi, bien évidemment.
De
ce fait, on ne l’appelait plus « la p’tiote », mais par son nom,
Vitaline Lelièvre.
Vitaline
participait à la vie de la maison.
Même
si elle n’était que domestique, elle s’entendait bien avec sa maitresse,
l’accompagnant partout, au marché vendre les produits de la petite ferme et, tout comme, elle filait le soir au coin du
feu, pour améliorer l’ordinaire.
Elles
partageaient tout, les travaux, les recettes et les moments de détente.
Si
bien qu’un jour, Vitaline s’installa dans une partie de la maison y apportant
des meubles qu’elle avait acquis et signant avec sa maîtresse un bail
d’occupation, lui donnant des droits mais aussi des obligations, chez le
notaire de Daubeuf-la-Campagne, afin que tout soit en règle.
Elles
s’entendaient donc bien. « Trop bien ! » murmurait-on autour
d’elles.
Mais
vous savez, comme moi, que les gens sont suspicieux.
Il
était vrai que la veuve Bourdon avait des biens et chacun pensait que Vitaline
avait des vues sur ces biens-là.
En
effet, ce bail conforta peu à peu Vitaline dans ses droits. Elle ne pouvait
plus être jetée à la rue. Aussi, prit-elle peu à peu de l’ascendant sur sa
maitresse, régentant tout à sa façon, allant jusqu’à refuser de donner les
soins que nécessitait le grand âge de celle-ci.
Les
voisins avaient, plus d’une fois, entendu des éclats de voix, aussi étaient-ils
aux aguets.
A
présent, âgée et diminuée, la pauvre Marie Louise Monique finissait par
craindre sa servante, aussi souvent, très souvent, trop souvent, ne
répliquait-elle pas, acceptant son sort.
Pourtant,
elle aurait bien voulu, Marie Louise Monique, que cette Vitaline parte de sa
maison.
Lorsque
la veuve Bourdon se plaignait, Vitaline lui répliquait :
« Vous
savez bin que j’ suis chez moi à c’ t’ heure, d’puis qu’on a signé chez l’
notaire. Vous pouvez point m’ renvoyer ! »
-=-=-=-=-=-=-=-=-
En
ce début de matinée du lundi 16 juin 1863, la servante déclara :
«
J’ vas faire une soupe au lait pour c’ midi. Nous en mang’rons tout’ les deux,
précisant toutefois, sans y mettre de l’eau !
-
Quelle bonne idée, répondit Marie Louise
Monique, heureuse de voir Vitaline dans de meilleures dispositions qu’à
l’accoutumée.
Oui,
mais, ce que vit alors la veuve Bourdon lui souleva le cœur.
Avant
de se mettre à préparer la soupe, Vitaline se moucha avec les doigts. Marie
Louise Monique la regarda faire, tout en prenant un couteau afin de couper de
petits morceaux de pain qui devaient servir à tremper la soupe.
« Tu
vas t’ laver les mains, Je ne veux pas manger tes saletés ! lui
dit-elle alors.
Que
se passa-t-il dans la tête de Vitaline, suite à cette remarque, voyant sa
maîtresse avec le couteau ?
Eut-elle
peur que sa maîtresse se serve de ce couteau pour l’agresser ?
Ce
qui était sûr, c’était que devançant ce qu’elle pressentait comme un geste
agressif, elle se rua sur la vieille dame et lui arracha, sans ménagement, le
couteau des mains, lui entaillant fortement l’auriculaire gauche.
Voyant
le sang couler, Marie Louise Monique, craignant pour sa vie se mit à
hurler :
«
Au secours ! Au secours ! Au voleur ! A l’assassin ! »
Quelle
alarme !
La
porte de la maison étant grande ouverte sur la cour, les voisins qui se
trouvaient tout proches se précipitèrent pour porter secours.
Il
y avait là, les sieurs François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard
Bréant et Louis Désiré Bréant qui aperçurent en arrivant sur les lieux,
Vitaline Lelièvre trainant sa maîtresse hors de la maison et aussitôt celle-ci
dehors, claquant la porte et s’enfermant à l’intérieur du logis.
Les
quatre hommes réconfortèrent la vieille dame et enveloppèrent son doigt dans un
linge. Ensuite, ils lui conseillèrent :
« Faut
aller porter plainte ! »
Marie
Louise Monique refusa tout d’abord, mais devant les arguments de ses sauveurs,
elle accepta de se rendre à la mairie, à la condition qu’ils l’accompagnent.
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En
mairie de Saint-Aubin-d’Ecrosville, le maire, Augustin Taurin, prit la déposition
de la plaignante.
Il
avait déjà eu vent de ce qui se passait
et, bien sûr, ne fut pas étonné de ce que Marie Louise Monique lui racontait,
car elle lui en raconta, Marie Louise Monique, qui une fois lancée, débita tout
ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle avait subi depuis des mois et des
mois.
« C’est
qu’elle m’enferme dans ma chambre pour aller Dieu sait où, pendant des
heures..... sans rien..... toute seule..... »
Et
puis aussi, il y a deux ans, lorsqu’elle avait acheté aux héritiers Letailleur
une pièce de terre.
« Avec
mes jambes malades, c’est qu’ j’ peux plus marcher, pardi. Alors, j’ai envoyé
la Vitaline à ma place chez l’ notaire à Daubeuf. Deux cent vingt-cinq francs,
que j’y ai remis. Une somme pour sûr ! Une somme qui d’vait payer la
terre. Et bien, c’est qu’elle y est allée chez l’notaire, mais l’acte, c’était
pas à mon nom qu’il était, mais au sien. C’est quand j’ai r’çu les papiers qu’
j’ai vu qu’elle m’avait volée ! »
Les
quatre voisins y allèrent aussi de leurs témoignages.
Même
le maire se souvint qu’il y a environ six mois, le nommé Adolphe Billon était
venu le chercher chez lui, le pressant de venir au domicile de la veuve
Bourdon, celle-ci étant dehors, sa domestique l’ayant jetée hors de la maison avant
de se barricader à l’intérieur.
La
pauvre Marie Louise Monique avait dû se réfugier chez son beau-frère, le
Modeste Bourdon, qui logeait tout près.
Le
maire avait alors essayé de raisonner la domestique qui, comme toujours,
s’était rebellée, jurant ses grands dieux qu’elle était dans son droit et
incriminant sa maîtresse :
« C’est
moi, la maltraitée ! » hurlait-elle.
L’affaire
s’apaisa et les deux femmes s’étant rabibochées, continuèrent à vivre ensemble.
Mais,
visiblement leur mésentente n’avait pas cessé et cette mésentente consistait en
une succession ininterrompue de petites tracasseries au quotidien, tracasseries
qui, mises bout à bout, minaient leur vie commune.
Il
fallait à tout prix trouver une solution.
Après
cette déposition, le maire convoqua la domestique, Vitaline Lelièvre.
Il
voulait entendre la version de la partie adverse, sachant toutefois que les
témoignages recueillis n’étaient pas en sa faveur.
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Assise
devant le maire, Vitaline Lelièvre se tenait sur ses gardes. Le visage fermé,
elle triturait le coin de son tablier, attendant que le maire lançât, le
premier, les offensives.
Mais,
rien !
Aucune
parole ne sortait de la bouche du représentant de la commune qui observait la domestique, face à lui.
Ce
fut Vitaline qui prit l’initiative de rompre le silence.
«
Bon ! C’est point l’ tout, mais j’ai d’ l’ouvrage, alors, c’est pourquoi
que j’ suis là ?
Aucune
réponse de monsieur le maire.
« C’est
la Louise ? Pas vrai ? Elle est v’nue baver sur mon compte ?
Toujours
aucun commentaire de Monsieur le maire.
« Moi,
j’ sais c’ qu’elle veut, la Louise ? Me j’ter à la rue ! Voilà, c’
qu’elle veut ! Mais j’ suis chez moi ! Elle peut point ! Elle a
signé chez l’ notaire !
Monsieur
le maire, adossé à son fauteuil, n’avait toujours pas émis une parole, ni bougé
ne serait-ce que le petit doigt. Il attendait.
Oui,
il attendait le moment où il allait pouvoir trouver la faille pour mettre
Vitaline Lelièvre en défaut. Celle-ci semblait d’ailleurs de plus en plus mal à
l’aise face au mutisme et au regard fixe de l’homme qui, tout compte fait,
représentait un peu la loi dans cette commune.
« Et
pis, les autres, là, les voisins, ils ont dû en dire aussi des ment’ries,
hein ? Mais, c’est qui la connaissent point la Louise, ça c’est
certain ! C’est qu’elle en dit aussi des ment’ries, elle, et pis elle, on
la croit ! J’ai rin fait d’ mal, moi ! Rin ! J’suis dans mon
droit........
Monsieur
le maire venait de poser ses avant-bras sur son bureau, et les mains jointes,
fixait toujours Vitaline avec intensité. Puis, s’entend le moment propice, dit
posément :
«
Je ne cherche pas les responsables, mais un moyen de mettre fin à toutes vos
querelles. Il faut trouver un compromis. D’abord, je vais vous donner lecture
de la plainte de Marie Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, dont les nommés
François Levif, Pierre Désiré Beaucousin, Louis Médard Bréant et Louis Désiré
Bréant, voisins de celle-ci ont confirmé l’authenticité.
Augustin
Taurin lut lentement la plainte, tout en scrutant les réactions de la domestique
qui se tortillait un tantinet sur sa chaise.
Ayant
achevé, il reposa sur le bureau le feuillet qu’il tenait dans ses mains et
attendit quelques instants avant de
prendre à nouveau la parole.
« Contestez-vous
cette déposition ?
-
Pour sûr ! lança Vitaline. Que des
ment’ ries !
-
Il y a eu pourtant des témoins.
Moi-même, je suis venu, vous vous en souvenez ?
-
La Louise, elle m’avait poussée à
bout !
-
Et ce qui s’est passé hier, avec le
couteau ? Vous l’avez blessée, n’est-ce pas ?
-
J’ voulais juste lui r’prendre l’
couteau. Elle v’nait de m’en donner un coup, dans les reins.
-
Vous n’avez pas mentionné cette
blessure. Si c’est le cas, il faut la faire constater par un médecin.
Vitaline
ne répondit pas, et pour cause, il n’y avait pas eu de blessure.
« Il
y a plus grave, Vitaline, poursuivit le maire, l’acte d’achat du terrain que
vous avez fait mettre à votre nom. Cela s’appelle un vol.
-
Oh que non ! J’ savais ben que l’
terrain était à elle. C’était pour éviter d’ payer des frais quand elle s’rait
morte ! Comme ça, c’était déjà à mon nom.
-
Devant une cour de justice, vous risquez
le bagne pour cela.
-
Le bagne !
-
Pensez-y, Vitaline. Si la veuve Bourdon,
votre maîtresse, vous mène en justice, vous n’aurez pas gain de cause. Alors,
je vous propose de régler tout cela calmement et intelligemment, sans y mêler
la justice.
-
Vous m’emmêlez la cervelle. Ça veut dire
quoi tout ça ?
-
Vous prenez vos affaires, vos meubles et
vous quittez la maison de la veuve Bourdon, et cela immédiatement. Si vous en
êtes d’accord, ce qui serait la meilleure des choses, pour vous bien entendu,
le bail sera annulé et vous n’aurez plus aucune obligation envers votre
maîtresse.
-
Et moi, là-dedans, où j’ vas
aller ?
-
Nous vous trouverons un endroit pour
vous installer provisoirement, puis vous quitterez la ville.
Vitaline
Lelièvre accepta.
Elle
n’avait d’ailleurs, étant donné les accusations contre elle, d’autre choix.
Quelque
temps après, elle quitta Saint-Aubin-d’Ecrosville.
Pour
quelle destination ?
Ça,
c’est une autre histoire !
Marie
Louise Monique Bourdon, veuve Bourdon, décéda peu de temps après, le 12 mai
1864, dans sa maison. Elle était âgée de quatre-vingt-trois ans.
Une plainte
découverte dans un des registres de
Saint-Aubin-d’Ecrosville,
en date du lundi
8 juin 1863.
Un fait divers
comme je les aime tant, car permettant
de décrire un
épisode de la vie de cette époque d’une manière cocasse,
bien que la
situation ne le soit pas vraiment.
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