Sacré
caractère !
Il
existe, depuis toujours, des personnes paisibles et d’autres qui ont toujours
quelque chose à redire ou trouvent continuellement prétexte à polémiquer.
J’ai
découvert un de ces personnages et je souhaiterais vous le présenter. Pour ce
faire, il va vous falloir me suivre, à reculons, jusqu’au milieu du XIXème
siècle, dans ces années où, il faut tout de même le préciser, quiconque trouvé
à ramasser des fruits dans le champ du voisin, écopait d’une peine d’amende,
voire de quelques jours de prison.
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Jean
François Auzoux naquit à Villettes, petit village de l’Eure, le 24 novembre
1810.
1810 !
Le village reprenait son souffle après la Révolution, celle de 1789, et ses
chambardements.
1810 !
L’Empire, le Premier !
1810 !
La France était, encore et toujours, en guerre. Cette guerre dévoreuse d’hommes
jeunes et vigoureux.
1810 !
Encore et toujours les réquisitions pour les armées !
1810 !
Année où avoir un fils était la perspective de le voir partir, arme à l’épaule,
et ne jamais le voir revenir.
Le
petit Jean François hurlait dans son berceau. Serait-il de ceux-là dans
quelques années !
Nul,
en ce jour, ne pouvait le dire.
L’avenir
était si incertain !
Ce
fut Jean François Auzoux Père qui alla présenter l’enfant mâle à la maison
commune de Villettes, afin de déclarer sa naissance.
Jean
François Auzoux père exerçait le métier de charron.
Marie
Henriette Loisel, la mère, s’occupait de son ménage et comme toutes les femmes
de ces temps-là, soignait la basse-cour et cultivait le potager.
Déjà,
très jeune, Jean François Auzoux fils montra qu’il avait du caractère et pas
forcément des meilleurs.
Tout
comme son père, et surtout sa mère, il avait de la voix et ne manquait pas une
occasion de crier bien haut ses opinions et ses mécontentements. Dans ces temps
troublés, passant rapidement de République à Empire, d’Empire à Royauté, pour
revenir à la République, il aurait été plus prudent de ne pas trop revendiquer.
Jean
François Auzoux n’avait pas encore vingt ans lorsqu’il fut condamné pour la
première fois.
Tout
avait commencé lorsque monsieur le maire avait décidé de faire entreprendre des
travaux au presbytère et de faire clore par un mur la propriété.
Henriette
Loisel, épouse Auzoux, un soir de début juin 1839, en avait montré son
mécontentement, au moment de la soupe.
« C’est qu’ le mur qui va mett’ not’ maire, il
est sur not’ terrain. Des voleux, tout ça, des voleux ! »
La
pauvre femme s’en étrangla de colère !
Le
lendemain, dès potron-minet, la femme Auzoux s’était rendue à la maison
commune, et là, elle avait envoyé à la figure du maire, tous les noms d’oiseaux
qu’elle connaissait, et elle en connaissait la Henriette. Le maire resta calme.
Il expliqua à la femme Auzoux qu’il était dans son bon droit et qu’il ne la
volait en aucune façon.
« Je
me réfère au bornage existant », avait-il déclaré, mais il ne fut pas
entendu.
Henriette
Loisel, femme Auzoux, déchaînée, injuria de plus belle le représentant de la
commune.
Tout
aurait pu en rester là, mais Jean François fils s’en mêla. Le lendemain, en
effet, rencontrant Constant Raitre, le berger du sieur Melay, la conversation
se porta sur le mur du presbytère, et il s’ensuivit :
« Alors,
y paraitrait qu’ la Henriette a fait scandale hier ? lança le Constant
sans malice, avec une pointe d’humour.
-
Ah ! J’ vois qu’ ton maître y t’a
raconté ! rétorqua le Jean François, déjà sur la défensive.
-
C’est point ça, car c’est tout l’
village qu’est au courant, pardi. Elle a d’ la voix la Henriette !
-
Si on nous volait pas.....
-
C’est l’ bornage ! Y a pas
vol !
-
C’est y qu’ tu s’rais du côté des
voleux, toi ? hurla le Jean François qui commençait à s’énerver. Parc’ que
si c’est l’ cas, j’vas t’en donner, moi !
Puis,
mettant sa menace à exécution, Jean François fils leva le bâton qu’il tenait à
la main et frappa Constant Raitre à la tête.
Abasourdi,
Constant Raitre porta ses mains au sommet de son crâne, et les retira couvertes
de sang.
Alors,
en ce 13 juin 1839, comparurent, devant le Tribunal de Police correctionnel de
Louviers, Jean François Auzoux fils, pour coups et blessures volontaires, et sa
mère Henriette Loisel, femme Auzoux, pour outrage et injures au maire de la
commune de Villettes dans l’exercice de ses fonctions.
Le
verdict :
Jean
François Auzoux fils fut condamné à vingt-cinq francs d’amende et aux frais et
dépens du procès.
Henriette
Loisel, elle, écopa d’une amende de cinquante francs et aux frais et dépens du
procès.
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Le
caractère n’empêcha nullement le jeune homme d’attirer le regard des
demoiselles, ou était-ce en raison de ce caractère, justement, qu’elles
s’intéressaient à lui ?
Peu
importait d’ailleurs, car une seule s’appropria Jean François et le mena au
mariage. Il s’agissait de Marie Julienne Girard.
La
cérémonie eut lieu à Canappeville, le 30 avril 1849, lieu de résidence de la
future.
La
jeune épousée, Marie Julienne Girard, avait vu le jour le 15 janvier 1819 à
Canappeville où ses parents Nicolas Girard et Marie Barbe Auzoux, cultivaient
un lopin de terre.
Cette
union calma-t-il un temps Jean François Auzoux ?
Peut-être !
Mais, j’en doute un peu.
Ce
qui est certain, c’est qu’aucune plainte contre lui ne m’est parvenu.
Jusqu’au
jour où............
-=-=-=-=-=-=-=-
16
novembre 1855
Il
faisait un peu frisquet, ce matin-là. Un léger brouillard flottait au-dessus
des champs. Une belle journée d’automne s’annonçait, car le soleil pointait à
l’horizon dans un ciel bleu.
L’automne,
en cette mi-novembre, s’était bien installé et entrait lentement dans l’hiver
que les anciens prévoyaient rigoureux.
La
terre allait se reposer pour renaitre au printemps.
Les
hommes allaient se rentrer au chaud, s’occupant aux diverses réparations pour
faire passer le temps de ces journées hivernales où le jour paresseux tardait à
se lever et s’éteignait de bonne heure en soirée.
Ce
matin-là, donc, César Leclerc faisait sa tournée. Garde particulier et
assermenté du Marquis Charles Théodore Casimir de Toustaint de Limesy[1],
sa charge consistait à surveiller les terres et bois de son maître.
Gare
aux braconniers ! C’est qu’il avait l’œil le César !
Sa
tournée lui permettait de croiser diverses personnes et de discuter un brin,
histoire de, mais aussi d’être au courant de tous les évènements.
Ce
jour-là, il avait rencontré le charpentier, Benoit Letellier, et le tonnelier, Placide
Selle.
Tous
trois bavachaient calmement lorsqu’ils aperçurent, s’approchant d’eux, sur le
chemin, le Jean François allant d’un bon pas. Arrivé à la hauteur des trois
hommes, celui-ci s’écria, en s’adressant au César :
« Ah, te v’là toi, fripon, voleux. C’est comme
ça qu’ tu gagnes ton pain, en bavant su’ l’ compte des autres. Canaille ! »
César
Leclerc connaissait bien le Jean François, aussi, ne voulant pas envenimer les
choses, il garda le silence. Mais cette attitude ne fit qu’exciter d’avantage
le sieur Auzoux.
« Tu réponds pas, hein, canaille ! C’est
y qu’ tu s’rais un lâche. T’as d’ la chance, va ! Si t’étais seul, j’
t’aurais tué d’un coup et sans procès ! »
César
Leclerc répondit alors par cette mise en garde :
« Fais ben attention ! T’as déjà été
placé et j’peux encore te faire placer, va ! »
Cette
phrase voulait-elle dire que César Leclerc avait fait emprisonner Jean François
Auzoux pour un quelconque délit ? Si c’était le cas, l’animosité du Jean
François contre le garde en était assurément la cause.
Hélas,
si ce fut le cas, aucun document pour l’affirmer !
Alors,
déchainé au possible, Auzoux hurla, avant de s’éloigner :
« Toi, j’ t’emmerde. J’ me fouts d’ toi et d’
ton procès ! »
Ce
n’était pas la première fois qu’Auzoux prodiguait de pareilles injures envers
le sieur Leclerc.
Déjà,
il y avait quelques semaines, vers la fin septembre, par-là, les deux hommes
s’étaient croisés au triage de la Grande Banque, au détour du chemin de
Louviers, et Jean François Auzoux avait déjà proféré des insultes au garde
particulier, en ces termes :
« Te v’là grand lâche, grand brigand. Tu
pass’ras sous ma main. J’ai tué d’ tes lapins et j’ t’en tuerai encore. Et
quand j’ serai placé, j’ te fouts un coup d’ fusil. »
Et
puis, il y eut aussi cette autre rencontre, quelques jours plus tard, sur le
chemin des Hauts. Le garde particulier Leclerc discutait avec la femme à
l’Auguste Convenant.
Jean
François Auzoux vint à passer par là, et bien sûr, s’en prit à son
« ennemi juré », sûrement en raison d’une histoire de chasse ou
...... de braconnage.
« C’est ton chien, vaurien, qui a levé une
compagnie de perdrix. Grand brigand ! Si j’avais mon fusil, j’ tuerai ton
chien. »
Jean
François avait dit cette dernière phrase en désignant du menton le chien du garde
qui attendait calmement, assis sur son train arrière, à côté de son maître.
Et
puis ce fut une avalanche d’injures et d’insultes de très mauvais goût.
Que
d’injures grivoises proférées en si peu de temps !
La
pauvre femme Convenant n’en revenait pas de tout ce flux de saletés qui
sortaient de la bouche du Jean François. Offusquée et à bout qu’elle était la
pauvre femme, aussi s’écria-t-elle, n’en pouvant plus de toutes ces horreurs
verbales :
« Taisez-vous ! Mais taisez-vous
donc ! Laissez-nous, vous n’avez point raison ! »
Ce
qui fut troublant tout de même, ce fut que quinze jours plus tard, un des
chiens de Cézar Leclerc était retrouvé mort !
Mais
n’allez pas en tirer trop hâtivement des conclusions !
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Rien
ne pouvait calmer notre homme qui, visiblement, avait quelques problèmes avec
l’autorité. En voici encore un exemple :
Le
7 novembre 1858, une plainte était déposée, encore une, mais cette fois par le
garde-champêtre de Villettes, François Romain Signol. Le chemin de cet homme de
loi avait croisé celui de Jean François Auzoux, le long des forrières dans la
commune de Villettes, et ce fut, encore et toujours, des injures :
« T’es qu’une quenouille ! »
avait lancé, à plusieurs reprises le sieur Auzoux au garde-champêtre avant de le
poursuivre, essayant de l’attraper et de le jeter à terre.
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Sacré
caractère, en effet, et je suppose qu’il y eut bien d’autres plaintes dont je
n’ai pas retrouvé trace.
La
fin de cette histoire ?
J’ai
bien peur qu’elle n’ait pas de chute n’ayant ni la date ni le lieu de décès de
ce fougueux Jean François Auzoux.
Je
peux vous apprendre, toutefois, que Jean François Auzoux père décéda quelques
mois après la condamnation de son fils et sa femme, le 2 septembre 1840.
Originaire de Brosville, il était âgé de soixante-et-un ans. Marie Henriette
Loisel, son épouse, vécut jusqu’au 26 janvier 1851. Le jour de son décès elle
avait soixante-deux ans et dix mois. Elle n’avait jamais quitté Villettes.
L’épouse de Jean François Auzoux fils, marie Julienne
Girard, quitta ce monde le 5 février 1899. A une année prés, elle aurait connu
le tout début du XXème siècle. C’était une vieille dame de
quatre-vingt printemps.
L’acte
de décès note : « Epouse de
Jean François Auzoux », ce qui voudrait dire que l’époux en question
était toujours en vie.
Après
le décès de tout ce « petit monde bien énervé », le village de
Villettes retrouva-t-il son calme ?
Excusez-moi
de le dire, mais j’en doute fort.
Des
revendicateurs, des mécontents, des énervés, des violents, que sais-je encore,
il y en a toujours, ça c’est une certitude. La relève est assurée !
Quand je vous
disais que les comptes-rendus des registres des
mairies étaient
emplis de tous ces faits de la vie....
Ce n’est pas
méchanceté, ni médisance de ma part que
de vous les
rapporter, simplement un brin d’humour et
un clin d’œil au
passé des personnages que je fais, un temps, revivre.
Registres de
Villettes.
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