jeudi 17 mai 2018


Sacré caractère !


Il existe, depuis toujours, des personnes paisibles et d’autres qui ont toujours quelque chose à redire ou trouvent continuellement prétexte à polémiquer.
J’ai découvert un de ces personnages et je souhaiterais vous le présenter. Pour ce faire, il va vous falloir me suivre, à reculons, jusqu’au milieu du XIXème siècle, dans ces années où, il faut tout de même le préciser, quiconque trouvé à ramasser des fruits dans le champ du voisin, écopait d’une peine d’amende, voire de quelques jours de prison.


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Jean François Auzoux naquit à Villettes, petit village de l’Eure, le 24 novembre 1810.
1810 ! Le village reprenait son souffle après la Révolution, celle de 1789, et ses chambardements.
1810 ! L’Empire, le Premier !
1810 ! La France était, encore et toujours, en guerre. Cette guerre dévoreuse d’hommes jeunes et vigoureux.
1810 ! Encore et toujours les réquisitions pour les armées !
1810 ! Année où avoir un fils était la perspective de le voir partir, arme à l’épaule, et ne jamais le voir revenir.

Le petit Jean François hurlait dans son berceau. Serait-il de ceux-là dans quelques années !
Nul, en ce jour, ne pouvait le dire.
L’avenir était si incertain !

Ce fut Jean François Auzoux Père qui alla présenter l’enfant mâle à la maison commune de Villettes, afin de déclarer sa naissance.
Jean François Auzoux père exerçait le métier de charron.
Marie Henriette Loisel, la mère, s’occupait de son ménage et comme toutes les femmes de ces temps-là, soignait la basse-cour et cultivait le potager.

Déjà, très jeune, Jean François Auzoux fils montra qu’il avait du caractère et pas forcément des meilleurs.

Tout comme son père, et surtout sa mère, il avait de la voix et ne manquait pas une occasion de crier bien haut ses opinions et ses mécontentements. Dans ces temps troublés, passant rapidement de République à Empire, d’Empire à Royauté, pour revenir à la République, il aurait été plus prudent de  ne pas trop revendiquer.

Jean François Auzoux n’avait pas encore vingt ans lorsqu’il fut condamné pour la première fois.
Tout avait commencé lorsque monsieur le maire avait décidé de faire entreprendre des travaux au presbytère et de faire clore par un mur la propriété.
Henriette Loisel, épouse Auzoux, un soir de début juin 1839, en avait montré son mécontentement, au moment de la soupe.
« C’est qu’ le mur qui va mett’ not’ maire, il est sur not’ terrain. Des voleux, tout ça, des voleux ! »
La pauvre femme s’en étrangla de colère !

Le lendemain, dès potron-minet, la femme Auzoux s’était rendue à la maison commune, et là, elle avait envoyé à la figure du maire, tous les noms d’oiseaux qu’elle connaissait, et elle en connaissait la Henriette. Le maire resta calme. Il expliqua à la femme Auzoux qu’il était dans son bon droit et qu’il ne la volait en aucune façon.
« Je me réfère au bornage existant », avait-il déclaré, mais il ne fut pas entendu.
Henriette Loisel, femme Auzoux, déchaînée, injuria de plus belle le représentant de la commune.

Tout aurait pu en rester là, mais Jean François fils s’en mêla. Le lendemain, en effet, rencontrant Constant Raitre, le berger du sieur Melay, la conversation se porta sur le mur du presbytère, et il s’ensuivit :
« Alors, y paraitrait qu’ la Henriette a fait scandale hier ? lança le Constant sans malice, avec une pointe d’humour.
-          Ah ! J’ vois qu’ ton maître y t’a raconté ! rétorqua le Jean François, déjà sur la défensive.
-          C’est point ça, car c’est tout l’ village qu’est au courant, pardi. Elle a d’ la voix la Henriette !
-          Si on nous volait pas.....
-          C’est l’ bornage ! Y a pas vol !
-          C’est y qu’ tu s’rais du côté des voleux, toi ? hurla le Jean François qui commençait à s’énerver. Parc’ que si c’est l’ cas, j’vas t’en donner, moi !
Puis, mettant sa menace à exécution, Jean François fils leva le bâton qu’il tenait à la main et frappa Constant Raitre à la tête.

Abasourdi, Constant Raitre porta ses mains au sommet de son crâne, et les retira couvertes de sang.


Alors, en ce 13 juin 1839, comparurent, devant le Tribunal de Police correctionnel de Louviers, Jean François Auzoux fils, pour coups et blessures volontaires, et sa mère Henriette Loisel, femme Auzoux, pour outrage et injures au maire de la commune de Villettes dans l’exercice de ses fonctions.

Le verdict :
Jean François Auzoux fils fut condamné à vingt-cinq francs d’amende et aux frais et dépens du procès.
Henriette Loisel, elle, écopa d’une amende de cinquante francs et aux frais et dépens du procès.

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Le caractère n’empêcha nullement le jeune homme d’attirer le regard des demoiselles, ou était-ce en raison de ce caractère, justement, qu’elles s’intéressaient à lui ?
Peu importait d’ailleurs, car une seule s’appropria Jean François et le mena au mariage. Il s’agissait de Marie Julienne Girard.
La cérémonie eut lieu à Canappeville, le 30 avril 1849, lieu de résidence de la future.

La jeune épousée, Marie Julienne Girard, avait vu le jour le 15 janvier 1819 à Canappeville où ses parents Nicolas Girard et Marie Barbe Auzoux, cultivaient un lopin de terre.

Cette union calma-t-il un temps Jean François Auzoux ?
Peut-être ! Mais, j’en doute un peu.
Ce qui est certain, c’est qu’aucune plainte contre lui ne m’est parvenu.
Jusqu’au jour où............


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16 novembre 1855

Il faisait un peu frisquet, ce matin-là. Un léger brouillard flottait au-dessus des champs. Une belle journée d’automne s’annonçait, car le soleil pointait à l’horizon dans un ciel bleu.
L’automne, en cette mi-novembre, s’était bien installé et entrait lentement dans l’hiver que les anciens prévoyaient rigoureux.
La terre allait se reposer pour renaitre au printemps.
Les hommes allaient se rentrer au chaud, s’occupant aux diverses réparations pour faire passer le temps de ces journées hivernales où le jour paresseux tardait à se lever et s’éteignait de bonne heure en soirée.

Ce matin-là, donc, César Leclerc faisait sa tournée. Garde particulier et assermenté du Marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy[1], sa charge consistait à surveiller les terres et bois de son maître.
Gare aux braconniers ! C’est qu’il avait l’œil le César !
Sa tournée lui permettait de croiser diverses personnes et de discuter un brin, histoire de, mais aussi d’être au courant de tous les évènements.
Ce jour-là, il avait rencontré le charpentier, Benoit Letellier, et le tonnelier, Placide Selle.
Tous trois bavachaient calmement lorsqu’ils aperçurent, s’approchant d’eux, sur le chemin, le Jean François allant d’un bon pas. Arrivé à la hauteur des trois hommes, celui-ci s’écria, en s’adressant au César :
« Ah, te v’là toi, fripon, voleux. C’est comme ça qu’ tu gagnes ton pain, en bavant su’ l’ compte des autres. Canaille ! »

César Leclerc connaissait bien le Jean François, aussi, ne voulant pas envenimer les choses, il garda le silence. Mais cette attitude ne fit qu’exciter d’avantage le sieur Auzoux.
« Tu réponds pas, hein, canaille ! C’est y qu’ tu s’rais un lâche. T’as d’ la chance, va ! Si t’étais seul, j’ t’aurais tué d’un coup et sans procès ! »
César Leclerc répondit alors par cette mise en garde :
« Fais ben attention ! T’as déjà été placé et j’peux encore te faire placer, va ! »

Cette phrase voulait-elle dire que César Leclerc avait fait emprisonner Jean François Auzoux pour un quelconque délit ? Si c’était le cas, l’animosité du Jean François contre le garde en était assurément la cause.
Hélas, si ce fut le cas, aucun document pour l’affirmer !

Alors, déchainé au possible, Auzoux hurla, avant de s’éloigner :
« Toi, j’ t’emmerde. J’ me fouts d’ toi et d’ ton procès ! »

Ce n’était pas la première fois qu’Auzoux prodiguait de pareilles injures envers le sieur Leclerc.
Déjà, il y avait quelques semaines, vers la fin septembre, par-là, les deux hommes s’étaient croisés au triage de la Grande Banque, au détour du chemin de Louviers, et Jean François Auzoux avait déjà proféré des insultes au garde particulier, en ces termes :
« Te v’là grand lâche, grand brigand. Tu pass’ras sous ma main. J’ai tué d’ tes lapins et j’ t’en tuerai encore. Et quand j’ serai placé, j’ te fouts un coup d’ fusil. »

Et puis, il y eut aussi cette autre rencontre, quelques jours plus tard, sur le chemin des Hauts. Le garde particulier Leclerc discutait avec la femme à l’Auguste Convenant.
Jean François Auzoux vint à passer par là, et bien sûr, s’en prit à son « ennemi juré », sûrement en raison d’une histoire de chasse ou ...... de braconnage.
« C’est ton chien, vaurien, qui a levé une compagnie de perdrix. Grand brigand ! Si j’avais mon fusil, j’ tuerai ton chien. »
Jean François avait dit cette dernière phrase en désignant du menton le chien du garde qui attendait calmement, assis sur son train arrière, à côté de son maître.

Et puis ce fut une avalanche d’injures et d’insultes de très mauvais goût.
Que d’injures grivoises proférées en si peu de temps !

La pauvre femme Convenant n’en revenait pas de tout ce flux de saletés qui sortaient de la bouche du Jean François. Offusquée et à bout qu’elle était la pauvre femme, aussi s’écria-t-elle, n’en pouvant plus de toutes ces horreurs verbales  :
« Taisez-vous ! Mais taisez-vous donc ! Laissez-nous, vous n’avez point raison ! »

Ce qui fut troublant tout de même, ce fut que quinze jours plus tard, un des chiens de Cézar Leclerc était retrouvé mort !

Mais n’allez pas en tirer trop hâtivement des conclusions !


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Rien ne pouvait calmer notre homme qui, visiblement, avait quelques problèmes avec l’autorité. En voici encore un exemple :

Le 7 novembre 1858, une plainte était déposée, encore une, mais cette fois par le garde-champêtre de Villettes, François Romain Signol. Le chemin de cet homme de loi avait croisé celui de Jean François Auzoux, le long des forrières dans la commune de Villettes, et ce fut, encore et toujours, des injures :
« T’es qu’une quenouille ! » avait lancé, à plusieurs reprises le sieur Auzoux au garde-champêtre avant de le poursuivre, essayant de l’attraper et de le jeter à terre.


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Sacré caractère, en effet, et je suppose qu’il y eut bien d’autres plaintes dont je n’ai pas retrouvé trace.

La fin de cette histoire ?
J’ai bien peur qu’elle n’ait pas de chute n’ayant ni la date ni le lieu de décès de ce fougueux Jean François Auzoux.

Je peux vous apprendre, toutefois, que Jean François Auzoux père décéda quelques mois après la condamnation de son fils et sa femme, le 2 septembre 1840. Originaire de Brosville, il était âgé de soixante-et-un ans. Marie Henriette Loisel, son épouse, vécut jusqu’au 26 janvier 1851. Le jour de son décès elle avait soixante-deux ans et dix mois. Elle n’avait jamais quitté Villettes.

L’épouse  de Jean François Auzoux fils, marie Julienne Girard, quitta ce monde le 5 février 1899. A une année prés, elle aurait connu le tout début du XXème siècle. C’était une vieille dame de quatre-vingt printemps.
L’acte de décès note : « Epouse de Jean François Auzoux », ce qui voudrait dire que l’époux en question était toujours en vie.


Après le décès de tout ce « petit monde bien énervé », le village de Villettes retrouva-t-il son calme ?
Excusez-moi de le dire, mais j’en doute fort.
Des revendicateurs, des mécontents, des énervés, des violents, que sais-je encore, il y en a toujours, ça c’est une certitude. La relève est assurée !


       
Quand je vous disais que les comptes-rendus des registres des
mairies étaient emplis de tous ces faits de la vie....
Ce n’est pas méchanceté, ni médisance de ma part que
de vous les rapporter, simplement un brin d’humour et
un clin d’œil au passé des personnages que je fais, un temps, revivre.
Registres de Villettes.
  



[1] Nous reviendrons dans un autre écrit sur ce noble personnage.

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