Ce
18 brumaire an XI était un grand jour pour Anne L et elle n’était pas peu fière
en pénétrant dans la grande salle de la Maison Commune, afin de s’unir en
mariage à Jacques H.
Monsieur
le maire les accueillit avec un large sourire et les fit asseoir, l’un à côté
de l’autre, afin de procéder à cette cérémonie que la Révolution avait voulue
civile.
Mais
le sourire de monsieur le maire s’estompa rapidement lorsqu’il apprit que les
promis, là devant lui, venaient de passer, juste avant, devant monsieur le curé
pour une bénédiction nuptiale.
« Mais
ce n’est pas légal ! s’exclama-t-il d’un ton ferme et péremptoire.
L’atmosphère festive, quelques instants auparavant,
s’assombrit d’un coup et un murmure interrogateur parcourut l’assemblée des invités présents. Que voulait
dire le maire ?
N’allait-il
pas refuser de marier les jeunes gens ?
Anne
L, soudain d’une pâleur à faire peur, regarda son futur d’un air affolé.
Celui-ci essaya de la rassurer en lui adressant un léger sourire, mais le cœur
n’y était pas.
« C’est
que, risqua Jacques H, avec toutes ces nouvelles lois ! C’est qu’on s’y
perd un peu, nous autres !
-
Lorsque vous êtes venus publier la date
de votre mariage, il vous a été dit que, seul le mariage en mairie était valable.
Libre à vous de vous rendre ensuite à l’église. De plus, le citoyen M, curé, aurait dû vous demander si vous
étiez passés, avant, par la mairie.
-
C’est qu’il a rin dit, avança timidement
Anne L qui sentait ses jambes se dérober sous elle.
-
Bon, conclut le maire, je vais tout de
même vous unir, mais, je suis en droit de reporter la date de cette
cérémonie !
Et
il procéda, Monsieur Lambard, citoyen maire, n’omettant aucun article, montrant
ainsi que, lui, il avait tous pouvoirs républicains. Ah que oui ! On ne
devait pas badiner avec le Code Civil et ses règles établies.
Il
félicita tout de même les nouveaux mariés, leur souhaitant une vie heureuse et
prospère.
Mais,
aussitôt après, monsieur le maire, toujours mécontent, en parla à un de ses
adjoints.
« Il
en prend encore à ses aises, le curé ! Il continue à célébrer les mariages
avant les formalités civiles. Je ne sais plus quoi faire ! Et en plus, je
crois bien que cela l’amuse !
-
Il faudrait lui envoyer un courrier,
répondit l’adjoint.
-
Cela fait au moins trois, voire quatre
courriers d’avertissement, que je lui écris.
-
Alors, allez le voir, ce serait sans
doute plus efficace.
-
Je lui en ai parlé également à de
nombreuses reprises. Non, la prochaine fois, je refuse le mariage aux couples
qui ont enfreint la loi. Il verra bien, alors, le curé, si ses ouailles seront
toujours aussi dociles !
Monsieur
Lambart, maire en exercice, adressa une nouvelle missive au citoyen Maille,
curé, lui rappelant les termes de l’article 54 de la loi sur l’organisation des
cultes, interdisant de procéder à la bénédiction nuptiale de citoyens, avant
que ceux-ci n’eussent contracté mariage devant l’officier public.
Dans
sa cure, le citoyen Maille, avait pris connaissance du courrier ou plutôt du
« sermon » du citoyen maire. Il hochait la tête, mécontent, mais
alors, très mécontent.
Etienne
Marin Maille était né le 7 janvier 1741 à Brétigny dans le canton de Brionne.
Il avait reçu le baptême le lendemain de sa naissance. Il avait été élevé dans
une famille très pieuse et rapidement, il s’était dirigé vers la prêtrise. Il
avait vécu les chamboulements dus à la Révolution de 1789 et n’avait jamais
voulu prêter serment à la République. Cela lui avait valu bien des désagréments
et les privations qu’il avait subies pendant de nombreuses années, en raison de
sa résistance, l’avaient affaibli physiquement, mais pas moralement. Il avait
tenu bon et ce n’était pas à présent qu’il allait fléchir.
Afin
de se calmer, la colère étant péché capital, le citoyen curé se rendit dans son
église, s’agenouilla devant l’autel et se mit à prier. Mais, son recueillement
ne l’apaisa pas, loin de là. Relevant la tête vers le crucifix, il lança :
« Qu’ils
aillent au diable, tous ces mécréants, avec leurs lois et leur
république ! »
Il
fut alors terriblement surpris d’entendre : « Oh ! Monsieur le
curé ! »
Etait-ce
sa conscience ?
Se
ravisant, il se retourna et aperçut, une vieille femme, toute petite, toute
rabougrie, toute vêtue de noir, devant l’autel de la Vierge.
Tout
penaud, Etienne Marin Maille[1] se
releva, sourit à la pieuse femme, et sortit en courant du saint lieu.
[1] Fils de
Charles Maille et Thérèse Goislin ou Gouellin, Etienne Marin Maille décéda à
Louviers le 22 septembre 1809, soit six années après les évènements racontés
dans cette nouvelle, rédigée à partir d’un courrier du maire de la ville, en
date du 18 brumaire an XI.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.